Par la harpe et par le cor de guerre/L’Antiquité celtique

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L’ANTIQUITÉ CELTIQUE


Au temps, maintenant couvert d’obscurité, — Au temps très ancien, d’avant l’ère chrétienne, — Si vieux qu’on en perd le souvenir ; — Sans doute peu de temps après le débordement des mers ; — La race des Celtes, née en Asie, — Descendit en Europe pour se procurer de la terre et un toit.

Venant d’un pays où survivait encore le souvenir — Des premiers Parents enseignés par Dieu même, — Noé, Abraham et les vénérables Patriarches, — Sur les montagnes arides, au sein des forêts vertes, — Partout où les Celtes passaient, partout, — En l’honneur de la Divinité, ils érigeaient des pierres colossales.

La première lumière par eux fut répandue — Sur les terres sauvages, encore sans loi et sans foyer.


D’aucuns disent qu’à cette époque n’était pas encore ouvert — Le détroit maintenant creusé entre les deux mers, — Qu’il n’était encore nul besoin de la barque du marinier

— Pour se rendre en Grande-Bretagne : mais qu’on s’y rendait à pied sec. — D’autres savants disent aussi — Que la Grande-Bretagne était déjà une île dès cette époque.

Quoi qu’il en soit, passé détroit ou passé presqu’île, — Chaque groupement dans le pays nouveau édifia sa nation.

Cependant tous les Celles ne passèrent point la mer : — Un certain nombre de familles descendit en Armorique.


Rendus au cap du Bout du Monde, en Bretagne, les hommes sans peur — Tournèrent à gauche jusqu’à la Petite Mer ou Morbihan — « Nous ne pouvons aller plus loin… Ici sera la halte : — Songeons donc maintenant à bâtir un temple. »

Alors le monde contempla ce qu’il ne vit jamais : — L’œuvre la plus colossale qui ait été édifiée sur terre. — Nul ne sait combien d’ans, combien de siècles peut-être, — Dura cet effort exécuté en hommage à Dieu.


Vingt mille menhirs plantés pour l’éternité, — Debout sur la plaine, portaient la toiture de l’édifice, — Mais la toiture des temples à cette époque était légère — Elle n’était autre que la voûte même du ciel.


Devant le temple de Karnak, à moins qu’il ne soit aveuglé, — L’homme est pris de vertige en songeant au passé. — Quels hommes étiez-vous donc, ô chers ancêtres ! — Et combien petits sommes-nous aujourd’hui, près de vous, — Puisque vous pouviez à cette époque, et par le corps et par l’esprit, — Exécuter ces travaux qui nous frappent de stupeur ?

Cependant là-bas, par delà La mer, — Au Dieu Eternel on rendait le même honneur. — Partout en Grande-Bretagne, comme en Irlande, — De cette antiquité subsistent les vivants souvenirs.

Bien d’autres races, venues après la nôtre, — Ont été vues, s’élevant et grandissant rapidement, — Mais aussi rapidement toutes sont passées, — Et sur leurs ruines restent encore les Celtes.

Si nous n’avons point édifié, ainsi qu’en certaines contrées, — Des palais sculptés du haut en bas et sur toutes les faces, — Ce n’est que pour observer l’antique loi, — La loi du Dieu véritable qui portait malédiction — Sur celui qui profanerait la figure admirable de la terre, — Sur celui qui frapperait un coup sacrilège sur l’œuvre du Créateur. — Nulle hache n’abattait les arbres des bois, — Nul marteau ne brisait un roc dans les campagnes.


Les prêtres de ces temps, les Druides vénérables, — Enseignaient au peuple que la mort n’est rien : — Qu’est la mort ? sinon le milieu de l’existence ? — Un voile soudain déchiré devant une existence nouvelle ? — Sorti de rien, l’homme ne fait que passer — Mais ses bonnes œuvres [’élèvent vers la lumière. — Malheur à celui qui va sur le chemin du Mal : — Plus longtemps il s’affaissera sous son fardeau. — Celui qui se dévouera pour le bien du prochain, — Au delà de la mort s’élèvera d’un nouveau degré.


Mort, vie et mort, et survie au Gwenved, — Parmi ceux que nous aimâmes, au sein du bonheur.


Cette foi faisait que la foule envisageait la mort — Plutôt avec joie même qu’avec de la crainte et des larmes. — Dans les terribles guerres les hommes couraient devant le danger. — Jamais ne vit-on des hommes plus valeureux.

On a beau répéter qu’ils vivaient parmi les forêts, — Tels que des animaux muets ou des hommes sauvages, — Il n’y avait point alors sous les rayons du soleil — — Un peuple plus instruit sur la vie universelle. — La vérité luisait dans l’esprit des Druides, — Conducteurs de la nation ordonnée par leur génie.


Les Bardes chantaient, sur leurs harpes d’or, — Les cœurs hauts et les œuvres grandioses. — Le souffle de Dieu entretenait le feu de leurs âmes — Et à leur suite la foule entière se précipitait. — Ils pouvaient apaiser la mer en fureur — Et marcher sans frôler le sol de

leurs pieds.

Il en est qui reprochent aux vieux Druides blancs — Les sacrifices offerts par eux sur les dolmens, — Mais ne faut-il pas, avant de juger le temps passé, — Détacher notre esprit des temps nouveaux ? — À cette époque, le malfaiteur détourné du bien — N’avait-il pas devant lui cinq années pour se blanchir ? — Et quand venait pour lui l’heure du règlement final — N’est-ce pas de lui-même — et joyeusement — qu’il allait à la mort ? — Aujourd’hui le fardeau du meurtrier l’accable encore, hélas ! — Jusqu’à l’heure suprême où le fer du bourreau s’abat sur sa nuque.

Que de sages alors ont fait le sacrifice de leur sang — Pour détourner de la patrie le malheur et les tribulations ! — Combien peu, maintenant, marcheraient à la mort — Pour le bien du prochain et pour celui de la patrie ! — Combien peu, aujourd’hui, songent à sauvegarder leur âme, — Alors qu’autrefois on croyait si fermement en son immortalité !

Non, ne croyez point que vos ancêtres fussent des sauvages, — Ayant vu s’élever leur esprit à de telles hauteurs.

Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont pu choir, lorsque les Romains — Eurent détruit les croyances druidiques.


Un homme, dans une autre contrée, sacrifia de même sa vie, — Mais celui-là se nommait Jésus, Fils de Dieu. — Son sacrifice nous porte à croire — Que le sang du Sauveur était le même que le nôtre. La science nous montre en effet que les Galiléens Sortaient aussi de la race des Celles. — Ce qu’on ne saurait nier, contre la vérité même, — C’est que la foi nouvelle s’implanta rapidement, — Nos pères trouvant dans le Christianisme — Plusieurs des croyances enseignées par le Druidisme. — Ce qui manquait à celui-ci, — Le Christ — ô miracle ! — l’apportait avec lui ; — C’est-à-dire le mutuel amour — Qui conduit à s’anéantir dans l’amour de Dieu.


Nous ne devons point admirer le Maître, créateur de l’univers — Uniquement à travers sa puissance et son immensité, — Nous ne sommes point créés pour notre joie personnelle, — Mais aussi pour aimer fraternellement toute créature.

Les Druides renommés, convertis à la foi chrétienne, — Donnèrent à Jésus ses premiers prêtres : — Que de saints par nous naguère invoqués, — Qui furent d’abord Druides en Bretagne ! — Combien qui vinrent de l’autre côté des flots, — Qui donnaient à Dieu les noms d’Ezuz et d’Ior ! — Les saints monastères partout se levaient — Où chaque moine était un barde et chaque barde un apôtre.


Mais hélas ! vers ces temps, les Saxons sans loi, — Venus des pays des glaces sur leurs barques de cuir, — Soufflaient en Grande-Bretagne le feu et la guerre, — Si bien qu’elle était noire de cendres et rouge de sang. — Et si longtemps dura la guerre maudite, — Et tant de Saxons accouraient chaque année, — Qu’ils réussirent à triompher de nos pères, — Les pourchassant dans les bois et sur les montagnes.

En chantant lamentablement, d’aucuns passèrent la mer, — Pour implorer le secours de leurs frères d’Armorique. — Ils apportaient les lumières du Christianisme — Qui brilleront à jamais sur le monde.


Ployés, là-bas, sous les Saxons et plus tard — Sous les Normands, non moins haïssables, — Pendant seize cents ans courbés, foulés aux pieds, — Nos frères de Grande-Bretagne furent oubliés : — Nous-mêmes retenus par les guerres de jadis, — Ensuite maltraités par les félons francisés, — Et réduits à défendre notre existence menacée, — Pouvions-nous ne pas les perdre de vue ?


Cependant, parfois, nous apprenions — Qu’en certaines contrées d’Angleterre vivaient des hommes — Ne respirant que la haine unique du Saxon, — Et qui parlaient

une langue sœur de la nôtre.

Oui, pendant seize cents années, ô Bardes de Cambrie ! — Encore que la tempête soufflât et que le ciel fût noir, — Vous gardiez toujours de génération en génération, le trésor : — La science des Druides à nous transmise par votre mémoire.

Maintenant louons Dieu ! Après une nuit si longue, — Le soleil va briller encore sur nos fronts d’acier. — Voici venu le temps de chercher des appuis. — Irlande, Cambrie, Écosse et Bretagne — Sont encore quatre sœurs, bien vivantes quoique séparées : — En leur cœur le même sang bouillonne.

Filles toutes les quatre du vieux Celte indompté, — Voici qu’en s’éveillant elles ont la même aspiration : — Ni bride, ni entrave de la part de l’Étranger ! — Trop longtemps elles ont caché en elles leur angoisse ! — L’union fait la force ! Quand nous serons unis — Le royaume du monde appartiendra aux Celtes.

Bardes vénérés, surgissez donc de chaque côté de l’Océan, — Le Gwenved, pour vous, n’a ni murailles ni porte : — Gildas, Hervé, Kadok, Aneurin et Merlin, — Liwarc’h-le-Vieux, Gwiklan, et toi Taliesin ! — Retournez encore une fois vers l’Abred, cercle de l’angoisse, — Faites de nous des Bardes inspirés et vigoureux, — Afin que vos fils, rejetant le fardeau qui les écrase, — Puissent trancher de ce monde la racine du Mal,