L’Internationale, documents et souvenirs/Tome IV/VI,7

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L’INTERNATIONALE - Tome IV
Sixième partie
Chapitre VII
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VII


Du Congrès jurassien de la Chaux-de-Fonds au Congrès général de 1876.


En Espagne, les conférences comarcales qui devaient avoir lieu en juillet et août se réunirent ainsi qu’il avait été annoncé. Le Bulletin (10 septembre) dit à ce sujet : « Les conférences comarcales de l’Internationale espagnole ont eu lieu, et on a pu constater que l’organisation, que la persécution gouvernementale a contrainte à devenir secrète, a résisté victorieusement aux dures épreuves qu’elle a eu à traverser. Les conférences se sont occupées, entre autres choses, de la nomination de la nouvelle Commission fédérale espagnole et de la délégation à envoyer au Congrès général. » Et il ajoutait, un mois plus tard (15 octobre) : « Nous avons sous les yeux le compte-rendu imprimé (clandestinement, cela va sans dire) des conférences comarcales tenues cette année en Espagne. Nous voyons par ce compte-rendu que la Fédération régionale espagnole se compose en ce moment de cent douze fédérations locales, réparties en neuf fédérations comarcales. Chaque localité importante forme le centre d’un groupe (agrupacion) de sections, administré par une commission de groupe (comision de agrupacion) ; la réunion d’un certain nombre de groupes forme une comarque (comarca), administrée par une commission comarcale ; et l’ensemble de ces comarques forme la Fédération régionale, administrée par une Commission fédérale. Parmi les résolutions votées aux conférences comarcales, nous remarquons particulièrement les deux suivantes : « 1° Les conférences ont entendu avec satisfaction la lecture de la lettre du Comité fédéral jurassien[1], et déclarent que la Fédération espagnole, publique ou secrète, libre ou persécutée, travaillera toujours activement à l’émancipation du prolétariat ; 2° Les conférences ont appris avec un profond regret la mort de Michel Bakounine, et votent un souvenir à sa mémoire. »

Le Bulletin du 17 septembre donna de nouveaux détails sur les mauvais traitements infligés aux malheureux qui avaient été déportés sans jugement soit dans les bagnes d’Afrique (à Ceuta), soit dans les îles de l’Océanie (aux Philippines et aux Mariannes). « L’horrible situation où se trouvent ces pauvres gens ne peut être comparée qu’à celle que subissent en Nouvelle-Calédonie les martyrs de la Commune de Paris ; et de même qu’en France la voix populaire commence à s’élever pour flétrir les bourreaux versaillais, de même en Espagne, après deux ans d’un silence de mort, la conscience publique se réveille et réclame en faveur des victimes de l’atroce arbitraire du pouvoir. Un certain nombre de journaux espagnols ont accueilli des correspondances qui donnent des détails horribles sur la déportation. » Et notre organe traduisait deux articles extraits de la Gaceta de Barcelone et de l’Imparcial de Madrid.


L’Internationale avait été, en Portugal, fondée par l’initiative des ouvriers espagnols ; et si, lors des dissensions qui avaient suivi le Congrès de la Haye, les socialistes de Lisbonne s’étaient rangés du côté du Conseil général, ils n’avaient jamais rompu les liens de solidarité qui les unissaient à leurs frères d’Espagne. En 1876, au moment où allait se réunir de nouveau un Congrès général de l’Internationale, l’occasion parut propice à nos camarades espagnols pour faire une démarche amicale auprès des ouvriers portugais. « Le courant de rapprochement entre les socialistes appartenant à des nuances différentes — écrivait le Bulletin (1er octobre)[2] — se fait sentir aussi dans la presqu’île des Pyrénées. La fédération ouvrière de Cadix, qui appartient à l’Internationale espagnole, a adressé à l’organisation socialiste ouvrière du Portugal un appel destiné à signaler aux ouvriers portugais l’importance du prochain Congrès international de Berne et à les engager à s’y faire représenter par des délégués ou du moins à y envoyer une adresse d’adhésion. Cet appel est une nouvelle preuve de l’esprit de conciliation qui se fait jour de toutes parts. »

L’appel de la fédération de Cadix disait :


Compagnons de la région portugaise,

Depuis longtemps, et malgré les divisions qui malheureusement ont déchiré dans ces dernières années le sein du prolétariat, en nous plaçant dans des camps opposés, notre fédération locale, déplorant cette lamentable désunion et se souvenant seulement que nous combattons tous sincèrement pour atteindre le même but, l’émancipation des travailleurs par la révolution sociale, a toujours continué à entretenir avec vous des relations de bonne amitié, auxquelles de votre côté vous avez franchement répondu.

Les uns et les autres, nous avons nourri le constant désir de voir ces relations se resserrer et s’étendre à tous les révolutionnaires socialistes qui, s’ils ne se considèrent pas comme ennemis, n’en conservent pas moins dans le cœur des rancunes et de la méfiance. Une preuve de la conformité de vos sentiments avec les nôtres sur ce point, ce sont les lettres bienveillantes que vous avez adressées à nos compagnons prisonniers dans cette ville, et les déclarations publiées dans l’organe socialiste de votre région. Une preuve aussi de notre part, c’est le vœu de concorde entre toutes les fractions du parti socialiste, émis dernièrement dans la conférence des délégués de toutes les fédérations locales de la fédération comarcale à laquelle nous appartenons.

Mais nos vœux seraient inutiles, si nous ne pensions à leur donner une sanction pratique, en contribuant de toutes nos forces à jeter les bases d’une union solide et en formulant un pacte de solidarité admissible pour tous.

L’occasion est propice : bientôt, au mois d’octobre, se célébrera le Congrès général annuel des délégués d’une partie importante du prolétariat européen, et, si nous devons ajouter foi aux rumeurs lointaines que nous percevons, des courants de conciliation circulent parmi les masses ouvrières. À nous autres incombait le devoir, que nous venons remplir avec plaisir et pleins d’espoir, de vous inviter à aller à ce concert de paix confondre avec la nôtre votre note d’harmonie.

Oui, compagnons, que vos délégués se rendent à cette assemblée, et ils se convaincront que les représentants des fédérations libres, réunis pour discuter en commun les résultats d’une année d’étude et d’expérience, trop pénétrés de la grandeur de leur mission, ne voudront pas la rabaisser en apportant au sein du Congrès sacré du travail de tristes et mesquines passions.

Un accueil fraternel vous attend. L’intérêt de la Révolution sociale vous appelle. Et si, comme nous en avons la confiance, vous vous décidez à apporter votre concours à cette réunion, peut-être trouverez-vous là d’autres compagnons qui jusqu’ici ont lutté plus près de vous que de nous, accourus aussi pour sceller par une fraternelle accolade le rétablissement de l’union de tous les travailleurs.

Salut et Révolution sociale.

Le secrétaire de l’extérieur.

Cadix, 12 septembre 1876[3].


Dans son numéro du 22 octobre, le Bulletin publia une correspondance d’Espagne où on lisait : « Nous avons reçu avec beaucoup de plaisir la nouvelle que l’idée de conciliation entre les diverses fractions socialistes fait de grands progrès. Nous espérons que la Fédération espagnole se montrera favorable à la conclusion d’un pacte de solidarité entre les différentes organisations socialistes. » Le correspondant parlait ensuite d’un manifeste républicain signé par Ruiz Zorrilla et Salmeron, et expliquait que le parti républicain se trouvait divisé en quatre fractions, qui chacune de son côté se préparait à la révolution : les partisans de Castelar (modérés), ceux de Zorrilla et de Salmeron (unitaires), ceux de Pi y Margall (fédéralistes modérés), et les cantonalistes. Au moment où cette correspondance paraissait, les journaux annoncèrent la découverte d’un grand complot républicain : des centaines d’arrestations avaient été faites à Madrid et en d’autres villes ; le mouvement attendu, qui aurait sans doute remis Serrano à la tête du gouvernement, avec Zorrilla, Sagasta et Castelar comme ministres, se trouva de la sorte rendu impossible.


Le journal le Protesto, en Portugal, avait eu des paroles sympathiques à l’adresse de la Fédération jurassienne, à l’occasion de la mort de Bakounine. Lorsqu’eut été envoyée la circulaire du Bureau fédéral de l’Internationale convoquant le Congrès général pour le 26 octobre[4], le Protesto publia l’article suivant :


Congrès ouvrier international.

Le 26 courant s’ouvre à Berne un Congrès ouvrier international, auquel ont été invités les socialistes portugais. Ce Congrès est convoqué par les sections dissidentes de l’Association internationale des travailleurs, mais on assure qu’il y sera fait des propositions de conciliation. Nous souhaitons que nos compagnons puissent en finir avec toutes ces petites querelles, qui ont fait tant de mal à la classe des travailleurs. Est-ce que nous n’avons pas tous les mêmes intérêts et les mêmes aspirations ? Pourquoi donc sommes-nous divisés, et donnons-nous au monde ce triste spectacle ? Nos ennemis se réjouissent de notre désunion, et beaucoup d’ouvriers abandonnent à cause de cela les associations avec mécontentement.


À la suite de cet article, le Protesto reproduisit le programme du Congrès de Berne.


On a vu avec quelle ardeur et quel enthousiasme l’Internationale, en Italie, était rentrée dans l’arène publique. Le mouvement continuait et allait grandissant. Les journaux disparus reparaissaient ; de nouveaux journaux se fondaient, comme le Martello, à Fabriano, où écrivait Costa. Une fédération se constituait dans les Abruzzes, une autre en Sicile, une section était créée à Cagliari (Sardaigne). Le 20 août avait lieu à Iesi le Congrès de la fédération des Marches et de l’Ombrie : Costa, qui s’y était rendu, fut arrêté et conduit à Imola, où il reçut l’ammonizione. Le 1er septembre se réunit à Rome le Congrès de la Fédération romaine. De toutes parts on fondait des sections : chaque semaine en voyait surgir une demi-douzaine. À Florence fut formée une section de femmes, qui adressa un pressant appel à toutes les ouvrières d’Italie ; on y lisait : « Ce n’est pas l’émancipation bourgeoise de la femme que nous désirons, mais l’émancipation humaine, celle pour laquelle les ouvriers du monde entier s’associent aujourd’hui pour combattre demain ». Mais en même temps les persécutions gouvernementales et policières redoublaient : ammonizioni, emprisonnements, perquisitions, etc.

En septembre se tint à Gênes, avec une pompeuse mise en scène, le Congrès du parti mazzinien, hostile à l’Internationale ; la municipalité avait fait décorer la salle qu’elle avait mise à la disposition des délégués, et leur avait prêté sa musique : « on espère, dit à ce sujet le Bulletin, que l’année prochaine Sa Majesté le roi d’Italie leur fera accorder les honneurs militaires ». Les mazziniens luttaient avec acharnement contre les internationalistes ; à Fabriano, ayant appris que le Martello devait publier un article de polémique au sujet d’une lettre écrite par une notabilité du parti mazzinien, Campanella, ils intimèrent à la rédaction du journal la défense de faire cette publication, en déclarant que, si l’article paraissait, « ils descendraient dans la rue avec leurs carabines pour en finir avec les internationalistes ». L’article parut dans le Martello du 8 octobre, et les mazziniens, surpris de tant d’audace, jugèrent à propos de ne pas décrocher leurs carabines pour cette fois.

La Commission italienne de correspondance se trouvait empêchée, pour diverses raisons, de réunir le Congrès italien avant le dernier tiers d’octobre : elle écrivit en conséquence au Bureau fédéral, dans la première quinzaine de septembre, pour demander que le Congrès général, au lieu de s’ouvrir le premier lundi d’octobre, fût reculé jusqu’après le quatrième dimanche d’octobre. Lorsqu’elle eut reçu l’avis que le Bureau fédéral, d’accord avec elle pour ce nouvel ajournement, reportait la date d’ouverture au jeudi 26 octobre (voir plus loin p. 80), elle convoqua le Congrès de la Fédération italienne pour le dimanche 22 octobre à Florence. L’ordre du jour ne comprenait pas moins de dix-sept questions, proposées par diverses sections, parmi lesquelles se trouvaient celles-ci : « Doit-on encourager l’organisation de l’Internationale par corps de métiers ? (Naples.) — Est-il utile à l’Internationale de prendre part aux élections politiques, dans le but de faire affirmer par de purs socialistes les principes que défend notre grande Association, en face de la bourgeoisie qui siège au Parlement ? (Bari) — Les formes politiques sont-elles indifférentes au socialisme, ou doit-on aider à réaliser l’établissement d’une république possible? (Florence) — D’une organisation générale des caisses de résistance en Italie (Spolète). »

De nombreux délégués furent élus dans les diverses régions de l’Italie, pour se rendre à Florence. Afin que le Congrès pût terminer ses travaux avant l’ouverture du Congrès général, et que les délégués de l’Italie eussent le temps nécessaire pour faire le voyage de Florence à Berne, la Commission de correspondance avait prié les délégués des sections italiennes de se rencontrer à Florence dès le vendredi 20 octobre. Le gouvernement de M. Nicotera, que ce Congrès ennuyait, tenta alors un petit coup d’État : le jeudi 19 octobre il fit arrêter, à Florence, Costa et les deux membres de la Commission de correspondance, Natta et Grassi ; en outre, il fit occuper par la police et la troupe le local où devait siéger le Congrès et l’auberge où les délégués avaient leur rendez-vous, pensant empêcher par là le Congrès d’avoir lieu. Mais celui-ci n’en tint pas moins ses séances, et une lettre de Cafiero, publiée dans le Bulletin du 29 octobre, nous raconta en ces termes les incidents qui marquèrent la tenue du troisième Congrès de la Fédération italienne :


En arrivant en Florence, le vendredi soir 20 octobre, nous apprenons qu’Andrea Costa avait été arrêté la veille, ainsi que Natta et Grassi, et que le local où devait se tenir le Congrès était occupé par la police. Les compagnons qui nous racontèrent cela étaient eux-mêmes recherchés depuis plusieurs jours.

On voulait évidemment nous faire peur, pour nous empêcher de tenir le Congrès, qu’on n’avait pas osé interdire franchement. Toutefois, aucun des nombreux papiers concernant le Congrès n’était tombé entre les mains de la police ; et comme nous avions trouvé une autre localité pour nous réunir[5], nous résolûmes de nous y rendre sans perdre de temps. Il était minuit quand nous partîmes de Florence, à pied, par une pluie battante.

Je ne m’arrêterai pas à vous raconter les épisodes d’une marche de huit heures, faite en grande partie par des sentiers de montagne, au milieu de la plus profonde obscurité et sous un véritable déluge ; vous les comprendrez facilement, surtout en songeant que nous avions avec nous quelques compagnons d’un tempérament peu robuste, et que tous nous nous étions attendus à assister à un congrès pacifique et n’étions par conséquent pas préparés à entrer ainsi subitement en campagne.

Nous arrivâmes enfin au lieu de notre destination, un petit village sur une cime de l’Apennin. Après avoir pris une heure de repos, nous nous mîmes à l’ouvrage. Les mandats furent vérifiés, et toutes les questions de l’ordre du jour furent réparties sous ces quatre rubriques :

1° Points se rattachant à des questions de principe ;

2° Questions concernant la pratique révolutionnaire et le système à suivre sous ce rapport ;

3° Questions administratives de la Fédération ;

4° Questions diverses non comprises dans les trois rubriques ci-dessus.

Le soir du même jour, samedi 21, les commissions avaient achevé leur travail préparatoire. Alors, considérant que nous n’avions pas une minute à perdre si nous voulions achever notre besogne avant d’être surpris par la police[6], et la plus grande partie des délégués étant déjà présents, — quelques-uns d’entre eux, une dizaine, devaient encore nous rejoindre le même soir, — nous décidâmes de ne pas attendre davantage, et, de l’avis unanime des délégués présents, le troisième Congrès de la Fédération italienne de l’Association internationale des travailleurs fut déclaré ouvert.

Les discussions étaient déjà passablement avancées, lorsque nous reçûmes l’avis que les autres délégués, ceux que nous attendions encore, avaient été arrêtés tandis qu’ils étaient en route pour nous rejoindre ; qu’à Florence on avait fait de nouvelles et nombreuses arrestations, et que la police se disposait à se mettre à nos trousses.

Il n’y avait pas un moment à perdre.

Après nous être consultés, nous décidâmes de quitter la localité où nous nous trouvions et de profiter de la nuit pour nous rendre dans un endroit plus sûr. En moins d’une heure, nous étions déjà loin de tout chemin battu, au milieu d’une épaisse forêt. Là, nous nous trouvions en parfaite sécurité, et nous nous y installâmes pour continuer la séance. Comme vous le pensez, personne ne fit de longs discours ; les résolutions furent rédigées sans discussions byzantines et adoptées d’emblée : c’était au moins là un avantage de la persécution dont nous étions l’objet.

Le Congrès fut clôturé le lendemain dimanche 22, après une dernière séance dans une autre forêt ; puis les délégués prirent congé les uns des autres et s’éloignèrent par différents chemins.

Dans une prochaine lettre, je vous enverrai le texte des résolutions votées par le Congrès[7]. Pour le moment, je me bornerai à ajouter que deux délégués furent désignés pour représenter l’Italie au Congrès général de Berne. Grâce aux précautions qu’ils ont prises, nous espérons qu’ils auront pu arriver sans encombre à destination.


Les deux délégués en question étaient Cafiero et Malatesta. Le mardi 24 octobre, ils arrivaient en Suisse, à Bienne ; prévenu par télégramme, j’allai les rejoindre dans cette ville ; ils me narrèrent leur odyssée, et c’est alors que Cafiero rédigea pour le Bulletin la correspondance que je viens de reproduire.

Le lendemain ils se rendirent à Berne, où je les retrouvai le soir, avec les autres délégués venus pour le Congrès général.


Le Bulletin du 22 octobre annonça, sous la rubrique Grèce, que « un certain nombre de socialistes de ce pays envoyaient au Congrès de Berne une Adresse où ils exposaient leurs idées relativement à l’organisation du travail » ; et il ajoutait : « Ils ont chargé de la lecture de ce document le compagnon Andrea Costa, qui réside actuellement en Suisse ». Ces derniers mots étaient une feinte : Costa, qui était ammonito, et qui, malgré cela, venait de quitter Imola pour se rendre furtivement à Florence, avait voulu mettre la police italienne sur une fausse piste et lui faire croire qu’il s’était réfugié sur le territoire helvétique. Vain stratagème et tardif : la police savait fort bien où était allé Costa, et l’avait arrêté dès le 19. Cette arrestation priva le Congrès de Berne de la lecture de l’Adresse des socialistes grecs[8].


De France, le Bulletin publia (n°s 35, 36 et 30) deux lettres écrites, l’une par un détenu politique de la maison centrale de Thouars, l’autre par la veuve d’un détenu mort dans cette prison, lettres donnant des détails « sur le régime odieux auquel les gens de Versailles soumettent nos malheureux amis, coupables d’avoir combattu pour la liberté et l’égalité ». Je voudrais pouvoir en donner des extraits, mais je suis, à mon regret, obligé d’y renoncer.

Le Congrès ouvrier dont il a été question plus haut (p. 48) avait été retardé d’un mois : il s’ouvrit le 2 octobre, dans une salle de la rue d’Arras, à Paris. Un correspondant parisien disait dans le Bulletin (10 septembre) : « L'organisateur du Congrès est Pauliat, un bourgeois qui fait au journal la Tribune, depuis quelques mois, ce que Barberet fait au Rappel depuis cinq ans ; c'est-à-dire qu'en prenant la direction du mouvement socialiste, il s'arrange pour faire piétiner les ouvriers sur place sans avancer d'une semelle, tout en leur criant : Allons de l’avant, groupons-nous, marchons ! » Le Congrès de la salle d’Arras se composa de 105 délégués de la province et de 255 délégués de Paris. Optimiste, j’écrivis (Bulletin du 8 octobre) : « Ce que peuvent penser et dire les meneurs actuels nous préoccupe médiocrement : ils seront bientôt dépassés, et nous verrons les ouvriers parisiens, à mesure que la situation se dessinera mieux, marcher de l’avant avec les événements. En tout cas, le réveil qui se produit en France est des plus réjouissants. Qui l’eût osé espérer, que cinq ans après l’écrasement de la Commune les prolétaires de France auraient déjà relevé la tête au point d’aller s’affirmer en un Congrès à Paris ? C’est là un fait énorme. Le temps fera le reste. » Dans les séances, parfois tumultueuses, de ces « assises du travail », — comme disaient avec emphase les orateurs, — on vit paraître à la tribune les citoyens Gaillon, Dupire, Auguste Desmoulins, Barberet, Bolâtre, Chabert, le positiviste Finance, etc. : ils prononcèrent des harangues sonores et vides, que le Bulletin du 15 octobre apprécia ainsi : « Quand on se dit qu’il y a eu des Congrès de l’Internationale, dont les débats ont retenti dans le monde entier, et où toutes les questions sociales ont été étudiées ; qu’à ces Congrès de l’Internationale a jadis assisté l’élite du prolétariat parisien ; et qu’on voit maintenant patauger à l’aveugle les parleurs du Congrès de la rue d’Arras, on est forcé de s’avouer que la réaction a bien fait son œuvre ; qu’en écrasant l’insurrection du 18 mars, elle a véritablement décapité le prolétariat français, et qu’il faudra plusieurs années encore, peut-être, avant que les ouvriers du Paris actuel arrivent à comprendre la question sociale et à juger la situation de leur classe comme le faisaient les ouvriers socialistes de la fin de l’empire… Néanmoins, notre appréciation est demeurée la même qu’il y a huit jours : le Congrès de Paris reste, malgré tout, un fait important et réjouissant, non certes à cause des choses qui s’y sont dites, — car à ce point de vue il n’a rien ou presque rien produit de bon, — mais parce qu’en lui-même, et indépendamment de tout le reste, le fait seul d’avoir réuni des ouvriers en Congrès à Paris est une bonne chose. » Une nouvelle lettre de Paris (Bulletin du 5 novembre) résuma comme suit l’impression faite par le congrès sur cette portion du peuple des faubourgs qui restait fidèle au souvenir de la Commune et de l’Internationale :

« Le Congrès de Paris arrive toujours davantage à produire le résultat que désiraient les vrais socialistes, c’est-à-dire à faire rejeter les traîtres et les ambitieux en dehors du mouvement. Les principaux meneurs du Comité d’initiative, Pauliat, Guillon, et un ou deux autres, vont être expulsés de ce comité ; quelques amis, qui avaient cru sincèrement servir la cause en marchant à leur remorque, s’aperçoivent qu’ils font fausse route, et ont résolu de démasquer ces gens-là. La question de reddition des comptes a déjà soulevé des orages, car on y entrevoit des détails qui sont loin d’être propres. Les chambres syndicales, qui n’ont formé qu’une minorité au Congrès, protestent contre les agissements des meneurs, et prennent des dispositions pour que le prochain Congrès ne soit plus escamoté comme celui de Paris. Un groupe s’occupe activement de la création d’un journal socialiste ouvrier (je dis ouvrier, car il y en a tant qui se disent socialistes !). Je vous tiendrai au courant de ce qui se passera cet égard. »


De Belgique, un correspondant (Bulletin du 17 septembre) nous communiqua le texte de la pétition adressée à la Chambre des représentants contre le travail des enfants dans les fabriques, en disant qu’il ne pouvait l’approuver entièrement ; il nous annonçait en même temps qu’un Congrès de la Fédération belge allait se réunir pour s’occuper de la délégation au prochain Congrès général de l’Internationale.

Ce Congrès belge se réunit à Anvers le 1er octobre. Il désigna le Dr César De Paepe[9] pour représenter la Belgique au Congrès général. Il décida d’appuyer la pétition gantoise contre le travail des enfants : « Le délégué du Bassin de la Vesdre — nous écrivit notre correspondant (c’était Pierre Bastin) — a cru devoir donner sa voix à cette décision, parce qu’il faut, autant qu’il est possible, maintenir l’unité d’action entre les travailleurs ; mais je doute fort que cette opinion trouve un écho à Verviers ». (Bulletin du 15 octobre.) Enfin il adopta une proposition sur l’origine de laquelle je ne suis pas suffisamment renseigné : celle de la convocation d’un Congrès universel des socialistes, qui aurait lieu en Belgique en 1877. À ce Congrès universel seraient admis les délégués des diverses organisations socialistes, « que ces dernières fussent des branches de l’Internationale, ou qu’elles existassent en dehors de cette association ». Le but de ce Congrès serait « de cimenter, le plus étroitement possible, un rapprochement entre les diverses organisations socialistes et de discuter des questions d’un intérêt général pour l’émancipation du prolétariat ». Le Bureau fédéral de l’Internationale fut invité à inscrire cette proposition à l’ordre du jour du futur Congrès général ; et le délégué belge à ce Congrès reçut le mandat d’en recommander l’adoption à toutes les Fédérations qui y seraient représentées.

Lorsque j’appris ce qui s’était passé au Congrès d’Anvers, je ne vis, dans la proposition belge de réunir en un Congrès universel des délégués de toutes les organisations socialistes, qu’une tentative louable pour rapprocher les uns des autres tous les partisans de l’émancipation du travail, tentative inspirée, pensais-je, par le même esprit de conciliation qui avait porté les Jurassiens à tendre la main au Parti de la démocratie socialiste d’Allemagne. Je compris plus tard — plusieurs mois après le Congrès de Berne — qu’il y avait autre chose : l’attitude des meneurs du Parti socialiste flamand qui se constitua en 1877 m’ouvrit les yeux. Il y avait des gens qui voulaient détruire l’organisation de l’Internationale : et c’étaient ces gens-là qui avaient lancé l’idée du « Congrès socialiste universel », pour en faire contre l’Internationale une machine de guerre.


En Russie, le mouvement socialiste allait grandissant malgré les persécutions. Le journal Czas annonçait qu’en Ukraine, par exemple, le socialisme avait trouvé accès dans toutes les classes de la société : « les juges eux-mêmes en sont infectés, et des brochures spéciales répandent la doctrine subversive parmi les paysans ».

Deux ouvriers, Ossipof et Abramenkof, avaient été traduits devant le Sénat sous la prévention d’avoir propagé des écrits d’un contenu criminel : Ossipof fut condamné à neuf ans de travaux forcés ; l’autre accusé, contre lequel aucun fait ne put être établi, reçut quinze jours de prison. « Ce fut — écrivait un correspondant russe au Zeitgeist de Munich — le premier procès où les accusés et tous les témoins appartenaient exclusivement à la classe ouvrière, où nul représentant des classes dites cultivées ne se trouvait mêlé. L’attitude des accusés a été digne au plus haut point, et ils ont fait réellement honneur à leur cause. »

Les hostilités entre la Serbie et la Turquie, et les atroces massacres de Bulgarie, qui soulevèrent dans toute l’Europe, et spécialement en Angleterre, des protestations indignées, devaient amener, au printemps de 1877, le gouvernement russe à déclarer la guerre au sultan ; les événements d’Orient, en occupant les esprits en Russie, détournèrent pour quelque temps une partie de la jeunesse de l’action socialiste. Pierre Kropotkine, qui venait de s’installer provisoirement à Londres, nous adressa un article À propos de la question d’Orient, que publia le Bulletin du 24 septembre : « Nos socialistes russes, écrivait-il, ont aussi été entraînés par le mouvement. Je comprends cet élan. Il est impossible de lire quotidiennement le récit des massacres, et de savoir que ce peuple massacré comptait sur le soutien des Russes, sans être entraîné... Les journaux anglais sont remplis de comptes-rendus des meetings qui se tiennent chaque jour par dizaines pour exprimer leur horreur des massacres turcs et pour forcer le gouvernement anglais (tory) à changer d’attitude dans la question slave. C’est vraiment avec dégoût que je lis journellement ces comptes-rendus. Il n’y a rien de plus révoltant que de voir la manière dont un mouvement, né des sentiments les plus purs, les plus humains de la classe ouvrière, est exploité dans son propre intérêt égoïste par le parti bourgeois libéral. »

Notre correspondant d’Angleterre nous exprimait le même dégoût tant au sujet des manœuvres de Gladstone contre Disraeli (tout récemment créé Lord Beaconsfield) que du langage tenu par le premier ministre en réponse aux accusations des libéraux. « M. Gladstone cesse un moment de brochurer pour soutenir l’Église établie, et vient taper à coups de Turcs sur les conservateurs. À quoi Lord Beaconsfield répond par les flots d’une éloquence non moins pompeuse, en faisant intervenir les sujets mahométans de l’Inde anglaise et leurs sympathies pour le sultan… Les faiseurs ont organisé partout des meetings populaires, qui votent des résolutions, font des pétitions, et reçoivent en échange de l’eau bénite de cour. Le prix de niaiserie est mérité par la Ligue ouvrière de la paix, dont l’ex-membre du Conseil général Lucraft est l’âme. Elle veut que le gouvernement agisse par son influence morale, mais surtout se garde bien d’employer la force. La paix à tout prix ! »

À propos du Congrès annuel des Trade Unions, le même correspondant nous écrivait (Bulletin du 8 octobre) : « J’ai vraiment peu d’inclination à vous donner, comme les années précédentes, un compte-rendu de ce Congrès. Les officers (fonctionnaires) des Trade Unions en sont arrivés à la formation d’un petit gouvernement assez régulier, leur Comité parlementaire, lequel se trouve en termes fort passables avec le gouvernement légal du pays. Tous deux sont habiles à tempérer les exigences prématurées, et à donner à la marche du progrès la lenteur qu’ils jugent utile à leur sécurité. Ainsi les trois-quarts du Congrès se passent en compliments, et l’autre quart ne contient que l’aimable expression de l’espérance que le ministre tel ou tel voudra bien donner à telle ou telle loi le développement que ses promesses antérieures permettent d’attendre. Le Comité parlementaire aura une douzaine d’occasions d’aller faire visite à un ministre ; ils feront mutuellement échange de compliments sur leurs bonnes manières, et l’on se séparera réciproquement enchanté. »


En Allemagne, le Congrès de Gotha se réunit du 19 au 23 août, avec un ordre du jour dont les points principaux étaient : « Rapport sur l’activité des députés au Reichstag ; les prochaines élections au Reichstag, désignation des candidats socialistes ; l’organisation socialiste en Allemagne ». Le Congrès comptait 101 délégués, représentant 284 localités et 37,774 votants. Il fut décidé que les deux organes officiels du parti, le Neuer Sozial-Demokrat et le Volksstaat, seraient remplacés par un organe unique, qui prendrait le titre de Vorwärts (« En avant »), et qui paraîtrait à Leipzig ; les rédacteurs, élus par le Congrès, furent Hasenclever et Liebknecht. Le Comité central du parti fut placé à Hambourg, et composé de Derossi, Auer, Geib, Hartmann et Braasch.

Le Congrès décida, à la suite de l’initiative prise par les socialistes de Lausanne (voir pages 55-56), de publier une brochure dont le produit serait remis aux ouvriers français pour leur faciliter l’impression des rapports des délégués envoyés par eux à l’Exposition de Philadelphie. Cette brochure parut en effet en novembre à Leipzig, sous le titre : Für die französischen Brader (« Pour les frères français »).

Il faut noter en outre une décision du Congrès reconnaissant qu’en Alsace-Lorraine, c’était aux ouvriers du pays à déterminer eux-mêmes l’attitude qu’ils entendaient prendre au sujet des élections, soit qu’ils voulussent mettre en avant des Candidatures socialistes, soit qu’ils préférassent s’abstenir.

Le procès verbal officiel du Congrès rend compte en ces termes de l’accueil qui fut fait à l’Adresse de la Fédération jurassienne, dont Liebknecht donna lecture dans la séance du 21 août au matin, séance où furent aussi lues d’autres adresses envoyées de Portugal, de Belgique et d’Angleterre :

« L’Adresse votée par le Congrès jurassien, tenu à la Chaux-de-Fonds le 7 août, exprime le regret des divisions qui ont régné jusqu’à présent entre les ouvriers des divers pays, et la satisfaction produite par l’heureuse réussite de l’union des ouvriers allemands ; elle parle de la nécessité d’oublier les discordes passées et de grouper toutes les forces pour atteindre le but commun.

« Bebel prend alors la parole et s’exprime ainsi : C’est un symptôme réjouissant que de voir les ouvriers de tous les pays civilisés profiter de l’occasion de notre Congrès pour affirmer leur solidarité avec les ouvriers allemands. Dans une assemblée à laquelle l’orateur a assisté dernièrement à Berne, il a été question d’un rapprochement avec les socialistes russes, français, etc. Il a dû faire observer, il est vrai, que, dans la situation actuelle de l’Allemagne, une organisation internationale n’est pas possible. Mais ce qui peut très bien se faire, c’est d’établir une correspondance amicale entre les représentants des diverses organisations socialistes, et de profiter de quelque occasion pour avoir une entrevue, de façon à créer au moins un lien moral entre nous et nos frères des autres pays. L’orateur propose qu’il soit répondu dans ce sens aux adresses qui ont été lues.

« Cette proposition est adoptée. »

Ce fut Liebknecht qui rédigea et envoya la réponse du Congrès de Gotha au Congrès jurassien. Cette réponse (traduite en français) fut publiée dans le Bulletin du 10 septembre ; la voici, avec les quelques lignes dont nous la fîmes précéder et suivre :


On se souvient de l’Adresse au Congrès de Gotha, votée par le Congrès de la Fédération jurassienne. En réponse à cette adresse, nous recevons du compagnon Liebknecht la lettre suivante, que nous publions avec un vif plaisir :

« Chers compagnons,

« Le Congrès des socialistes allemands m’a chargé de vous exprimer sa joie que le Congrès de la Fédération jurassienne se soit prononcé en faveur de l’union de tous les socialistes.

« Sans doute la discorde dans les propres rangs du prolétariat est le seul ennemi que nous ayons à craindre ; et tout ce qui est en notre pouvoir sera fait pour mettre fin aux dissensions du passé.

« La brochure que nous publierons au profit des délégués parisiens à l’Exposition de Philadelphie paraîtra la semaine prochaine[10].

« Cette lettre vous aurait été transmise plus tôt, mais je n’avais pas l’adresse de votre comité.

« Salut et fraternité.

« W. Liebknecht. »

« Leipzig, 3 septembre 1876. »

Comme le prouvent les sentiments exprimés par cette lettre, l’œuvre d’apaisement commencée sur la tombe de notre cher et regretté ami Michel Bakounine est en bonne voie de s’accomplir ; et nous espérons que le Congrès général de l’Internationale, qui doit avoir lieu cet automne dans une ville de la Suisse, contribuera à faire faire aux diverses fractions du grand parti socialiste un nouveau pas dans la voie de l’union.


Ainsi qu’on l’a vu précédemment, nos relations avec l’organe des lassalliens, le Neuer Sozial-Demokrat, avaient toujours été cordiales ; il faisait régulièrement l’échange avec notre Bulletin, et il rendait compte des Congrès de l’Internationale autonomiste. Par contre, le Volksstaat nous avait traités en ennemis, et n’avait pas ménagé, en plus d’une circonstance, les outrages et les calomnies à nos militants. Aussi fut-ce une chose significative que la publication de cette ligne dans le Bulletin du 24 septembre :


Le Bulletin fait désormais l’échange avec le Volksstaat de Leipzig.


Plus significative encore la publication de l’entrefilet suivant dans un numéro du Volksstaat des derniers jours de septembre, où il était parlé avec sympathie d’un de nos amis russes :


La police russe en voyage. — Tout récemment, à ce que rapporte la Königsberger Hartung’sche Zeitung, un employé supérieur de la police de Pétersbourg a été à Königsberg, avec la mission de chercher à découvrir la résidence d’un dangereux socialiste, d’un prince russe, et de s’assurer si, comme on le croit en Russie, il a quitté le territoire russe. De Königsberg, l’employé de police a continué sa route vers l’intérieur de l’Allemagne. — Ce dangereux socialiste est probablement le prince Kropotkine, dont nous avons raconté il y a peu de temps l’heureuse évasion. Kropotkine et ses amis sauront, nous n’en doutons pas, faire ensorte de déjouer la tendre sollicitude avec laquelle la police russe veut bien s’occuper d’eux.


Au moment de disparaître pour faire place au nouvel organe qui devait leur succéder, le Volksstaat et le Neuer Sozial-Demokrat annoncèrent l’un et l’autre la réunion du prochain Congrès de l’Internationale. Le Volksstaat se borna à dire : « Dans ce Congrès sera discuté le rapprochement des fractions aujourd’hui divisées, et on travaillera à réaliser l’union de tout le parti ouvrier international ». Le Neuer Sozial-Demokrat parla d’une façon plus cordiale : « En octobre — écrivait-il — aura lieu à Berne le Congrès de l’Association internationale des travailleurs, autant que le permettront les persécutions dont cette Association est l’objet de la part des gouvernements. Comme l’annoncent les organes du parti, on attend de tous les pays des délégués et des compagnons. On parle en particulier de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique, de l’Angleterre, de la France, de la Hollande, de l’Amérique. Le journal socialiste Arbeiter-Zeitung, de Berne, dit à ce propos : « Si des compagnons d’Allemagne veulent venir au Congrès de Berne, n’importe auquel titre, la famille sera au complet ». Ce souhait se réalisera certainement. » Et dans son numéro suivant, le Neuer Sozial-Demokrat reproduisit in-extenso le programme du Congrès, d’après la circulaire lancée par le Bureau fédéral de l’Internationale.

On vient de voir que le Neuer Sozial-Demokrat annonçait que le souhait exprimé par l’Arbeiter-Zeitung, de voir venir au Congrès de l’Internationale des représentants de l’Allemagne, « se réaliserait certainement ». En effet, des pourparlers s’étaient engagés entre des socialistes allemands et des socialistes jurassiens, au sujet d’une participation éventuelle des Allemands au Congrès ; à la suite de ces premières négociations, une invitation formelle à se faire représenter à Berne fut adressée au Parti socialiste allemand : le Comité du Parti répondit (première quinzaine de septembre) qu’un socialiste d’Allemagne se rendrait au Congrès, s’il était possible que la date en fût renvoyée à la fin d’octobre ; et les Italiens ayant fait à ce moment, comme on l’a vu (p. 66), la même demande, le Bureau fédéral prit sur lui de reculer jusqu’au 26 octobre la date de l’ouverture du Congrès général (voir p. 80).


Les ouvriers socialistes autrichiens tinrent en septembre un Congrès à Wiener-Neustadt. Le journal Gleichheit, qui en rendit compte, fut saisi.

À Pest, le 24 septembre, une grande assemblée ouvrière adopta un « programme provisoire de la classe ouvrière de Hongrie », programme essentiellement politique, dont le premier article réclamait l’institution du suffrage universel.


Au commencement de septembre eut lieu à Copenhague une grande assemblée, à laquelle participèrent quinze mille ouvriers, pour s’occuper du manque de travail : elle décida de demander aux autorités de faire entreprendre immédiatement tous les travaux pour lesquels des crédits avaient été votés.

Quelques jours après, un des chefs du parti socialiste danois, Brix, fut emprisonné pour offense à l’armée, à cause d’un article paru dans le journal satirique Ravnen (le Corbeau).


Aux États-Unis, le manque de travail allait croissant. Sur une population d’environ cent mille ouvriers, à New York, il y en avait trente-sept mille d’inoccupés ; et aucun remède à la crise n’était entrevu, ni par la classe possédante, ni par la majorité de la classe salariée.

Au Mexique, le mouvement ouvrier prenait des allures plus décidées. « Nous remarquons avec plaisir, lit-on dans le Bulletin (8 octobre), que le mouvement ouvrier mexicain semble sortir de la période purement platonique, patriotique et sentimentale, pour entrer dans un courant d’idées plus prononcé. C’est ainsi que deux journaux de Mexico, le Socialista et la Bandera del Pueblo, ont commencé à publier en feuilleton la traduction espagnole des Esquisses historiques ; c’est ainsi que le Socialista pose maintenant la question sociale d’une manière plus conforme aux principes que professent les ouvriers d’Europe. » Et le Bulletin reproduisait un article de ce journal disant nettement que « ce n’est pas la politique, mais le socialisme qui peut faire triompher les droits du peuple» ; qu’avec l’inégalité économique, « la liberté civile est un mythe » ; et que, « quant à l’exercice des droits politiques, nous savons ce que cela signifie : le peon (ouvrier agricole) vote en faveur du candidat que patronne son maître, parce qu’il ne peut pas avoir de liberté propre, et, selon les ordres qu’il reçoit, il est alternativement tout ce qu’on veut, tant en politique qu’en religion ».


On a vu (p. 56) que Kahn et Reinsdorf, invités par une assemblée populaire zuricoise à s’adresser au gouvernement suisse, avaient répondu qu’ils ne demanderaient pas justice à une autorité dont ils ne reconnaissaient pas la légitimité. La Tagwacht prit texte de l’attitude de nos deux camarades pour nous faire la leçon. Notre organe reproduisit les observations du journal zuricois et y répondit. Voici l’article (Bulletin du 27 août 1876) :


Réponse à la « Tagwacht ».

La Tagwacht consacre un article au « socialisme des Jurassiens », à propos du refus des compagnons Kahn et Reinsdorf de recourir au Conseil fédéral suisse.

« Les Jurassiens — dit la Tagwacht — se figurent qu’il est possible d’en finir avec la vieille société au moyen d’un « coup de jarnac » donné au bon moment ; et qu’ensuite, sans autre, on verra régner la justice partout et s’installer une société nouvelle.

« Nous, au contraire, — ajoute le journal zuricois, — nous regardons la lutte pour l’émancipation du peuple travailleur comme une évolution dont il n’est possible de supprimer aucun degré, dans laquelle il faut avancer pas à pas et qu’on doit traverser tout entière, car l’émancipation sociale doit avoir pour base l’émancipation intellectuelle du peuple. C’est pourquoi nous prenons pour point de départ la situation actuelle, nous l’étudions et la critiquons, nous en mettons à découvert les points faibles, et nous y appliquons le levier. C’est ainsi que s’explique l’influence que nous avons acquise, et qu’on a pu constater lors de la discussion de la loi sur les fabriques. »

Et voici la conclusion vraiment inattendue à laquelle arrive la Tagwacht :

« Le socialisme des Jurassiens est une religion ; le nôtre est une science. »

Comment se peut-il qu’après des années de propagande publique, nous soyons encore si mal compris ? Le rédacteur de la Tagwacht reçoit notre Bulletin ; s’il le lit, il aura pu y voir cent fois notre programme clairement exposé. Prenons un exemple entre plusieurs. Le Bulletin du 3 octobre 1875, s’adressant précisément à la Tagwacht, à propos des élections au Conseil national, s’exprimait ainsi :

« Nous n’attendons rien des prétendues réformes que daignerait nous octroyer une assemblée législative bourgeoise ; nous attendons tout du mouvement révolutionnaire qui, dans un avenir plus ou moins prochain, soulèvera l’Europe et balaiera ses vieilles institutions. Nous ne pensons pas toutefois, comme nous le font dire ceux qui diffèrent d’opinion avec nous à ce sujets que les révolutions s’improvisent ; nous savons qu’elles veulent être préparées, et qu’il faut que le peuple soit disposé à les comprendre et à les accepter. Mais c’est justement parce que nous voulons préparer la révolution, que dès à présent nous cherchons à éclairer le peuple sur le vide et le charlatanisme des institutions parlementaires, et que nous disons aux ouvriers : Groupez-vous pour devenir une force. Ne formez pas des associations destinées à faire de la politique électorale ; elles ne peuvent servir qu’à élever au pouvoir quelques ambitieux ; formez des sociétés de métier, des sociétés de résistance, associez ensemble vos intérêts de travailleurs ; en vous organisant ainsi pour la lutte économique, vous créerez l’armée de la future Révolution. »

Voilà qui est clair, semble-t-il ? Eh bien, non. Le directeur de la Tagwacht n’en persiste pas moins à nous faire dire ce que nous n’avons jamais dit, et condamne dédaigneusement, au nom de sa propre science, ce qu’il appelle notre religion.

Il n’y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Toutefois, comme le devoir d’un organe de l’Internationale est de prêcher avec patience et persévérance ce qu’il regarde comme la vérité, — fût-ce à des sourds, — nous expliquerons une fois de plus ce que nous entendons par révolution ; et notre explication, nous l’emprunterons aujourd’hui au préambule d’une brochure publiée par l’un des nôtres.

Voici comment s’exprime à ce sujet l’auteur des Idées sur l’organisation sociale :

« Il ne manque pas de gens qui se disent socialistes, et qui prétendent que la transformation sociale doit s’opérer par degrés, sans brusques secousses ; l’idée d’une révolution qui se donnerait pour programme de changer du jour au lendemain les bases de l’ordre établi est contraire à la nature même des choses, disent-ils ; le progrès lent et continu, voilà la loi du développement humain, loi que nous enseigne l’histoire et à laquelle des impatients, avides de coups de théâtre et de changements à vue, se flatteraient en vain de soustraire la société moderne.

« Ceux qui raisonnent ainsi confondent deux choses très différentes.

« Certes, ce n’est pas nous, matérialistes, qui méconnaîtrons cette grande vérité, la base même de notre théorie sur le développement des êtres animés : à savoir que les changements, dans la nature, ne s’opèrent point par brusques sauts, mais par un mouvement continu et presque insensible. Nous savons que ce n’est pas en un jour que l’homme est sorti de l’animalité, et que tout changement, tout progrès demande du temps pour s’accomplir.

« Cette loi s’applique aujourd’hui même sous nos yeux : la société moderne subit une transformation lente ; des idées nouvelles s’infiltrent dans les masses, des besoins nouveaux réclament satisfaction, de nouveaux et puissants moyens d’action sont mis tous les jours à la disposition de l’humanité. Cette transformation s’accomplit peu à peu, c’est une évolution insensible et graduelle, tout à fait conforme à la théorie scientifique ; mais, chose dont ceux à qui nous répondons ici ne tiennent pas compte, l’évolution en question n’est pas libre ; elle rencontre une opposition souvent violente ; les intérêts anciens qui se trouvent lésés, la force de résistance qu’oppose l’ordre établi, mettent obstacle à l’expansion normale des idées nouvelles ; celles-ci ne peuvent se produire à la surface, elles sont refoulées, et leur opération, au lieu d’être complète, est forcément réduite à un travail de transformation intérieure, qui peut durer de longues années avant de devenir apparent. Extérieurement, rien ne semble changé ; la forme sociale est restée la même, les vieilles institutions sont debout ; mais il s’est produit, dans les régions intimes de l’être collectif, une fermentation, une désagrégation qui a altéré profondément les conditions mêmes de l’existence sociale, ensorte que la forme extérieure n’est plus l’expression vraie de la situation. Au bout d’un certain temps, la contradiction devenant toujours plus sensible entre les institutions sociales, qui se sont maintenues, et les besoins nouveaux, un conflit est inévitable : une révolution éclate.

« Ainsi, l’œuvre de transformation a été bien réellement graduelle et progressive; mais, gênée dans ses allures, elle n’a pu s’accomplir d’une façon régulière et modifier au fur et à mesure les organes sociaux ; elle reste forcément incomplète, jusqu’au jour où, les forces nouvelles se trouvant, par une accumulation successive d’accroissements constants, en état de surmonter la résistance des forces anciennes, une crise se produit, et les obstacles sont emportés.

« Ce n’est pas en un jour que le flot grossit au point de rompre la digue qui le contient : l’eau monte par degrés, lentement ; mais une fois qu’elle a atteint le niveau voulu, la débâcle est soudaine, et la digue s’écroule en un clin d’œil.

« Il y a donc deux faits successifs, dont le second est la conséquence nécessaire du premier : d’abord, la transformation lente des idées, des besoins, des moyens d’action au sein de la société ; puis, quand le moment est venu où cette transformation est assez avancée pour passer dans les faits d’une manière complète, il y a la crise brusque et décisive, la révolution, qui n’est que le dénouement d’une longue évolution, la manifestation subite d’un changement dès longtemps préparé et devenu inévitable[11]. »


Dans son numéro suivant (3 septembre), le Bulletin revenait sur la question du rapprochement entre les socialistes, en rappelant, et en démontrant par des citations, que ce n’était pas là de notre part une idée nouvelle, et que, depuis 1869, nous n’avions pas cessé de prêcher l’union et la paix. Voici l’essentiel de l’article :


Le rapprochement tant désiré entre les socialistes des diverses nuances, et spécialement entre ceux de la fraction dite anarchiste et ceux dont l’idéal est l’État populaire (Volksstaat), paraît être en bonne voie de s’opérer. Nous saluons avec la joie la plus vive ce fait important, qui aura pour résultat d’accroître considérablement les forces du parti révolutionnaire, en dissipant bien des malentendus, et en fournissant, à des hommes qui ne se jugeaient mutuellement que sur des ouï-dire, l’occasion d’apprendre à se connaître et à s’estimer.

Ce rapprochement, nous l’avons désiré et demandé même dans les instants où la lutte entre les deux fractions de l’Internationale était dans sa période la plus aiguë. Il ne sera pas inutile de faire voir, par quelques citations des divers journaux qui ont successivement servi d’organe aux socialistes du Jura, que toujours nous avons recherché l’union et la paix, et que la conciliation qui s’accomplit aujourd’hui n’est que la réalisation du vœu que nous n’avons cessé d’émettre pendant huit années.

À la fin de 1869, un groupe de socialistes zuricois venait de fonder la Tagwacht, qui entrait en lice avec un programme d’action très différent du nôtre sur bien des points. Le Progrès du Locle s’empressa (25 décembre 1869) de souhaiter la bienvenue au nouveau journal, et, après en avoir reproduit le programme et avoir constaté que la tactique qui y était tracée s’éloignait considérablement de celle adoptée par nous, il concluait en ces termes : « ...[12] »

Ainsi, de qui est partie la première proposition de grouper en un seul faisceau les forces du socialisme en Suisse, sans se laisser arrêter par des différences de détail ? Des Jurassiens.

L’année suivante, la Solidarité revenait sur cette même question, à propos d’un article de la Tagwacht où il était dit : « Ne serait-ce pas une belle tâche pour les internationaux des Montagnes jurassiennes de devenir le trait d’union entre les corps de métier de langue allemande et ceux de langue française ? » La Solidarité répondait : « Il y a cinq mois, le Progrès avait proposé une réunion de délégués de la Suisse romande et de la Suisse allemande, dans le but d’arriver à un rapprochement, à une union plus étroite. Cette proposition n’eut pas de suite. Nous pensons que le moment serait venu de songer sérieusement à une réunion de cette espèce, qui ne pourrait avoir que d’heureux résultats, puisque des deux côtés on est disposé à une action commune. » (Solidarité du 28 mai 1870.)

Une des questions qui avaient motivé, en 1870, la scission entre les deux fractions de l’Internationale dans la Suisse française — scission qui se propagea bientôt dans l’Internationale tout entière — était celle des candidatures ouvrières, ou de la participation des socialistes à la politique électorale.

La Solidarité, tout en défendant le point de vue des Jurassiens, déclara toujours que cette question-là était une question de tactique, qui pourrait être résolue de différentes façons suivant les pays et les circonstances. Voici quelques passages d’un article de ce journal qui ne laissera aucun doute sur la façon large, dépouillée de tout doctrinarisme, dont les Jurassiens traitèrent cette question dès le début de la querelle : « …..[13] »

Nous terminons, pour aujourd’hui, cette revue rétrospective en reproduisant l’appréciation de la Solidarité sur la presse socialiste en 1870. Si l’on se rappelle que les journaux de langue allemande, et particulièrement la Tagwacht et le Volksstaat, se livraient en ce moment même à une violente polémique contre les Jurassiens, on appréciera le sentiment d’impartialité qui poussait la Solidarité à engager les sections jurassiennes à s’abonner à tous les journaux socialistes sans distinction.

Après avoir énuméré tous les organes que comptait alors le parti socialiste en Europe, la Solidarité ajoutait : « … Nous voudrions qu’autant que possible chaque section fût abonnée à plusieurs journaux du dehors… Quant au journal allemand, il y a à choisir entre le Vorbote, la Tagwacht, le Volkswille et le Volksstaat. Le Vorbote (de Genève) est très bien écrit et contient des articles de doctrine dignes d’être lus, mais il ne paraît qu’une fois par mois… ; la Tagwacht (de Zürich) paraît toutes les semaines, mais elle ne s’occupe presque que de questions cantonales zuricoises ; du Volkswille (de Vienne) nous ne pouvons rien dire, ne l’ayant jamais reçu, quoique nous lui ayons envoyé régulièrement la Solidarité… Reste le Volksstaat, qui nous paraît à tous égards être le plus recommandable des journaux socialistes allemands, pour ceux qui veulent avoir chaque semaine une idée de ce qui se passe ; c’est d’ailleurs notre organe officiel en Allemagne. » (Solidarité du 20 juin 1870.)

Ainsi donc, au plus fort de la lutte entre marxistes et bakounistes, le journal des socialistes du Jura recommandait la lecture du Volksstaat : tant les Jurassiens étaient étrangers à tout esprit sectaire, tant ils désiraient la paix et la solidarité !


La Fédération jurassienne, après son Congrès des 6 et 7 août, se vit renforcée par de nouvelles adhésions, tandis qu’une activité pleine d’entrain continuait à se manifester au sein de ses sections. Une section de langue allemande se constitua à Lausanne (procès-verbal du Comité fédéral, du 17 août). Le ' Bulletin du 27 août annonce la reconstitution d’une section à Boncourt, localité du Jura bernois où avait été créée, en 1865, une des premières sections de l’Internationale en Suisse. Le 21 août avait eu lieu à la Chaux-de-Fonds une réunion où s’étaient rencontrés des ouvriers de langue allemande et de langue française ; Reinsdorf avait adressé aux ouvriers allemands un chaleureux appel, bien accueilli ; et Pindy avait exprimé, au nom des socialistes français, le plaisir que ceux-ci éprouvaient en voyant Allemands et Français accepter les mêmes principes et se grouper autour du même drapeau.

Dans la séance du Comité fédéral du 30 août, il fut donné lecture « d’une lettre datée de Lugano, et signée L. Nabruzzi, annonçant que la Section de Lugano cessait de faire partie de la Fédération jurassienne ». Mais dès le 1er septembre une autre section était formée dans le Tessin, à Bellinzona ; le procès-verbal du Comité fédéral du 7 septembre mentionne la lecture « d’une lettre de Bellinzona, signée Salvioni, annonçant la constitution dans cette ville d’une Section internationale, qui adhère à la Fédération jurassienne ».

À l’occasion de l’anniversaire de Sedan, une grande réunion eut lieu à Berne le 2 septembre, convoquée par le Sozialdemokratischer Verein de cette ville. « La grande salle de la brasserie Tonhalle était remplie d’un public très mélangé : ouvriers des sociétés bernoises, ouvriers du Deutscher Verein, membres français, italiens, allemands de l’Internationale, bourgeoisie libérale, représentants de l’aristocratie, se pressaient à l’envi pour entendre les orateurs de l’Association[14]. Le bureau était composé comme suit : Voges, passementier, président (Sozialdemokratischer Verein de Berne) ; Adhémar Schwitzguébel, graveur et officier de l’armée suisse, vice-président (Section de Sonvillier) ; traducteurs et secrétaires : Émile Werner, typographe (Sozialdemokratischer Verein), Élisée Reclus, géographe (Section de Vevey), Sommazzi, maçon (Section italienne de Berne). Tous les orateurs allemands, Betsien, Bremeyer, Rinke, ont protesté contre la guerre et affirmé la fraternité des peuples ; Schwitzguébel a étudié la guerre au point de vue des libertés suisses ; Brousse en a fait ressortir les profondes racines sociales et a démontré qu’elle ne disparaîtrait que par une transformation économique ; Élisée Reclus s’est surtout placé au point de vue de la libre formation des nationalités. » (Bulletin du 10 septembre.) Une résolution qui disait que « l’existence de la guerre étant liée à l’organisation de la société actuelle, il était nécessaire de travailler par tous les moyens à transformer cette société », fut votée sans qu’aucune main se levât à la contre-épreuve. Télégrammes, lettres et adresses avaient afflué à la réunion ; et l’impression produite sur les assistants par cette imposante manifestation fut profonde. — Le même jour, ou le lendemain dimanche avaient eu lieu des réunions analogues dans d’autres villes de la Suisse, entre autres à Neuchâtel, au local du Grütli, et à la Chaux-de-Fonds, à l’hôtel de l’Ours ; un international de cette dernière localité écrivit au Bulletin à ce propos : « Les membres de notre Cercle d’études sociales ont manifesté leur vive satisfaction de la manière dont leurs compagnons allemands s’exprimaient au sujet des guerres nationales et du chauvinisme ; nous n’avons pas été moins touchés de les entendre affirmer le désir de voir la concorde régner entre tous les socialistes. Il a été convenu de se voir de part et d’autre le plus souvent possible ; les membres du Deutscher Verein nous ont engagés à fréquenter leur local, ce que nous ne manquerons pas de faire. »

Le 3 septembre eut lieu à Saint-Imier une réunion des adhérents au projet d’organisation de la solidarité matérielle dans la Fédération jurassienne, — dont il avait été question au Congrès de la Chaux-de-Fonds, — pour délibérer sur l’application de ce projet. L’assemblée fut unanime à décider de commencer par la constitution d’une agence fédérale d’assurance mutuelle contre la maladie, et les Cercles d’études sociales de Sonvillier et de Saint-Imier furent chargés d’élaborer un projet de statuts. Ce projet fut publié dans le Bulletin du 17 septembre, pour être étudié et discuté dans les sections jurassiennes ; les adhérents au projet furent invités à se constituer en sections d’assurance mutuelle ; et dans le Val de Saint-Imier ces sections, promptement formées, — soit sections locales des différents métiers réunis, soit sections de métier, — se groupèrent en une fédération de district d’assurance mutuelle, qui tint sa première assemblée le 15 octobre, et décida de commencer son activité le 1er janvier suivant : les adhérents devaient verser une cotisation mensuelle de vingt centimes. Trois jours après, le 18, sur une proposition faite par la Section des graveurs et guillocheurs, l’assemblée générale de la fédération ouvrière du district de Courtelary se prononça pour l’adhésion à l’Internationale, sauf ratification de ce vote par les diverses sociétés ouvrières composant la fédération ; cette adhésion devait devenir définitive, comme on le verra, au milieu de 1877.

J’ai dit plus haut (pages 66 et 73) comment, à la suite de lettres échangées avec les Italiens et les Allemands, le Bureau fédéral de l’Internationale fut amené à reculer la date du Congrès général. La circulaire de convocation, datée du 15 septembre, et signée par L. Pindy, secrétaire-correspondant, fut expédiée non seulement aux Fédérations régionales, mais à diverses organisations socialistes et ouvrières existant en dehors de l’Internationale dans plusieurs pays ; elle parut dans le Bulletin du 24 septembre. Après avoir annoncé que le Congrès aurait lieu à Berne du jeudi 26 au dimanche 29 octobre, et avoir indiqué l’ordre du jour du Congrès (qui comprenait cinq questions, proposées par les Fédérations espagnole, belge et jurassienne), la circulaire se terminait ainsi :


Nous sommes heureux, compagnons, de vous apprendre que l’idée de conciliation entre les fractions naguère divisées du parti révolutionnaire socialiste a fait d’immenses progrès depuis quelque temps, et que des socialistes d’Allemagne assisteront à notre Congrès.

Comme mesure d’organisation, nous vous invitons à nous faire connaître à l’avance le nombre de délégués que vous enverrez au Congrès, afin que la Section de Berne puisse prendre toutes les mesures nécessaires pour leur assurer toutes facilités pendant leur séjour parmi nous.

Le Comité fédéral jurassien propose en outre, pour éviter les inconvénients qui se sont le plus souvent produits pour la publication du compte-rendu de nos précédents Congrès, que ce compte-rendu soit publié au fur et à mesure des séances du Congrès, et engage en conséquence les autres fédérations à indiquer à leurs délégués le nombre d’exemplaires qu’ils en devront prendre et à leur donner les fonds nécessaires au paiement de son impression[15].

Dans l’espoir, chers compagnons, que vous ferez, avec nous, tous vos efforts pour donner à ce huitième Congrès de l’Internationale une importance en rapport avec la situation générale en Europe, nous vous envoyons notre salut fraternel.


Je dois reproduire encore quelques articles du Bulletin qui donneront une idée plus précise de notre attitude à l’égard des socialistes d’Allemagne, et montreront clairement comment, tout en recherchant l’union des diverses fractions sur la base de l’autonomie, nous n’entendions abandonner aucun des principes que nous avions énergiquement défendus depuis 1869.

À l’occasion d’un éloge des socialistes allemands fait par le National suisse, journal radical de la Chaux-de-Fonds, j’écrivis ce qui suit (Bulletin du 17 septembre 1876) :


Le « National suisse » et les socialistes d’Allemagne.

Le National suisse a publié un article à la louange des socialistes d’Allemagne.

Le National reconnaît que le socialisme allemand est un mouvement digne d’intérêt ; qu’il a déjà obtenu des résultats brillants ; que ceux qui portent la parole en son nom sont des hommes éminents et qui ne manquent pas d’éloquence.

À la bonne heure !

Néanmoins le journal radical se montre fort incomplet dans son appréciation, et tombe même dans d’étranges erreurs.

Nous croyons utile de les relever.

« Les socialistes allemands — dit le National — sont en général des gens pratiques ; l’abstention, ce rêve creux, n’est pas leur affaire, et ils tiennent à commencer, comme on dit, par le commencement. »

C’est là, on le voit, une pierre jetée dans notre jardin. L’éloge accordé aux socialistes allemands est, pour le National, une manière indirecte d’attaquer les socialistes jurassiens et leur tactique abstentionniste, dédaigneusement traitée de rêve creux.

D’abord, nous avons toujours dit que, pour notre compte, nous ne songeons pas à blâmer la tactique que suivent chez eux nos amis d’Allemagne ; nous ajoutons même qu’à leur place, il est très probable que nous ferions exactement comme eux.

Il n’est pas moins probable que, s’ils se trouvaient placés dans les mêmes conditions que nous, ils agiraient comme nous. Ce qui nous le prouve, c’est que les socialistes d’Allemagne que les vicissitudes de la fortune amènent chez nous donnent leur approbation à la ligne de conduite que nous avons adoptée, dès qu’ils se sont mis au courant de notre politique.

Une autre preuve, c’est la résolution que le Congrès de Gotha a votée relativement à l’Alsace. Il y est dit textuellement : « Dans les circonscriptions d’Alsace-Lorraine où les socialistes du pays auront décidé l’abstention, nous respecterons cette décision ».

Puisque les socialistes allemands reconnaissent que c’est à la population ouvrière d’une région à décider elle-même si elle pratiquera l’abstention électorale, et s’engagent à respecter sa décision, il est bien évident qu’ils ne peuvent trouver mauvais que les socialistes jurassiens pratiquent ce que les ouvriers d’Alsace-Lorraine sont admis à pratiquer.

D’ailleurs, cette différence de tactique n’empêche pas les socialistes de l’un et de l’autre pays de s’entendre, et de proclamer leur solidarité dans la lutte contre l’ennemi commun : la lettre de Liebknecht que nous avons publiée dans notre dernier numéro en offre un éclatant témoignage[16].

Le National suisse traduit comme suit la résolution du Congrès de Gotha relative aux prochaines élections du Reichstag : « Le parti démocrate socialiste entrera avec énergie dans la lutte électorale. Le but de cette action est de propager autant que possible les principes du socialisme, et de prouver en même temps qu’il n’y a qu’un gouvernement socialiste qui puisse assurer aux masses la liberté et le bien-être matériel. »

La dernière partie de cette résolution est tout à fait mal traduite. Le texte original ne parle pas le moins du monde de gouvernement socialiste ; il dit que « la liberté et le bien-être ne peuvent exister que dans une société socialiste » (nur in der sozialistischen Gesellschaft), ce qui est bien différent.

La résolution de Gotha avait pour objet d’établir clairement que les socialistes n’envoient pas des députés au Reichstag avec la mission de chercher à y obtenir une part dans la confection des lois, et surtout qu’ils ne se flattent pas de l’espoir insensé d’y avoir jamais une majorité ; les socialistes allemands utilisent les élections comme moyen d’agitation ; la politique qu’ils font au Reichstag est purement négative, et consiste à dénoncer sans cesse au peuple les vices de la société bourgeoise, et à exposer du haut de la tribune les principes du socialisme.

Mais ce n’est pas tout. Le National, en annonçant qu’il poursuivra dans un prochain article ses études sur le parti socialiste allemand, dit, pour conclure :

« Ce mouvement est digne d’intérêt, car il démontre que le parti socialiste allemand va quitter le domaine de l’utopie et du rêve pour pénétrer dans la vie pratique et réelle, pour jouer son rôle dans la politique parlementaire, pour entrer enfin dans sa phase militante. »

Voilà des paroles qui prouvent combien le National connaît mal la chose dont il parle. Le parti socialiste allemand n’inaugure nullement une nouvelle phase de son existence ; depuis une douzaine d’années qu’il est constitué, il a toujours jugé à propos de se mêler aux luttes électorales. Par contre, il n’a jamais fait et ne fera jamais de la politique parlementaire, car c’est alors qu’il tomberait dans « le domaine de l’utopie et du rêve ». Les socialistes allemands ne se bercent pas de la naïve illusion que leur prête le National ; ils savent fort bien que la « politique parlementaire » ne mène à rien, et, s’ils profitent de la tribune du Reichstag pour donner plus de retentissement à leur propagande, c’est en parfaite connaissance de cause et en comprenant fort bien que les moyens légaux seraient à tout jamais impuissants à réaliser leur programme.


Dans son numéro du 1er octobre, le Bulletin consacra un article à commémorer l’anniversaire de la fondation de l’Internationale. En voici le début et la conclusion :


Le 28 septembre 1864.

Ce jour-là fut fondée à Londres, en un meeting tenu à Saint Martin’s Hall, l’Association internationale des travailleurs.

Le but de cette Association était clairement défini dans les statuts provisoires, dus à la plume de Karl Marx, et que le Conseil général de Londres publia cette même année.

Il y était dit que « l’assujettissement économique du travailleur aux détenteurs des moyens de travail est la cause première de sa servitude politique, morale et matérielle », et que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

Le problème social était donc nettement posé : il ne s’agissait plus seulement d’un mouvement politique, destiné à remplacer une forme de gouvernement par une autre forme de gouvernement, la monarchie par la république ; il s’agissait de mieux que cela, d’une grande transformation sociale, qui devait arracher à la bourgeoisie le monopole de la possession du capital, et mettre ce capital (terre, instruments de travail, etc.) à la disposition du travailleur.

Mais plusieurs années devaient s’écouler avant que le prolétariat eût pris conscience des moyens par lesquels ce problème, si bien posé, devait être résolu.

[L’article indique ensuite comment les mutuellistes français préconisèrent d’abord le crédit gratuit par la mutualité ; comment l’idée de la propriété collective s’affirma pour la première fois en 1867, au Congrès de Lausanne, puis fut discutée, en 1868, au Congrès de Bruxelles ; comment enfin, en 1869, au Congrès de Bâle, elle réunit la presque unanimité des suffrages ; et le Bulletin termine ainsi : ]

Dès lors, le grand mouvement d’idées qui s’était fait depuis 1864 au sein de l’Internationale avait abouti à une formule claire : on savait à quelle condition les travailleurs peuvent obtenir leur émancipation.

Les années qui suivirent furent remplies de graves événements, qui parurent suspendre la marche de l’Internationale, et qui même, en contribuant à rendre plus aiguë la division qui éclata alors dans son sein, semblèrent la condamner à périr, plus encore par ses propres déchirements que par les persécutions que les gouvernements déchaînèrent contre elle après la défaite de la Commune de Paris.

Mais ces événements apportèrent aux socialistes un grand enseignement, en mettant en relief avec puissance une idée nouvelle, celle de l’autonomie des groupes, de la fédération des communes, de la suppression de l’autorité gouvernementale. Cette idée fit promptement son chemin, et devint le complément du principe voté au Congrès de Bâle, la propriété collective ; ensorte que, dès ce moment, la forme que les socialistes rêvèrent pour la société humaine, ce fut une libre fédération de groupes producteurs, d’associations industrielles et agricoles, basées sur la propriété collective, sans frontières et sans gouvernements.

Tel est aujourd’hui le programme que l’Internationale propage dans les masses, programme qui — malgré des dissidences sur des points de détail, dissidences se réduisant souvent à de simples questions de mots — est de plus en plus accepté par tous ceux qui s’occupent sérieusement de chercher les moyens d’améliorer le sort des travailleurs.

Le Bulletin de la Fédération jurassienne de l’Internationale se consacre à la propagande de ces principes, que l’Association dont il est un organe considère comme pouvant seuls sauver les peuples des crises économiques, des guerres nationales, des luttes religieuses, et fonder le règne de la liberté et de l’égalité pour tous.


Enfin, le 8 octobre, une étude sur le socialisme en Allemagne, publiée par Émile de Laveleye dans la Revue des Deux Mondes, fut commentée en ces termes par le Bulletin :


Un triomphe du socialisme.

L’économie politique vient, par l’organe d’un de ses maîtres les plus autorisés, de baisser pavillon devant le socialisme scientifique et de s’avouer vaincue.

Nous n’exagérons rien, on va le voir.

M. E. de Laveleye, dont nous avons mentionné précédemment (Bulletin du 4 mars 1876) les remarquables travaux sur la propriété (où il avait déjà fait des aveux très compromettants pour l’économie politique officielle), a publié dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1876 une étude sur le socialisme en Allemagne. Le morceau capital de cette étude est une analyse de la théorie économique de Karl Marx ; et, comme nos lecteurs le savent, cette théorie n’est autre chose que le programme socialiste admis par l’Internationale tout entière, dès le jour où au Congrès de Bâle, en 1869, elle a proclamé la nécessité de l’établissement de la propriété collective.

Il y a sans doute, dans les théories de Marx, des choses qui lui sont spéciales, et sur lesquelles il y a dissidence complète entre lui et de nombreux socialistes : nous voulons parler du moyen qu’il recommande pour opérer la transformation de la propriété (conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière[17]), et de l’organisation de la propriété collective et des services publics, qu’il conçoit d’une autre façon que les socialistes fédéralistes et anti-gouvernementaux. Mais ces points-là sont tout à fait en dehors du débat tel que le soulève M. de Laveleye : il ne s’agit en effet, pour l’économiste de la Revue des Deux Mondes, que de cette partie des théories de Marx qui est commune à tous les socialistes contemporains, et qui appartient à Lassalle, à Bakounine, à Tchernychevsky aussi bien qu’à l’auteur du livre das Kapital. Les questions que M. de Laveleye examine sont celles de la définition de la valeur, de la loi des salaires, et de la formation du capital : et, nous le répétons, sur ce terrain, tous les socialistes sont unanimes. Le jugement que M. de Laveleye porte sur la théorie de Marx s’applique donc en réalité au socialisme moderne dans son ensemble.

Eh bien, ce socialisme, que des journalistes, dont l’ignorance n’est égalée que par l’effronterie, essaient de persifler comme un enfantillage ou de dénoncer à l’indignation publique comme un crime, ce socialisme de l’Internationale, M. de Laveleye déclare qu’il est fondé de la manière la plus solide et la plus rigoureusement scientifique sur les principes posés par les pères de l’économie politique.

Nous citons textuellement ses paroles :

« Marx fonde son système sur des principes formulés par les économistes de la plus grande autorité, Adam Smilh, Ricardo, de Tracy, Bastiat et la légion de leurs adhérents. Presque tous les économistes, et M. Thiers, qui se fait en ce point l’organe de l’opinion aujourd’hui généralement reçue, soutiennent que l’origine légitime de la propriété est le travail. Si l’on admet ces prémisses, Marx prouvera, avec une logique irréfutable, que le capital est le produit de la spoliation. En effets si toute valeur vient uniquement du travail, la richesse produite doit appartenir entièrement aux travailleurs ; et si le travail est la seule source légitime de la propriété, les travailleurs doivent être seuls propriétaires. »

Qu’en dites-vous ? le capital est le produit de la spoliation, cela résulte du principe même posé par les économistes orthodoxes ! Et si l’on veut échapper à cette terrible conclusion, il n’y a qu’un moyen, un seul, nous dit M. de Laveleye : il faut renier cette vérité admise par tout le monde aujourd’hui, même par M. Thiers, que le travail est la seule source légitime de la propriété.

Laveleye, pour son compte, n’hésite pas : il jette par dessus bord Adam Smith, Ricardo, Bastiat, Carey et toute la troupe des économistes : il renonce à toute la tradition, il ne veut plus entendre parler des autorités. Mais cela ne lui servira de rien. Il se figure, en répudiant le principe que le travail est la source de la valeur, avoir échappé à la terrible logique du socialisme, avoir réussi à sauver les droits de ces capitalistes qui se voient proclamés spoliateurs, en vertu même des axiomes de M. Thiers et de ses maîtres ; mais il ne fait que tomber de Charybde en Scylla. En effet, que reste-t-il à un économiste qui va chercher l’origine de la propriété ailleurs que dans le travail ? il n’a plus d’autre argument à invoquer, pour légitimer la propriété, que le droit du plus fort, le droit de conquête, le droit divin. M. de Laveleye n’ose pas le dire, et peut-être n’ose pas le penser ; mais l’appel aux sentiments religieux, par lequel il termine son article, en renferme implicitement l’aveu.

Nous ne répondrons pas ici aux raisonnements par lesquels le défenseur des capitalistes a cherché à ébranler les affirmations du socialisme ; il nous faudrait donner à cette discussion des développements que ne comporte pas le cadre de notre journal ; d’ailleurs une revue spéciale, l’Économie sociale[18] de Bruxelles, a commencé une réplique à M. de Laveleye, et nous préférons lui laisser le soin de faire voir en détail combien les objections de ce critique tombent à faux et réussissent peu à entamer l’impénétrable armure du socialisme.


L’anniversaire du 28 septembre avait été fêté à Neuchâtel par une soirée familière, à l’occasion de laquelle se constitua une section de langue italienne, qui adhéra à la Fédération jurassienne.

Dans la première quinzaine d’octobre, les Sections jurassiennes s’occupèrent de l’élection de leurs délégués au Congrès général. Voici ce qu’on trouve à ce sujet dans le Bulletin :

« Par un vote presque unanime, les sections de la Fédération jurassienne ont décidé qu’outre les délégués de sections, il serait envoyé au Congrès de Berne une délégation fédérale représentant l’ensemble de la Fédération : ces délégués fédéraux seront au nombre de trois[19]. Les sections suivantes ont fait des propositions de candidats pour la délégation fédérale : la Chaux-de-Fonds, Sonvillier, Saint-Imier, graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, Boncourt, Neuchâtel, Sozialdemokratischer Verein de Berne, Section française de Berne, Section italienne de Berne, Bellinzona. Ont été présentés les noms suivants : Brousse, Paul, à Berne ; Gevin, A., à Bâle ; Guillaume, James, à Neuchâtel ; Pindy, Louis, à la Chaux-de-Fonds ; Reclus, Élisée, à Vevey ; Reinsdorf, Auguste, à Genève ; Spichiger, Auguste, à la Chaux-de-Fonds ; un compagnon d’Alsace; un compagnon de Bellinzona. Adhémar Schwitzguébel, à Sonvillier, également présenté, a décliné la candidature à cause de ses occupations. »

Reclus refusa aussi la candidature par la lettre suivante : « À la rédaction du Bulletin. — D’impérieuses occupations m’empêchent absolument d’accepter le mandat de délégué au Congrès prochain. Pour que des voix ne s’égarent pas inutilement sur mon nom, je vous prie d’en donner avis aux sections. Salut cordial. Élisée Reclus, Vevey, 12 octobre 1876. »

Le vote des sections fut dépouillé dans la séance du Comité fédéral du 19 octobre. Sur les vingt sections formant la fédération, deux n’avaient pas encore répondu, celle de Moutier et celle des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary ; les deux sections de Lausanne avaient déclaré ne pas vouloir prendre part à l’élection ; seize sections avaient envoyé leurs votes, ainsi répartis entre les candidats : James Guillaume, 15 sections ; Paul Brousse, 14 sections ; Auguste Spichiger, 12 sections ; Auguste Reinsdorf, 4 sections ; Élisée Reclus, 2 sections ; A. Gevin, une section.

Dans les premiers jours d’octobre, il s’était constitué à Genève un « Club indépendant de socialistes », qui adressa au Bulletin (15 octobre) la communication suivante pour annoncer son existence : « Compagnons, Nous avons le plaisir de vous annoncer la formation à Genève d’un Club indépendant de socialistes. Étudier les différends qui divisent les diverses fractions socialistes ; amener toutes les nuances socialistes à un rapprochement : telle est la mission que se donnent les membres du Club. Composé de socialistes appartenant chacun à un groupe quelconque, il y a lieu d’espérer que le Club aura sa part d’action au profit de la cause révolutionnaire... Des conférences seront organisées, en français et en allemand. Le secrétariat. » Ce Club nomma un délégué au Congrès de l’Internalionale à Berne en la personne de Gutsmann, qui avait été trois ans auparavant (voir t. III, p. 131) président du Congrès d’Ollen, puis du Comité central de l’Arbeiterbund. Quelques jours avant le Congrès le Club publia, sous les signatures de Gutsmann et de Joukovsky (celui-ci résidait de nouveau à Genève), une Circulaire à toutes les sections de l’Association internationale des travailleurs et à toutes les sociétés ouvrières socialistes (reproduite dans le Bulletin du 29 octobre), qui affirmait la possibilité de l’union de tous les socialistes : « La discussion libre, disait-elle, va mettre de côté les malentendus, va rapprocher l’une de l’autre les nuances révolutionnaires, va nous animer tous pour l’union ».

Mais tandis que des socialistes allemands de Genève nous tendaient ainsi la main, quelques autres, menés par J.-Ph. Becker (le frère d’armes et le zélé correspondant de Sorge), publiaient contre nous une grossière diatribe, témoignage du déplaisir que leur causait l’apaisement tant souhaité par nous et dont le Congrès de Berne allait constater la réalisation. Voici ce qu’on lit dans le Bulletin du 22 octobre :


La Tagwacht du 17 courant publie une lettre datée de Genève, 11 octobre, et émanant d’un « Comité central du groupe des sections internationales de langue allemande (?) ». Cette lettre est une attaque violente contre l’Internationale anti-autoritaire, à laquelle on prête un programme absurde, afin de prouver par là qu’aucun rapprochement n’est possible entre les représentants du socialisme scientifique, comme s’intitulent modestement les auteurs de la lettre, et les cerveaux fêlés de l’Internationale bakouniste.

Ce n’est pas la peine de démontrer, point par point, que les idées ridicules qui nous sont attribuées, dans cette lettre, ne nous appartiennent pas, et n’existent que dans l’imagination de ceux qui ont intérêt à dénaturer nos principes. Bornons-nous à un seul exemple :

« Ils [c’est-à-dire l’Internationale anti-autoritaire] veulent l’anarchie comme moyen, au lieu de la vouloir comme but final à atteindre[20], et réclament une révolution immédiate sans se préoccuper d’aucun des préparatifs nécessaires ; tandis que nous [les socialistes scientifiques] nous voulons que la révolution soit provoqués par la réaction elle-même, et nous voulons préparer les masses prolétaires, en les groupant, en les instruisant, en les organisant et en les disciplinant, à opposer un jour avec succès la force à la force et à s’emparer du pouvoir. Eux regardent par conséquent la révolution comme un fait qui peut être produit à volonté et par leur propre initiative ; tandis que nous, nous la regardons, dans ses causes et ses effets, comme un produit historique fatal et surgissant pour ainsi dire spontanément. »

Voilà les baroques idées qu’on nous prête, et cela après que, tout dernièrement encore (numéro du 27 août[21]), le Bulletin a développé dans un long article, auquel nous renvoyons nos lecteurs, notre théorie sur les révolutions, qui est précisément le contraire de celle qui nous est attribuée par les auteurs de la lettre !

Nous ignorons quelles sont les personnalités qui forment ce soi-disant Comité central de Genève[22] ; mais nous espérons que les socialistes allemands n’écouteront pas leurs funestes conseils. Venir, au nom du socialisme scientifique, prêcher l’éternisation des discordes ; jeter le ridicule sur les tentatives faites pour rapprocher les diverses fractions du parti ouvrier ; représenter ces tentatives comme une manœuvre perfide des « bakounistes » ; et cela au moment où, d’Allemagne, les champions les plus connus de la démocratie socialiste de ce pays applaudissent à l’idée de la réconciliation, — tout cela révèle tant de fiel dans le cœur de ceux qui sont capables d’agir de la sorte, que nous les plaignons bien sincèrement.

Le parti socialiste, dans son ensemble, jugera entre eux et nous.

Nous, le jour même où nous venions d’accompagner au cimetière le cercueil d’un ami que la calomnie avait cherché à couvrir d’opprobre, nous votions cette résolution qui a été le point de départ du mouvement actuel de conciliation : « Considérant que nos ennemis communs nous poursuivent de la même haine... » [pour le texte complet de la résolution, voir ci-dessus p. 38].

Et voici comment nous répondent les auteurs de la lettre allemande venue de Genève et publiée dans la Tagwacht :

« Dans tout ce bourdonnement d’union et de conciliation, bien fait pour tromper la sentimentalité et égarer le cœur, nous voyons tout simplement les Bakounistes à l’œuvre[23] une fois de plus, pour venir, consciemment et inconsciemment, provoquer comme toujours et partout la discorde et la désorganisation, au lieu de l’organisation et de l’union, et apporter dans le mouvement ouvrier la division et la dispute au lieu de la conciliation et de la paix. » (Traduction textuelle.)

Il y a donc à Genève des irréconciliables. Tant pis pour eux. Ils n’empêcheront pas le Congrès de Berne d’affirmer la nécessité et de prouver la possibilité pratique du rapprochement désiré par tous les vrais amis de la cause du travail.


Dans son numéro suivant, le Bulletin ajoutait :


Notre dernier numéro était déjà imprimé lorsque la Tagwacht du 21 courant nous a apporté la seconde partie de la lettre du « Comité central du groupe des sections internationales de langue allemande ». Nous avons appris alors, par les signatures, que ce Comité se compose des citoyens J.-Ph. Becker, G. Wilhelm, et Warzner.

Comme notre numéro d’aujourd’hui (29 octobre) ne paraîtra qu’après le Congrès, c’est-à-dire après que la question de possibilité pratique du rapprochement des diverses fractions aura déjà reçu une solution, nous croyons inutile de nous occuper davantage de ce document.


Le Bulletin, toutefois, reparla un peu plus tard (le 31 décembre) de ce factum, dont J.-Ph. Becker venait de publier une édition française. Il en cita la phrase suivante, où était repoussée notre proposition de rapprochement : « Comment pourrions-nous, ayant des divergences d’opinion aussi profondes, faire de nous la risée du monde entier en voulant concilier l’eau et le feu, et laisser entraver notre marche en introduisant au milieu de nous des lumières trompeuses, capables d’introduire parmi nous l’erreur et la confusion !... Par conséquent, il faut mettre fin aussi promptement que possible à toutes ces velléités sentimentales de conciliation. » Le Bulletin ajoutait :


Dans ce document, le vieux patriarche Becker parle aussi de l’organisation d’une nouvelle Internationale, organisation dont il a modestement songé à prendre l’initiative. « Mais, ajoute-t-il, pour cette refonte de l’Internationale, les anciens débris ne peuvent plus servir. »

Vous allez peut-être croire que les anciens débris dont il est question, ce sont ces hommes d’un autre âge, dont les inoubliables rancunes, datant d’une époque où nous n’étions pas nés, ont fait tant de mal à notre cause ?

Pas du tout, les anciens débris, pour le papa Becker, ce sont les anti-autoritaires, les jeunes socialistes de 1876.

Bien trouvé, n’est-ce pas ?


Le Vorwärts, le nouvel organe des socialistes allemands, annonça la prochaine ouverture du Congrès de Berne en des termes qui nécessitèrent de notre part une rectification, afin d’éviter tout malentendu. Le Bulletin du 22 octobre publia donc les lignes suivantes :


Dans son numéro du 11 octobre, le Vorwärts de Leipzig, organe central du Parti socialiste d’Allemagne, s’exprime comme suit à propos du Congrès :

« Le Congrès ouvrier international convoqué par la Fédération jurassienne s’ouvrira le 26 octobre. »

Le Congrès de Berne ne sera pas simplement « un Congrès ouvrier convoqué par la Fédération jurassienne » ; ce sera le huitième Congrès général de l’Internationale. Ce Congrès n’est pas convoqué par la Fédération jurassienne : il a lieu ensuite d’un vote auquel ont participé les Fédérations espagnole, italienne, belge, hollandaise et jurassienne ; et si la circulaire de convocation est partie de la Chaux-de Fonds, c’est parce que le Bureau fédéral de l’Internationale siège actuellement dans la Fédération jurassienne, ensuite d’une décision votée en 1874 par le septième Congrès général (Congrès de Bruxelles) et confirmée une année plus tard par un vote des Fédérations régionales.

Dans son numéro du 13 octobre, le Vorwärts publie une lettre de la « Section internationale de Zurich », signée de Greulich et de quatre autres citoyens[24]. Cette lettre demande que le Congrès de Berne abandonne les statuts actuels de l’Internationale, statuts revisés par le Congrès de Genève en 1873, et en revienne aux anciens statuts de 1866[25].

... Nous avons proposé, à ceux des anciens membres de l’Internationale qui s’étaient séparés de nous lors du Congrès de la Haye (1872), un rapprochement « sur le terrain des principes de l’Internationale, tels qu’ils sont formulés à l’article 3 des statuts généraux revisés au Congrès de Genève de 1873 », c’est-à-dire sur la base de l’autonomie des groupes. Cette base nous semble assez large pour pouvoir satisfaire chacun. Nous n’avons nullement prétendu par là imposer aux dissidents l’obligation d’entrer dans l’organisation votée au Congrès de Genève, et d’accepter pour leur propre compte tous les articles des statuts de 1873. Nous avons voulu dire que l’Internationale, reconstituée en vertu des statuts de 1873, désire la fin des querelles entre socialistes, et propose, à ceux qui sont restes en dehors de notre organisation, non une fusion, mais un rapprochement amical.

Cet appel a trouvé de l’écho en Allemagne. Des socialistes allemands viendront à Berne, mais non comme délégués, — ils ne le pourraient pas pour deux raisons : d’abord parce que la législation allemande s’y opposerait ; et ensuite parce que l’organisation à laquelle ils appartiennent n’est pas la même que celle qui va se réunir en Congrès à Berne, et que des personnes étrangères à cette dernière ne sauraient siéger à ce Congrès comme délégués avec voix délibérative. Les socialistes allemands qui viendront à Berne y viendront comme hôtes, comme invités, comme amis : ils y viendront pour rencontrer les représentants de ces fédérations anti-autoritaires qui ont été pendant longtemps en butte aux attaques des amis de Karl Marx. Que sortira-t-il de ce rapprochement ? Une entente, espérons-le. Quant à une reconstitution de l’Internationale sur la base des statuts de 1866, il n’en a jamais été question : en effet, ce serait proposer aux huit Fédérations régionales qui ont fait les statuts de 1873 de se déjuger, et de rentrer dans la vieille ornière d’où elles sont définitivement sorties.


Le Vorwärts du 29 octobre prit acte de notre rectification, mais en soutenant que nous n’avions pas le droit d’appeler le Congrès de Berne « huitième Congrès de l’Internationale ». Le Bulletin répondit ce qui suit le 5 novembre, lorsque déjà le Congrès avait clos ses séances :


Le Vorwärts de Leipzig, du 29 octobre, contient l’entrefilet suivant :

« Le Bulletin de la Fédération jurassienne nous fait observer que le Congrès qui vient de s’ouvrir à Berne n’a pas été convoqué par la Fédération jurassienne seule, mais par les Fédérations espagnole, belge, italienne, et hollandaise.

« Nous acceptons cette rectification. Mais le Bulletin est dans l’erreur lorsqu’il prétend que ce Congrès est le huitième Congrès général de l’Association internationale des travailleurs. L’Association internationale des travailleurs n’a absolument rien à faire avec ce Congrès, qui a précisément pour mission de rechercher les moyens d’effectuer une reconstitution de cette Association, ou un rapprochement. »

Il faudrait pourtant s’entendre, et ne pas perpétuer les équivoques. Trois mots d’histoire vont établir clairement la situation.

[Le Bulletin rappelle ensuite que le cinquième Congrès général de l’Internationale fut celui de la Haye, en 1872. Les Fédérations anti-autoritaires tinrent l’année suivante un Congrès à Genève ; elles y abolirent l’institution du Conseil général et revisèrent les statuts : ce fut le sixième Congrès général. Le septième Congrès général fut celui de Bruxelles, en 1874, où furent représentées l’Angleterre, la Belgique, la France, la Suisse, l’Italie, l’Espagne, et des sections allemandes. En 1875, vu la situation critique où se trouvait le socialisme en Italie et en Espagne, le Congrès général fut supprimé à la demande des Espagnols. Donc, le Congrès qui s’est réuni à Berne en octobre 1876 a été le huitième Congrès général de l’Internationale. Il est vrai que les adhérents du Conseil général de New York avaient tenu de leur côté un Congrès à Genève en septembre 1873 ; mais, en présence de leur insuccès, ils avaient déclaré à l’avance qu’ils renonçaient à se réunir en 1874. En 1875, ils n’ont pas eu de Congrès ; l’année 1876 va finir, ils n’ont toujours pas eu de Congrès[26]. Et le Bulletin conclut ainsi :]

En présence de cet état de choses, en présence des renseignements positifs que nous possédons sur la situation des groupes qui composaient ou qui étaient censés composer la moitié « autoritaire » de l’Internationale, nous pouvons déclarer que la moitié autoritaire de l’Internationale n’existe plus.

Cette déclaration, elle a été faite par nous à Berne devant des hommes qui jadis avaient marché d’accord avec le Conseil général de New York, devant les citoyens Vahlteich, Greulich, Franz, Gutsmann.

Aucun d’eux n’y a contredit.

Il est donc constaté que la moitié « autoritaire » de l’Internationale n’existe plus.

Seule, la moitié anti-autoritaire existe encore ; bien loin d’être en décadence, elle fait preuve d’une énergique vitalité ; elle peut montrer à tous le terrain gagné et les progrès accomplis.

Puisque la moitié anti-autoritaire de l’Internationale existe seule aujourd’hui, puisqu’il elle seule elle constitue tout ce qui reste de l’Internationale, il est évident qu’elle a le droit de s’appeler l’Internationale, car il n’y a plus personne pour lui contester ce titre.

Voilà pourquoi le Congrès de l’ancienne moitié anti-autoritaire, moitié qui aujourd’hui, par la disparition de l’autre moitié, est devenue le tout, voilà pourquoi, disons-nous, notre Congrès, réunissant dans son sein tous les éléments qui appartiennent encore aujourd’hui à l’Internationale, a pu s’appeler légitimement le huitième Congrès de l’Association internationale des travailleurs.


Nous allons voir maintenant ce qui se passa dans les séances du Congrès de Berne.




  1. Cette lettre, rédigée par Albigès (Albarracin), avait été adoptée par le Comité fédéral jurassien dans sa séance du 29 juin. (Procès-verbaux du Comité fédéral jurassien.)
  2. C’est dans ce même numéro du Bulletin que parut la lettre d’Alerini racontant le départ de Bakounine de Marseille pour Gênes en octobre 1870 (voir t. II, p. 133). Je la fis précéder de ces lignes : « Un ami français de Bakounine, qui depuis plusieurs années subit une dure captivité dans les cachots de la bourgeoisie [à Cadix], nous envoie du fond de sa prison les lignes suivantes, comme contribution à une biographie future du grand agitateur révolutionnaire. »
  3. On va voir ci-dessous quel accueil fut fait à cet appel par l’organe des socialistes portugais, le Protesto. En outre, le Conseil central du Parti socialiste du Portugal envoya une Adresse de sympathie au Congrès de l’Internationale à Berne (p. 103).
  4. Pour les motifs qui avaient fait substituer cette date à celle du premier lundi d’octobre, voir plus loin, pages 66 et 73.
  5. La Section de Pontassieve, bourgade à une vingtaine de kilomètres de Florence, avait fait savoir aux délégués qu’ils pourraient tenir le Congrès dans une auberge d’un village voisin, Tosi (commune de Bignano), dans l’Apennin.
  6. Dès que l’autorité eut vent du départ de Florence du gros des délégués, et sut la direction qu’ils avaient prise, elle fit occuper Pontassieve par une compagnie de ligue, des carabinieri et des guardie della pubblica sicurezza, pour arrêter ceux des délégués qui tenteraient de rejoindre leurs amis.
  7. Le Congrès décida entre autres que la Commission de correspondance serait placée à Naples, et la composa de Cafiero, de Grassi, et de Francesco Pezzi (de Bologne).
  8. Il y en eut une autre, envoyée directement au Congrès par la Société démocratique de Patras.
  9. De Paepe était devenu docteur en médecine depuis quelques années déjà.
  10. Comme on vient de le voir, elle ne parut qu’en novembre.
  11. Idées sur l’organisation sociale, par James Guillaume, 1876, pages 5-7.
  12. Pour ménager la place, je ne reproduis pas la citation, d’autant plus qu’elle a déjà été imprimée au tome Ier, de la dernière ligne de la p. 253 à la ligne 22 de la p. 254. On y lit entre autres : « Les rédacteurs de la Tagwacht sont nos amis... Unis comme nous le sommes sur le terrain des principes fondamentaux, n’est-il pas regrettable qu’on n’ait pas songé à s’entendre pour une action commune ?... Ce qui n’a pas été fait peut se faire encore... Il appartiendrait au Comité fédéral romand de prendre l’initiative d’une réunion de délégués de toute la Suisse, qui amènerait sans doute des résultats heureux. »
  13. La citation qui était ici faite, extraite de la Solidarité du 4 juin 1870, se trouve déjà au tome II, de la ligne 8 à la ligne 39 de la p. 43. On y lit entre autres : « Si les Anglais, les Allemands, les Américains… croient servir la cause du travail au moyen des candidatures ouvrières, nous ne pouvons leur en savoir mauvais gré… Après tout, ils sont plus compétents que nous pour juger de la situation chez eux… Mais nous demandons à être mis au bénéfice de la même tolérance. Nous demandons qu’on nous laisse juger quelle est la tactique qui convient le mieux à notre position, sans en conclure dédaigneusement à notre infériorité intellectuelle. »
  14. Cette réunion était une réponse à la tentative d’organiser deux réunions chauvines, dont on attribuait l’initiative au fils du prince de Bismarck, attaché d’ambassade à Berne, et qu’on avait annoncées à grand fracas. La tentative des patriotes allemands avorta piteusement : l’une des deux manifestations projetées n’eut pas lieu, et l’autre fit complètement fiasco.
  15. Le Bulletin du 22 octobre annonça que le Compte-rendu du Congrès paraîtrait en 4 feuilles de 16 pages, au prix de 15 centimes la feuille. Il se trouva que les dimensions du Compte-rendu furent plus considérables qu’on ne l’avait prévu : il occupa 7 feuilles (112 pages), mais il fut vendu néanmoins, comme il avait été annoncé, 60 centimes. Il fut imprimé à Berne ; il ne porte pas de nom d’imprimeur, mais je crois me souvenir que c’est Lang, l’imprimeur de l’Arbeiter-Zeitung, qui l’imprima.
  16. Voir p. 72.
  17. Notre programme à nous est la destruction du pouvoir politique. (Note du Bulletin.)
  18. C’est la revue dans laquelle se publiait le cours d’économie sociale de De Paepe.
  19. Cette proposition avait été soumise aux sections, en août, par une circulaire du Comité fédéral : toutes l’acceptèrent, excepté les deux sections de Lausanne, qui refusèrent de participer à la nomination de délégués fédéraux.
  20. Cette phrase reproduit une assertion identique de Marx dans la circulaire privée Les prétendues scissions, etc. : voir tome II, p. 298.
  21. Voir ci-dessus, pages 74-76.
  22. La Tagwacht n’avait encore donné que la première moitié de lettre ; les signatures ne parurent que dans le numéro suivant.
  23. Allusion au pamphlet d’Engels de 1873, Die Bakunisten an der Arbeit.
  24. Il s’agit d’un groupe qui se rattachait à l’ex-Conseil général de New York. Il y avait d’autre part à Zürich une Section internationale de langue française et une Section internationale de langue allemande, appartenant toutes deux à la Fédération jurassienne.
  25. C’est-à-dire qu’elle demandait le rétablissement d’un Conseil général.
  26. À ce moment, nous n’avions pas encore entendu parler de la Conférence réunie à Philadelphie le 15 juillet 1876, qui déclara que le « Conseil général de l’Association » était dissous (voir ci-dessus pages 49-50)