L’Angelus des sentes (recueil)/L’Angelus des sentes

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 65-71).


L’Angelus des Sentes


À Stéphane Servant

Ta bouche, aube de lait ! baisant l’éveil des trembles,
Illuminait le front des promontoires bleus,
Quand un faune lauré de buis miraculeux,
A dit aux sentes d’or où des narcisses tremblent :

— « Ô vous, luisant du sang des narcisses moroses,
Vous qu’enivre la joie des dieux et des oiseaux,
Et qui naissez comme Aphrodite, au bord des eaux
Et qui, comme elle, vous couronnez d’humbles roses !


Vous dont l’herbe tressaille et dont j’ai foulé l’herbe,
Les pieds ensanglantés de fleurs et de rayons,
Vous avez éveillé mon enfance superbe
Dans un chaste émerveillement de papillons !

Car en vous s’est ouverte, ainsi qu’en un doux temple,
Mon âme et sa ferveur sauvage pour l’azur,
Et vous parez de tout l’éclat des rameaux amples
Les colombes que vous offrez à mes doigts purs.

Vous suspendez des luths aux genièvres rêvants
Et vous tendez aux jeunes nids la chair des mûres
L’amour d’Atys vous berce et l’azur vous murmure
L’hosanna des cieux clairs et des matins vivants ! »


Et les sentes aux pas troublants, ont répondu :
— « Comme toi nous aimons les cimes murmurantes.
Nos bras mélodieux vers l’azur sont tendus
Et nous livrons aux vents nos lèvres d’amarantes.


Des vols brillants de papillons y viennent boire
L’odorante douceur des baisers rajeunis,
Sur nos seins renaissants qu’une déesse moire
Les séraphins en pleurs posent leurs luths bénis.

La brise ouvre son âme aux herbes qui nous vêtent,
Un peu de ciel nous dore et les chênes nous font
Des arceaux de verdure heureuse où les fauvettes
Piquent, comme des fleurs enflammées, leurs nids blonds.

Et nous chantons avec les nids qui nous adorent,
Et nous faisons, aux lueurs douces de leurs cris,
Scintiller, dans les cœurs humains, des voix d’aurore.
Dans nos fleurs nous baignons les pieds nus d’Eucharis.

Sanglant, sur nous, le ciel, tel un beau songe, tombe !
Mais l’aube attendrissante enrubanne les houx
Afin que les enfants foulent nos gazons roux
Et que le bois embaume un printemps de colombes !


Notre candeur s’ombrage au temple des taillis.
Sur nous, au gré des vents, grondent les feuilles glauques !
Les rocs coiffent nos fronts de lumineuses loques
Quand Hécate nous tend le sombre lait des lys.

Nous promenons l’émoi des amants éperdus
Vers qui sonne le rire ardent des asphodèles.
Et parfois, pour eux seuls, à nos yeux étincelle
L’azur mystérieux des horizons perdus.

Nous saluons d’encens, de roses et d’accords
La venue des pasteurs dont les pipeaux résonnent,
Car les troupeaux sacrés en passant abandonnent
À nos bras blancs de beaux flocons de laine d’or.

Près de nous pour calmer quelque nymphe malade,
Dans la forêt profonde où flamboient des fruits mûrs
Une cabane éveille, au clair de son seuil sûr,
Le bucolique écho des flûtes de l’Hellade.


Puis, ô charme ! en allant de vallée en vallée,
Parmi les métairies et les froments divins,
Nous tendons dans le soir aux Muses étoilées
Les myrtes des coteaux et les lys des ravins ! »


Mais Phébus, dont le char brillait comme un brasier,
Leva ses triomphales torches ! Et les sentes
Qu’enlaçaient les frissons du jour extasié,
Reprirent, en riant, de leurs voix blanchissantes :

— « Toi dont l’âtre rayonne au fond des roches creuses,
Faune doux, qu’a nourri notre voix — nous t’aimons !
Tes pas sèment nos nuits de clartés ténébreuses,
Et tes chants ont l’ampleur des gaves et des monts.


Les soirs où des aveux priaient en toi, devant
Le cortège fuyant des faunesses surprises
Nos éclatantes mains ont essuyé souvent
Tes pleurs dont s’enchantait le chuchotis des brises !

Nos flancs portent pour toi l’azur mouvant des prés.
Tu guettes, radieux et brûlant, les passantes
Que le matin para de grâces innocentes,
Car nous avons mené tes pas au bois sacré.

Les timides ramiers ont lui dans la clairière.
Regarde ! entre les bras ondoyants des halliers,
Où tremble un bleu torrent de tumultueux lierres,
Une nymphe, les mains aux cieux, t’a supplié.

Un angelus de flamme éclaire la feuillée :
Les fougères d’or vert se signent à genoux,
Et sur les romarins des rives réveillées,
Des prières d’amour palpitent ! Laisse-nous.


La vie monte déjà, comme un fleuve, des plaines ;
Nous entendrons le flot des sèves éclater,
Puis aux hymnes retentissants des marjolaines,
Nous conduirons les hommes doux vers la clarté,

Pour qu’en l’hymen des blés et des chants salutaires
La tremblante tribu des dieux et des semeurs
Fasse jaillir sur eux du cœur vibrant des terres,
La blanche étoile pacifique du bonheur ! »