L’Angelus des sentes (recueil)/Le Chant des Porteuses d’eau

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 53-58).


Le chant des Porteuses d’eau


À Armand Silvestre

Sur les chênes le soir s’assied
Couronné de roses lointaines,
Et près de l’antique fontaine,
Les vierges étoilent leurs pieds
De cyclamens et de verveines.


Puis elles chantent : « Déjà l’eau
Bouillonne à flots dans le grès rose.
Les paupières des prés sont closes
Et la source au pied des bouleaux,
Incante l’herbe qu’elle arrose.

La nuit lève ses sombres mains.
Et, pour embraser les jasmins
Et rendormir les hochequeues,
Pavoise déjà nos chemins
D’un firmament de torches bleues.

Car Phœbé s’avance nageant
Au sein des vagues assoupies,
Et, sous ses regards indulgents
Luisent les margelles d’argent
Comme des nymphes accroupies.


Et chaque feuillage qui tremble
Enlace un ciel d’anges berceurs
Tant l’heure est apaisante ! Il semble
Que sur les thyms et sur les trembles
Il pleuve des pleurs de douceur.

Comme les muses de l’été
Ceintes de violettes noires,
Dans les soirs sacrés de clarté
Nous tendons la seule beauté
Que les poètes devraient boire.

La forêt, d’un geste étoileur,
Pour qu’un rythme amoureux endorme
Le dieu qui veille au cœur des ormes,
Dans un vaste ouragan de fleurs,
Défait sa chevelure énorme.


Et quand les colombes souffrantes
S’en viennent prier près de l’eau
Chaque ramure murmurante,
Qui voit en elles des parentes,
Couvre de rêve leurs sanglots.

Printemps ! l’harmonie que tu bois
Berce éternellement nos chaumes.
Nous sommes belles et les bois
Dont nous dérobons les flambois,
Nous adorent mieux que les hommes.

Les genêts et les houblons mûrs
Parfument de flammes nos robes,
Le travail guide nos pas sûrs,
Et le bruit des blés salue l’aube
Qui lavera les fronts impurs


Lorsque, sous un amas luisant
De menthes bleues, nos paniers ploient,
Ô nature, nos saines joies
Éclatent enflammées du sang
Dont ton éternité rougeoie !

Pour rendre les maisons plus pures
Nos tabliers sont pleins de lys
Et nos vases ont recueilli
L’eau sainte qu’enfle le murmure
Que fait le vent dans le gaulis.

Soir de pardon ! ta manne d’anges
Tombe sur les champs et les granges
Pour que nos mains ornent de fleurs
Le foyer du pauvre qui mange
Le pain amer de la douleur.


Ô vous, qu’un rêve noir oppresse
Dans le labeur béni des jours,
Écoutez les chants qui caressent :
Nous portons les lys de l’amour
Et les rameaux de l’allégresse !

Et toi terre aux yeux rayonneurs
Nourris-toi de nos voix dorées
Pour que tu sois toujours parée
Du rire ardent des moissonneurs
Et des glaneuses enivrées. »

Et vers l’Orient moins rebelle,
Elles partent, graves et belles,
Portant, dans le soir qui s’endort,
Sur leur front qu’a fleuri Cybèle,
D’étincelantes cruches d’or.