L’Angelus des sentes (recueil)/L’Heure des Larmes

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 59-63).


L’heure des larmes


Près de moi, la Forêt palpitante pleurait.
Son cœur sombre épanchait, comme une urne qu’on penche
Des larmes que buvaient les camomilles blanches,
Et, prosterné d’amour, j’ai dit à la Forêt :

— « Vierge aimante, toi dont les gestes de lumière
Ont pavoisé d’éclairs plus doux l’azur vieilli,
Tu charmes les oiseaux aux portes des rivières,
Ta robe porte un printemps d’aube dans ses plis.


L’âme des frênes blancs habite ton alcôve
Et quand s’éteint l’adieu de la vallée qui meurt
En toi prie une mer d’adorantes rumeurs :
La Nuit s’enchante au parfum pur de tes yeux mauves.

Sous les barivolants trophées des feuilles vertes
L’herbe chante aux baisers de tes yeux agrandis,
D’hymnes d’astres ! la Nuit sublime t’a couverte
Et sur un lit d’asphodèles tu resplendis.

Ta voix amignonnée, comme une voix de femme,
Sanglote avec la source et le lierre amoureux,
Et puis, confie aux fleurs les prières de flamme
Que disent en riant les ramereaux entre eux.


L’été t’a couronnée de roses immolées
Plus grondantes d’azur que celles de Sorrente !
— Ô le murmure des genêts agenouillés
Devant l’humide éclat de ta beauté pleurante !


Bénissante ! tu tiens tes longs voiles baissés
Pour peupler de ramiers les cabanes berçantes
Et tu me dictes, quand j’implore l’aube absente
Les hymnes que la brise heureuse a balancés.

Or, pour te saluer mes mains se sont fleuries
De la neige qui tonne aux cimes des buissons.
Les sauges m’ont appris tes lyriques leçons :
Je t’apporte le rêve embaumé des prairies !

Que mes clartés de tes alarmes te guérissent
Toi dont j’ai bu la pure joie de ton aveu !
Sur mon timide luth pose ta lèvre en feu
Pour que dans cette nuit d’hymen un chant mûrisse ! »


Et la déesse, aux bras odorants murmura :
— « Elle est douce l’heure, d’amour que ta voix sonne
Comme un baiser de brise aux branches de mes aulnes !
Viens : mon lit fait de fleurs t’offre ses vierges draps.


Vers Toi mes seins d’élans brillent comme à l’approche
Du dieu qui dans un baiser d’or les sculptera !
Les colombes sacrées sont descendues des roches,
Rien n’égale le charme immortel de mes bras.

Déjà, comme des yeux, s’éveillent les lampyres
— Ces diamants de ciel qui parent mes pieds nus !
Par le chemin des bruyères tu es venu
Bois la mélancolie que cette nuit m’inspire !

Entends gémir les fleurs que ma tristesse effleure.
Toute ma chevelure embaume le gaulis,
Et je t’embrase l’âme aux larmes que je pleure !
Ton chant naîtra de la lumière de mes lys.

Je t’ai vêtu de la grâce que je portais
Et ton désir s’ombrage à ma pudeur d’amante.
Les étoiles ce soir te seront plus clémentes,
Quand je pleure le chœur des ménades se tait.


Dans le vent tremble et meurt leur amoureuse antienne
Et, te voyant si pâle au pied de ma douleur,
Comme pour mieux unir ma douceur à la tienne
Je répands sur tes mains la rosée de mes pleurs ! »