L’Angelus des sentes (recueil)/À Léon Deschamps

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 107-113).


À Léon Deschamps

IV


Et puisque désormais, tu seras dieu du rêve
Sois propice aux rêveurs, tes enfants !
Léon Deschamps


Toi, qui tressas aux purs poètes des couronnes
D’héroïques lauriers dont l’éclat radieux
Est semblable à celui des lauriers qui fleuronnent
Les autels que l’Hellade élevait à ses dieux ;

Toi qui pris aux beaux luths d’où goutte un divin sang
Comme des hauts mélèzes bleus coulent les baumes,
Les chants d’aube ! pour rajeunir le front des hommes ;
Toi qui bâtis à l’Art un temple éblouissant ;

 
Déjà tes yeux ont lu les mystères savants,
Car Apollon a clos, aux terrestres lumières,
Tes mortels yeux plus doux que les grands lacs rêvants !
Tu vêts l’éternité de ta forme première.

Et nous voici, nous tous que ton cœur adorait,
Prosternés de sanglots devant ton départ sombre,
Et nous prions vers Toi comme pleurent, dans l’ombre,
Les cieux quand un soleil triomphant disparaît !

Les dieux ont bu ta jeune vie dont ils nous privent,
Et notre appel d’aurore est mort aux bois pleurants,
Et nous marchons, vers les Jours d’or, par les torrents,
Mais sans ta Voix pour en illuminer les rives !



Puisque tu vis au sein des séraphiques flammes
Où s’élabore l’âme éternelle des mondes,
Ah ! qu’à nos désirs vains ta tendresse réponde :
Donne-nous le pain pur qui nourrira les âmes !

Fais ruisseler en nous comme un fleuve joyeux,
L’azur qui brille au front des heureuses journées,
Puis de ton Rêve éclaire un peu les destinées,
Donne-nous le soleil qui ravira les yeux !

Fais que notre allégresse enguirlande les bras
Et remplisse la vie de l’homme solitaire,
Tu sais que de la joie auguste renaîtra
L’étoilement promis aux fêtes de la terre.


Que de ton souffle élu, notre souffle s’imprègne,
Enivre notre lyre au vin de tes clartés !
Nous voulons refleurir les yeux de la Beauté
Avant d’en imposer au monde le doux règne !


La terre nous invite à ses lyriques joies,
Nous t’apporterons l’or de ses hymnes tremblés :
Au soleil de nos cœurs ton beau Rêve flamboie
Comme la plaine brille aux lumières des blés.

Reviens comme un dieu d’aube enivrer les bouleaux,
Tu berceras les bois de pitié bénissante,
Tu feras battre en nous de fécondants sanglots
Et nous boirons ton rire aux branches frémissantes.


Dans les combats divins sois notre ardent Tyrtée.
Dicte-nous l’amour des universelles lois.
Nous achèverons l’Œuvre humaine, près de Toi,
Dans l’exemple éclatant de ton âme indomptée.

Et si la Nuit plus sombre arrête nos pas clairs
Que ta force immortelle en consume les voiles !
Pour qu’un vent d’harmonie pourpre nos fronts d’éclairs
Et qu’à nos luths scintille un univers d’étoiles.