L’Angelus des sentes (recueil)/Invocation

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 23-28).
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ÉGLOGUES



Les blés adorent Dieu plus purement que l’homme.
Saint-Georges de Bouhélier

Invocation


Rocs des abîmes bleus de buis ! et toi, lumière
Entre les bras de qui tressaillent les chaumières
Qu’habitent sur les monts d’éblouissants bergers ;
Églises de verdure et de roses, vergers
Gonflés de fraises d’or, de menthes et de pommes
Qui mûrissez la force et la douceur des hommes

Et baignez d’azur frais leur mortelle beauté ;
Vignes fières des fruits que vos bras ont portés,
Par le soleil, ainsi que des mères ravies ;
Plaines qui me chantez le poème de vie ;
Côteaux d’où coule un flot de candides soûleurs
Qui nourrissez la brise avec le pain des fleurs
Et qui, voulant votre âme à quelque éden pareille,
La parfumez pour moi de pampres et d’abeilles
Et bercez un printemps de nids à vos rameaux ;
Mystérieux torrents qui connaissez les maux
Dont sur vos bords d’exil palpite l’âme humaine ;
Sources ensoleillées qu’au pied des fleurs promène
L’auguste main d’un dieu caché dans les roseaux ;
Forêts qui répandez les hymnes des oiseaux
Afin d’illuminer les maisons et les lyres ;
Lys dont la pureté monte en tremblants sourires
Et guirlande d’éclairs le torse des rochers ;
Brins d’herbe tressaillant comme des seins cachés,
Vallons pamprés d’azur comme ceux d’Ionie ;
Jardins où vit, au sein des roses, l’harmonie ;
Saules dont l’aube blanche a baisé les cheveux

Qui sanglotez, le long des rives, des aveux
Plus attendris que ceux que les vierges soupirent ;
Lac où flotte et triomphe un lumineux empire
D’ondines dont les yeux sont les yeux d’or des soirs ;
Rivages parfumés d’enfants blonds ; reposoirs
De myrtes où s’assied la nuit souffrante et grave,
Pins qui baignez vos clartés sombres dans les gaves
À l’heure où la montagne accueillante s’endort ;
Sommets où les couchants luisent en gouttes d’or
Comme teints du sang pur de quelque cœur sublime,
Cabanes qui penchez vos fronts vers les abîmes ;
Pâturages et vous zéphyrs qui les baisez,
Mer mouvante d’épis, champs radieux, laissez
Doux compagnons ! en qui l’éternité flamboie
Mon âme ! vous vêtir de sa naissante joie.
J’apporte l’ode heureuse où l’amour resplendit.
Car un matin d’idylle bleue vous m’aviez dit
Vous tous qui me parlez avec des voix berçantes :
— « Abaisse, comme un ciel, ta lyre bénissante
Sur notre force aveugle et sur notre beauté ;
Ombrage notre nuit de vivantes clartés

Et brûle nous du feu de ta grâce féconde
Pour que chante à toujours en nous l’âme du monde
Et qu’au temple éternel où grondent nos courroux
Un peu de la souffrance humaine batte en nous ! »