L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/15

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 76 (p. 586-633).
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XV.

LE PAPE À SAVONE.


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

Ainsi que nous l’avons raconté dans notre précédente étude, les difficultés touchant le spirituel ne surgirent de l’autre côté des Alpes avec le clergé italien qu’après la prise de Rome et par suite de l’enlèvement du pape[1]. A peine engagée, la lutte avait été poussée par l’empereur à de telles extrémités, qu’au bout d’une année seulement il lui avait fallu destituer la majeure partie des évêques italiens, les faire conduire en France par ses gendarmes, confisquer leurs biens, et déporter en Corse un nombre considérable de chanoines et de curés dont la présence lui avait paru redoutable pour sa domination. Quoique devant aboutir aux mêmes violences finales, les choses se passèrent un peu différemment en France. A vrai dire, la main mise sur la personne du souverain pontife et sa séquestration à Savone ne firent naître, dans le domaine religieux aucune question nouvelle. La querelle relative à la nomination aux évêchés vacans était déjà pendante entre les deux gouvernemens avant que le drapeau, aux trois couleurs n’eût remplacé au château Saint-Ange les enseignes pontificales ; la violente dépossession du saint-père et sa dure captivité n’eurent pour effet que de l’aggraver considérablement et de lui donner un caractère et une portée qui étaient loin d’être favorables à la cause du chef de l’empire.

Aussi longtemps que Pie VII était demeuré de sa personne à Rome, — fort gêné à coup sûr dans l’exercice de sa puissance temporelle, journellement menacé de se voir arracher les derniers lambeaux de son principat terrestre, mais traité encore, ostensiblement du moins, en souverain indépendant, — la controverse engagée au sujet de l’institution canonique des évêques n’avait pas trop différé de tant d’autres discussions pareilles qui, plus d’une fois au cours de notre histoire nationale, avaient momentanément brouillé le Vatican avec quelques-uns des prédécesseurs de Napoléon. Il s’en fallait de beaucoup que cette question des investitures épiscopales, déjà soulevée entre Louis XIV et Innocent XI, divisât pour la première fois Rome et la France ; ce qui était sans précédent, c’était la position respective des deux parties. Certes, à ne considérer que l’aspect extérieur des choses, il semblait à première vue que l’avantage fût tout entier du côté de l’empereur. Matériellement, Napoléon était sans contredit aussi fort et puissant à cette époque que Pie VII était faible et désarmé ; mais, gardons-nous de l’oublier, il ne s’agissait point d’une lutte matérielle. Au point de vue moral, à ne tenir compte que du bon droit et de la naturelle équité, quel saisissant contraste entre les deux adversaires ! Autant l’empereur s’était récemment fait de tort par la rudesse de ses dernières mesures, autant le pape s’était gagné les cœurs par sa résignation. Depuis qu’il était retenu captif à Savone, non-seulement les âmes pieuses, non-seulement les esprits élevés, mais les plus indifférens et les plus sceptiques avaient secrètement épousé la cause de Pie VII.

Il ne faut pas en effet hésiter à le reconnaître, le public n’est pas mauvais juge en ces matières. Quand le pouvoir civil et l’autorité spirituelle sont aux prises, l’opinion se tourne le plus souvent en France contre celui des deux adversaires qu’elle surprend à vouloir sortir de ses attributions, ou qu’elle soupçonne d’ambitionner un rôle qui ne lui revient pas naturellement. À ce point de vue, la cour de Rome avait de vieille date éveillé ide ce côté des Alpes, parmi les hommes de gouvernement et surtout au sein de la bourgeoisie française, d’ombrageuses susceptibilités dont des vieux parlemens s’étaient faits en plus d’une occasion les éloquens et populaires interprètes. Est-il besoin de dire que cette tradition des anciens temps avait persisté sous le régime nouveau ? Depuis la signature du concordat, comme sous l’ordre de choses qu’il avait remplacé, le chef de l’état était assuré de rencontrer toujours un cordial appui auprès du corps nombreux des fonctionnaires publics, parmi les classes éclairées, et jusque dans les rangs inférieurs de la population chaque fois qu’il aurait à repousser quelque entreprise téméraire ou seulement quelque prétention hasardée du saint-siège. Autant qu’aucun des souverains ses prédécesseurs, Napoléon avait conscience de la force qu’il puisait dans ce sentiment presque unanime de la nation qu’il gouvernait, et mieux que pas un d’eux il avait su s’en prévaloir dans ses rapports avec le Vatican. Pie VII était bien loin d’ignorer cette tendance des populations françaises à épouser volontiers la cause de leur gouvernement contre les prétentions ultramontaines ; il avait même eu soin d’en tenir grand compte lorsque s’étaient élevées en 1807 les difficultés dont nous avons déjà parlé au sujet de l’institution canonique des évêques italiens[2]. Après avoir maintenu doctrinalement son droit strict de ne pas instituer les évêques choisis par Napoléon aussi longtemps qu’il n’aurait pas de son côté exécuté lui-même loyalement les autres clauses du concordat italien, le pape s’était, on s’en souvient, vite empressé de transiger en offrant d’assigner aux sièges vacans de l’autre côté des Alpes les mêmes pasteurs qui avaient été l’objet des préférences du gouvernement impérial. Nul doute, à notre sens, qu’en se résignant de bonne grâce à cette sage concession, Pie VII, outre la longanimité dont il était en toute occasion bien aise de donner les preuves les plus signalées, ne fut alors décidé par cette sage réflexion qu’il risquerait de heurter inopportunément l’opinion du public français. Il avait très raisonnablement considéré que, s’il devait par conscience s’armer un jour de son omnipotence spirituelle et refuser les bulles d’institution canonique aux évêques choisis par l’empereur, il serait souverainement imprudent de recourir à une mesure aussi grave par suite des difficultés survenues dans la mise à exécution du concordat italien. À risquer telle chose qu’une rupture ouverte, il valait mieux qu’elle éclatât au sujet des affaires religieuses de la France, pour des motifs d’une importance extrême et facilement appréciables. Ces circonstances indispensables au succès moral de la lutte qu’il lui incombait de soutenir contre son terrible oppresseur étaient maintenant complètement réunies ; Pie VII se sentait soutenu cette fois non-seulement par l’adhésion du clergé de ses anciens états et du royaume d’Italie, mais aussi par les ecclésiastiques de tous les pays, y compris même, quoiqu’ils n’osassent pas s’en exprimer tout haut, ceux de la France gallicane. Quel catholique, quel chrétien, quel homme droit et impartial oserait désormais le blâmer, si, réduit à toute extrémité, violemment dépouillé de son patrimoine, promené de ville en ville comme un prisonnier vulgaire, et matériellement privé de toute communication avec le troupeau dont il était le pasteur, il déclarait ne pouvoir en suffisante connaissance de cause donner immédiatement l’institution canonique aux évêques choisis par son persécuteur ? Son bon droit n’était-il pas évident, aussi évident aux yeux de tous que l’était à ses propres yeux l’impérieuse obligation de se servir des armes spirituelles remises en ses mains ? Il n’hésiterait donc plus. Étrange résultat des violences de l’empereur, résultat inattendu pour lui, quoique trop facile à prévoir, il se trouvait avoir définitivement fortifié contre lui-même l’adversaire qu’il croyait avoir réduit à néant, car entre eux il n’y avait plus désormais d’intérêts temporels à débattre, et la supériorité de ses forces matérielles devenait en quelque sorte inutile pour lui. Dans les questions qui leur restaient à régler, où la religion, la bonne foi et l’équité naturelle étaient seules intéressées, il avait mis tout le désavantage de son côté.

Quels que fussent l’excès de sa passion et sa confiance démesurée en lui-même, Napoléon avait infiniment trop de clairvoyance pour n’avoir pas compris qu’après la prise de Rome, l’assaut donné au Quirinal et la séquestration du pape à Savone, il ne rencontrerait plus dans la conscience des catholiques de son empire la même adhésion et le même concours qu’à l’époque où. s’étaient produites les premières difficultés avec le pape au sujet de l’institution canonique des évêques italiens. Autant il avait mis alors de précipitation et de colère dans la manifestation de son mécontentement, autant il jugea maintenant politique d’user, au début du moins, de douceur et de longanimité. Au mois de juin 1809, lorsque Pie VII résidait encore à Rome, M. Bigot de Préameneu lui avait adressé par ordre de l’empereur un long mémoire détaillé sur les inconvéniens qui résultaient de la viduité de tant de sièges épiscopaux en France, et s’était plaint doucement de la répulsion que témoignait sa sainteté à donner les bulles d’institution canonique aux sujets choisis par le chef de l’état[3]. Si les instances du ministre des cultes étaient vives, l’expression en était toutefois extrêmement respectueuse. Le ton des nouvelles communications impériales ne rappelait en aucune façon celui des anciennes lettres qu’en 1807 Napoléon avait dictées au prince Eugène à l’occasion du refus des bulles aux évêques nommés d’Italie. Lorsque ce mémoire du ministre des cultes parvint à Rome, le pape n’y était plus. Enlevé du Quirinal dans la nuit du 10 juin, il avait déjà été dirige vers la France. Par suite de nouvelles instructions datées de Schœnbrunn, M. Bigot était invité à presser plus que jamais l’expédition des bulles nécessaires à l’installation régulière des évêques nommés de France ; mais à Schœnbrunn l’empereur, s’il connaissait l’excommunication lancée contre lui par le pape, pièce que dans sa lettre il traitait sans façon de ridicule, ignorait complètement l’arrestation de Pie VII à son arrivée en France. M. Bigot seul en était alors tout récemment instruit. — Que faire ? Où et à qui s’adresser afin de donner officiellement connaissance des propositions nouvelles de son maître ? Fallait-il entrer en communication personnelle et directe avec le saint-père, retenu maintenant prisonnier dans une ville de France, ou bien fallait-il, comme par le passé, écrire à Rome., où résidaient encore les congrégations chargées de l’expédition ides affaires religieuses de l’église romaine ? A coup sûr le cas était assez embarrassant. M. Bigot, toujours porté à la conciliation, était d’autant plus pressé de se conformer aux instructions arrivées de Schœnbrunn qu’elles étaient empreintes d’une modération à laquelle il ne s’attendait peut-être pas, et qu’elles ouvraient la porte à une transaction qu’il souhaitait plus vivement que personne. L’empereur consentait en effet à ce qu’il ne fût pas question de lui dans les bulles d’institution. « La demande d’institution, disait-il à M. Bigot, ne sera pas signée de moi, mais sera faite par une lettre du ministre des cultes à la chancellerie du pape, qui dira que sa majesté ayant nommé un tel à tel évêché, la chancellerie est priée d’envoyer l’institution canonique. Par cette cessation de correspondance entre moi et le pape, il ne sera pas question de moi dans ces pièces. Il ne faut pas cependant que le pape dise qu’il nomme de son propre mouvement, mais qu’il institue sans raisons ou allégations inutiles[4]. »

Sans nul doute une pareille transaction eût été sans trop de difficulté acceptée par le saint-père, si elle lui avait été offerte alors qu’entouré du sacré-collège il habitait encore son palais du Quirinal. C’était un heureux compromis qui, sans mettre en question les droits réciproques des deux parties, parait suffisamment aux embarras de la situation. Afin de lui ménager un meilleur accueil de la part du saint-père, l’empereur avait eu l’adroite l’idée de le lui faire présenter par l’intermédiaire des plus hauts dignitaires de l’église française. « Les cardinaux Fesch, Caprara comme évêque de Milan, Caselli comme archevêque de Parme, Maury comme évêque de Montefiascone, l’archevêque de Tours et d’autres évêques de cette réputation doivent écrire au saint-père pour lui demander ce qu’il veut faire, lui représenter que les affaires spirituelles et temporelles ne peuvent être confondues ; que, s’il n’institue pas les évêques aux termes du concordat, il s’élèvera un schisme dans l’église, et que s’il y a des troubles, ce sera au détriment de la religion[5]. » Le malheur de ce compromis fut uniquement de venir trop tard, alors que les récentes et inqualifiables violences de l’empereur en avaient rendu le succès tout à fait impossible. C’était lui-même qui d’avance avait discrédité les démarches essayées suivant ses ordres par M. Bigot auprès de la chancellerie romaine, et par les évêques de France auprès du saint-père. Leur échec fut, à vrai dire, son ouvrage. En mettant la main sur les états et sur la personne de Pie VII, il avait cru avancer l’accomplissement de ses desseins ; il les avait au contraire ruinés de sa propre main. Occupons-nous d’abord de ce qui survint à Rome.

La lettre de M. Bigot de Préameneu était adressée à M. Giry, nommé dernièrement à la place de. E. Multédo pour veiller à l’expédition dès affaires ecclésiastiques de la France à Rome. Depuis que nous n’avions plus de légation régulièrement accréditée auprès du saint-siège, M. Giry était une sorte d’agent diplomatique d’une espèce toute nouvelle, car il se trouvait, sans caractère et sans titre quelconque, chargé de traiter avec un pouvoir que son gouvernement faisait profession de ne pas reconnaître. La confusion était inextricable, et le premier embarras pour le porteur des paroles de l’empereur était de trouver à qui s’adresser et qui voulût seulement l’entendre. « J’ai vu, écrit tristement M. Giry le 26 juillet, j’ai vu le cardinal di Pietro. Il dit qu’il n’a que le pouvoir d’agir suivant les règles établies par les papes, et non celui de les changer, parce que le délégué n’est pas le supérieur de celui qui le délègue. Il faudrait donc recourir au pape ; mais il ne lui convient pas d’écrire pour un semblable sujet au saint-père, dont il ignore absolument le domicile et la situation[6]. » Dans cette première conversation de M. Giry avec le cardinal di Pietro, il n’avait encore été question que de matières relativement assez indifférentes. Plus tard, au 5 août, quand M. Giry eut reçu de M. Bigot l’ordre de faire connaîtra aux autorités ecclésiastiques romaines la déclaration de l’empereur relative aux bulles d’institution canonique, il avait rencontré les mêmes fins de non-recevoir.

« Hier, écrit-il derechef, j’ai eu une conférence d’environ une heure avec le cardinal di Pietro, reconnu ici pour avoir les seules facultés que le saint-père ait ostensiblement déléguées en partant de Rome. Je lui laissai les pièces et pris rendez-vous pour le soir, avant l’heure de l’estafette, voulant vous répondre le même jour. La conférence du soir dura une demi-heure. Les conclusions furent comme le matin : que le cardinal n’ayant que les pouvoirs nécessaires pour la conduite des âmes et les affaires de conscience, suivant les règles ordinaires de la daterie et de la pénitencerie, il ne pouvait en aucune manière, quoique membre du chapitre du conseil du pape, ni en sa qualité de cardinal correspondre avec sa sainteté, ni prendre l’initiative sous quelque prétexte que ce soit, et, pour plus d’exactitude et de solennité dans sa réponse, il la lut notée sur un papier volant, avec quelque développement peut-être, mais de peu de valeur, et qui laissaient le refus de recevoir et de transmettre en son entier[7]. »


M. Giry ne se tint pas encore pour battu. En sortant de chez le cardinal di Pietro, il se rendit chez le cardinal Consalvi, seul membre existant à Rome de la congrégation consistoriale ; mais la congrégation consistoriale, faisait remarquer M. Giry, n’a de commun avec les consistoires qu’une ressemblance de dénomination. A peine avait-il donné lecture de son message à l’ancien secrétaire d’état, que celui-ci lui fit amicalement l’analyse des différentes congrégations encore subsistantes à Rome, et passa avec lui la revue de ceux de leurs membres qui étaient demeurés à Rome et des fonctions qui leur étaient propres. Consalvi conclut en déclarant que personne ne paraissait avoir qualité pour répondre au désir de son excellence le ministre des cultes de France. La déclaration de Consalvi avait été accompagnée de mille protestations de bonne volonté, mais aussi de son impuissance à faire personnellement ce que souhaitait l’empereur. « Je suis en effet de la congrégation consistoriale, avait-il ajouté ; je ne la connais pourtant pas : elle n’a jamais été assemblée depuis que j’en fais partie[8]. » Dans une seconde entrevue avec M. Giry, le cardinal Consalvi lui raconta « qu’il avait pris dans la journée même tous les renseignemens possibles auprès des anciens employés de la congrégation consistoriale afin de savoir s’il était en quelque manière dans les attributions de cette congrégation de prendre l’initiative en cette circonstance et de transmettre sa communication au pape. Il s’en était entretenu avec le cardinal di Pietro, et soit avec celui-ci, soit avec les anciens employés de la congrégation consistoriale, il s’était convaincu de son inhabileté et de son impuissance à agir pour transmettre au pape. » Ainsi l’empereur, répétons-le, se trouvait par son propre fait, c’est-à-dire par suite de l’enlèvement du saint-père et de sa séquestration à Savone, hors d’état de faire parvenir au siège de la catholicité des communications d’une très sérieuse importance, qui en toute autre occasion auraient eu grande chance d’y être favorablement accueillies. Ce qui advint des lettres que, par les ordres de Napoléon, les cardinaux et évêques français avaient dû adresser directement au saint-père, est plus singulier encore. Jamais Fouché, son ministre de la police, ne voulut souffrir qu’elles fussent remises à leur destination. Peut-être nos lecteurs n’ont-ils pas oublié que de Schœnbrunn, où il résidait alors, Napoléon n’avait rien eu de plus pressé que de recommander au duc d’Otrante de faire tout ce qui dépendrait de lui pour que le public n’apprît rien ou du moins s’occupât aussi peu que possible de l’arrestation du pape et de son passage à travers la France. Fouché avait pris ses instructions au pied de la lettre ; avec son zèle accoutumé, il les avait plutôt exagérées, se souciant médiocrement de savoir si la manière dont il les mettait en pratique entravait l’exécution d’autres desseins dont son collègue des cultes avait de son côté reçu la confidence. C’est sur lui que retombait la responsabilité du transfert du saint-père de Grenoble à Savone ; c’est à lui que l’empereur s’en était remis pour empêcher que le dangereux voyage d’un pareil prisonnier ne causât trop d’émotion parmi les populations si catholiques du midi de la France. La première précaution à prendre était de mettre obstacle à toute communication de Pie VII avec les membres considérables du clergé français. Tout serait compromis, s’ils pouvaient l’approcher et surtout lui écrire. Les préfets des départemens traversés par le cortège pontifical avaient donc reçu les mêmes recommandations que le conseiller de préfecture Girard, qui à Grenoble avait si vertement refusé aux grands-vicaires du cardinal Fesch l’accès auprès du saint-père, et qui n’avait pas seulement permis qu’on lui remît les lettres écrites par Caprara et Maury[9]. Ces lettres n’arrivèrent aux mains du saint-père que beaucoup plus tard, après son installation à Savone, et par l’intermédiaire du préfet de Montenotte. Avant de nous occuper de ce qu’elles contenaient et de la réponse qu’elles provoquèrent, il convient de dire un mot de la situation faite au pape dans sa nouvelle résidence.

Pie VII était arrivé à Savone le 20 ou le 21 août 1809. Il était d’abord descendu dans la maison du maire de la ville, le comte Égidio Santone. Après avoir résidé quatre jours au sein de cette famille, très considérée dans le pays, dont les sentimens étaient fort catholiques, et qui lui témoigna les plus respectueux égards, il avait été transporté dans le palais de l’évêque de Savone, convenablement disposé pour le recevoir. C’était le préfet de Montenotte, le baron, depuis comte de Ghabrol.de Volvic, qui avait présidé à ces divers arrangement. Le comte de Chabrol était un de ces préfets comme l’empereur savait en choisir pour administrer les provinces récemment annexées à son empire et qu’il désirait concilier à la domination française. Élève de l’École polytechnique, ingénieur très distingué, il avait fait partie de la commission scientifique adjointe à l’expédition d’Égypte. Napoléon avait gardé, bon souvenir de son intelligence et de ses aptitudes variées. Il avait pensé qu’il ne pourrait leur donner un meilleur emploi qu’en le mettant à la tête de l’un des départemens nouvellement annexés à la France. Plusieurs personnes pensèrent, même à cette époque qu’en désignant la ville de Savone pour résidence au pape l’empereur avait eu pour motif principal de sa détermination la confiance, que lui inspiraient le zèle et l’habileté de M. de Chabrol.

Quoi qu’il en soit, un nouveau fonctionnaire vint bientôt seconder le préfet de Montenotte : c’était le comte Salmatoris, particulièrement chargé d’organiser la maison du saint-père. Le comte Salmatoris appartenait à la noblesse piémontaise ; c’était à la fois un homme de cour et un homme d’affaires, qui avait donné des preuves de capacité sous le règne des princes de la dynastie de Savoie. Il passait pour s’entendre très bien aux questions d’étiquette, et l’on disait que l’empereur ne l’avait pas consulté sans profit pour régler tout le détail fort compliqué du sévère cérémonial qu’il s’appliquait alors à faire régner aux Tuileries. Le comte Salmatoris se donna à sa sainteté comme expressément envoyé par l’empereur afin de mettre sa maison sur le pied de l’établissement d’un prince souverain de premier rang. Il lui fit respectueusement observer qu’il convenait à la dignité pontificale d’avoir autour de lui un plus nombreux cortège, plus de représentation et de luxe, et tout aussitôt il se hâta de décorer les appartemens du palais épiscopal d’un mobilier somptueux. Il commanda des habits de livrée pour les serviteurs de Pie VII. Il offrit au saint-père, au nom de l’empereur, des équipages, des chevaux et un traitement de 100,000 francs par mois. Voyant que le pape se servait habituellement d’une assez méchante lampe de cuivre et d’une écritoire fort commune, il fit transporter dans son cabinet un superbe lustre d’argent, et une écritoire en or artistement travaillée. Prenant en particulier chacune des personnes qui avaient accompagné Pie VII depuis son départ de Rome, il leur annonça qu’il leur compterait chaque mois à titre d’appointemens une somme égale à celle qu’elles touchaient pour leurs fonctions auprès du pape. Toutes ces avances du comte Salmatoris demeurèrent inutiles. Pie VII refusa avec une grande douceur et beaucoup de remercîmens les propositions qui lui étaient directement adressées. Il invita ses compagnons de captivité à n’accepter pour ce qui les regardait que le strict nécessaire[10]. Alors arriva de Paris, avec le titre de maire de palais du pape, le général comte César Berthier, frère du prince de Wagram. Le comte Berthier, connu par ses goûts de dépense et de prodigalité, avait ordre de ne rien offrir, de ne rien imposer personnellement à Pie VII qui fût contraire à ses habitudes. Il avait pour instruction de tenir lui-même un grand état de maison, d’avoir table ouverte et d’y convier habituellement les familiers du saint-père, de témoigner à sa sainteté les plus grands égards et surtout de tâcher de surmonter sa répugnance à se produire en cérémonie au dehors. Invité à maintenir autour de la résidence pontificale une surveillance aussi vigilante, mais aussi bien dissimulée que possible, obligé par ordre de l’empereur d’assister toujours de sa personne au lever du pape ou de s’y faire représenter par un officier de gendarmerie, vu que ce seul moment devait être choisi pour l’expédition des affaires, le général Berthier avait en même temps reçu l’expresse recommandation de faire tout ce qui dépendrait de lui pour empêcher que le séjour du pape à Savone et la vie qu’il y menait parussent avoir aux yeux du public la moindre apparence de captivité. C’étaient là des consignes passablement contradictoires et d’une bien difficile exécution, d’autant plus difficile que Pie VII, comprenant parfaitement quels étaient les desseins de l’empereur, se gardait bien de venir en aide à son malheureux envoyé.

Telle était d’ailleurs la simplicité des goûts du prisonnier de Savone qu’il s’arrangeait mieux qu’aucun de ses serviteurs des ennuis ordinaires de la captivité. Il s’était confiné avec une sorte de bonheur dans la petite chambre qui lui avait été destinée. Elle était précédée d’un non moins petit cabinet, et donnait immédiatement sur un étroit corridor où le saint-père pouvait à peine s’habiller et serrer ses objets de toilette. Les trois fenêtres de ce modeste logement ouvraient directement sur les murs de la ville. Tout cela rappelait à Pie VII, non sans quelque charme peut-être, les cellules de son ancien couvent et ses premières habitudes de moine. Il avait repris les règles de la vie cénobitique jusqu’à se nourrir à peu près exclusivement de légumes et d’un peu de poisson. Sortir lui était devenu insupportable. En vain le préfet, le maire, les autorités en corps, surtout le général comte Berthier, insistèrent pour qu’il allât officier pontificalement à la cathédrale de Savone ; Pie VII s’y refusa constamment. Il persistait à ne vouloir dire la messe que dans sa chapelle privée. C’est là qu’on le surprenait souvent en oraison, invoquant le Seigneur avec larmes, disent ses pieux biographes, non-seulement en faveur de l’église opprimée, mais aussi en faveur du prince qui, après l’avoir tant protégée, s’était fait tout à coup son plus ardent persécuteur. Pour unique distraction, le pape descendait parfois se promener dans un jardin clos de murs qui dépendait du palais épiscopal, et n’avait guère plus de cinquante pas d’étendue[11]. Avec un pontife à qui la patience était si facile, et dont les goûts étaient si solitaires, les invitations les plus gracieuses et les plus répétées du comte Berthier ne pouvaient que demeurer sans effet. Elles ne devaient pas beaucoup mieux réussir auprès des serviteurs du saint-père. Moins insensibles que lui aux distractions offertes par le général français, ils prirent cependant grand soin de ne les accepter que de loin en loin, et, par suite des ordres de leur maître, se maintinrent toujours à son égard sur le pied d’une extrême réserve.

Dans cette complète solitude faite autour de lui, et qu’il acceptait d’ailleurs si volontiers, Pie VII avait résolu de remplir autant que son état de séquestration le lui permettait les fonctions spirituelles inhérentes à son titre de chef de la catholicité. Son premier soin fut donc de répondre aux lettres dont nous avons parlé, qui lui avaient été adressées par les cardinaux Fesch, Caprara, Maury, et par plusieurs des évêques de France à l’occasion des bulles d’institution canonique. L’initiative de cette démarche ne venait, on s’en souvient, ni des cardinaux ni des évêques. C’était Napoléon qui, de Schœnbrunn, par sa lettre du 15 juillet, les avait invités à exposer comme d’eux-mêmes au saint-père la fâcheuse situation où se trouvait l’église de France par suite de son refus d’instituer les sujets honorés du choix de l’empereur. A peine avertis par M. Bigot, ils avaient mis le plus vif empressement à se conformer au désir du tout-puissant vainqueur de Wagram, et ce n’était pas leur faute si leurs missives, aussitôt écrites qu’elles avaient été commandées, n’étaient pas parvenues au saint-père avant son arrivée à Savone. Il y avait toutefois quelques différences dans la teneur de ces divers documens. La lettre du cardinal Fesch était remplie de témoignages de respect et d’une sympathie véritable pour les récens malheurs du saint-père. Celle du cardinal Maury contenait à cet égard d’évidentes et convenables allusions. Chose aussi triste que singulière, parmi ces dignitaires de l’église qui s’adressaient par ordre au chef de la catholicité, il y en eut qui n’osèrent pas laisser échapper de leurs lèvres un mot de pitié ou seulement de regret à l’occasion des dures épreuves supportées à cette heure solennelle par le chef de leur foi. Le cardinal Caprara et l’archevêque de Tours, M. de Barrai, furent du nombre de ceux qui s’imposèrent cet étonnant silence. A lire la lettre de M. de Barral, qui se désolait en termes lamentables sur les funestes conséquences qui allaient résulter pour le sort de la religion en France de la persistance du saint-père à ne pas instituer immédiatement les évêques nommés aux sièges vacans, on aurait pu s’imaginer que Pie VII cédait à quelque puérile fantaisie, qu’il n’avait ni sujet de plainte contre l’empereur, ni de raison à alléguer pour motiver son refus[12]. Quant au cardinal Caprara, il semblait ignorer absolument que le saint-père eût été dépossédé de ses états, qu’il eût été enlevé de force du Vatican, et qu’il fût alors retenu prisonnier par le chef de l’empire. On eût dit qu’il n’en avait pas seulement ouï parler. L’ancien légat du saint-siège ne s’était pas contenté de regarder comme non avenues les instructions de son souverain, qui lui avaient ordonné de quitter la France et de venir partager à Rome le sort de ses collègues du sacré-collège ; il avait choisi ce moment pour changer de nationalité, pour arguer de sa qualité d’archevêque de Milan et de sujet de l’empereur, pour resserrer de plus en plus l’intimité de ses liens avec l’oppresseur du prince qu’il avait la veille encore l’honneur de représenter en France. Sa santé tout à fait compromise empêchait d’ailleurs Caprara de remplir maintenant ses fonctions d’archevêque, comme naguère sa faiblesse incurable l’avait rendu impropre à s’acquitter de ses devoirs de légat. Il était resté à Paris, triste, malade, embarrassé de sa situation, mais ne voyant comme toujours de remède possible aux malheurs des temps que dans une complète soumission aux volontés de l’empereur. C’est en ce sens qu’il avait écrit au saint-père.

Pie VII connaissait de longue date la tendance de Caprara à trouver toujours acceptables, quelles qu’elles fussent, les conditions d’accommodement mises en avant par le gouvernement français ; c’est pourquoi il jugea sans doute à propos de lui faire sentir par la fermeté de la réponse à quel point sa conscience répugnait dans cette occurrence à l’arrangement projeté.


« Pour peu, monsieur le cardinal, que vous réfléchissiez sur cette proposition, il est impossible que vous ne voyiez pas que nous ne pouvons y acquiescer sans reconnaître à l’empereur le droit de nomination et la faculté de l’exercer. Vous dites que nos bulles seraient accordées non à ses instances, mais à celles du conseil et du ministre des cultes. D’abord l’église catholique ne reconnaît pas de ministre des cultes dont l’autorité dérive de la puissance laïque, et puis ce conseil, ce ministre, ne sontils pas l’empereur lui-même ? Sont-ils autre chose que l’organe de ses ordres et l’instrument de ses volontés ? Or, après tant d’innovations funestes à la religion que l’empereur s’est permises et contre lesquelles nous avons si souvent et si inutilement réclamé, après les vexations exercées contre tant d’ecclésiastiques de nos états, après la déportation de tant d’évêques et de la majeure partie de nos cardinaux, après l’emprisonnement du cardinal Pacca à Fénestrelle, après l’usurpation du patrimoine de saint Pierre., après nous être vu nous-même assailli à main armée dans notre palais, traîné de ville en ville, gardé si étroitement que les évêques de plusieurs diocèses que nous avons traversés n’avaient pas la liberté de nous approcher et ne pouvaient nous parler sans témoins, après tous ces attentats sacrilèges et une infinité d’autres qu’il serait trop long de rapporter et que les conciles généraux et les constitutions apostoliques ont frappés d’anathème, avons-nous fait autre chose qu’obéir à ces conciles et à ces mêmes constitutions, ainsi que l’exigeait notre devoir ? Comment donc aujourd’hui pourrions-nous reconnaître dans l’auteur de toutes ces violences le droit en question et consentir à ce qu’il l’exerçât ? Le pourrions-nous sans nous rendre coupable de prévarication, sans nous mettre en contradiction avec nous-même et sans donner lieu de croire, au grand scandale des fidèles, qu’abattu par les maux que nous avons soufferts et par la crainte de maux plus grands encore, nous sommes assez lâche pour trahir notre conscience et approuver ce qu’elle nous force à proscrire ? Pesez ces raisons, monsieur le cardinal, pesez-les non au poids de la sagesse humaine, mais à celui du sanctuaire, et vous en sentirez la force.

« Malgré un tel état de choses, Dieu sait si nous désirons ardemment donner des pasteurs aux sièges vacans de cette église de France que nous avons toujours chérie de prédilection, et si nous souhaitons trouver un expédient pour le faire d’une manière convenable ; mais devons-nous agir dans une affaire d’une si haute importance sans consulter nos conseillers naturels, les membres du sacré-collège ? Or comment pourrions-nous les consulter quand, séparé d’eux par la violence, on nous a ôté toute communication avec eux, et en outre tous les moyens pour l’expédition de semblables affaires, n’ayant pu même jusqu’à présent obtenir d’avoir auprès de nous un seul de nos secrétaires ?.. A votre lettre en était jointe une de M. le cardinal Maury, et l’on m’en a remis en même temps une troisième de M. l’évêque de Cazal, toutes trois pour le même objet. Nous accusons à ce dernier réception de sa lettre, et l’engageons à se faire communiquer cette réponse. Nous nous réservons d’écrire plus amplement à M. le cardinal Maury dès que nous en aurons le loisir. En attendant, faites-lui part de nos sentimens et recevez notre bénédiction paternelle et apostolique[13]. » Le ton à la fois si énergique et si tranquille de ce document émané tout entier de la seule initiative du saint-père, auquel personne n’avait pu mettre la main, puisqu’il était à Savone privé de tous ses conseillers, ouvrit quelque peu les yeux à Napoléon. Pour la première fois il soupçonna que les mauvais traitemens, la captivité, l’isolement, ne lui feraient peut-être pas avoir aussi facilement raison qu’il l’avait d’abord espéré de ce pontife, qui, malgré sa douceur, avait de la fermeté, et joignait à beaucoup de prudence dans la conduite une connaissance approfondie des matières ecclésiastiques formant, l’objet des discussions pendantes. Ce fut à ce moment que, toujours décidé à laisser Pie VII à ses uniques et propres forces, sans cardinaux pour lui venir théologiquement en aide, sans ministre pour prendre ses ordres, sans conseillers d’aucune sorte, sans secrétaire, sans archives, sans livres même à consulter, et préoccupé de l’avantage qu’il trouverait pour son compte à se procurer quelques auxiliaires versés dans la science canonique, à s’entourer de lumières spéciales et de tous les genres de secours dont il entendait bien priver complètement son incommode contradicteur, Napoléon s’avisa enfin de réunir le concile de cardinaux et d’évêques dont nous avons parlé dans notre précédente étude[14]. Avant qu’il n’eût arrêté sa décision et pris l’avis d’ecclésiastiques compétens ses idées avaient été très vagues sur ce qu’il convenait de faire. Un instant, le croirait-on ? il songea à convoquer un concile œcuménique. Dans un rapport confidentiel fait à l’empereur par son ordre, M. Bigot, après avoir examiné tous les précédera historiques, en tirait les conclusions suivantes : « Il n’est personne qui puisse soutenir que la puissance spirituelle doive avoir pour support une puissance temporelle. Je propose donc à votre majesté : 1° d’annoncer aux autres souverains et princes ayant dans leurs états une partie de l’église catholique votre intention de convoquer un concile général, 2° de publier un décret qui en contiendra les motifs, 3° que votre majesté veuille bien faire elle-même l’ouverture et la clôture de cette assemblée en nommant des commissaires pour assister aux séances, 4° que le lieu de la convocation soit à Paris[15]. » Mais ce projet grandiose d’un concile œcuménique, à peine ébauché au ministère des cultes, fut abandonné sur les objections soulevées par les membres du comité ecclésiastique.. Ce fut alors qu’au sein de ce comité on proposa de recourir à un expédient qui, mis plus tard, en pratique, souleva les plus ardentes controverses, et devint l’occasion de beaucoup de troubles au sein de l’église de France. Le cardinal Maury se vanta plus d’une fois d’en avoir été le premier inventeur. Très versé dans l’histoire ecclésiastique de France, qu’il avait jadis étudiée à fond pour défendre l’église à l’assemblée constituante, il rappela qu’à une époque antérieure Louis XIV, tandis qu’il était en dissidence avec le saint-siège, avait trouvé cependant moyen de se passer du pape et de faire administrer les diocèses demeurés vacans par les évêques qui n’avaient pas encore obtenu à Rome l’institution canonique. Cet exemple frappa beaucoup Napoléon ; enchanté de rencontrer si à propos un pareil précédent, il chargea, suivant sa coutume, M. Bigot de Préameneu de lui faire immédiatement un rapport à ce sujet. Nous donnerons presque en totalité à nos lecteurs ce consciencieux travail, d’abord parce qu’il expose très bien la question en elle-même, ensuite parce qu’il indique parfaitement comment elle était envisagée au début soit par l’épiscopat, soit par le gouvernement, à un moment où de part et d’autre la passion ne s’en était pas encore mêlée.


« Votre majesté m’a demandé hier si les évêques nommés pouvaient provisoirement, et avant d’avoir leurs bulles, administrer leurs diocèses. Je vais rendre à votre majesté un compte exact de ce qui s’est passé à ce sujet.

« La règle est que les évêques nommés ne soient, avant d’avoir leurs bulles, ni sacrés ni installés par le chapitre. Par cette installation, que l’on appelle prise de possession, l’évêque entre en plein exercice de ses droits épiscopaux. Jusqu’alors les grands-vicaires qui, suivant les règles canoniques, sont censés tenir pendant la vacance leurs pouvoirs du chapitre, ont l’administration, excepté pour les fonctions attachées au caractère de l’évêque, telles que l’ordination et la confirmation. Lorsqu’un évêque est nommé, il est assez d’usage que le chapitre lui offre, même avant ses bulles, les pouvoirs qui dépendent de lui, ceux des vicaires-généraux, que cet évêque peut alors exercer conjointement avec les autres vicaires-généraux ; mais d’un autre côté l’usage est aussi que les évêques n’aillent point dans leurs diocèses avant d’être sacrés, et que jusqu’alors ils ne portent point la crosse pastorale. Ils ne vont point dans leurs diocèses, parce qu’il leur répugne de ne pas y paraître avec toute leur dignité, et n’étant revêtus que de pouvoirs en quelque sorte subordonnée. Ils craignent d’altérer le respect qu’il leur est utile d’inspirer. Ils se bornent donc généralement à entrer en correspondance avec les grands-vicaires, et commencent ainsi à avoir connaissance des affaires de leurs diocèses et à prendre une part réelle à l’administration. Lorsque je vis que l’affaire de l’abstention des bulles serait longue, il me parut qu’il vaudrait mieux que les évêques nommés allassent, malgré toute leur répugnance, dans leurs diocèses. Je leur communiquai mes idées ; ils me témoignèrent à cet égard une aversion extrême. Ils me représentèrent que, pour le bien même de votre majesté, il valait mieux les laisser suivre l’usage, d’après lequel ils se livreraient avec tout leur zèle pour diriger leurs diocèses par correspondance. Ce qui me détermina encore à me rendre à ces raisons, c’est que le chapitre de Liège n’avait pas cru devoir donner les pouvoirs à M. Lejeas, sous prétexte qu’il n’était plus dans le délai d’exercer ce droit. Il eût fallu entrer en discussion théologique avec un chapitre pour des pouvoirs de vicaire-général à donner à un évêque nommé ; cela n’eût pas été convenable… Tel est, sire, l’état des choses relativement à l’administration des diocèses dont les évêques n’ont pas de bulles. Si dans les circonstances actuelles votre majesté trouve convenable que les évêques nommés qui ont des pouvoirs des chapitres aillent dans leurs diocèses, il suffira qu’ils connaissent cette intention pour qu’ils s’empressent d’aller vous y donner comme partout ailleurs des preuves de leur dévouement et de leur reconnaissance[16]. »


Lorsqu’il s’informait ainsi des moyens de résoudre par quelque biais les difficultés résultant de ses démêlés avec le pape et de pourvoir par un expédient de circonstance à l’administration de vingt-sept diocèses français dépourvus d’évêques, Napoléon n’avait pas encore arrangé son mariage avec Marie-Louise. À peine eut-il remporté ce grand triomphe diplomatique, qui rendait à ses yeux sa position si forte en Europe, qu’il lui parut indigne de lui de s’abaisser jusqu’à garder encore des ménagemens envers le chef de la catholicité, quand il lui était si facile de tout enlever de haute lutte. Rien de bien extraordinaire dans cette pensée de Napoléon, car il est de tradition immémoriale en Europe que l’alliance politique de la France et de l’Autriche ne peut être que fatale au saint-siège. L’empereur cette fois le fit bien voir. À peine se fut-il assuré le concours de son futur beau-père, l’ancien roi des Romains, qu’il dévoila hardiment la marche qu’il se proposait de suivre en portant au sénat le sénatus-consulte du 15 février 1810, accompagné de cet exposé des motifs dont nos lecteurs n’ont peut-être pas oublié l’inconcevable arrogance. Quel était à cette époque de sa vie le but poursuivi par l’empereur ? Il est impossible de s’y méprendre, et M. Thiers, toujours si habile à démêler la véritable pensée du héros de son histoire, l’a clairement révélé au public. « Le projet de Napoléon, puisque le pape ne voulait rien lui céder, était de le mettre en présence de mesures déjà arrêtées sans sa participation. Dans deux mois, se disait-il à lui-même, je traiterai avec le pape, et il faudra bien, ou qu’il résiste, ce qui lui est impossible, ou qu’il s’arrange, ce qui le forcera d’accepter comme accomplis les changemens que j’ai apportés à l’état de l’église[17]. » Voici, toujours indiqué par M. Thiers, ce que l’empereur voulait faire accepter à Pie VII : c’était « la suppression du pouvoir temporel du saint-siège, la réunion de Rome au territoire de l’empire, l’établissement d’une papauté dépendante du nouvel empereur d’Occident faisant sa résidence à Paris ou à Avignon, jouissant de beaux palais, d’une dotation de 2 millions de francs et de beaucoup d’autres avantages encore, mais placée sous l’autorité de l’empereur des Français, comme l’église russe sous l’autorité des tsars, et l’islamisme sous l’autorité des sultans[18] »


II

Ces desseins une fois arrangés et mûris dans la tête de Napoléon, il lui restait à connaître quelles chances il aurait de les faire accepter à Savone, car si dans son infatuation toujours croissante il les considérait comme autant d’arrêts du destin peut-être le saint-père les envisagerait-il sous un tout autre aspect. Comment s’en informer ? Cela était assez embarrassant. Il fallait trouver un biais, qui fut bientôt offert par M. de Metternich. Appelé après le traité de Vienne au poste de chancelier d’état et de président du conseil, le comte, depuis prince de Metternich, avait eu le premier l’idée de marier l’archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon. Dans la ferveur de son zèle, il s’était empressé de conduire lui-même cette princesse à la cour des Tuileries, où il faisait alors parade des, sentimens les plus français et d’une admiration enthousiaste pour le génie du glorieux gendre de son souverain. Avec une ouverture que rendaient toute naturelle les intimes relations existant entre les deux cours, M. de Metternich avait demandé à l’empereur l’autorisation d’envoyer un agent autrichien à Savone, afin de régler avec le pape quelques affaires qui regardaient le diocèse de Vienne et quelques autres parties des états héréditaires. Napoléon était d’autant moins porté à repousser la requête du complaisant ministre ide l’empereur François qu’il avait à demi-mot compris que l’envoyé de M. de Metternich ferait du même coup les affaires de la France aussi volontiers que celles de sa propre cour. Les dépêches de M. le chevalier de Lebzeltem, prévenu sans doute à l’avance par son chef, ne manquèrent pas en effet d’être aussitôt communiquées à notre ministre des relations extérieures, M. de Champagny. M. de Lebzeltern, on s’en souvient peut-être, avait été ministre d’Autriche à la cour de Rome. C’était une ancienne connaissance du pape, et déjà nous avons eu l’occasion de citer quelques passages de sa correspondance de 1808 dans lesquels, sans prendre parti entre Napoléon et Pie VII au sujet de l’occupation des Marches et de l’Ombrie par les troupes françaises, il s’était appliqué à observer à l’égard des deux adversaires une très prudente neutralité. La même réserve se retrouve dans ses lettres du printemps de 1810. On voit clairement que M. de Lebzeltern les a écrites dans les plus louables intentions du monde, et avec l’intime assurance qu’elles seraient mises sous les yeux du souverain français. qui avait tant d’intérêt à connaître à cette époque les véritables sentimens de Pie VIT. En réalité, les affaires de France tiennent plus de place que celles de l’Autriche dans la correspondance de l’envoyé de M. de Metternich. C’est pourquoi nous en donnerons quelques extraits qui nous semblent peindre au vif et de la façon la plus exacte l’état d’esprit où se trouvait le saint-père à Savone. Pie VII avait été tout d’abord très ému en voyant M. de Lebzeltern. Il témoigna un peu de surprise et beaucoup de joie de ce que l’empereur Napoléon avait permis cette entrevue. En écoutant le récit circonstancié du mariage qui venait d’avoir lieu à Paris, et qui offrait, au dire de l’envoyé autrichien, les plus sûres garanties d’une paix stable, le pape parut un moment oublier tous ses griefs, tous ses chagrins, et prendre une part réelle et sincère à cet événement. « Veuille le ciel, s’écria-t-il, que ce mariage imprévu consolide la paix continentale ! Nous désirons plus que personne que l’empereur Napoléon soit heureux ; c’est un prince qui réunit tant d’éminentes qualités ! Veuille le ciel qu’il reconnaisse ses vrais intérêts ! Il a dans les mains, s’il se rapproche de l’église, les moyens de faire tout le bien de la religion, d’attirer à soi et à sa race la bénédiction des peuples et de la postérité, et de laisser de toute façon le nom le plus glorieux[19]. » Bientôt quelques souvenirs amers et le sentiment de sa situation vinrent traverser ces élans de tendresse sortis du plus profond de rame de Pie VII.

En citant les paroles textuelles que le pape venait de prononcer en italien, mais qu’il traduit pour sa cour en français, M. de Lebzeltern ne peut s’empêcher de remarquer que, pendant un séjour de huit ans qu’il a fait à Rome, il a toujours entendu le souverain pontife témoigner ainsi personnellement la plus grande partialité en faveur de Napoléon. « Combien de preuves n’en ai-je pas eues, ajoute-t-il avec une nuance d’étonnement, et combien de fois, à une époque bien différente du moment actuel, n’ai-je pas constaté que cette partialité de Pie VII se manifestait bien plus sensiblement à l’égard de Napoléon que pour notre souverain ! IL a fallu toutes les amertumes dont il a été abreuvé pour l’obliger à adopter un système qui répugnait si évidemment à son cœur[20]. » A peine quelques paroles eurent-elles été échangées au sujet des affaires particulières à l’Autriche, que les rapports qui existaient actuellement entre le pape et Napoléon furent de nouveau remis sur le tapis. De part et d’autre on sentait bien que c’était de cela surtout qu’au fond il s’agissait. Ce fut l’envoyé de M. de Metternich qui le premier provoqua les confidences de Pie VII en l’entretenant des dangers imminens dont l’église était menacée, et en lui demandant s’il ne ferait rien pour sortir de l’état d’inactivité et de nullité où il se trouvait présentement réduit. Le pape répondit : « Nous avions pressenti cet état de choses, c’est la seule pensée qui nous occupe. Cette interruption de toutes relations avec les clergés étrangers, la difficulté de nos relations avec les évêques français, sont le sujet de notre plus profond chagrin. Quoique détenu ici sans correspondance libre, sans nouvelles, excepté les nouvelles très vagues que nous puisons dans quelques feuilles détachées du Moniteur que le général (le comte César Berthier) a la complaisance de nous envoyer, nous avons bien jugé quels devaient être les embarras des évêques ; aussi n’avons-nous pas cessé de nous plaindre à ce dernier de notre situation sous ce rapport. C’est un vrai schisme établi par le fait. Nous ne demandons rien pour nous à l’empereur, nous n’avons plus rien à perdre. Nous avons tout sacrifié à nos devoirs. Nous sommes vieux, sans besoins. Quelle considération personnelle pourrait donc nous détourner de la ligne que notre conscience nous a prescrit de suivre ? Nous ne souhaitons absolument rien. Nous ne voulons pas de pension, nous ne voulons pas d’honneurs. Les aumônes des fidèles nous suffiront. Il y a eu d’autres papes plus pauvres que nous, et nous ne songeons à rien au-delà de l’enceinte étroite où vous nous voyez ; mais nous désirons ardemment que nos communications soient rétablies avec les évêques et les fidèles[21]. »

Alors le saint-père apprit à M. de Lebzeltern qu’on avait refusé de laisser venir auprès de lui son confesseur, Mgr Menochio, et le secrétaire des brefs, Mgr Torsa ; qu’il en avait été réduit à ériger en secrétaire l’un de ses domestiques dont l’écriture était lisible, et qu’il avait ainsi expédié à lui tout seul plus de cinq cents dispenses pour venir au secours des évêques de France dont les instances lui étaient parvenues. L’agent autrichien lui ayant exposé qu’il aurait peut-être mieux fait de rompre le silence et de manifester ses vœux à l’empereur des Français, qui sans doute en tiendrait compte : « il sait notre isolement complet, répliqua le saint-père. Nos plaintes et nos instances réitérées adressées au préfet et au général doivent lui être connues. » M. de Lebzeltern savait très bien que Napoléon souhaitait passionnément recevoir sous forme de supplique quelque communication directe de sa sainteté ; mais il sentait aussi (ce sont ses propres expressions) « que le moment n’était pas venu de toucher à de certains sujets. » Le pape, pendant tout le temps que dura l’entretien, ne prononça pas un seul mot relatif à son pouvoir temporel ni à la souveraineté de Rome, excepté indirectement et dans les termes suivans : « Quand des opinions sont fondées sur la voix de la conscience et le sentiment du devoir, elles deviennent irrévocables, et croyez bien qu’il n’y a pas de force physique au monde qui puisse à la longue lutter contre une force morale de cette nature. Ce que nous avons prononcé sur les tristes événemens survenus dans notre siège apostolique a été dicté par de tels sentimens, et ne peut conséquemment souffrir une seule variation toutes les fois que nous devrons nous en expliquer. » Par ces dernières paroles, le saint-père entendait-il maintenir l’excommunication qu’il avait naguère lancée contre l’empereur ? Nous ne saurions le dire ; M. de Lebzeltern n’exprime lui-même aucune opinion à ce sujet. Sa dépêche se termine par l’assurance « qu’il a trouvé le pape un peu vieilli, mais bien portant, calme, serein à son ordinaire, et n’ayant jamais mis la moindre aigreur dans ses propos, même lorsqu’il a abordé les sujets qui devaient lui être le plus sensibles… Pie VII se loue infiniment, ajoute-t-il, des procédés et des égards de M. le préfet et de M. le comte Berthier envers lui. Il a jusqu’ici refusé constamment de sortir de l’hôtel de l’évêché, qu’il habite, et borne ses promenades à sa chambre et à un petit jardin. L’affluence du monde que la dévotion amène journellement à ses pieds ne diminue pas. Le préfet et le général, de leur côté, sont très satisfaits de l’extrême circonspection du pape et de ses bontés à leur égard[22]. »

Ce rapport du diplomate autrichien, officiellement adressé à sa cour, mais rédigé en réalité pour l’information particulière du gouvernement français, apprenait à l’empereur Napoléon tout ce qu’il avait intérêt à savoir. Il en conclut avec raison qu’il serait prématuré de vouloir entrer dès lors en négociation réglée avec le saint-père. Cependant les dispositions de Pie VII étaient telles qu’on ne devait pas désespérer non plus de renouer doucement et indirectement avec lui, surtout si l’on parvenait à surexciter les inquiétudes et le trouble que lui causait l’état fâcheux où se trouvait l’église de France. A cet effet, Napoléon jugea opportun de faire partir secrètement pour Savone, sans mission avouée, avec des instructions toutes privées, deux membres considérables du clergé qui, sans être encore des agens officiels, seraient, en cas de besoin et par suite de leur caractère ecclésiastique, plus à même que M. de Lebzeltern de traiter des affaires religieuses de France. Son choix s’était porté sur les cardinaux Spina et Caselli. Spina était archevêque de Gênes ; Caselli avait été créé sénateur. Tous deux avaient concouru, du côté du saint-siège, à la négociation du concordat. Italiens de naissance, ils étaient devenus Français par suite de l’annexion des provinces du nord de l’Italie à la France, et tous deux étaient également dévoués à l’empereur. Pour se rendre dans son diocèse de Gênes, Spina avait à passer à Savone ? il était tout simple qu’il fut accompagné de son compatriote et collègue Caselli ; quoi de plus naturel encore, s’ils s’arrêtaient pour présenter leurs hommages au saint-père ? Le public, pas plus que Pie VII lui-même, ne serait tenté de soupçonner qu’une semblable démarche servît à couvrir une première tentative de négociation. Ainsi les apparences seraient gardées, l’amour-propre serait sauf, et l’on aurait une nouvelle occasion de sonder les véritables dispositions du saint-père. Si l’empereur, était passé maître en ses habiles calculs, la candeur de Pie VII n’était pas ; on va le voir, sans un certain mélange de finesse italienne. « Les cardinaux sont arrivés ce matin, écrit M. de Chabrol. Ils se donnent comme n’étant chargés d’aucune mission officielle, et n’ayant conséquemment rien à traiter. Ils laissent cependant entrevoir qu’ils ne sont pas étrangers à la connaissance de quelques intentions manifestées par le gouvernement, et qu’ils ont eu une conférence à ce sujet avant leur départ de Paris. … Sa sainteté s’est montrée un peu plus gaie dans cette journée. Il est possible que l’arrivée des cardinaux en soit la cause. Cependant il a dit que les lettres écrites par leurs éminences à l’évêque de Savone et la manière dont ils s’annonçaient ne pronostiquaient rien de bien important, et qu’il s’en tenait à son idée, que les choses étaient loin de s’adoucir, et qu’alors même qu’on désirerait les terminer de part et d’autre, l’entreprise devenait chaque jour plus difficile[23]. »

Les deux anciens adversaires se regardaient donc ainsi venir avec une égale circonspection, et Pie VII devinant Napoléon, tenait à ne paraître point pressé d’entendre ce qu’on mettait si peu de hâte à lui dire. Les cardinaux n’obtinrent pas tout de suite l’honneur d’assister à ce que l’on appelait à Savone, suivant l’usage italien, à la conversation chez le pape ! » Ils n’eurent pas non plus à leur première audience l’occasion de se louer beaucoup de l’accueil de sa sainteté. « Pie VII n’entra avec eux dans aucun détail, écrit le préfet de Montenotte, et ne leur adressa aucune question. Il se plaignit seulement des affaires de Rome plus vivement qu’il n’avait fait jusqu’alors[24]. » M. de Chabrol, étonné de cette réserve, ne craint pas, dans ses lettres au comte Bigot de Préameneu, de donner à entendre que la mauvaise humeur du pape provient probablement de ce que les deux cardinaux ne sont pas des hommes de son choix. Il verrait plus volontiers, écrit-il, le cardinal Spina ; mais il a, quelques griefs contre le cardinal Caselli, auquel il reproche, entre autres choses, d’avoir accepté la place de sénateur sans lui avoir demandé son agrément. Le pape ne consent pas à recevoir les cardinaux le soif. A Mgr Doria, qui lui demandait la permissiez d’aller visiter leurs éminences, il a répondu : « Vous irez un peu plus tard ; ce n’est pas encore le moment de s’y rendre[25]. »

Pie VII resta deux jours entiers sans vouloir recevoir derechef les cardinaux. « Il accepta seulement de les rencontrer après leur dîner chez le gouverneur du palais (le comte César Berthier), parce que le public s’apercevrait moins de cette conférence, et qu’il ne supposerait pas qu’il existe des conférences entre eux et lui… Il a dit aux personnes de sa maison qu’il croyait les cardinaux envoyés pour sonder ses dispositions et les faire connaître. » Ce propos, remarque M. de Chabrol, annonce quelque défiance. « Il n’a rien transpiré de la conférence qui a eu lieu ce soir, continue le préfet de Montenotte. Pendant la journée, le pape a paru très soucieux. Il était fort distrait, et pensait évidemment à toute autre chose qu’aux bénédictions qu’il donnait à ceux qui venaient baiser sa mule. On croit qu’il méditait sur la conversation qu’il allait avoir avec leurs éminences[26]. » Pie VII eut en effet deux conférences avec les envoyés de l’empereur, la première avec le cardinal Spina, la seconde avec les deux cardinaux réunis. De son entretien avec le pape, qui dura environ une heure et demie, le cardinal Spina rapporta l’idée qu’il ne serait pas impossible de l’amener à s’occuper des affaires ecclésiastiques de France, et particulièrement de celles des évêques ; mais il paraît, mande M. de Chabrol au ministre des cultes, que le pape ne l’a pu faire jusqu’à présent par crainte de s’écarter des maximes consacrées. Il désire un conseil. Ce sont non pas seulement des personnes propres à expédier les affaires dont il dit avoir besoin, mais bien de personnes qui jouiraient de sa confiance et qu’il pourrait utilement consulter. Son éminence le cardinal Spina paraît persuadée que le pape n’emploierait pas le cardinal Caselli et lui-même conjointement. Il croit qu’on pourrait appeler à Savone d’autres cardinaux qui auraient plus d’accès et qui ne seraient pas suspects au gouvernement. Il cite entre autres le cardinal Antonelli, cardinal habitant Sinigaglia, âgé de plus de quatre-vingts ans, qui n’a pas été appelé en France à cause de son grand âge, et pour lequel le saint-père avait beaucoup de respect. Il est convaincu que ce cardinal, qui termina par son influence l’affaire du concordat, pourrait être très utile et se rendrait avec plaisir auprès de sa sainteté. Alors le pape pourrait les consulter l’un et l’autre et s’occuper d’affaires ; mais il n’usera pas du cardinal Caselli, ni de lui, Spina, qu’il regarde comme trop jeune parmi les cardinaux[27]. Dans le cours de sa conversation avec le cardinal Spina, le pape s’était prononcé contre l’idée d’aller à Avignon et surtout à Paris. Il avait formellement dit que, si on le contraignait à s’y rendre, il ne sortirait pas, qu’il ne dirait la messe dans aucune église, qu’il se considérerait comme étant prisonnier, et beaucoup plus resserré qu’à Savone. Il ajouta que, si on ne voulait pas le renvoyer à Rome, il ne désirait pas de changement[28]. Si on voulait traiter d’affaires avec lui, son intention était d’avoir deux cardinaux parfaitement de son choix, et que sa majesté envoyât également deux personnes de confiance, et qu’alors on entamât des négociations par des écrits auxquels il répondrait[29].

Dans la conférence avec les deux cardinaux, Pie VII fut encore plus explicite. Ses interlocuteurs ayant débuté par lui parler d’un changement de résidence, il manifesta à cet égard une invincible répugnance. « Il déclara qu’il ne voulait quitter Savone que pour se rendre à Rome. Si on devait le conduire à Paris, il en serait très affligé. Cependant.il saurait toujours empêcher qu’il n’arrivât rien de fâcheux parmi le peuple à son sujet, car il. ne voulait compromettre personne ni altérer la soumission due au gouvernement. Il n’y aurait que le cas où l’on voudrait le contraindre à faire une cérémonie publique. Peut-être alors ne pourrait-il pas répondre assez de son émotion et de sa tête pour éviter un grand scandale[30] » Les cardinaux, en sortant de leur audience, avaient assuré à M. de Chabrol qu’ils avaient trouvé le pape bien disposé relativement à la nomination des évêques. « Ils croient, écrivait le préfet de Montenotte au ministre des cultes, que cette affaire pourrait réussir ; mais ce qui avait arrêté sa sainteté, c’est la crainte et la défiance qu’il a de lui-même. Il ne veut pas agir sans consulter des personnes expérimentées et sur lesquelles il pourrait se reposer avec sécurité. Le cardinal Spina croit toujours que la présence du cardinal Antonelli serait très utile pour cet objet… Le pape a conservé dans la journée son maintien habituel, continue le préfet de Montenotte ; il a paru n’avoir éprouvé aucune émotion des ouvertures qu’ont pu lui faire les cardinaux… » Le départ de leurs éminences ne semble avoir fait aucune impression sur le pape. Il est certain qu’il ne s’est pas montré disposé à employer leur secours, ni à leur parler confidentiellement[31].

Aussitôt que l’empereur eut reçu de Savone ces rapports précis et circonstanciés sur les dispositions de Pie VII, son parti fut immédiatement pris. Certes il ne donnerait pas au saint-père plus de facilités qu’il n’en avait eu jusqu’alors pour communiquer avec les membres dû clergé et les fidèles de l’église de France. Encore moins lui accorderait-il les conseillers dont il disait avoir besoin pour entrer en négociation. Puisque Pie VII ne voulait pas céder, puisqu’il prétendait poser ses conditions, eh bien ! on se passerait de lui. Il ne serait pas si malaisé de lui faire voir qu’on pouvait pourvoir sans son assistance au gouvernement des affaires ecclésiastiques de France. À peine les lettres des cardinaux envoyés auprès du saint-père et les dépêches du préfet de Montenotte avaient-elles été déchiffrées aux Tuileries, que le ministre des cultes reçut ordre d’écrire aux évêques nommés d’Asti, de Liège, de Poitiers, de Saint-Flour, afin qu’ils eussent à se rendre immédiatement dans leurs diocèses sans attendre plus longtemps l’institution canonique[32]. On sait, d’après le témoignage de M. Bigot, à quel point il répugnait aux évêques nommés, mais non encore institués canoniquement, de se présenter sans titre reconnu au milieu de leur nouveau troupeau ; mais leurs convenances ne furent point consultées, ils durent tous partir. Une mesure plus éclatante encore témoigna bientôt avec quelle vivacité l’empereur entendait mener la lutte toute spirituelle qu’il lui avait plu d’entamer contre le chef de l’église catholique.

Le cardinal de Belloy, archevêque de Paris, était mort le 10 juin 1808. Six mois après sa mort, Napoléon avait nommé pour le remplacer son oncle le cardinal Fesch. Fesch avait accepté ces fonctions nouvelles sans se démettre toutefois de l’archevêché de Lyon, soit parce qu’il ne voulait pas sacrifier le certain pour l’incertain, soit parce qu’il ne reconnaissait pas à son neveu le droit de rompre les liens qui l’attachaient à sa première église. La gestion provisoire par son proche parent du siège de Paris donnait une suffisante garantie de sécurité à l’empereur. Ce choix avait d’ailleurs été plutôt agréable au clergé de la capitale. « Le chapitre en corps, les grands-vicaires à leur tête, dit M. d’Astros dans un mémoire manuscrit, allèrent le féliciter, et en même temps l’inviter à diriger l’administration diocésaine. Il ne s’était élevé aucun doute sur la canonicité d’une pareille mesure. Le concours du cardinal dans notre administration ne présentait qu’un accroissement de lumières et un appui tout-puissant auprès du ministre[33]. » L’empereur s’était jusqu’alors arrangé de cette espèce de compromis qui pourvoyait aux nécessités du diocèse de Paris sans trancher positivement aucune question ; mais maintenant qu’il avait résolu de braver le saint-père et de lui montrer qu’il était maître de se passer de son concours et de gouverner à son gré les églises de France, il somma tout à coup le cardinal Fesch de prendre ostensiblement possession de son nouveau siège. A son grand étonnement, il rencontra de la part de son oncle la plus énergique résistance. Le cardinal Fesch avait trouvé tout simple, malgré les objections à lui présentées par le scrupuleux abbé Émery, d’être à la fois primat des Gaules, archevêque en titre de Lyon, archevêque nommé de Paris, et d’administrer simultanément les deux diocèses. Avec cette confiance imperturbable en soi-même qui était propre à tous les membres de la famille Bonaparte, il ne jugeait pas que ces doubles fonctions, réunies entre ses mains, fussent au-dessus de ses forces, ni surtout de son mérite. Il était même persuadé qu’il rendait par ce cumul un grand service à son neveu. Il fit au début semblant de ne pas comprendre ce que l’empereur exigeait de lui. « Si sa majesté ne veut point encore nommer à l’archevêché de Paris, mandait-il le 30 août 1810 à M. Bigot, et si dans sa sagesse elle croit conve-nable.que je prenne l’administration de cette église jusqu’à ce qu’il lui plaise de nommer un archevêque, je me croirai très heureux non-seulement de continuer à m’occuper des affaires du diocèse, comme j’ai fait depuis ma nomination à ce siège, mais encore de me charger de son administration[34]. » Le 4 septembre, le cardinal Fesch. malgré les avis de plus en plus pressans de l’abbé Émery, n’avait pas encore renoncé à sa chimère. « Lorsque je me suis décidé à prendre l’administration de Paris, écrit-il derechef au ministre des cultes, jusqu’à ce que l’empereur ait nommé un archevêque, voulant toujours conserver mon archevêché de Lyon, j’ai désiré faire quelque chose qui fût agréable à sa majesté, et en même temps au diocèse de Paris, ce qui ne peut s’effectuer qu’en ne faisant pas connaître au public mon option pour Lyon. Il n’est donc pas nécessaire que l’empereur confirme par un décret la nomination du chapitre. Il serait possible que sa majesté jugeât par la suite utile de conserver les deux titres sur une même tête. Ce ne fut qu’à cette condition que se fît ma nomination à l’archevêché de Paris. L’option alors n’aurait pas lieu, et celle que je fais en ce moment n’est qu’une formalité conservatrice de mon siège de Lyon. Du reste je ne voudrais pas d’une administration qui m’assimilerait à un simple grand-vicaire. Ce serait jeter l’alarme, paralyser le bien que je pourrais faire dans Paris, et faire une chose qui ne convient pas à ma dignité. Le décret de ma nomination doit subsister et avoir son plein effet jusqu’au moment où l’empereur nommera un autre archevêque, et fera connaître au public mon option pour le diocèse de Lyon. Je le répète, l’option que je fais en ce moment n’est que conservatrice de mon, siège de Lyon, et après cette protestation rien n’empêche que je prenne le titre de nommé à l’archevêché de Paris[35]. »

Il était facile au cardinal Fesch de développer au ministre des cultes les ingénieuses combinaisons où se complaisait son orgueil, et par suite desquelles, sans rompre ni avec l’empereur ni avec le saint-père, il aurait continué à gouverner à lui seul les deux plus importans diocèses de France. Napoléon ne l’entendait pas ainsi. Ce qu’il voulait, c’est que dans la querelle religieuse maintenant pendante le premier dignitaire du clergé de France se rangeât de son côté, et prît ouvertement parti pour lui et contre le saint-père. A cela Fesch ne voulut jamais consentir. En vain l’empereur fit tout ce qui dépendait de lui pour vaincre une résistance d’autant plus pénible qu’elle venait d’un membre de sa famille, il n’obtint rien, et son oncle demeura inflexible. Ce fut à Fontainebleau, au sortir d’une conversation très animée avec le cardinal Fesch, que l’empereur, envoyant chercher le cardinal Maury, lui annonça brusquement qu’il l’avait nommé à l’archevêché de Paris, et tout aussitôt, sans autre formalité, lui fit en cette qualité prêter serment entre ses mains. L’abbé Lyonnet, aujourd’hui archevêque d’Albi, auquel nous devons une vie détaillée de Fesch, raconte que ce fut l’oncle de l’empereur qui, bien contre son gré, car il n’avait aucun goût ni aucune considération pour le cardinal Maury, fit venir à l’empereur l’idée de ce choix, auquel personne alors ne s’attendait. Suivant l’abbé Lyonnet, Napoléon aurait sommé Fesch de prendre définitivement possession du siège archiépiscopal de Paris. « Sire, aurait répondu le cardinal, j’attendrai l’institution canonique du saint-père. — Mais le chapitre vous a donné des pouvoirs. — C’est vrai, mais je n’oserais pas en user en cette circonstance. — Vous condamnez donc, reprit l’empereur irrité, les évêques nommés d’Orléans, de Saint-Flour, d’Asti, de Liège, etc. ? Je saurai bien d’ailleurs vous y forcer. — Sire, potius mori. — Ah ! ah ! potins mori, plutôt Maury… Eh bien ! soit, vous l’aurez, Maury[36]. »

Quoi qu’il en soit de cette anecdote, qui dans le moment rencontra partout créance et n’a jamais depuis été démentie, la vérité est que le choix soudain dont il venait d’être l’objet commença par troubler tant soit peu le cardinal Maury, dont l’assurance était pourtant si grande. On l’avait vu sortir pâle et troublé de son entrevue avec l’empereur. Il n’avait pas tardé toutefois à reprendre possession de ses esprits. Oubliant qu’il était déjà évêque consacré de Montefîascone et de Corveto, qui étaient des pays d’obédience, mettant sous ses pieds ce qu’il devait au saint-père, à lui-même, aux antécédens historiques qui avaient fait toute sa réputation et toute sa gloire, il fit étalage de sa joie devant la cour et se montra très fier d’avoir été appelé à une situation devant laquelle avait reculé la conscience de l’oncle même de l’empereur. Nous nous rappelons avoir entendu raconter à M. Pasquier, récemment nommé préfet de police à cette époque, que, se croisant avec le cardinal Maury dans les corridors de Fontainebleau, il ne fut pas médiocrement surpris de voir le nouvel archevêque de Paris accourir à lui et s’écrier d’un ton familier et avec l’air le plus satisfait du monde : « Eh bien ! l’empereur vient de satisfaire aux deux plus grands besoins de sa capitale. Avec une bonne police et un bon clergé, il peut toujours être sûr de la tranquillité publique, car un archevêque, c’est aussi un préfet de police. » Un tel rapprochement était à coup sûr assez malséant dans la bouche du prêtre qui avait si éloquemment défendu le clergé devant l’assemblée constituante, et personne n’était plus disposé à en ressentir l’inconvenance que le fonctionnaire de l’empire à qui s’adressait en ce moment le cardinal Maury. M. Pasquier, conseiller d’état depuis quelques mois, avait en effet assez longtemps hésité avant d’accepter le poste qui venait de lui être confié. Il n’avait consenti à s’en charger que sur l’assurance plusieurs fois donnée par l’empereur qu’il entendait laisser sous la direction exclusive du duc de Rovigo, récemment nommé lui-même à la place de Fouché, ce qui, dans ses nouvelles fonctions, regardait particulièrement la politique, et qu’il se proposait de rétablir la préfecture de police de Paris sur le pied d’une magistrature civile telle qu’elle existait au temps des Sartines et des Lenoir. Chose étrange, c’était un grand dignitaire de l’église qui revendiquait à titre d’honneur les attributions que venait de décliner un laïque, descendant, il est vrai, de ces grandes familles de magistrats qui avaient jadis fait l’honneur du parlement de Paris ; mais tel était Maury. Doué d’un éminent esprit, il s’était, au temps même de ses plus grands succès, montré complètement dépourvu de goût, de mesure et de tact. Sa rentrée inattendue eh scène dans une position qui attirait forcément tous les regards allait faire voir une fois de plus que le talent de la parole ne suffit pas à tout, et combien l’esprit de conduite et le sentiment des convenances deviennent absolument indispensables à ceux qui parviennent à de hautes dignités, surtout à celles de l’église.

Le décret de nomination du cardinal Maury était du 14 octobre 1810. Peu de jours après, le 22 du même mois, l’empereur nomma M. d’Osmond, évêque de Nancy, à l’archevêché vacant de Florence. L’intention qui avait inspiré ces deux actes était manifeste. Aux yeux de Napoléon, le temps des transactions était passé. Il voulait obliger les titulaires des deux sièges de Florence et de Paris à se mettre d’une façon flagrante en collision spirituelle avec le chef de la catholicité. La lettre suivante ne laisse aucun doute à cet égard. « Monsieur le comte, écrivait-il à son ministre des cultes, mon intention est que les archevêques et évêques que j’ai nommés aux différens sièges de mon empire prennent le titre de leur siège dans tous leurs actes, titre pour lequel ils m’ont prêté serment. Je n’entends point qu’ils y mettent aucune modification. Je ne m’oppose point à ce qu’ils se pourvoient auprès de qui de droit, mais j’entends qu’ils n’aient point la faiblesse d’adhérer aux prétentions des chapitres, ni qu’ils prennent d’autres titres, comme je l’ai dit ci-dessus[37]. »

Il était impossible de jeter un plus clair défi au pape. L’empereur avait raison de se tenir pour assuré du cardinal Maury. En effet, le nouvel archevêque de Paris s’était fait installer le 1er novembre à Notre-Dame ; il avait même eu hâte de prendre en main l’administration du diocèse avant d’avoir été affranchi des liens qui l’attachaient à l’église de Montefiascone. Il s’était borné à donner connaissance au saint-père, par une lettre en date du 16 octobre, de sa nomination au siège de Paris et de son élection par le chapitre comme administrateur. Les choses ne se passèrent pas aussi aisément en ce qui regardait M. d’Osmond. L’ancien évêque de Nancy n’avait abandonné son siège qu’avec une extrême répugnance. Quand il reçut à Fontainebleau de la bouche de Napoléon l’ordre de se mettre en route pour Florence, il représenta qu’il ne pouvait aller prendre possession de son nouvel évêché sans avoir reçu l’institution canonique. Pour lever les difficultés que lui suscitaient les scrupules inattendus du prélat, qui n’avait pas encore pris, comme Maury, son parti de rompre ouvertement avec le saint-siège, l’empereur n’hésita pas à tromper sciemment M. d’Osmond. Il l’assura que sous peu de jours les affaires entre la France et Rome seraient arrangées, et que les bulles qu’il réclamait lui seraient expédiées pendant qu’il serait en route. M. d’Osmond hésitait encore ; mais il reçut du ministre des cultes l’ordre de partir immédiatement et de se rendre à Lyon, où il attendrait ses bulles. Il fallut obéir, dit son pieux biographe[38]. Par suite de la même obéissance, attendant toujours ses bulles et ne les recevant jamais, M. d’Osmond s’arrêta successivement à Turin, puis à Plaisance. Quand il arriva le 7 janvier 1811 à Florence, il y trouva tous les esprits vivement émus du conflit qui, à propos de sa nomination et de celle du cardinal Maury, venait de s’élever entre Napoléon et Pie VII, conflit qu’il était facile de prévoir, et dont il nous reste maintenant à rendre compte.


III

Pie VII, relégué à Savone sans conseillers, sans secrétaires, sans archives, avait, comme nous l’avons déjà dit, fait par conscience tous ses efforts pour tâcher de suffire à lui seul à l’expédition des nombreuses affaires spirituelles qui relevaient de la décision personnelle du souverain pontife. Il était entré à cet effet en correspondance avec plusieurs des évêques et un nombre considérable de fidèles de l’église de France. En général cette correspondance avait lieu par l’intermédiaire de l’évêque de Savone, qui remplissait à peu près l’office d’agent d’affaires du clergé auprès du saint-père. Cela se passait à la connaissance et de l’aveu de l’empereur sous la surveillance du général Berthier, ainsi que du préfet de Montenotte. Loin de gêner ces communications, qui ne contrariaient pas sa politique, Napoléon les avait vues plutôt de bon œil, car elles lui servaient à soutenir que le pape n’était pas du tout prisonnier, et que rien ne l’empêchait, s’il le voulait, de pourvoir au gouvernement de l’église. Plusieurs des demandes adressées par l’épiscopat français à Pie VII avaient justement pour but de parer à quelques-uns des inconvéniens résultant des habitudes introduites dans la nouvelle société française par l’établissement d’un régime si despotique et si exclusivement militaire. Les dix-neuf évêques signataires de la lettre du 25 mars 1810, la plupart admirateurs passionnés de l’empereur, afin de motiver la demande qu’ils adressaient au pape de pouvoir accorder eux-mêmes directement certaines dispenses de mariage, avaient été obligés d’entrer en quelques détails qui n’étaient pas tous à l’avantage du régime qu’ils servaient cependant avec tant de zèle. Il leur avait fallu expliquer à Pie VII que les époux devenaient très rares en France à cause de la grande consommation d’hommes qui mouraient sur les champs de bataille, et parce que la crainte chaque jour plus grande de la conscription avait pour effet de déterminer précipitamment les choix en faveur de quelques paren3, et cela pour deux raisons : 1° parce qu’on évitait ainsi le partage des biens, et 2° parce qu’une sorte de défiance portait à préférer quelqu’un de la famille dont l’opinion était connue à des étrangers dont on redoutait l’admission dans l’intérieur du foyer domestique[39].

Aussi longtemps que l’action du pape s’était bornée à permettre aux cousins de se marier avec leurs cousines, et à de jeunes neveux, comme cela se pratiquait souvent sous l’empire, d’épouser leurs vieilles tantes, dont ils devaient plus tard hériter, l’empereur n’y avait rien trouvé à redire ; mais que le souverain pontife se mêlât de diriger la conscience des prélats français, qu’il osât, par exemple, prendre sur lui d’avertir l’évêque de Nancy qu’il ne lui était pas loisible de quitter sans l’assentiment du saint-siège son troupeau lorrain pour aller gouverner un diocèse italien dont il ne parlait pas la langue, ou de rappeler au cardinal Maury que, nommé au siège épiscopal de Corneto et de Montefiascone, il n’avait pas le droit de s’installer dans la chaire de Notre-Dame de Paris avant d’y avoir été autorisé par le chef de la catholicité, c’étaient là autant d’abus abominables que Napoléon était d’avance décidé à ne point tolérer de la part du prisonnier de Savone. Pie VII, pensait-il, ne s’y risquerait pas, et d’ailleurs, à supposer qu’il le voulût, comment s’y prendrait-il ? Aucune précaution n’avait été négligée. On l’avait entouré d’hommes intelligens et sûrs, qui avaient sous leurs ordres en quantité surabondante des agens de police parfaitement dressés à leur métier. Ce n’était pas pour rien que l’empereur avait imposé au pape l’obligation de ne donner ses audiences qu’en présence du général César Berthier ou du commandant de gendarmerie La Gorse ; ce n’était pas en vain qu’il avait recommandé au préfet de Montenotte d’avoir des espions dans toutes les auberges, et de surveiller soigneusement tous les individus suspects qui passeraient à Savone. Les exemples faits sur quelques misérables prêtres de Marseille et d’ailleurs, jetés dans d’infects cachots pour avoir seulement essayé de s’approcher sans permission du pape, avaient dû suffire à intimider les plus hardis[40]. Napoléon ne craignait donc rien. Telle est en effet l’illusion commune aux souverains absolus. Ils s’exagèrent ordinairement la faiblesse de leurs adversaires autant que leur propre force. Volontiers ils s’imaginent qu’on n’osera rien tenter contre eux, et plus volontiers encore ils se figurent qu’ils déjoueront aisément les trames les mieux ourdies. Napoléon n’évita pas cette déconvenue réservée à tous les despotes. Il se l’était pour ainsi dire préparée à lui-même. C’était lui en effet qui, par les violentes persécutions dont il n’avait cessé d’abreuver, le saint-père, lui avait procuré une foule innombrable d’auxiliaires obscurs, parfaitement inconnus les uns aux autres, qui, sans provocation, sans entente préalable, sous la seule impulsion de leur foi chrétienne, ou par suite du simple attrait qui porte les âmes généreuses à prendre parti pour la victime contre l’oppresseur, n’aspiraient qu’à se faire à leurs risques et périls les instrumens dévoués du captif de Savone et de tous ceux qui souffraient pour sa cause. Comme il arrive fréquemment, les femmes avaient donné le premier signal.

Ce fut à l’occasion de l’emprisonnement des cardinaux noirs qu’une association présidée par l’abbé Duval se forma pour venir pécuniairement en aide à ces membres courageux du sacré-collège. Le duc de Montmorency, l’ami de Mme de Staël, figurait parmi les plus généreux donataires ; mais l’œuvre était surtout ardemment patronnée par la princesse de Chimay, la duchesse de Duras, la princesse de Poix, la marquise de Cordoue, Mmes de Saint-Fargeau, de Gros-Bois et de Croisie, qui s’étaient adjoint plusieurs ecclésiastiques, et parmi eux l’abbé Perreau, enfermé plus tard à Vincennes[41]. Cette première association, composée de l’élite de la société parisienne, et qui était en rapport, chose assez singulière, avec le cardinal Fesch par le canal de l’abbé Isoard, en avait bientôt fait naître une seconde. Le but des membres de cette nouvelle association était surtout de se mettre en rapport avec le saint-père à Savone, et de se faire, quand il en aurait besoin, les intermédiaires secrets des communications spirituelles qu’il jugerait à propos d’adresser tant aux cardinaux italiens détenus par l’empereur qu’aux évêques et aux curés de France demeurés soumis à sa juridiction souveraine. Les mêmes causes avaient tout naturellement produit en Italie les mêmes résultats. De l’un et de l’autre côté des Alpes, une foule considérable de personnes, des jeunes gens surtout, étaient incessamment prêts, sur la moindre réquisition, à se mettre nuitamment en route et à se transmettre de ville en ville les uns aux autres jusqu’à destination les missives pontificales délivrées dans Savone même à ces messagers fidèles par les gens de la maison de Pie VII ou par les rares visiteurs qui avaient réussi à tromper la vigilance du préfet de Montenotte. Dans les villes alors très catholiques de Toulouse et de Lyon, l’organisation des comités dont nous venons de parler avait été portée à un rare, degré de perfection. À Lyon surtout, on était parvenu à se tenir en relations presque réglées d’un côté avec le pape, de l’autre avec le cardinal di Pietro, qui de Semur, où il avait été transporté, continuait à exercer les pouvoirs de délégué apostolique que le pape lui avait confiés en quittant Rome, et qu’il lui avait depuis renouvelés[42].

Dans un rapport de police passablement violent et trivial, d’ailleurs fort perspicace, mais qu’il eut le malheur de remettre trop tard à l’empereur, le duc de Rovigo lui explique au long que ce cardinal avait toujours été le conseiller et le fauteur des mesures prises par le saint-père, qu’il communiquait avec le clergé de Paris par l’abbé Gregori et le père Fontaine, général des barnabites, et cet abbé Perreau dont nous avons parlé qui était l’ami du grand-vicaire, M. d’Astros. « Les supérieurs des collèges de Lyon, de l’Argentière, près de Montbrison, et de Montdidier, les dames de Monjoye. et de Soyecours, ainsi qu’un M. Bertrand du Coin, un fanatique, étaient également dans le complot. Leurs auxiliaires subalternes étaient les abbés Recourbet et d’Haulet, Franchet à Lyon, Pallavicini à Paris. Le sieur Alexis de Noailles, à la tête des confréries du saint dévouement, ne craignait pas, dit le duc de Rovigo, d’appeler dans ses lettres l’empereur un Julien l’Apostat[43]. »

Faut-il maintenant s’étonner beaucoup si, grâce à de tels moyens et malgré les efforts de la police impériale, qui ne découvrit rien qu’après coup, le saint-père soit parvenu à faire alors connaître au clergé de France et d’Italie les censures ecclésiastiques dont il frappa l’intrusion peu canonique des évêques récemment nommés aux sièges de Florence et de Paris ? Ce qui surprend véritablement, c’est la surprise même qu’éprouva l’empereur quand il apprit la divulgation des bulles signées à Savone. Ce qui surprend encore davantage ou plutôt ce qui attriste, ce sont les bruyans éclats de sa colère et les actes d’incroyable brutalité qui s’ensuivirent. Comment Napoléon, avec sa prodigieuse sagacité, avait-il pu s’imaginer un instant que Pie VII laisserait passer sans protester les nominations de M. d’Osmond et du cardinal Maury ? Comment, avec un peu de bonne foi, pouvait-il se plaindre de ce que le saint-père, qui n’avait fait nul mystère de sa désapprobation, qui n’avait pas manqué d’en entretenir à haute voix le comte César Berthier et M. de Chabrol, eût cherché et trouvé le moyen d’en instruire les évêques de France et d’Italie ? De quel droit, parce qu’il lui avait plu de ne pas laisser arriver ces bulles à leur destination, l’empereur pouvait-il faire un crime à Pie VII de ce qu’il prenait soin d’avertir les fidèles que les pasteurs auxquels ils devaient spirituellement obéissance avaient eux-mêmes cessé d’obéir au chef spirituel de la catholicité ? Le pape ne remplissait-il pas en agissant ainsi les plus stricts devoirs du souverain pontife ? En ce qui touche la clandestinité des moyens, depuis quand était-il interdit à un captif injustement détenu d’accomplir par des voies détournées les actes qu’il lui serait licite de pratiquer au grand jour, s’il était en liberté ? Les fureurs de l’empereur étaient donc aussi extravagantes que furent iniques les violences auxquelles il n’hésita pas à se livrer, et qui sont pour la plupart encore ignorées du public ; mais avant d’en mettre sous les yeux de nos lecteurs le douloureux tableau il est nécessaire de raconter comment les bulles de Pie VII relatives à M. d’Osmond et au cardinal Maury furent effectivement connues à Florence, puis à Paris.

Le chapitre de Florence avait nommé vicaire-général capitulaire pour gérer le diocèse pendant la vacance du siège l’archidiacre Averardo Corboli. C’était un prêtre doux et inoffensif. Chargé par le. chapitre de s’adresser au saint-père, afin de savoir quelle marche il lui fallait suivre à l’égard du nouvel archevêque nommé de Florence, l’abbé Corboli avait confié la rédaction de cette supplique au théologal de la métropole. Le chanoine Muzzi, d’un âge assez avancé et que le rédacteur d’une notice imprimée à Turin représente comme un homme impétueux, inflexible et d’un courage à toute épreuve, était en même temps, dit l’auteur italien, un adversaire irréconciliable du despotisme napoléonien[44]. Il n’attendit pas longtemps la réponse du saint-père. Cette réponse avait été officiellement adressée à l’archidiacre Corboli, qui n’en donna connaissance qu’aux membres du chapitre, avec injonction à chacun d’eux, en vertu de l’obéissance qu’ils lui devaient, de garder inviolablement le secret ; mais une copie en était en même temps parvenue au chanoine Muzzi. Celui-ci ne l’avait pas plus tôt reçue, qu’il s’était mis à parcourir Florence publiant le bref de Pie VII, en faisant prendre copie à tous ceux qui le lui demandaient et même à ceux qui ne le demandaient pas[45]. Grande émotion dans toute la ville. La grande-duchesse Élisa, sœur de l’empereur, se trouvait alors à Pise. Elle eut hâte de faire venir près d’elle le propagateur indiscret, et lui demanda s’il était vrai qu’il se fût adressé au pape au sujet de l’archevêché de Florence. Notre chanoine répondit affirmativement ; puis, la princesse désirant savoir quel motif l’avait conduit à cette démarche : « Je ne veux pas, répliqua-t-il, parler théologie avec les dames. » La sœur de Napoléon lui ayant vivement reproché de se montrer ainsi rebelle aux ordres de son frère : « En matière semblable, dit l’abbé Muzzi, je ne connais pas d’autre souverain que le pape. » Ordre lui fut alors donné de se constituer prisonnier sous trois jours à la forteresse de Forto Ferraio. « Je m’y rendrai tout de suite, » s’écria l’impétueux abbé, et là-dessus il tourna fièrement le dos à la grande-duchesse. À la même époque et pour les mêmes motifs, les chanoines Mancini et Rancia et l’avocat Pietro Valentini, qui avaient publié le bref, furent aussi arrêtés et conduits à la forteresse de Fénestrelle[46].

Les choses ne se passèrent guère différemment à Paris. Le chapitre de Notre-Dame avait pour vicaire capitulaire l’abbé d’Astros. M. d’Astros, propre neveu de Portalis, l’ancien ministre des cultes, et cousin-germain de M. Portalis le fils, alors conseiller d’état et directeur de la librairie, n’était rien moins qu’un prêtre fanatique. C’était non-seulement un esprit sage et modéré, mais pénétré de respect pour les autorités publiques, naturellement porté à la conciliation. Ses tendances étaient plutôt gallicanes, et nous avons déjà eu occasion de raconter comment il avait été en 1806, sous la direction de son oncle, le principal rédacteur du catéchisme impérial, quoique n’ayant pris aucuns part à la confection du chapitre relatif aux devoirs des Français à l’égard de Napoléon 1er . Parmi les chanoines du chapitre de Paris, il avait été l’un des plus empressés à conférer au cardinal Fesch l’administration provisoire de ce diocèse. L’abbé d’Astros n’était donc à aucun degré un homme de lutte, recherchant par goût le bruit et les éclats. Il était avant tout un canoniste consciencieux, très appliqué à rechercher quelle était dans les matières ardues de la théologie la ligne à suivre pour un fidèle catholique, et, quand il croyait ravoir découverte, très décidé à y conformer sa conduite, mais nullement disposé à se jeter dans aucune violente extrémité. Lorsque, étudiant de plus près la question des délégations capitulaires, il s’était aperçu’ qu’il s’était trompé, et qu’il avait agi sans le savoir contre les intentions manifestes du saint-père en conférant les pouvoirs de vicaire au cardinal Fesch, il se promit à lui-même de ne pas retomber dans cette erreur, et de n’user plus de la même complaisance envers le cardinal Maury. Dans l’assemblée du chapitre qui, sur l’invitation de M. Bigot de Préameneu, fut tenue à Notre-Dame, afin de confier au nouvel archevêque l’administration du diocèse de Paris, M. d’Astros vota contre cette proposition. Cependant tel était son désir de ne pas faire étalage de son opposition, qu’il consentit, comme président du chapitre, à siéger dans la commission chargée de faire part de sa nomination au cardinal Maury. Sa brève harangue témoignait d’ailleurs qu’il exprimait plutôt l’opinion d’autrui que la sienne, et cela lui suffit. « Il n’est personne, monseigneur, dit-il au cardinal, qui ne se rappelle en ce moment avec quelle éloquence et avec quel courage vous avez défendu dans le temps la cause de la religion et du clergé. » À ces paroles si fortes surtout par ce qu’elles sous-entendaient, Maury pâlit et parla de son attachement au saint-siège. « Je n’irai m’asseoir, dit-il, sur la chaire épiscopale de Paris qu’autant que le pape me prendra par la main pour, m’y faire monter[47]. »

Le cardinal Maury ne devait pas faire longtemps honneur à cet engagement. Non content de toucher les revenus officiels de sa nouvelle position et de porter le titre d’archevêque de Paris, il aspirait à en exercer les fonctions spirituelles sans attendre, comme il l’avait dit, que le saint-père l’eût pris par la main. Cependant l’abbé d’Astros le surveillait attentivement. Un jour dans une compagnie le cardinal avait dit en présentant M. d’Astros avec ses collègues : « Voici mes grands-vicaires. » — « Votre éminence se trompe, repartit M. d’Astros ; ce sont les grands-vicaires du chapitre et non les siens. » — Une fois, pendant une ordination, Maury, exigeant du timide ecclésiastique auquel il imposait les mains qu’il lui promît obéissance comme à son évoque titulaire, l’abbé d’Astros prit encore à haute voix la parole : « Monseigneur, permettez-moi, dit-il, de faire observer, pour l’instruction de ce jeune prêtre, que vous n’avez pas le droit de lui demander cette promesse. » Les jours de cérémonie, Maury aurait voulu faire porter devant lui à Notre-Dame la croix épiscopale, signe extérieur d’une juridiction qu’il ne possédait pas encore canoniquement ; l’abbé d’Astros ordonnait au porte-croix de rentrer dans la sacristie. Maury supportait en silence, mais avec une profonde amertume, tous ces affronts. C’étaient là, si l’on veut, de puériles querelles de cathédrale. Derrière l’abbé d’Astros, armé des simples pouvoirs d’un humble vicaire de paroisse, chacun apercevait toutefois l’autorité du chef de l’église romaine. Le tout-puissant vainqueur de Wagram ne s’y trompait pas. Il éprouvait la plus violente colère en sentant son prestige entamé par cet intrépide chanoine qui tenait son archevêque en échec jusque dans le chœur de Notre-Dame de Paris. Comment se venger, et quel moyen de briser cette résistance inattendue ? L’occasion s’en offrit bientôt.

L’abbé d’Astros avait, comme le vicaire Capitulaire de Florence, écrit au saint-père pour lui demander des directions personnelles, mais il n’avait pas encore reçu de réponse. C’est pourquoi, tout en maintenant ses relations avec le nouvel archevêque sur le pied que nous venons d’expliquer, il avait pris soin de garder la plus extrême réserve. Il ne rompit le silence que le jour où, par l’intermédiaire du cardinal di Pietro, de l’abbé Gregori et du père Fontana, il reçut copie du bref, en date du 5 novembre, adressé par le pape au cardinal Maury. Le premier mouvement de l’abbé d’Astros fut d’en parler à son cousin Portalis, le conseiller d’état et le directeur de la librairie. « C’était la veille de Noël, jour de réunion intime pour la famille Portalis. Avant dîner, l’abbé d’Astros pria son cousin de le conduire dans son cabinet pour écouter une communication qu’il avait à lui faire. Il invita en même temps un abbé Guairard, chef de division de la librairie, à les suivre. Arrivé dans le cabinet de M. Portalis, quand il fut assuré de ne pouvoir être entendu de personne, l’abbé d’Astros donna lecture à ses deux auditeurs du bref adressé au cardinal Maury. Ensuite il consulta son cousin sur les difficultés de sa situation, comprenant très bien qu’il ne pouvait faire aucun usage officiel d’une pièce qui lui était secrètement remise par des voies détournées. M. Portalis lui recommanda de la tenir très cachée, dans l’intérêt de la religion. Alors l’abbé Guairard, interpellant M. Portalis, lui demanda ce qu’il ferait si ce bref venait à être clandestinement imprimé. — Le directeur-général de la librairie, répondit M. Portalis, en prohiberait la circulation comme d’une pièce sans authenticité et dangereuse[48]. » De part et d’autre il ne fut point prononcé d’autres paroles. Certes c’étaient là de singuliers conspirateurs, ce prêtre qui allait prendre pour confident le conseiller d’état chargé de la surveillance des ouvrages à publier et ce fonctionnaire public qui n’hésitait pas à proclamer qu’il ferait en tout cas strictement son devoir. M. Portalis ne s’en tint pas là. Il jugea opportun d’aller prévenir le nouveau préfet de police, M. Pasquier. Il lui annonça que, si l’on n’y portait remède, un bref du pape à l’abbé Maury circulerait bientôt dans Paris. Il ajouta même que, si le duc de Rovigo envoyait chercher tels et tels ecclésiastiques qu’il désigna, et s’il leur déclarait lui-même qu’il connaissait l’existence du bref et qu’il les rendrait responsables de la publication, on pourrait peut-être prévenir un si fâcheux incident. Déjà il était trop tard. Soit en effet que l’abbé d’Astros eût multiplié ses confidences, soit plutôt que le bref en question eût été adressé à d’autres personnes, le bruit fut assez vite répandu au sein du clergé de Paris que le pape avait envoyé de Savone l’ordre de ne pas reconnaître la juridiction spirituelle du nouvel archevêque. Un trouble indicible régnait au sein du chapitre de Notre-Dame, qui officiellement ne savait pourtant rien. Grande était l’émotion du cardinal Maury, mais plus grande encore la colère de Napoléon. L’un et l’autre soupçonnaient fortement l’abbé d’Astros d’être la cause de tout le mal ; mais de preuve contre lui il n’y en avait aucune, lorsqu’une pièce tout à fait probante vint à tomber entre les mains de la police impériale. C’était un bref, en date du 18 décembre 1810, directement adressé au vicaire capitulaire de Paris contre l’administration diocésaine du cardinal Maury. Pie VII y disait que, pour enlever tout sujet de doute et pour plus grande précaution, il ôtait à l’archevêque nommé tout pouvoir et toute juridiction y déclarant nul et sans effet tout ce qui serait fait de contraire sciemment ou par ignorance. L’abbé d’Astros n’avait pas reçu ce dernier bref. Il avait été intercepté, soit à Savone, soit sur la route, par les espions du gouvernement ; mais comme le bref répondait expressément aux questions posées pas le vicaire capitulaire de Notre-Dame, c’était la pièce de conviction la plus irréfutable de ses relations avec le souverain pontife. « Cette découverte, dit l’auteur auquel nous empruntons une partie de ces détails, avait élevé la fureur de Napoléon contre le jeune chanoine à un état de paroxysme qui présageait de prochaines et formidables tempêtes[49]. » Plusieurs circonstances, ignorées probablement du biographe de l’abbé d’Astros, mais que révèle la correspondance du préfet de Montenotte. expliquent sans les justifier les excès de la colère impériale. Napoléon, avec la merveilleuse sagacité qui lui était habituelle, avait en effet prévu ou à peu près ce qui arrivait aujourd’hui. Un jour où il avait nommé M. d’Osmond à Florence et le cardinal Maury à Paris, l’empereur s’était bien douté que le saint-père ne laisserait point passer de semblables nominations sans protester. Il avait donc résolu d’ajouter quelques nouvelles précautions à celles qu’il avait déjà prises. L’évêque de Savone ne lui semblait plus, en sa qualité d’ecclésiastique, un personnage assez sûr pour servir d’intermédiaire au clergé près du souverain pontife. Il avait, par un décret en date du 23 novembre 1810, chargé M. de Chabrol d’exercer ces fonctions[50].

Conformément aux instructions qu’il avait reçues de Paris, M. de Chabrol avait été à se faire livrer tous les documens et papiers qui se trouvaient entre les mains de l’évêque de Savone, et, redoublant de vigilance, il avait pris ses mesures pour qu’aucune demande, de quelque nature qu’elle fût, ne pût parvenir sous les yeux du saint-père avant d’avoir été enregistrée au bureau du secrétariat…[51]. » Sans trop vouloir s’engager, le préfet de Montenotte espérait bien ne rien laisser sortir désormais de Savone qui pût gêner les desseins de l’empereur[52]. Ces dispositions inattendues avaient d’abord un peu surpris et mécontenté Pie VII, puis avec sa douceur accoutumée il en avait pris son parti[53]. Il avait recommencé à faire de nouveau bon accueil au préfet de Montenotte. Il y a plus, les lettres de M. de Chabrol arrivées le plus récemment à Paris montraient le pape assez disposé à écouter les ouvertures que l’on pourrait lui faire. Or c’était dans un pareil moment, après qu’il avait si bien disposé toutes choses pour isoler absolument le saint-père, quand il l’avait déjà presque dompté, à la veille du jour où il croyait le tenir enfin à sa merci, qu’éclatait par la faute de l’abbé d’Astros ce déplorable esclandre de l’archevêché de Paris. Malheur à qui avait ainsi osé le braver ! Déjà quelques mois auparavant, il avait songé à se défaire par l’exil de ce prêtre incommode ; cette fois il n’en serait pas quitte à si bon marché.

On était proche du 1er janvier 1811. L’empereur recevait aux Tuileries à l’occasion du commencement de l’année tous les grands corps de l’état et les plus importans fonctionnaires de son empire. Le jour de cette imposante cérémonie lui parut propice pour la scène qu’il méditait. Après avoir, l’air altier et le front soucieux, passé devant le sénat, et sans s’arrêter davantage devant le corps des généraux et celui des officiers de toute sorte qui encombraient la salle d’audience, l’empereur se dirigea tout droit vers le cardinal Maury. Celui-ci faisant déjà le geste de lui présenter le chapitre de Notre-Dame : « Où sont vos grands-vicaires ? demanda brusque-Napoléon. — Sire, voilà mon frère, voilà M. Jalabert. » — « J’avoue que je m’étais tenu un peu à l’écart, raconte M. d’Astros, à qui nous devons une narration très simple et fort exacte de cette scène singulière ; mais je ne voulais pas me faire chercher, et je me présentai[54]. » — « Voilà M. d’Astros, dit alors le cardinal. — Avant tout, monsieur, s’écria l’empereur, il faut être Français ; c’est le moyen d’être en même temps bon chrétien. La doctrine de Bossuet, voilà le seul guide qu’on doive suivre ; avec lui, on est sûr de ne pas s’égarer. J’entends que l’on professe les libertés de l’église gallicane. Il y a autant de distance de la religion de Bossuet à celle de Grégoire VII que du ciel à l’enfer. Je sais, monsieur, que vous êtes en opposition avec les mesures que ma politique prescrit. Vous êtes l’homme de mon empire qui m’est le plus suspect. Du reste (mettant la main sur la garde de son épée, ce qui était un geste assez familier à Napoléon, mais passablement déplacé en cette circonstance), j’ai le glaive à mes côtés, et prenez garde à vous ! » — « Rien ne me parut plus pitoyable que ces dernières paroles, continue M. d’Astros, et cette menace d’un souverain qui dominait alors sur toute l’Europe contre un pauvre prêtre en rochet et en camail, armé seulement de son bonnet carré. Je ne répondis rien, et je me contentai de regarder l’empereur sans affectation[55]. »

Les choses ne devaient pas en rester là. Avant de sortir des Tuileries, le cardinal Maury dit à l’abbé d’Astros que le ministre de la police désirait lui adresser quelques questions, et que, s’il voulait, ils iraient ensemble dans sa propre voiture jusqu’à l’hôtel du duc de Rovigo. Il ajouta qu’il n’y avait rien à craindre, et qu’il suffirait à l’abbé d’Astros de protester de son attachement aux libertés de l’église gallicane. L’abbé d’Astros accepta sans défiance. A coup sûr c’était une époque étrange que celle où un archevêque, où un membre du sacré-collège, celui-là même qui dans des temps troublés avait été naguère le défenseur le plus ardent des droits de l’église de France trouvait simple d’aller de ses propres mains livrer son grand-vicaire à la police du chef de l’état. L’interrogatoire subi par l’abbé d’Astros fut d’ailleurs assez court, et le résultat tel qu’il était facile de le prévoir. « N’avez-vous pas des correspondances avec le pape à Savone ? demanda le duc de Rovigo ? avez-vous vu un bref du pape au cardinal Maury ? Donnez votre démission, et tout sera fini. — Je ne puis. — Donnez, dis-je, votre démission, ou vous êtes mon prisonnier. — Je serai alors votre prisonnier. » A la nuit, ce fut M. Real qui intervint. Après avoir été faire à la maison de l’abbé d’Astros la visite de tous ses papiers, le conseiller d’état chargé du département de la police interrogea derechef le malheureux grand-vicaire. « L’empereur, lui dit-il, ne se met plus en peine de votre démission ; mais il veut absolument savoir qui vous a remis le bref du pape, et si vous ne le dites, vous ne reverrez plus votre famille, et il ajouta plus bas, ni peut-être la lumière[56]. » L’abbé d’Astros refusa, et la police était plus embarrassée que jamais, car on n’avait rien trouvé d’important dans ses papiers. Alors, se servant de l’une de ces ruses familières aux plus bas employés de son ministère, le duc de Rovigo s’adressa lui-même à l’abbé : « Nous n’avons plus besoin que vous nous disiez à qui vous avez montré le bref. Vous l’ayez montré à votre cousin. Il me l’a dit. » L’abbé d’Astros tombait des nues. Il pensa que M. Portalis avait tout raconté de son propre mouvement, et sans plus de difficultés il convint de ce qui s’était passé dans le cabinet du directeur-général de la librairie. C’était là tout ce que l’on voulait de lui. Il ne s’agissait plus que de statuer sur son sort. Napoléon, dépité : de ne pas trouver un complot mieux conditionné pour justifier sa vengeance, n’en déclara pas moins qu’il fallait faire fusiller l’abbé d’Astros. « Souvent, au milieu de ses accès de colère, il y avait un moment où le grand homme devenait trivial, dit le biographe ecclésiastique de l’abbé d’Astros. Il descendait alors jusqu’aux plus grossiers procédés, si les victimes étaient présentes, ou jusqu’à des menaces hyperboliques, si elles étaient absentes, a M. Regnault de Saint-Jean-d’Angely fit observer à son maître qu’il flétrirait une gloire bien belle dans une querelle bien petite. « Eh bien ! s’écria l’empereur, qu’on le jette en prison pour toute sa vie[57]. » L’abbé d’Astros fut en effet conduit peu d’heures après à Vincennes, où il resta enfermé jusqu’à la chute de l’empire. Parmi les membres du clergé, il ne devait pas d’ailleurs être seul à souffrir du courroux excité chez l’empereur par la bulle relative au cardinal Maury. Peu de temps après, les portes du donjon de Vincennes s’ouvraient pour recevoir les cardinaux di Pietro et Gabrielli. Ce dernier avait d’abord été conduit à la prison de La Force, où il avait été enfermé pendant quinze jours avec deux scélérats qui furent plus tard condamnés à mort. Ce qui est peut-être plus étrange que ces mesures elles-mêmes, c’est que l’homme chargé d’y présider, le duc de Rovigo, était sincèrement convaincu qu’elles étaient la preuve la plus éclatante de la mansuétude du régime impérial. A tous les malheureux ecclésiastiques que Napoléon lui envoyait pour qu’il les retînt prisonniers dans quelque sombre cachot, il ne se lassait pas de répéter incessamment ce qu’il venait justement de dire à l’abbé d’Astros lors de son premier interrogatoire. « Ah ! ah ! vous voudriez bien être martyr, mais vous ne le serez pas ! »

Arrivait maintenant le tout du pauvre M. Portalis. Quelle était sa faute ? Elle est vraiment difficile à deviner. Il semble qu’il en avait fait autant, un peu plus peut-être que ne l’exigeaient de lui ses devoirs de fonctionnaire ; mais l’empereur avait résolu de faire un solennel éclat propre à intimider désormais tout le monde. Il ne lui importait guère que sa colère fût juste ou injuste, qu’elle tombât sur un innocent ou sur un coupable. Cette colère elle-même était maintenant à peu près calmée. Napoléon était redevenu parfaitement maître de lui-même à la séance du conseil d’état dont il nous reste maintenant à rendre compte. La scène à laquelle il allait se livrer comme malgré lui était de sa part si bien préparée d’avance que, parmi les nombreux témoins auxquels nous l’avons maintes fois entendu raconter, il en est un, collègue de M. Portalis, qui, sans rien comprendre alors aux paroles du duc de Rovigo, se souvenait parfaitement d’avoir entendu ce ministre lui dire de se bien garder, s’il rencontrait le directeur de la librairie, de le détourner de se rendre à la séance. Pourquoi cette recommandation ? Le motif en apparut clairement lorsqu’une minute après l’empereur vint prendre place au fauteuil de la présidence. Nulle trace d’émotion ne se lisait sur son visage. Avec l’accent le plus calme, il commença par appeler quelques affaires courantes ; puis il se mit à demander à voix basse à ses voisins si M. Portalis était là. M. Portalis y était en effet et répondit à l’appel de son nom. Alors se levant avec impétuosité, et du ton de quelqu’un qui cède à un mouvement qu’il n’est pas libre de contenir, Napoléon apostropha le malheureux conseiller d’état en lui demandant de quel front il osait bien se présenter dans cette enceinte après la trahison dont il était coupable. « N’était-ce pas en effet la plus abominable des trahisons d’avoir favorisé une correspondance rebelle avec le pape, avec un souverain étranger ? Jamais plus indigne perfidie ne s’était vue, et dans le cours de sa vie il n’en avait éprouvé aucune dont il se sentit plus révolté, et cette perfidie partait d’une famille qu’il avait comblée de biens, elle lui venait d’un homme qu’il avait honoré de sa bienveillance particulière. Les paroles lui manquaient pour exprimer son indignation, elle allait au-delà de tout ce qu’il pouvait dire. » Cette philippique, que nous résumons en quelques lignes, ne dura pas moins d’un quart d’heure. Quand elle fut finie, tout le monde resta muet d’épouvante et de stupéfaction. M. Portalis était comme anéanti. À peine trouva-t-il à balbutier quelques paroles entrecoupées pour assurer qu’il ne croyait pas avoir manqué à ses devoirs en ne dénonçant pas personnellement un parent et un camarade d’enfance qu’il s’était d’ailleurs efforcé de retenir sur la pente dangereuse où il avait eu le tort de se laisser précipiter ; mais l’empereur, sans l’écouter, se mit avec une nouvelle véhémence à recommencer de plus belle sa terrible allocution. Alors se produisit un épisode qui ne laissa pas que d’étonner un peu l’assistance. Le préfet de police, M. Pasquier, profitant d’un moment de répit pendant lequel l’empereur s’arrêta pour reprendre haleine, eut le courage de se lever et de dire qu’il était de son devoir de compléter la défense de M. Portalis, de suppléer à ce que son émotion ne lui avait point permis d’exprimer. Il raconta l’avertissement donné par le directeur-général de la librairie, et dont il avait fait part lui-même au duc de Rovigo. « La confidence de M. Portalis excluait toute idée de trahison, et s’il fallait absolument qu’il y eût un coupable, peut-être le plus grand tort lui revenait à lui-même, qui n’avait pas tiré de cet avertissement tout le parti possible. » Ce court et généreux plaidoyer en faveur de M. Portalis ne parut faire aucune impression sur l’empereur, ou plutôt, à voir l’expression mécontente de son visage, on eût dit qu’il en était presque offensé. Ce n’était pas à M. Pasquier qu’il en voulait, ce n’était pas son préfet de police qu’il souhaitait intimider ni punir ; c’était le monde religieux et sincèrement catholique, c’était la société presque entièrement ecclésiastique où vivait habituellement M. Portalis. Quoique l’estimant peut-être davantage pour sa hardiesse, il savait mauvais gré à M. Pasquier de son incommode intervention ; elle ne pouvait d’ailleurs sauver celui qu’il avait d’avance choisi pour sa victime. Reprenant donc contre lui ses plus rudes invectives, à peine un instant interrompues, il termina la scène par ces foudroyantes paroles : Sortez, monsieur, et que je ne vous voie jamais devant mes yeux. Tel était l’état où cette dernière apostrophe avait mis M. Portalis qu’il quitta incontinent sa place, oubliant sur le bureau qui était devant lui son portefeuille et son chapeau, qu’il lui fallut plus tard envoyer reprendre par un huissier. L’impression de tristesse et d’effroi ressentie par tous les membres du conseil d’état fut si générale qu’aucun d’eux n’osa de quelque temps faire entendre sa voix dans cette salle où semblaient résonner encore les impitoyables accens du maître. M. Regnault de Saint-Jean-d’Angely essaya de prononcer quelques mots ; mais l’empereur le fit taire. Il était toutefois visiblement embarrassé de l’effet produit et qui avait dépassé son attente. Au lendemain de la séance, Cambacérès, accoutumé cependant aux orages de la colère impériale, disait à M. d’Hauterive, qu’une indisposition avait empêché de s’y trouver : « Vous êtes bien heureux ! pour moi, j’en suis encore malade. » Et voilà, qui le croirait ? la scène que M. de Las-Cases a représentée dans le Mémorial de Sainte-Hélène comme une sorte d’admonition paternelle donnée par l’empereur à M. Portalis avec une bonté véritablement attendrissante.


IV

Tout n’était pas fini cependant. Restait encore à atteindre celui qui, aux yeux de Napoléon, était le grand coupable, c’est-à-dire le prisonnier de Savone. En vain chercherait-on dans la correspondance de Napoléon Ier les lettres relatives aux mesures prises à cette époque contre le saint-père : on ne les y trouvera point, sans doute, ainsi que nous le lisons dans la préface du seizième volume, parce que ces lettres ne sont pas du nombre de celles qu’il aurait livrées à la publicité, si, se survivant à lui-même et devançant la justice des âges, il avait voulu montrer à la postérité sa personne et son système[58]. Ces pièces, à notre sens, font au contraire si parfaitement connaître et la personne et le système que nous nous ferions scrupule d’en priver nos lecteurs.


« Écrivez au préfet de Montenotte, mande Napoléon à son ministre des cultes, pour lui faire connaître la lettre que le pape a écrite au grand-vicaire de Paris, afin d’éclairer ce fonctionnaire sur la mauvaise foi du pape, qui, sous des apparences de conciliation et de charité, excite en secret la discorde et la rébellion. Donnez-lui l’ordre d’empêcher qu’aucun courrier ne soit reçu ni expédié avec des lettres pour le pape et sa suite, et pour que la poste ne fasse partir ni ne lui fasse remettre aucune lettre. Il faudra pour cela qu’il soit sûr du directeur des postes. Vous lui ferez connaître que je fais venir l’évêque de Savone à Paris afin d’ôter au pape un canal de communication. Vous donnerez effectivement l’ordre au prélat de venir à Paris, où je désire le voir. Vous prescrirez au sieur Chabrol d’avoir dans ses conversations un ton plus ferme, de représenter au pape qu’il fait du tort à la religion, qu’il cherche à semer le trouble et la division, qu’il néglige la douceur et les bonnes manières (sic), qui auraient pu réussir auprès de moi, qu’il n’obtiendra rien par les moyens qu’il emploie, et que l’église finira par perdre le reste de son temporel, que ceux qui seront assez fous et assez ignorans de leurs devoirs pour l’écouter perdront leur place, et que ce sera par sa faute. Il faut que cela soit dit avec vigueur. Il doit voir également ceux qui entourent le pape et les éclairer sur les fâcheuses conséquences que cela aura pour eux. Il est inutile que le pape écrive. Moins il fera de besogne et mieux cela vaudra. Il est nécessaire : 1° que le préfet envoie un état des individus qui sont auprès du pape, qu’il désigne les plus grands travailleurs, afin que je les renvoie pour ôter au pape le moyen d’écrire et de répandre le poison ; 2° que vous donniez ordre au préfet de ne plus expédier les lettres du pape pour le royaume d’Italie, le royaume de Naples, la Toscane, le Piémont, la France, de ne lui remettre aucune lettre et de les envoyer toutes ici. Vous en ferez le triage, et l’on ne donner à cours qu’aux lettres dont l’émission sera sans inconvénient. Faites-vous en conséquence envoyer toutes celles que le pape écrirait et celles qui lui seraient adressées. En général, moins ce qu’il écrit parviendra et mieux cela vaudra. »


Il est triste de lire ces prescriptions écrites de la main de celui qui, prisonnier à Saint-Hélène, devait un jour se plaindre si amèrement des souffrances de la captivité, et reprocher à ses geôliers des traitemens dont la rudesse n’approcha jamais de ceux qu’il avait lui-même cruellement appliqués au détenu de Savone. Se donner le plaisir de faire souffrir le pape dans sa personne, tel était bien le dessein de l’empereur, dont il ne songe nullement à se cacher.


«… Vous ferez connaître au préfet et au prince Borghèse que mon intention est que l’intérieur du pape se ressente du mécontentement que j’ai de sa conduite, et que l’état de sa maison soit réglé de façon à ne pas dépenser plus de 12 à 1,500 francs par mois. Les voitures qui avaient été mises à sa disposition pour lui et sa maison (le pape ne s’en était jamais servi) seront renvoyées à Turin. Recommandez au sieur Chabrol de ne plus rien dire dans ses discours qui tende à faire croire au pape que je désire un accommodement. Son langage doit être qu’après son excommunication et sa conduite à Rome, qu’il continue à Savone, je dois m’attendre à tout de lui, que je m’embarrasse fort peu de ce qu’il peut faire, que nous sommes trop éclairés pour ne pas distinguer la doctrine de Jésus-Christ de celle de Grégoire VII[59]… »


Les ordres de l’empereur furent exécutés à la lettre. Ils parvinrent à M. de Chabrol par le canal du prince Borghèse, qui s’était de sa personne transporté à Gênes afin d’être plus près du théâtre de l’action. Ce fut dans la nuit du 8 janvier 1811 que le préfet de Montenotte se rendit au palais de l’évêque de Savone pour saisir toute la correspondance et les papiers du saint-père. « Tout le monde, écrit-il, était encore enseveli dans le sommeil ; rien n’a pu échapper aux recherches[60]. » Les recherches dont parle le préfet de Montenotte furent pratiquées avec un soin extrême par des hommes envoyés exprès de Paris et qui savaient leur métier. On visita tous les appartemens, on ouvrit ou l’on força tous les tiroirs. On prit soin de découdre les vêtemens de chacun, même ceux du pape. Ce que ne dit point M. de Chabrol, et ce qu’il ignora peut-être, on crocheta le secrétaire de Pie VII pendant qu’il était descendu se promener dans le petit jardin de l’évêché[61]. Tous les livres trouvés pendant cette perquisition minutieuse furent mis de côté, et l’on enleva au saint-père son écritoire, ses plumes, jusqu’à son bréviaire, jusqu’à un petit office de la Vierge qu’il portait presque toujours avec lui, ainsi qu’une bourse en peau qui contenait un certain nombre de pièces d’or, et que l’on trouva dans l’appartement de Mgr Doria. « Passe pour la bourse, dit Pie VII ; mais que pourront-ils faire de mon bréviaire et de l’office de la Vierge ? » On fit également un paquet de tous les papiers, qui furent envoyés à Gênes, où des agens experts, choisis à Paris par le duc de Rovigo, les examinèrent de très près. Des rapports envoyés au duc de Rovigo il résulta que les personnages qui composaient la maison du saint-père n’étaient pas des gens dangereux ni malintentionnés, et surtout qu’il n’y avait parmi eux aucun de ces travailleurs que Napoléon redoutait tant de laisser auprès du pape[62]. Cependant, pour plus de sûreté, et sans doute afin de faire quelque chose de particulièrement pénible à Pie VII, on fit partir pour Fénestrelle les serviteurs obscurs qui paraissaient jouir plus particulièrement de sa confiance. C’est ainsi qu’on lui enleva à sa grande surprise jusqu’au vieux valet de chambre qui lui servait de barbier. Dans les papiers, compulsés avec soin, on ne découvrit rien que de très insignifiant. Les pièces d’or trouvés chez Mgr Doria étaient le produit d’une collecte que de pieux catholiques avaient faite pour subvenir aux besoins du saint-père. Dans la liste des donataires, que Mgr Doria avait gardée, et qui fut envoyée à Paris, l’empereur eut le désagrément de lire les noms de plus d’une personne appartenant à son gouvernement et même à sa cour. Il put, entre autres, y rencontrer tous ceux de la noble famille génoise des Brignole, attachée depuis des générations à la cause du saint-siège.

L’annonce que toutes ses intentions au sujet du saint-père avaient été si rigoureusement accomplies à Savone ne suffit pas à calmer encore le ressentiment de Napoléon. Le 20 janvier 1811, après avoir reçu le rapport de M. de Chabrol, il écrivit à son ministre des cultes une seconde missive qui ne figure pas plus que la première dans sa correspondance :


« Monsieur le comte, écrit-il à M. Bigot de Préameneu, j’ai reçu votre lettre avec le rapport du préfet de Savone du 11 janvier. Mon intention est que vous écriviez au préfet que le pape ne doit se mêler de rien, et comme il a lui-même proposé de ne se mêler de rien, si on le lui signifiait, je vous autorise à lui faire cette signification. Le préfet doit lui faire connaître que tous les chanoines et théologiens de France et d’Italie sont indignés des lettres qu’il a écrites aux chapitres, que par cette conduite il a été cause de l’arrestation de trois chanoines à Florence et de la confiscation de leurs prébendes, de la même sévérité exercée envers le chapitre d’Asti, et de l’arrestation du cardinal di Pietro, du chanoine d’Astros, de l’abbé Fontana, de l’abbé Gregori, qui tous ont été « éloignés » (sic) de manière qu’ils ne puissent jamais faire de mal ; que ces pratiques ténébreuses sont indignes d’un pape ; qu’il sera cause des malheurs de tous ceux avec lesquels il correspondra ; que, déclaré ennemi de l’empereur, il doit désormais rester tranquille, et, puisqu’il se dit lui-même arrêté, se conduire comme tel, et cesser de correspondre soit avec ses agens, soit avec ceux qui auraient noué quelques relations avec lui ; qu’il est fâcheux pour la chrétienté et pour l’église d’avoir un tel pape, aussi ignorant de ce que l’on doit aux souverains ; mais que du reste l’état ne sera pas troublé, et que le bien s’opérera sans lui. Vous écrirez en outre au préfet de Montenotte qu’il ait à prendre toutes les mesures nécessaires pour que le pape ne puisse communiquer avec personne, pour que les auberges de Savone et les voyageurs soient surveillés, et enfin pour ne rien laisser passer. Vous lui ferez connaître que le ministre de la police lui écrira pour les personnes qui doivent être arrêtées, renvoyées ou conservées auprès du pape[63]… »


Voilà certainement des sévérités et des rudesses qui laissent loin derrière elles celles de sir Hudson-Lowe. Le commissaire du gouvernement anglais, qui eut l’étrange petitesse de refuser à Napoléon le titre de souverain, ne songea du moins jamais à lui enlever ; sa glorieuse épée de capitaine. L’empereur, qui songeait à tout, n’oublia pas de faire enlever au saint-père son humble anneau du pêcheur. C’était de sa part une idée fixe. Déjà il avait écrit à plusieurs reprises à Rome pour qu’on recherchât cet anneau partout, et qu’on l’envoyât à Paris ; mais on ne l’avait pas trouvé. Cette fois on espérait bien être plus heureux. Nouvelle déception, l’anneau du pêcheur avait été renfermé par Pie VII dans le sac de peau où Mgr Doria avait mis l’argent provenant du denier de saint Pierre. On avait rendu, sans y regarder, et le sac et l’argent, et par conséquent l’anneau à Pie VII. Quand le prince Borghèse s’aperçut de sa fâcheuse méprise, il donna les ordres nécessaires pour que l’on se procurât à tout prix cet anneau, sans toutefois employer la violence, s’il se trouvait dans les mains du pape ; mais Pie VII ne le portait pas à son doigt : on ne l’avait vu nulle part. Le capitaine de gendarmerie La Gorse se décida alors à le demander simplement au saint-père.

Jusque-là, Pie VII n’avait pas montré la moindre apparence de mauvaise humeur. Aux reproches de M. de Chabrol, qui a bien soin d’assurer dans sa correspondance qu’il a littéralement répété au souverain pontife les propres expressions de l’empereur, et qu’il a notamment, aux termes de ses instructions, traité sa sainteté de pape ignorant de ce que l’on doit aux souverains [64], Pie VII n’avait jamais répondu qu’avec la plus extrême douceur. « Il est inutile, avait-il dit, de revenir continuellement sur des choses qui lui avaient déjà été tant de fois signifiées ; si on le privait de l’exercice de la puissance spirituelle qui lui appartenait, cet état de choses ne durerait qu’aussi longtemps qu’il plairait à la Providence de le maintenir. Pour lui, il était résigné à tout, et, s’il ne trouvait pas sa récompense dans ce monde, il la trouverait dans l’autre…[65]. » On peut remarquer, ajoute M. de Chabrol, qui rapporte les paroles textuelles du pape, qu’il ne répond à tout que par une résignation et une indifférence véritablement extraordinaires sur son sort… Mais à la réquisition du capitaine La Gorse Pie VII, jusque-là inébranlable, se sentit profondément ému. Était-ce ressentiment de ce dernier et incompréhensible affront ? Était-ce crainte qu’on ne fît un usage frauduleux du sceau du pêcheur, qui d’ordinaire sert à revêtir les actes les plus importans émanés du chef de l’église catholique ? Toujours est-il qu’après un peu d’hésitation le pape remit son anneau au capitaine de gendarmerie ; mais il avait pris auparavant la précaution de le briser en deux, et ce fut dans cet état que le prince Borghèse le fit parvenir à l’empereur[66]. En même temps qu’il traitait ainsi le pape à Savone, Napoléon prenait d’autres mesures qui dévoilaient jusqu’à un certain point les projets qu’il formait alors pour l’avenir. Quels étaient ces projets, conçus dans un moment de si violente irritation ? On peut les supposer d’après certains passages de sa correspondance qui n’ont pas été soustraits cette fois à la connaissance du public. « …… Le pape, écrivait Napoléon le 3 janvier 1811 au vice-roi d’Italie, le pape joint à la plus humble conduite la plus grande hypocrisie…..[67]. » Le 5 du même mois, il ordonnait à son bibliothécaire, M. Barbier, de lui envoyer le plus tôt possible le résultat de ses recherches sur la question de savoir « s’il y avait des exemples d’empereurs qui aient suspendu ou déposé des papes[68]. » Afin de préparer les esprits à cette déposition éventuelle d’un pape, un livre venait de paraître à Paris avec ce titre : Essai sur la puissance temporelle des papes sur l’abus qu’ils ont fait de leur ministère et sur les guerres qu’ils ont déclarées aux souverains, spécialement à ceux qui avaient la prépondérance en Italie. Cet ouvrage, censé traduit de l’espagnol, était de M. Daunou, directeur des archives impériales, et c’était l’empereur qui le lui avait commandé.

Tels sont, d’après des documens dont l’authenticité est irrécusable, les événemens qui précédèrent de quelques mois seulement l’ouverture du concile national de 1811. Avant de raconter ce qui se passa dans cette grande assemblée ecclésiastique, il nous faut parler de la négociation préalablement entamée par l’empereur avec le pape. M. de Barral, archevêque de Tours, qui fit partie de la députation envoyée à Savone, a donné dans ses Fragmens relatifs à l’histoire ecclésiastique du dix-neuvième siècle un certain nombre de pièces qui ont rapport à cette négociation ; mais, soit qu’il ne l’ait pas connue, soit qu’il se crût intéressé à la dissimuler quelque peu, ce prélat n’a pas rapporté la vérité tout entière. Nous tâcherons dans notre prochain travail de suppléer à son silence.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 15 juin.
  2. Voyez la Revue du 1er décembre 1867.
  3. Lettre de M. le comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, à sa sainteté Pie VII, 7 juin 1809.
  4. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, Schœnbrunn, 15 juillet 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 246.
  5. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, Schœnbrunn, 15 juillet 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XLX, p. 246.
  6. Lettre de M. Giry à M. le comte Bigot de Préameneu, 20 juillet 1809.
  7. Lettre de M. Giry à M. le comte Bigot de Préameneu, 5 août 1809.
  8. Ibid.
  9. Voyez la lettre du cardinal Fesch, du 7 août 1809, citée dans la Revue du 15 avril 1868.
  10. Relation manuscrite en italien du valet de chambre du pape. — British Muséum, n° 8,389.
  11. Manuscrit italien du volet de chambre du pape. — British Muséum, n° 8,389.
  12. Voyez la lettre de M. de Barrai, archevêque de Tours, adressée au pape le 4 août 1809. — Fragmens relatifs à l’histoire ecclésiastique du dix-neuvième siècle, p. 81.
  13. Bref adressé à M. le cardinal Caprara à Paris. Savone, 26 août 1809.
  14. Lettre de M. Hugues Maret, duc de Bassano, à M. Bigot de Préameneu, Fontainebleau, 27 septembre 1809.
  15. Rapport de M. le comte Bigot de Préameneu à l’empereur, 22 novembre 1809.
  16. Lettre de M. le comte Bigot de Préameneu à l’empereur, 7 décembre 1809.
  17. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XII, p. 75.
  18. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XIII, p. 35.
  19. Lettre de M. le chevalier de Lebzeltern à M. le comte de Metternich, 16 mai 1810.
  20. Ibid.
  21. Lettre de M. le chevalier Lebzeltern au comte de Metternich, 16 mai 1810.
  22. Dépêche du chevalier de Lebzeltern au comte de Metternich, 16 mai 1810.
  23. Lettre de M. de Chabrol à M. Bigot de Préameneu, 5 juillet 1810.
  24. Ibid.
  25. Lettre de M. de Chabrol à M. le comte Bigot de Préameneu, 7 juillet 1810.
  26. Lettre de M. le baron de Chabrol à M. le comte Bigot de Préameneu.
  27. Lettre de M. le baron de Chabrol à M. le comte Bigot de Préameneu.
  28. Ibid., 9 juillet 1810.
  29. Ibid., 10 juillet 1810.
  30. Ibid., 11 juillet 1810.
  31. Rapport fait par le commandant de la gendarmerie et certifié par le préfet de Montenotte, 12 juillet 1810.
  32. Lettre circulaire de M. le comte Bigot de Préameneu aux évêques d’Asti, de Liège, de Poitiers et de Saint-Flour, 3 août 1810.
  33. Mémoire manuscrit de l’abbé d’Astros, plus tard cardinal et archevêque de Toulouse, cité dans sa biographie par le R. P. Caussette, p. 170.
  34. Lettre du cardinal Fesch à M. le comte Bigot de Préameneu, 30 août 1810.
  35. Lettre du cardinal Fesch à M. le comte Bigot de Préameneu, 4 septembre 1810.
  36. Vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, t. II, p. 174.
  37. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 16 novembre 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 277.
  38. Voyez la Vie épiscopale de M. d’Osmond, par l’abbé Guillaume, p. 565 et suiv.
  39. Lettres des cardinaux et évêques à sa sainteté Pie VII. Fragmens ecclésiastiques, p. 82.
  40. Voir les Mémoires du cardinal Pacca et la Correspondance de M. de Barral conservée à l’archevêché de Tours.
  41. Voyez la notice historique sur M. le chevalier de Thuisy dans la Biographie universelle, t. LXXX1V.
  42. . « … Primo de terminare questa nostra lettera la previamo che continua encora quella fiducia con qui la reputammo delegato apostolico in Roma, onde negli eatremi bisogni non abbia alcun scrupulo di procurare per se e per altri suoi colleghi la salute spirituale dei fideli…. » Extrait d’une lettre du pape au cardinal di Pietro en date du 30 novembre 1810. (Cette lettre paraît avoir été trouvée parmi les papiers personnels du saint-père lorsqu’on crocheta son secrétaire à Savone pendant qu’il se promenait dans le petit jardin de l’évêché.)
  43. Rapport du duc de Rovigo, ministre de la police, à l’empereur, 1er février 1811.
  44. Narrazione intorno alle diocesi di Firenze, Torino, 1859. Citée par l’abbé Guillaume, Vie épiscopale de M. d’Osmond, p. 568 et suiv.
  45. Narrazione, etc., p. 18.
  46. Voyez la Vie épiscopale de M. d’Osmond, p. 570 et suiv.
  47. Mémoire manuscrit de M. l’abbé d’Astros, cité dans la Vie du cardinal d’Astros, archevêque de Toulouse, par e R. P. Caussette, p. 175.
  48. Vie de M. le cardinal d’Astros, par le R. P. Caussette, p. 197 et 198.
  49. Vie de M. le cardinal d’Astros, p. 183.
  50. Lettre de M. Bigot de Préameneu à l’empereur, et décret du 23 novembre 1810.
  51. Lettre de M. le baron de Chabrol au ministre des cultes, 8 décembre 1810.
  52. « … Cependant il se pourrait que les gens de la suite de sa sainteté, qui ont la faculté de sortir au dehors, et qui ont formé quelques relations, pussent se charger de recevoir et de transmettre au pape les demandes qui leur seraient remises en secret. Je ne puis opposer à cette infraction aux instructions qui me sont prescrites que des moyens de surveillance les plus sévères. Diverses personnes sûres dans le palais, et notamment M. le commandant de gendarmerie ainsi que les officiers qui sont sous ses ordres, se sont chargés de m’instruire de tout abus qui pourrait s’introduire sous ce rapport, et de l’empêcher par tous les moyens qui sont en leur pouvoir. Des agens extérieurs m’en préviendront de leur côté… » (Lettre de M. le préfet de Montenotte au ministre des cultes, 8 décembre 1810.)
  53. . « Après quelques jours d’émotion, sa sainteté a repris sa sérénité accoutumée. « (Lettre de M. le préfet de Montenotte au ministre des cultes, 27 décembre 1810.)
  54. Mémoire manuscrit de l’abbé d’Astros sur les événemens qui précédèrent sa captivité.
  55. Ibid.
  56. Mémoire de l’abbé d’Astros sur leBsévénemens qui précédèrent sa captivité.
  57. Vie de M. le cardinal d’Astros, par le R. P. Caussette.
  58. Rapport à l’empereur Napoléon III, t. XVI, de la Correspondance de Napoléon Ier.
  59. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 31 décembre 1810. — Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  60. M. de Chabrol à M. le ministre des cultes, 8 janvier 1811.
  61. Relation manuscrite italienne du valet de chambre du pape. — British Muséum, n° 8,389.
  62. Rapport de police sur les personnes composant la maison du pape, Savone, 8 janvier 1811.
  63. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 20 janvier 1811.
  64. Lettre du baron de Chabrol à M. Iè comte Bigot de Préameneu, 2 février 1811.
  65. Ibid.
  66. Lettre du prince Borghèse à l’empereur Napoléon, 14 mars 1811. — À la suite de la copie de la lettre du prince Borghèse, dont l’original doit avoir été conservé dans les archives impériales, se trouve cette note. « L’original, avec l’anneau coupé en deux morceaux, a été remis le 14 avril 1814 à M. Giry pour être porté à M. Beugnot, commissaire de l’intérieur et des cultes. »
  67. Lettre de l’empereur au vice-roi d’Italie, 3 janvier 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 351.
  68. Note pour le bibliothécaire de l’empereur, Paris, 5 janvier 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 351.