L’Angelus des sentes (recueil)/Le Verger

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 45-46).


Le Verger



 
Dans ce coin d’ombre heureuse où nous nous abritons,
Peureux et doux, contre l’âpre vent de l’envie
Chaque ramille boit l’amour que nous portons
Et notre ivresse luit dans la rosée ravie.
Aux branches d’or les fleurs hissent des clochetons,
Et quand le pâtre est las de la route suivie
Il s’assied sous cette ombre et pose son bâton,
C’est le petit verger où chante notre vie.


Une treille accueillante en guirlande l’entrée,
Et le mur qui le clôt est fait d’aubépins blancs.
Nous l’aimons pour ses buis adonisés d’élans,
Et la douceur de ses lavandes azurées !
Au fond, clapote une eau d’herbe verte parée,
Mais les nids font tomber de l’aube murmurée
Sur l’émoi des figuiers et des fusains tremblants
Et nous rions avec les nids étincelants.

Regarde : dans un flot de sauge et d’alkékenge,
La ruche bleue, pour nous, odore le miel pur.
Mais lorsque le matin s’accoude aux fleurs du mur
Et que dans l’herbe rit la dame aux yeux étranges,
— Avec les aliziers nous bénissons l’azur !
Et parfois, attendant que les beaux fruits soient mûrs,
Sous les feuillages clairs où pépient les mésanges,
Tu me donnes ta bouche et tu murmures : mange !