L’État politique de l’Allemagne

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L’État politique de l’Allemagne
Revue des Deux Mondes3e période, tome 82 (p. 131-165).
L’ÉTAT POLITIQUE
DE l’ALLEMAGNE

L’Allemagne actuelle. Paris, 1887; Plon.

L’Allemagne actuelle est le titre d’un livre dont l’auteur, qui ne se nomme pas, affirme être né en Belgique ; mais le lecteur, mis en éveil dès l’abord par la précaution de l’anonymat, ne se laisse pas tromper par l’alibi. La façon d’écrire, qui est aisée, vive, pittoresque, le talent de dessiner à grands traits les questions et les personnages, le sourire qui se mêle aux réflexions les plus sérieuses, et l’art de couper court aux considérations graves par un mot de la fin, sont des signes d’origine. Cet écrivain, s’il a vu le jour aux bords de la Senne bruxelloise, a grandi sur les rives d’un autre cours d’eau homonyme ou à peu près de la rivière belge. Il doit avoir passé la soixantaine : il a l’expérience de cet âge, et, avec la persistance de la jeunesse d’esprit, l’accalmie de la vieillesse commencée. Il a voyagé dans une bonne partie du monde : comme diplomate? je ne crois pas : un diplomate a l’esprit moins libre; il ne fait pas aussi vite le tour d’un homme, et ne se décide pas si nettement sur les choses. J’imagine que nous avons affaire à un Français, très cultivé, riche, voyageur par curiosité, bien apparenté en relations, ayant commerce avec des personnages qui ont touché l’histoire de leurs propres mains. Peu importe, d’ailleurs, le mot de l’énigme. Que ce publiciste ait tu son nom, parce qu’il a un nom, ou qu’il ait cru superflu de le dire, parce que ce nom est inconnu, il a su nous donner une impression juste sur ce grand pays d’Allemagne, qui est tout à la fois très fort et très embarrassé de grosses difficultés. Son livre est un texte excellent pour parler de l’Allemagne actuelle, comme nous allons essayer de le faire, si grand et si redoutable que soit un pareil sujet.


I.

Dix-sept ans ne se sont pas écoulés depuis la fondation de l’empire, et plusieurs fois les pouvoirs publics se sont heurtés dans des conflits. Les dernières élections ont troublé toute l’Allemagne et toute l’Europe, et les électeurs ont été avertis qu’une révolution ou la guerre pouvait sortir des urnes. Il y a donc chez nos voisins un malaise politique profond. J’en voudrais rechercher les causes, en toute liberté d’esprit, avec une impartialité d’historien, et en suivant la méthode des philosophes qui commencent l’étude d’un problème par la critique des idées reçues, et démolissent avant de reconstruire.

Est-il vrai que l’Allemagne, devenue la première puissance militaire du monde, porte avec quelque impatience les charges que lui impose sa grandeur ? S’alarme-t-elle d’être haïe autant qu’elle est redoutée ? Souffre-t-elle, en un mot, de la brusque transformation qu’elle a subie depuis 1866 ? Il faut, pour répondre, comparer l’état ancien et l’état actuel de ce pays.

L’ancienne confédération germanique, instituée par le congrès de Vienne au lendemain de la plus terrible secousse qui ait ébranlé le continent, était, par excellence, une institution de paix. Les caractères en ont été étudiés dans un très grand nombre d’écrits politiques, entre lesquels il convient de signaler une brochure pleine d’idées, qui a pour titre la Politique médiatrice de l’Allemagne[1]. « L’Allemagne, dit très bien l’auteur, par sa situation, sa masse et sa profondeur, pouvait servir de barrière entre les états, les protéger tous contre la prépondérance ou l’agression d’un seul, éloigner de chacun d’eux le péril des coalitions. Mais, pour la rendre apte à remplir cette fonction d’intérêt européen, quelle organisation intérieure fallait-il donner à la confédération ? Il fallait évidemment l’organiser de telle façon que ses membres fussent toujours prêts à voler au secours de celui qui serait attaqué et jamais disposés à seconder celui qui voudrait tenter au dehors la fortune des grandes aventures. En un mot, il fallait l’armer pour la défense et la désarmer pour l’attaque. » L’écrivain montre ensuite comment la complication du mécanisme de la confédération, la rivalité de la Prusse et de l’Autriche, la politique des petits états placés entre les deux colosses, la lenteur à se résoudre et la difficulté de passer de la résolution à l’acte, répondaient aux vœux des législateurs de 1815. « Tandis que l’Allemagne opère sur elle-même ce travail de rotation, elle évite les entraînemens du dehors; tandis qu’elle s’épuise à déterminer les modes de son action, sans jamais se décider à agir, les passions s’apaisent, les préjugés se dissipent, les droits se dégainent des prétentions, les belligérans continuent de négocier par le canal de sa diplomatie; l’Allemagne, au besoin, négocie pour eux. On se bat et elle discute encore; chacun s’abandonne aux hasards de la force, l’Allemagne continue de penser et elle empêche que la notion du droit ne soit abolie. Ce rôle a sa grandeur. »

Certes ce rôle avait sa grandeur, et l’Allemagne, qui le remplissait, n’était pas une puissance méprisable. De 1815 à 1866, personne n’a osé l’attaquer. En 1859, l’empereur Napoléon III s’est arrêté en Italie dès qu’elle a fait mine de se mettre en mouvement. En 1864, quand elle a décidé l’exécution contre le Danemark, la France, l’Angleterre, la Russie, n’ont pas usé du droit qu’elles avaient d’intervenir. Comme au temps de Commines, tout le monde savait en Europe que c’était chose puissante que « ces Allemagnes.» Mais quel changement aujourd’hui 1 l’Allemagne s’est levée de son séant et elle reste debout, la main sur l’épée, comme la Germania du Niederwald. Le régime militaire exceptionnel de la Prusse, pour qui la guerre était une industrie de première nécessité, une « industrie nationale, » selon le mot de Mirabeau, est devenu le régime normal de la patrie allemande. Du même coup, l’aspect de l’Europe a été transformé. On pouvait jadis, sur chacune des frontières de la confédération, vaquer en sécurité aux œuvres pacifiques. L’esprit militaire s’apaisait. Les découvertes de la science, les nouvelles doctrines commerciales, l’universel laisser-passer faisaient croire aux humanitaires que la date approchait de la réconciliation des hommes. Aujourd’hui, les frontières sont crénelées ; les chemins de fer sont des outils de guerre; la rapidité des communications est employée à la concentration des troupes ; les sciences sont requises pour le service de la destruction, même l’histoire naturelle, qui démontre les droits des forts et les torts des faibles. Point de nation qui ne s’apprête à tuer pour n’être pas tuée. Les budgets et les lois militaires étouffent partout l’activité nationale. L’Europe ressemble à un immense champ de parade, en attendant qu’elle devienne un champ de carnage. Cela est l’œuvre propre de la Prusse et la conséquence directe de l’unification de l’Allemagne. Ce pays, organisé jadis pour la défensive, est le plus prêt qu’il y ait au monde pour l’offensive. L’Allemagne de 1815 « ressemble à une personne qui aurait la vue basse, l’ouïe très dure et la peau très délicate : elle ne sent bien que ce qui la touche. » L’Allemagne d’aujourd’hui a la vue et l’ouïe très claires. Elle est méfiante comme une sentinelle avancée et toujours prête à faire feu au moindre geste qu’elle aperçoit.

Cette gloire d’être menaçante ne va pas sans le péril d’être menacée. L’Allemagne autrefois n’avait pas d’ennemis : aujourd’hui, M. de Bismarck lui dit et lui répète qu’elle est en danger sur deux frontières au moins, et que ses forces militaires, si formidables, sont insuffisantes. Il faut accroître les effectifs, blinder les forteresses, construire de nouveaux chemins de fer stratégiques, par conséquent élever les impôts et recourir à l’emprunt. Nul ne peut savoir quelle sera la fin de ces coûteux efforts : M. de Moltke a dit un jour que l’Allemagne devrait, pendant cinquante années, se garder contre la France. Ainsi, point de détente après la victoire : au contraire, un redoublement de peine et d’appréhensions. Il ne se peut point que l’Allemagne ne souffre pas des effets d’une victoire qui l’a mise en cette situation de toujours redouter la guerre. Plus d’un paysan et plus d’un ouvrier trouvent bien lourds le service militaire et les obligations envers le percepteur, et nombre de braves gens voudraient vivre tranquilles; mais le peuple allemand accepte de bon cœur les sacrifices qu’on lui demande pour la sauvegarde du pays. Il ne regrette pas l’œuvre du congrès de Vienne, ni cette confédération qui était faite pour assurer le repos de l’Europe, mais ne répondait en aucune manière aux aspirations les plus légitimes des Allemands. Une nation qui a conscience de sa force ne peut se résigner à toujours accommoder sa destinée aux convenances d’autrui. Deux fois, au milieu du XVIIe siècle et au commencement de celui-ci, l’Allemagne a reçu sa constitution des mains de la diplomatie européenne. L’Europe lui déniait la personnalité; c’est pour devenir une personne que la vieille Germanie aspirait à l’unité. Si cette unité incommode l’Europe, tant pis pour l’Europe! L’Allemagne, ouverte à toutes les ambitions étrangères, a été pendant trois cents ans un champ de bataille des puissances : elle a tremblé aux moindres bruits de guerre. Aujourd’hui, elle est fermée; ses ponts-levis sont relevés, et c’est l’Europe qui s’inquiète, c’est la France qui se trouble, lorsqu’elles croient entendre le grincement des chaînes du pont-levis qui s’abaisse. Tout compte fait, l’Allemagne aurait mauvaise grâce à se plaindre ; aussi ne se plaint-elle pas, et il nous faut chercher ailleurs les causes de l’opposition à l’empire.

Voici un défaut de la constitution, le plus visible de tous ceux que l’on peut reprocher à cet acte improvisé : il y a des Allemands hors de l’Allemagne ; en revanche, il y a en Allemagne des étrangers. L’absence des frères allemands d’Autriche inspire de vifs regrets à quelques patriotes sincères. Pendant ces dernières années, un publiciste, chimérique il est vrai, mais penseur original et profond[2], a critiqué à outrance l’œuvre prussienne, et il n’a cessé d’humilier l’Allemagne présente par la comparaison avec la grande Allemagne d’autrefois. Cet homme est un rêveur, et qui a toute sorte de superstitions, par exemple le culte, le vieux culte naturaliste des fleuves et des montagnes. « Qui ne connaît pas les Alpes, dit-il, ne connaît pas l’Allemagne ; » et il reproche aux Berlinois d’avoir oublié que dans les vallées des Alpes vivent les plus fidèles, les plus forts, les plus beaux des Allemands, ces fils superbes du Tyrol. Il lui est arrivé, sans doute, de s’envoler dans les airs, et de contempler de haut les cours du Rhin et du Danube. Le Danube descend de ses collines; il est lent, incertain, dédaigne la ligne droite pour le circuit, s’arrête, comme un voyageur qui ne sait pas sa route, et semble se demander parfois s’il ne doit pas ramener son eau bleue vers sa source. Le Rhin descend de la haute montagne, fraie à travers la roche sa route héroïque, marque nettement sa direction et précipite son flot jaune. Notre homme, de son nuage, suit le Danube jusque vers l’Orient, berceau des traditions antiques, et le Rhin jusqu’à l’Océan, cette route du Nouveau-Monde. Le voilà qui disserte sur les deux fleuves : différens l’un de l’autre, ils se complètent l’un par l’autre, et l’instinct populaire ne s’est pas trompé en mettant le Rhin au masculin et le Danube au féminin, car le Rhin et le Danube, der Vater Rhein et die Mutter Donau, sont le père et la mère de l’Allemagne. Leurs sources sont voisines, et la terre qu’arrosent et limitent leurs cours divergens est la Souabe des Staufen, des poètes et des philosophes, c’est-à-dire le berceau de l’âme allemande. Le père et la mère ont fourni chacun la moitié de cette âme complexe, jeune et vaillante comme le Nord, auguste et sacerdotale comme l’Orient.

Telles sont les imaginations de ce rêveur. Au fond, il n’a point tort ; l’Autriche ne saurait être retranchée ni de la géographie ni de l’histoire de l’Allemagne. Faire entrer des étrangers dans l’empire le jour même où l’on exclut les Autrichiens, c’est pratiquer trop ouvertement la politique des convenances personnelles, déclarer trop clairement que l’on tient compte des faits, mais qu’on ne croit point à des raisons supérieures aux faits, ni à des principes auxquels il faut rapporter même les coups de force. Ces raisons existent pourtant, et ces principes sont, à leur façon, des forces. Ils exigent que l’œuvre commencée soit menée à son terme ; mais l’unification de l’Allemagne ne sera terminée que par un concours d’événemens dont personne au monde, pas même M. de Bismarck, ne prévoit ni la date, ni le caractère, ni l’issue. Reconnaissons pourtant que ces imperfections sont plus vivement ressenties par les observateurs du dehors que par les Allemands eux-mêmes. Les fondateurs de l’empire n’ont point de mal à se défendre des critiques qu’on leur adresse. A chaque jour, disent-ils, suffit sa peine; après aujourd’hui, il y a demain. C’est beaucoup déjà que d’avoir fait, comme disent les publicistes de mauvaise humeur, la petite Allemagne : petite Allemagne deviendra grande, mais nous ne la voulons point exposer aux dangers d’une croissance prématurée. Ces excuses, qui ont leur valeur, sont fort bien accueillies, et les regrets de M. Constantin Frantz n’ont servi Qu’à faire éclater de rire les journalistes berlinois, gens pratiques vivant non dans l’empyrée, mais sur terre, en plaine, au niveau de la mer.

Laissons donc de côté l’avenir. Enfermons-nous dans l’Allemagne actuelle, telle qu’elle a été faite par les batailles, par les traités et par la constitution. Puisqu’elle ne redoute point le péril où sa fortune l’a mise, puisqu’elle ne pleure point les frères exilés, puisqu’elle est contente d’être forte, pourquoi donc semble-t-elle payer d’ingratitude son créateur, et d’où vient enfin son opposition ?

En France, nous sommes portés à croire que toute résistance opposée au gouvernement de l’empire vient des petits états, et qu’elle atteste le réveil du particularisme. L’opinion n’est pas complètement fausse, mais il ne la faut exprimer qu’avec de grandes précautions. Sans doute, il y a en Allemagne des régions historiques et géographiques, et il n’est point malaisé d’y reconnaître encore aujourd’hui une Bavière, une Souabe, une Franconie, une Thuringe, une Saxe, mais il n’est pas de pays au monde où ne se rencontre pareil phénomène. Nous avons une Bretagne, une Normandie, une Gascogne, une Provence. Chez nous, il est vrai, l’extinction ou l’expropriation des dynasties locales et la longue communauté de vie ont depuis longtemps assuré l’unité de la patrie; l’Allemagne, au contraire, a gardé jusqu’à nos jours des familles régnantes, dont la durée a perpétué le particularisme ; mais parmi ces survivans. il en est bien peu qui tiennent au sol par des racines profondes et qu’on ne puisse en arracher par un effort très léger. En 1789, les principautés germaniques se comptaient par centaines, et cette multiplicité des dynasties ne correspondait pas assurément aux divisions naturelles du pays : elle les effaçait plutôt sous un fouillis. Depuis, le tremblement de terre qui a secoué la vieille Allemagne a englouti le plus grand nombre de ces petits personnages ; ceux qui demeurent ne sont pas solides.

Peu de personnes en Europe savent les noms des confédérés actuels du roi de Prusse. Il suffirait de les énumérer pour faire comprendre la fragilité de ces débris de l’ancienne polyarchie féodale. Est-ce qu’il y aurait, par hasard, un patriotisme d’Oldenbourg ou de Saxe-Meiningen, un esprit national de Saxe-Altenbourg ou de Saxe-Cobourg-Gotha? Et l’onde qui engloutirait Schwarzbourg-Rudolstadt avec Schwarzbourg-Sondershausen, Reuss branche aînée avec Reuss branche cadette, Schaumbourg-Lippe avec Lippe tout court, demeurerait-elle l’espace d’une seconde ridée à la surface ? Les principicules ne peuvent prêter aucune assistance aux quelques princes de taille plus respectable qui demeurent dans la confédération. Ils les compromettent plutôt par le ridicule de leur situation. Ces princes eux-mêmes n’ont pas qualité pour représenter les vieilles régions. Le royaume de Saxe n’a rien de commun avec l’ancienne Saxe ; Hesse-Darmstadt aurait pu disparaître en 1866 aussi bien que Hesse-Cassel. Bade et Wurtemberg ne sont que des fragmens de la Souabe. La seule Bavière représente aujourd’hui assez exactement un des territoires ethnographiques d’autrefois. Aussi est-elle le plus particulariste des pays allemands, et celui qui s’est réservé le plus grand nombre de droits spéciaux. Son roi rêvait naguère d’une Allemagne enchantée : les Niebelungen étaient peintes à fresques dans son palais de Munich, mais il détestait cette ville trop moderne, où les nationaux-libéraux ricanaient devant le colosse de la Bavaria. Il aimait les sites solitaires, les châteaux dans la montagne, au bord des lacs où il croyait voir nager le cygne, le « cher cygne » de Lohengrin ; mais il s’est noyé dans un de ces lacs, et le prince qui tient aujourd’hui sa place a fait amende honorable des folies du pauvre Louis. Il a pris son rang dans le cortège impérial, car ces souverains moyens ou petits ne sont plus qu’un cortège. Combien de temps encore durera la parade? C’est bien de parade, en effet, qu’il s’agit. Ces princes ne servent de rien pendant la paix. Ils ne servent de rien pendant la guerre. M. de Moltke n’emploie que ceux qui sont vraiment capables de servir, et il ne tolère point dans l’armée des princes qui n’y sauraient jouer que le rôle de « flâneurs des batailles. » La question des princes est ouverte en Allemagne, comme en France la question des sous-préfets.

Je sais bien qu’il y a en Bade, en Hesse, en Wurtemberg, en Bavière, des habitudes qui ne se perdront pas du jour au lendemain. Son altesse ou sa majesté y a gardé des fidèles parmi les bonnes âmes. Ceux qui trouvent un peu lourdes les charges de l’empire peuvent bien regretter tout bas le bon vieux temps. Chacune de ces principautés a d’ailleurs son petit parlement, qui se croit nécessaire. L’auteur de l’Allemagne actuelle par le des velléités d’opposition qu’on y rencontre : « On y sourit volontiers, dit-il, lorsque quelque orateur donne, sans avoir l’air d’y toucher, un coup de patte à la Prusse; » mais cette opposition est aussi impuissante que celle des souverains ; elle ne forme point un parti contre l’empire. Personne n’a eu l’idée de solliciter un mandat au Reichstag pour demander la suppression du Reichstag. Bref, il subsiste encore et il subsistera longtemps des différences provinciales ; le tempérament germanique résistera toujours à une action trop forte d’un pouvoir central, mais il n’y a plus de place désormais en Allemagne pour de véritables états allemands.

Reste, pour expliquer la mauvaise humeur à l’égard de l’empire, l’antipathie insurmontable que tout homme ne au sud du Mein éprouverait pour son compatriote du nord. Il y aurait deux Allemagnes inconciliables; toute l’histoire attesterait qu’elles ne peuvent s’entendre. Les savans en effet invoquent le souvenir d’Arminius l’homme du nord, guerroyant contre Marbod l’homme du midi, au risque de livrer à Rome la Germanie divisée, et cet exemple n’est que le premier d’une série qui se poursuit jusqu’à nos jours.

Il est vrai qu’un Allemand du nord se distingue au premier coup d’œil d’un Allemand du sud, bien que ces deux personnes ne diffèrent point de la même façon qu’un Flamand ou un Picard diffère d’un Provençal. Le midi en Allemagne est un plateau adossé aux Alpes, et non point un littoral ouvert aux souffles tièdes ou brûlans qui passent sur la Méditerranée. L’oranger ne fleurit pas en Wurtemberg ; la Bavière ne produit point de Numa Roumestan, et si Tartarin pousse jusqu’en Tyrol ses expéditions aventureuses; il étonnera beaucoup les Tyroliens. Ces méridionaux d’Allemagne sont singulièrement rudes à côté des nôtres. Écoutez-les parler : la langue allemande, qui chante dans la bouche d’un Thuringien et siffle sur les lèvres d’un Brêmois, le Souabe ou le Bavarois la broie. Tout compte fait pourtant, la vie est plus facile et plus riante au midi et au centre qu’au nord de l’Allemagne. La politique y a été de tout temps moins exigeante, et elle a plus librement laissé vivre la nature. Au contraire, elle a renforcé au nord l’influence du ciel bas, de la grande plaine monotone, du climat triste et du sol pauvre. Ici est le terrain d’action de la Prusse. Elle a mis en œuvre tous les moyens qu’elle a trouvés de se saisir d’un homme, de le discipliner, de le dresser. Dure envers lui, elle l’a fait dur envers les autres ; elle lui a communiqué le ton rogue dont elle commande, la tenue tendue de l’effort qu’elle exige, la sécheresse d’un esprit que n’égare aucun sentiment généreux, l’orgueil enfin de ses succès, de ses victoires et de son œuvre. C’est cet homme du nord, transformé par la Prusse en Prussien, qui offense et irrite par toute sa façon d’être d’homme du midi. L’auteur de l’Allemagne actuelle a bien marqué ce trait qui a son importance, mais peut-être y a-t-il trop insisté, comme nous faisons volontiers en France. Il ne faut pas oublier que la monarchie prussienne est aujourd’hui très vaste, ni s’imaginer, pour la commodité du raisonnement, que, du Rhin au Niémen, tous les êtres vivans soient coulés dans le même moule, au point que l’on ne puisse distinguer le Prussien de Mayence de celui de Berlin, ni le Prussien de Trêves de celui de Kœnigsberg. Il y a, en Prusse aussi, des provinces, et l’état, moins centralisé que chez nous, respecte mieux que nous ne faisons la vie municipale et la vie provinciale. Serait-il possible que chacun de ces millions d’hommes eût toutes les qualités et tous les défauts qui sont réunis dans le type commun du Prussien? Quoi, il n’y aurait point dans toute cette Prusse d’hommes indisciplinés ? Tout le monde y ferait son devoir! Quoi, aucun paresseux ? pas la moindre fantaisie ? Aucune bonhomie? aucun idéal? Tout le monde est raide, rogue, insolent, mal élevé ? Personne n’aime la musique ou ne se plaît aux vieux contes ? Le Prussien passe toute sa vie comme à l’exercice? Il a l’œil levé sur le bâton du commandement? Mais alors, il n’y a point de partis dans ce pays-là? Ce n’est pas la Prusse qui a fait en 1848 une révolution? Ce n’est pas en Prusse qu’a éclaté, il n’y a pas trente ans, un violent conflit entre la chambre des députés et le gouvernement? On n’y distingue pas les catholiques, les protestans, les libres penseurs? On n’y connaît pas les libéraux, ni les démocrates, ni les socialistes?

Nous venons de toucher, je pense, le fond même de la question. C’est parce que tous les partis et toutes les variétés de chaque parti sont représentés en Prusse qu’il n’est point légitime d’opposer le Prussien à l’Allemand, et de chercher dans cet antagonisme la raison d’une ruine plus ou moins prochaine de l’empire. On ne voit pas dans le parlement, à l’heure du vote, tous les Prussiens sortir par la porte au-dessus de laquelle est écrit le mot Ja, ni tous les autres se précipiter par la porte du Nein. Il n’y a pas une Prusse d’un côté, une Allemagne de l’autre. Au vrai, ce qu’on appelle l’esprit prussien, c’est l’esprit d’un gouvernement, d’une cour, d’une armée, d’une administration. Ce gouvernement n’a pas toujours été populaire en Prusse : peu d’hommes ont été haïs plus vigoureusement que le roi Guillaume et son premier ministre. Ce gouvernement a ses habitudes prises, ses concepts arrêtés ; il se trouve aujourd’hui en présence d’une Allemagne, Prusse comprise, où il rencontre, avec toutes les résistances qui se sont dressées devant lui en Prusse, des oppositions nouvelles. Parviendra-t-il à les désarmer ou à les dompter? De cela dépend tout l’avenir de l’Allemagne unifiée.


II.

La constitution a permis à l’Allemagne de révéler ses sentimens par ces deux articles, très solennels dans leur simplicité :

« Le Reichstag est élu par le suffrage universel direct et au scrutin secret.

« Les membres du Reichstag représentent la nation entière et ne sont liés par aucune instruction ou mandat. »

La nation ainsi appelée à manifester sa conscience intime, depuis si longtemps muette, n’a exprimé ni des idées ni des passions inconnues. Si philosophique, si riche que soit l’Allemagne en façons d’être intellectuelles et morales, elle n’a rien imaginé que n’aient trouvé les peuples européens. Elle s’est fait représenter par des conservateurs et par des libéraux de nuances diverses, par des catholiques et par des socialistes. Tous les gouvernemens trouvent le moyen de vivre avec ces partis. Pourquoi donc la vie parlementaire est-elle si difficile dans l’empire allemand? Examinons, pour chercher la réponse, le caractère et la nature de chacun des groupes politiques; mais, avant de les passer en revue, il faut s’arrêter devant un parti singulier, qui n’est point ne de l’Allemagne elle-même et dont la Prusse a doté l’empire. Il se compose de Polonais, de Danois, d’Alsaciens, de Lorrains. Les Polonais n’étaient pas compris dans l’ancienne confédération : l’Autriche et la Prusse avaient conquis, à la fin du siècle dernier, leur part de Pologne, mais chacune d’elles gardait ses Polonais à son compte. Dès 1866, la Prusse a transporté dans la confédération de l’Allemagne du Nord cette colonie de vaincus et de sujets : ils y ont rencontré les Danois du Slesvig annexés de la veille. Après 1870, nos compatriotes ont rejoint ces victimes de la politique et de la guerre. Les sentimens qui animent cette trinité ne sont pas tout à fait semblables. Les Polonais, les Danois, les Lorrains français ne parlent point la langue de l’Allemagne. Au contraire, les Lorrains allemands et les Alsaciens ont été pendant des siècles des Allemands, et ils parlent la langue des vainqueurs. Le patriotisme des Polonais, des Danois, des Français de Metz est à la fois historique et ethnographique ; le patriotisme français des Lorrains de langue allemande et des Alsaciens est un acte d’option, un acquiescement de l’esprit, un parti-pris du cœur. Ceux-là représentent la patrie d’autrefois, qui était un être naturel, comme la famille ; ceux-ci, la patrie telle que nous avons, nous Français, l’honneur et la gloire de la concevoir, c’est-à-dire un être moral et libre ; mais les uns et les autres sont unis par la similitude même de leur condition : ils regrettent la patrie. Dans la pleine lumière de la civilisation moderne, au sein de ce Reichstag sur lequel sont attirés les regards du monde entier, ils attestent la violence qui leur a été faite et ce mépris des consciences nationales, professé par la Prusse au moment où elle constituait la nation allemande. Par cela même qu’ils siègent au parlement, ils font mentir la charte de l’empire ; car il n’est point vrai que chacun des membres du Reichstag « représente la nation entière. » Ces députés des vaincus siègent en qualité d’ambassadeurs délégués par des fragmens de peuples étrangers. Il n’est pas vrai non plus que les « membres du Reichstag ne soient liés par aucune instruction ou mandat : » Polonais, Danois, Lorrains, Alsaciens apportent un commun mandat, la protestation.

A côté de ces étrangers siègent deux partis très considérables tous les deux, nés en même temps que l’empire : le parti socialiste et le parti catholique.

Le socialisme n’était pas représenté dans les chambres de Prusse, et il ne pouvait l’être. Le suffrage universel lui a ouvert les voies; les élections au parlement lui ont donné l’occasion de produire son programme et ses chefs et de dénombrer ses soldats. A la vérité, il était depuis longtemps pressenti, attendu, annoncé. Henri Heine, — pour ne parler que de lui, — savait que la nature germanique est particulièrement propre à comprendre les doctrines de la révolution sociale et à les couver longtemps, pour les faire éclore avec un grand bruit de tonnerre et une illumination d’éclairs apocalyptiques. Heine a reçu ce don de divination que l’antiquité prêtait aux poètes. Au temps où l’Allemagne s’affligeait de son impuissance, il annonçait qu’un jour le terrible petit géant, nourri de flammes impétueuses, déracinerait un chêne, et, armé de cette massue, mettrait aux gars du voisinage le dos tout en sang et la tête en capilotade. Une autre fois, il a prédit que les « communistes » français se rendraient maîtres de Paris et précipiteraient sur le pavé la colonne et l’homme de bronze. Les deux prédictions se sont accomplies en même temps ; l’autorité du prophète est ainsi bien établie, et il ne fait pas bon, ce semble, d’avoir contre soi une prophétie de ce voyant. Or le même Heine a prophétisé en termes très clairs que l’Allemagne fera une révolution auprès de laquelle notre 93 ne sera plus qu’une idylle. Dans une de ses plus étranges poésies, il a dépeint, avec une telle précision de détails qu’il semble y avoir assisté au premier rang des curieux, la marche de l’empereur allemand vers la guillotine. L’auteur de l’Allemagne actuelle répète ces pronostics sombres. Au début de son chapitre sur le socialisme, il raconte l’inauguration faite au Niederwald, en septembre 1883, de la statue colossale de la Germania ; il décrit le monument, l’empereur et les princes, tout le système planétaire du nouvel empire groupé autour de l’image de la patrie, la tempête qui soufflait dans l’air, les nuages chassés par les rafales qui couvraient et découvraient le soleil dont les lueurs fauves brillaient par intervalles, les ondées violentes, pluie et grêle, qui battaient la colline et faisaient jaillir les eaux du Rhin, les salves d’artillerie répondant au discours de l’empereur et l’immense acclamation qui domina la tempête. « Si l’on eût soulevé, dit-il, les pierres du soubassement qui porte la Germania triomphale, on eût découvert un tonneau de dynamite relié à une mèche qui fit mal son office. Un des assassins, le révélateur lui-même, prétendit que, pris de remords, il coupa la mèche, reculant devant le désastre qui allait se produire... Si la mine chargée de dynamite avait fait explosion, l’Allemagne souveraine sautait et expirait au pied même du monument qui consacre sa gloire. Tous les trônes eussent été vacans ; à peine, ici ou là, aurait-on pu y asseoir des enfans dont la couronne n’eût été qu’un bourrelet... La statue de la Germania, glorieuse, riche, florissante, entourée de princes dévoués à sa fortune, minée à sa base et près de sauter, c’est l’image, c’est le symbole de l’Allemagne... »

Je ne sais point si ces prophéties s’accompliront jamais ; il me semble probable que le flot socialiste s’arrêtera quelque jour, mais il monte, il monte sans cesse, et aucune violence ne le fera rentrer dans la source souterraine où il attendait l’heure et d’où il jaillit aujourd’hui à flots pressés.

L’Allemand trouve la vie belle et il en veut jouir. Il lui faut bon souper, bon gîte et le reste. S’il a une tête idéaliste, il a un ventre exigeant, et la tête vient au secours du ventre ; elle fait la philosophie de l’appétit. Il n’est pas jusqu’à la Religiosität allemande qui n’apporte ici son concours. Elle produit une foi sombre dans le néant, une négation tranquille de l’au-delà, une ferveur d’athéisme, une religion de l’irréligion. Ajoutez que l’esprit de discipline pris au régiment a été transporté dans l’armée révolutionnaire. Ces masses profondes obéissent en silence à des ordres. Sur la route de l’inconnu, elles avancent de ce pas lourd, régulier, puissant qui bat le sol comme une machine. La marche a je ne sais quoi d’effrayant et d’inexorable. Elle a ses chansons terribles : « Nous sommes des pétroleurs, inconnus aux hommes. — Nous rendons hommage au pétrole. — Ah ! comme il brûle et comme il éclaire ! Au fond du cœur du peuple, le pétrole brûle en secret ! Vive le pétrole! » Point de sourires dans les rangs! Le « travailleur » allemand n’a pas la gaîté du nôtre ; il a le visage triste, le calme de la colère concentrée, l’air fruste d’un barbare. Un soir, à Berlin, sous les tilleuls, tout près du palais impérial, j’ai vu un ouvrier monter sur un réverbère, briser la glace d’un coup de coude, allumer sa pipe, puis redescendre et continuer son chemin, sans même daigner regarder autour de lui l’effet produit par cette brutalité. Je n’ai jamais traversé les quartiers ouvriers de la capitale prussienne, sans penser que, si jamais cette fourmilière se forme en colonne d’assaut, il ne faudra lui demander ni grâce ni merci. Elle pillera, brûlera, tuera; elle fera table rase. Souhaitons que ces horreurs soient épargnées au monde, mais les maîtres du monde se plaisent à les préparer. Le parti socialiste a une raison d’être certaine dans l’Allemagne, telle que la Prusse l’a faite. Sa doctrine est l’antithèse de la doctrine prussienne de l’état. A l’état qui exploite l’individu à outrance, lui prend des années de sa vie pour le service militaire et sa vie elle-même sur les champs de bataille, il oppose la société travaillant pour vivre et vivant de son travail ; aux idées de nation, de gloire et de guerre, l’idée d’humanité et de paix universelle. Au-dessus des frontières armées, le prolétariat allemand tend la main au prolétariat de tous les peuples ; il a la conduite du parti cosmopolite de la révolution. L’hégémonie des forces anarchistes lui revenait de droit : le quartier-général de l’armée qui prétend établir la paix entre les hommes par la guerre sociale, doit être placé en face et tout près du quartier-général où commande M. de Moltke, ce « penseur des batailles, » ce théoricien, ce moraliste, cet esthéticien de la guerre : M. de Moltke n’a-t-il pas dit un jour que la guerre est la source de toutes les vertus, et que la paix universelle est non pas seulement un rêve, mais un mauvais rêve ?

L’histoire a fait au catholicisme en Allemagne une condition particulière. C’est dans ce pays qu’il a subi le plus rude assaut de la réforme. Il n’y a été ni vaincu complètement, comme en Angleterre ou dans les pays Scandinaves, ni complètement vainqueur, comme en Espagne, en Italie, en Pologne. Quand les luttes religieuses et politiques furent terminées, les deux partis demeurèrent en présence sur le terrain et se le partagèrent. Dans le grand assoupissement qui suivit la bataille, catholiques et protestans s’accoutumèrent à vivre les uns à côté des autres : aucun conflit ne troubla la léthargie de l’ancien empire. Certains princes ayant usé du droit d’imposer leur religion à leurs sujets et d’expulser les dissidens, l’une des deux confessions domina exclusivement dans plusieurs états ; ailleurs elles cohabitaient. Les grands remaniemens territoriaux opérés au commencement de ce siècle multiplièrent ces mélanges, et partout on s’accorda sur un modus vivendi : l’église catholique ne vécut nulle part plus tranquille, plus libre et plus honorée que dans le royaume de Prusse. Cependant ce sont les victoires de la Prusse en 1866, et surtout la constitution de l’empire en 1870, qui ont réveillé en Allemagne les passions religieuses. Il est malaisé de dire à quelle heure a commencé la lutte et de déterminer qui a tiré le premier. Les deux partis rejettent l’un sur l’autre la responsabilité de l’offensive, et l’on sait que M. de Bismarck a déclaré qu’elle ne venait pas de lui. Elle est venue en effet de plus puissant que lui, de la force des choses. Pour les catholiques qui se souvenaient avec piété de la grande Allemagne d’autrefois, des luttes mais aussi de l’accord du sacerdoce et de l’empire, ce fut un double coup de théâtre inquiétant que l’entrée de Victor-Emmanuel à Rome et la proclamation du nouvel empire à Versailles. Le pape est dépossédé, enfermé au Vatican : l’empereur est un protestant, un parvenu de la réforme. Au même moment, l’Autriche est mise hors de l’Allemagne, et le catholicisme tombe à l’état de minorité. Instinctivement, il se met sur la défensive. D’autre part, quelques protestans zélés, des prédicateurs en vue saluaient le triomphe de la réforme, la grande revanche prise sur les jésuites et les Habsbourg, voire même sur la mort de Conradin et sur l’humiliation de Canossa, car, la mémoire des Allemands étant ainsi faite que leurs souvenirs s’entassent pêle-mêle au même endroit, tout à l’entrée, ils ont l’étonnante faculté d’évoquer instantanément les haines et les passions d’une longue histoire. Enfin les catholiques voyaient le parti national-libéral se rallier à M. de Bismarck et devenir l’instrument principal de l’unification; or, ce parti détestait l’église, et l’affranchissement de la société laïque était un des articles de son programme. C’est lui certainement qui a été l’âme du Kulturkampf.

Il s’est donc formé dans le pays et dans le parlement un grand parti, le centre, que les libéraux appellent le Centre noir. L’église, autrefois disséminée dans les différens états de la confédération, s’est concentrée en un bataillon carré, très fort et de haute apparence, car le catholicisme allemand est une puissance redoutable.

Sous l’uniformité de la doctrine et de la discipline, le catholicisme laisse subsister la riche variété du sentiment religieux. Tous ceux qui ont voyagé ont pu surprendre, chez les différens peuples, les nuances diverses de la piété, pourvu qu’ils aient eu soin d’entrer dans les églises aux heures où elles sont remplies par la foule, mais aussi aux heures silencieuses où quelques rares fidèles prient dans la solitude. J’ai vu dans les églises du pays rhénan des femmes du peuple et des paysans à genoux par terre, leur panier ou leur bâton déposé près d’eux : ils avaient les bras étendus en croix devant un crucifix où l’image du Christ était celle d’un martyr agonisant dans la douleur, suspendu par des plaies horribles, abandonné, lamentable. Ils le regardaient avec une piété touchante, s’apitoyaient, semblaient lui faire des confidences douloureuses et lui demander sa miséricorde en échange de leur compassion. Je parlais tout à l’heure de la religiosité allemande : le calme habituel de la vie, la lenteur des mouvemens, la résignation, je ne sais quelle inaptitude à se dépenser au dehors, sont des conditions favorables à la croissance de ce sentiment.il prédisposait les Allemands au protestantisme, c’est-à-dire à l’intimité directe avec Dieu dans le temple dénudé ou dans la paix du foyer domestique; il donne à ceux qui sont demeurés catholiques le sérieux, la dignité, la profondeur de la foi.

Les luttes que le catholicisme a soutenues en Allemagne, le combat pour l’existence que la réforme lui a imposé, ont eu des effets salutaires; de même la révolution française qui, en détruisant les principautés ecclésiastiques, a effacé les derniers abus du passé et spiritualisé l’église. Aujourd’hui, les catholiques allemands montrant, avec un légitime orgueil, la part qu’ils ont prise à la vie intellectuelle et morale de leur patrie. Ils disent que la fécondité de cette vie procède de la collaboration rivale des deux esprits; l’inspiration catholique et l’inspiration protestante se retrouvent en effet dans l’art, dans la peinture, dans la musique, dans la poésie, dans la philosophie. Les plus grands des Allemands confondent l’une et l’autre dans leur génie : Beethoven, par exemple, et Goethe. Le catholicisme enfin sait très bien, dans la savante Allemagne, se servir de la science : les facultés théologiques des universités sont laborieuses ; elles défendent le dogme et l’histoire de l’église, et les écrivains catholiques ont une conception plus haute, plus poétique et plus vraie de l’histoire allemande au moyen âge que les libéraux, qui prétendent la juger avec la froide raison de l’esprit contemporain. Bref, le catholicisme est chez nos voisins autre chose et plus qu’un parti : il est une façon d’être de l’Allemagne. Il est bâti sur la nature et sur l’histoire.

L’église catholique, sachant qu’elle disposait d’une force défensive considérable, est donc entrée la tête levée dans la lutte. Par centaines de mille, les électeurs se sont groupés autour d’elle. Elle a montré qu’elle savait, si ancienne qu’elle fût, pratiquer le terrain moderne, manier le suffrage populaire, organiser un groupe parlementaire, manœuvrer entre les partis, attirer autour d’elle et rallier les opposans les plus divers. Il n’est pas vrai qu’elle soit ennemie de l’empire, mais elle entend défendre envers et contre tous, non-seulement sa vie, mais toutes les institutions qu’elle juge nécessaires à cette vie. Elle est, dans la mobilité des choses, dans les inconstances des opinions, comme une ferme forteresse dont la garnison peut bien entendre à composition, mais non point capituler.

Ainsi l’établissement de l’empire a eu pour effet de produire sur la scène, avec les protestataires qui sont des irréconciliables, deux partis appuyés sur des masses profondes. L’un, soumis à deux sortes de lois, distingue entre le spirituel et le temporel, entre l’état et l’église, entre la terre et le ciel, entre les hommes et Dieu ; l’autre ne connaît que le temporel, rejette l’église comme l’état, confond le ciel et la terre et absorbe Dieu dans l’humanité. Ils se ressemblent en ce point que ni l’un ni l’autre ne peut être enfermé ni contenu dans les frontières de l’état allemand. Tous les deux les dépassent, le premier parce qu’il est membre de l’église universelle, le second parce qu’il est un bataillon de l’universelle démocratie.

Catholiques, socialistes, protestataires, voilà trois groupes capable de troubler profondément la vie constitutionnelle de l’Allemagne. Ils sont établis fortement et irréductibles. Ils ne forment pas, il est vrai, la majorité, mais ils occupent le tiers de l’assemblée. Pour les tenir en respect, il faudrait que le gouvernement disposât d’une majorité compacte et fidèle; mais, en Allemagne comme partout, ce sont les partis militans qui usent avec le plus de ferveur du droit de suffrage : plus qu’ailleurs peut-être, la grande masse est indifférente. L’habitude n’est point prise de la vie publique. Les événemens politiques ne sont point étudiés et discutés avec intérêt ou avec passion comme chez nous. L’Allemagne a gardé une sorte de mollesse et de lenteur. Le Reichstag a des somnolences ; rarement il siège au complet; tels députés n’y paraissent guère, et les journaux des circonscriptions électorales ne signalent pas les absences, ne notent pas les votes, comme fait notre presse départementale après chaque discussion. Les seules passions qui se manifestent sont celles des opposans. Pourtant le gouvernement de l’empire est appuyé solidement par deux grands partis, les conservateurs et les nationaux-libéraux. Les premiers sont dévoués sans condition : toute leur politique est le loyalisme et l’obéissance. Les seconds se glorifient d’avoir fait l’unité ; ils s’en constituent les gardiens et les défenseurs. Ils se vantent de n’avoir point de théorie, d’être des hommes pratiques, de tenir compte du temps et des circonstances : ce sont les opportunistes de l’Allemagne. Eux et les conservateurs recueillent environ la moitié des suffrages exprimés dans les élections. L’entente entre ces deux groupes n’est ni cordiale ni profonde, car le conservateur allemand subit avec répugnance les réformes introduites dans la vie civile et religieuse du peuple allemand par les nationaux-libéraux ; mais ils font masse contre les opposans, et la situation parlementaire serait très nette, si les progressistes ne s’interposaient entre les partis hostiles et les fidèles.

Les progressistes ne séparent pas la liberté de l’unité; ils veulent acheter l’unité par la liberté. Ils entendent que le peuple allemand s’initie à ses affaires, s’y intéresse, les fasse lui-même. La souveraineté nationale, la prédominance du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, la responsabilité ministérielle sont les articles principaux de leur programme, lis ont, non pas une grande force ni une grande originalité, mais une grande importance, car ils sont par excellence le parti parlementaire, les adversaires des droits du pouvoir personnel, les défenseurs du Reichstag. Les catholiques et les socialistes ne considèrent la liberté que comme une arme de combat, mais ils ont les plus graves raisons de se défier du pouvoir personnel; aussi, quelque différens qu’ils soient des progressistes, s’accordent-ils avec eux pour faire échec au système et à l’esprit général de la constitution. Inspirés par d’autres sentimens, les protestataires sont à leur façon les champions des prérogatives du parlement. Les nationaux-libéraux eux-mêmes, si dociles qu’ils se montrent aujourd’hui, ne peuvent aller jusqu’à l’abdication définitive des droits politiques, car ils perdraient la moitié de leur nom et toute leur raison d’être. Enfin, il est dans la nature des choses qu’un parlement se prenne au sérieux par cela même qu’il existe. On ne place point des députés dans une salle des séances, en face d’un ministre qui discute les plus hautes questions de la politique, sans éveiller en eux l’idée que la nation a son mot à dire sur cette politique, qui peut assurer ou compromettre son existence. On n’étale point à leurs yeux la grandeur et les attraits du pouvoir, sans leur donner à penser qu’en d’autres pays, au lieu d’un chancelier unique et omnipotent, il y a une douzaine de ministres, dont chacun porte fièrement sous le bras un portefeuille. Voilà qui achève le tableau de la vie parlementaire en Allemagne. Il existe dans ce jeune empire autant de partis que dans les vieux états européens. Certains de ces partis ont, je dirai, une intensité qu’ils n’atteignent en aucun autre pays. Aucun n’est assez fort pour prétendre à former une majorité. Ils sont opposés les uns aux autres et ne peuvent s’entendre que sur un point, les droits de la nation et du parlement qui la représente.


III.

Sur ce point, toute transaction est impossible entre le parlement d’Allemagne et l’esprit du gouvernement prussien. C’est cet esprit qui a inspiré les constitutions de 1866 et de 1871, et la forme actuelle de l’Allemagne est exactement celle que la Prusse pouvait donner à ce pays unifié par elle.

L’état que la bizarrerie de sa constitution géographique a si longtemps contraint à la conquête perpétuelle ne pouvait pas ne pas conquérir l’Allemagne. Le gouvernement qui, depuis trois siècles, a eu besoin pour vivre de produire la force à jet continu, et qui l’a captée avec une rare intelligence à toutes les sources d’où elle pouvait jaillir, devait imposer à l’Allemagne un régime qui eût pour effet de produire la force. Assurer la libre circulation des personnes et des marchandises, le service des communications par voies de terre, de fer et d’eau et par une bonne organisation de la poste et du télégraphe ; mettre la marine et l’armée dans les mains de l’empereur : tels sont les principaux objets de la charte écrite par M. de Bismarck. Naturellement les titres armée et-marine ont une importance toute particulière dans ce document. Le style en est bref et net :

« La législation militaire prussienne dans son entier sera introduite immédiatement dans tout l’empire, aussi bien les lois elles-mêmes que les règlemens, instructions et rescrits qui en règlent l’exécution, les expliquent et les complètent. — La totalité des forces de terre de l’empire forme une armée unie, laquelle, en temps de paix comme en guerre, est placée sous le commandement de l’empereur. — Les régimens portent des numéros qui se suivent sans interruption dans toute l’armée allemande ; pour l’habillement, la couleur et la coupe sont réglées sur l’uniforme de l’armée royale prussienne. Les signes distinctifs extérieurs, tels que cocardes, etc., sont laissés au choix des souverains commandant les contingens respectifs. —L’empereur a le devoir et le droit de veiller à ce que, dans l’armée allemande, tous les corps soient au complet et prêts à marcher, et que l’unité s’établisse et soit maintenue dans l’organisation des troupes, leur formation, leur armement, leur commandement et leur instruction, comme aussi dans la qualification hiérarchique des officiers. A cet effet, l’empereur est autorisé à se convaincre en tout temps, par des inspections, de la situation des différens contingens et à faire disparaître, au moyen d’ordonnances impériales, les vices et défauts qui se seraient manifestés. L’empereur fixe l’effectif, la division et la distribution des contingens de l’armée de l’empire, ainsi que l’organisation de la landwehr; il a le droit de désigner les garnisons dans toute l’étendue de l’empire et d’ordonner la mobilisation de n’importe quelle partie de l’armée impériale. Toutes les troupes allemandes sont tenues d’obéir sans restrictions aux ordres de l’empereur. Cette obligation sera introduite dans le serment du drapeau. — Le droit de construire des forteresses sur toute l’étendue du territoire fédéral appartient à l’empereur. — Il n’y a qu’une marine de guerre pour tout l’empire. Elle est placée sous le commandement suprême de l’empereur. Son organisation et sa composition incombent à l’empereur, qui nomme les officiers et les employés de la marine, lesquels lui prêtent serment, ainsi que les équipages. »

Telle est l’organisation de l’empire : elle est toute économique et militaire ; elle est prussienne. Quelques théoriciens attardés, admirateurs rétrospectifs du saint-empire, disciples de Leibniz et de Pufendorf, la trouvent bien moderne, bien pratique et bien prosaïque. On n’y parle, disent-ils, que de matière et d’intérêts matériels. La grande patrie des philosophes, des penseurs et des poètes est devenue une maison de commerce et une caserne. Eh! quoi? tel article prévoit que les princes allemands voudront conserver quelques apparences de leur souveraineté d’autrefois : il leur permet de passer des revues en tout temps. Pour les consoler du chagrin qu’ils éprouveront à voir leurs soldats vêtus de tuniques de couleur et de coupe prussiennes, il les autorise à donner à leurs contingens des signes extérieurs particuliers, « tels que cocardes. » Un autre article impose aux administrateurs de chemin de fer, en de certaines circonstances déterminées, un abaissement des tarifs « pour le transport des farines, farineux, pommes de terre! » Et le législateur, qui descend à de pareils détails, n’a point trouvé un mot, un seul mot pour l’esprit et pour l’âme de l’idéaliste Allemagne !.. Mais ce sont là des regrets superflus, et il est clair qu’il ne convient pas de demander au roi de Prusse de travailler pour l’idéal. La Prusse a inventé, au temps où l’Allemagne était morcelée en petits états, l’union douanière ou Zollverein ; elle a trouvé un bon système militaire : le Zollverein et l’armée ont fait sa fortune et l’ont conduite à l’empire ; elle a transformé le Zollverein en institution et versé l’Allemagne dans l’armée prussienne. Pouvait-elle faire autre chose?

Il est tout naturel encore que l’esprit du gouvernement prussien se retrouve dans les titres politiques proprement dits de la constitution. Ils sont au nombre de quatre : territoire de l’empire, conseil fédéral (Bundesrath), présidence, parlement de l’empire (Reichstag). Le premier définit le territoire par l’énumération des états dont il se compose. Les trois autres contiennent les attributions de l’empereur, du conseil fédéral et du parlement. L’empereur procède directement des victoires remportées par la Prusse sur l’Allemagne en 1866 et par l’Allemagne sur la France en 1871, mais il a reçu la dignité impériale des mains des princes allemands, qui l’ont prié à Versailles de la vouloir bien accepter. Guillaume, roi de Prusse par la grâce de Dieu, ne pouvait être promu que par la victoire, qui est un don de Dieu, et par le suffrage d’hommes que la grâce de Dieu a faits souverains. Le conseil fédéral compte cinquante-huit voix, réparties proportionnellement entre les divers états: il est comme un congrès permanent des délégués des princes. Le parlement au contraire représente la nation entière. Quelles relations sont établies entre ces trois pouvoirs?

« Le pouvoir législatif de l’empire est exercé par le conseil fédéral et par le parlement. » Voilà qui est net. « l’accord des deux majorités des deux assemblées est nécessaire et suffisant pour édicter une loi d’empire[3]. » De l’empereur, il n’est pas question. Cela est de tout point parlementaire; mais, dans le conseil fédéral, le tiers des voix environ appartient au roi de Prusse, et ce n’est un secret pour personne qu’il est toujours assuré d’y trouver une majorité. Cependant il a bien fallu prévoir qu’une opposition du conseil fédéral était possible, puis c’était faire une concession grave au parlement de la nation allemande que de lui reconnaître le droit de consentir la loi. La législation de l’empire comprenant la marine et l’armée, le Reichstag pourrait à son gré organiser, désorganiser, supprimer même les forces de l’empire. Aussi la constitution a-t-elle mis au-dessus de tout débat non-seulement le principe du service militaire, mais toutes les applications de ce principe, jusque dans leurs moindres détails, et elle a donné à l’empire des ressources financières permanentes pour faire vivre cette armée. A l’armée et aux finances, il ne peut être touché sans la permission de la Prusse ; car l’article que nous avons cité tout à l’heure et qui débute si bien s’achève ainsi : « Pour les projets de loi sur l’armée, la marine militaire et les impôts mentionnés à l’article 34 (ce sont les impôts qui constituent les revenus de l’empire), lorsqu’une divergence d’opinion se manifeste au sein du conseil fédéral, la voix du président est prépondérante, s’il se prononce pour le maintien des institutions en vigueur. » Remarquez qu’il ne s’agit plus ici de majorité ni de minorité dans le conseil : il n’est parlé que d’une dissidence. La majorité peut demander la modification des institutions en vigueur, mais le président, c’est-à-dire le roi de Prusse, peut la refuser ; dès lors il y a dissidence, et le président tranche le débat : sa voix n’est pas seulement prépondérante, elle est omnipotente. De par la constitution, il est donc le maître de l’armée et de l’impôt; pour le déposséder, une seule voie est ouverte, modifier la constitution ; mais voici l’article 78 et dernier : « Les modifications à la constitution ont lieu par la voie législative. Elles sont considérées comme rejetées, si elles ont quatorze voix contre elles dans le conseil fédéral. » Quatorze voix seulement, et le roi de Prusse en a davantage dans le conseil.

Il suffit de décrire brièvement ce mécanisme[4] pour faire voir que toutes les précautions ont été prises afin d’assurer dans l’empire la liberté de l’empereur. Guillaume entend pratiquer le régime constitutionnel en Allemagne comme en Prusse. Or les rois de Prusse ont bien essayé chez eux une sorte de conciliation entre le principat et la liberté par le régime parlementaire, mais ils estiment être et ils sont en effet des personnes trop considérables pour qu’ils consentent à partager leur pouvoir et à le subordonner. Trop peu de temps s’est écoulé depuis qu’ils gouvernaient en princes absolus un état qui est bien leur chose, car ils l’ont conçu et mis au monde, nourri, élevé, fortifié. Qu’on nous permette de recourir ici à l’histoire : elle seule peut éclairer les problèmes politiques, en expliquant certaines fatalités de l’heure présente.

Où était donc la Prusse il y a trois siècles, alors que le roi Henri IV régnait sur la France unie, forte et glorieuse déjà d’une si longue histoire? Elle était, comme disent les philosophes allemands, dans le devenir, et tout entière contenue en la très médiocre personne d’un pauvre électeur de Brandebourg, qui régnait sur quelques lieues carrées entre l’Elbe et l’Oder. Ce pays était le plus misérable qu’il y eût dans le saint-empire. Le prince y vivait comme un gueux. Sa cour était besogneuse, ses sujets de pauvres hères : le sable de Brandebourg ne pouvait porter ni une noblesse puissante ni une bourgeoisie riche. Point de vie intellectuelle : la sablière ne produisait pas d’idées. La réforme et la renaissance à Berlin ressemblent à la réforme et à la renaissance allemandes telles qu’elles se sont manifestées à Wittenberg et à Nurenberg, comme un mendiant de Callot à un gentilhomme de la cour des Valois. Personne ne pouvait prévoir à la fin du XVIe siècle que Berlin deviendrait jamais la capitale d’un grand état; personne ne pouvait deviner ni même pressentir la Prusse. C’est l’électeur qui, par une habile politique de famille, en plaçant bien ses filles et ses fils, a fait, au XVIIe siècle, des acquisitions qui ont accru sa principauté au point d’inquiéter la cour impériale, où l’on faisait déjà au Hohenzollern l’honneur de le traiter comme le rival de l’avenir. Mais ces territoires sont éparpillés sur la vaste étendue de l’Allemagne. Le duché de Prusse est au-delà de la Vistule, en terre polonaise; Magdebourg est sur l’Elbe, Minden sur le Wéser, Clèves sur le Rhin. Prussiens, Brandebourgeois, Clévois ne se connaissent pas et n’ont pas le désir de se connaître ; ils ont vécu chacun chez eux sous le régime de la longue anarchie germanique. La guerre de trente ans s’ouvrait au moment où l’électeur héritait de la Prusse et des duchés rhénans; au cours de cette guerre, chacun de ces fragmens a souffert le martyre sans que l’un songeât à secourir l’autre, sans que leur commun prince en pût défendre aucun. Dans cette lutte gigantesque où la politique et la religion étaient mêlées, et dont le champ s’étendait de l’Océan au Niémen, de la Suède à la Sicile, les provinces des Hohenzollern ont été foulées horriblement. Les duchés du Rhin ont servi de terrain de bataille aux Hollandais et aux Espagnols, la Prusse aux Suédois et aux Polonais, le Brandebourg aux Suédois et aux impériaux. Au vrai, l’électeur, après avoir recueilli ses héritages, possédait trois enclumes sur lesquelles frappaient six marteaux.

A la fin de cette guerre, en l’année 1648, quand la paix de Westphalie organise l’Europe moderne, où donc était ce que nous appelons la Prusse? Ni dans la nature, qui a préparé une Italie, une France, une Espagne, une Angleterre, une Allemagne, mais non pas une Prusse; ni dans l’histoire, qui n’avait rien fait pour donner au même prince ces sujets nés si loin les uns des autres et qui avaient vécu de vies si différentes. Alors encore la Prusse était dans la tête de l’électeur, comme Minerve, avant le coup de hache, dans la tête de Jupiter. L’électeur (il s’appelait à cette date Frédéric-Guillaume et on l’a surnommé le Grand) commença par retirer des flammes de la guerre les morceaux calcinés de sa principauté. Il apprit à ses sujets de toutes les rives à se considérer comme les membres d’un même corps. Il ne put faire un pays prussien, car on ne compose pas un pays avec des lisières, mais il fit un état prussien. Il fut un autocrate, un administrateur économe et éclairé, un despote bienfaiteur. La situation de ses provinces éparpillées le mettait en relations avec des puissances diverses ; ses territoires rhénans étaient au point de contact de la France et de l’Espagne, toujours en guerre ; la Prusse, au point de contact entre Suède et Pologne, toujours ennemies. Il n’y avait point de conflit européen où il ne courût risque d’être impliqué, lui si faible ; aussi fut-il un homme de guerre, et il eut cette diplomatie inquiète et laborieuse qu’il faut aux états maladifs et menacés. Il fit plus encore, car il devint, ce que n’avait été aucun de ses prédécesseurs, un véritable souverain. En Allemagne, pour son électorat et pour ses diverses principautés, il était vassal de l’empereur et membre de l’empire, c’est-à-dire d’un corps dont il ne pouvait régler les mouvemens. En Prusse, il était l’humble vassal du roi de Pologne. Or il arriva qu’à la faveur d’une longue guerre entre Suède et Pologne, Frédéric-Guillaume, après avoir manœuvré entre les deux ennemis, réussit à faire reconnaître l’indépendance de son duché. Il y eut dès lors un coin de terre où il régna par la grâce divine, et n’eut au-dessus de lui personne, sauf Dieu. C’est parce qu’il a su devenir duc souverain en Prusse que son fils a reçu la couronne royale. Plusieurs princes allemands devinrent ainsi des rois hors de l’Allemagne, en Angleterre, en Danemark, en Pologne, mais ils oublièrent à peu près l’empire. Les rois de Prusse au contraire demeurèrent électeurs résidens de Brandebourg. Ils se firent couronner à Kœnigsberg, mais ils ne quittèrent pas Berlin. Ils entrèrent dans le concert des rois, mais gardèrent leur place dans les rangs du principat allemand. Ils purent chercher fortune au dehors, mais aussi poursuivre celle qu’ils avaient commencée dans l’empire. Une double carrière s’ouvrit à leur ambition : l’Allemagne et l’Europe.

Cet accroissement de dignité ne diminuait pas les périls de l’état naissant : il ne fit que rendre plus sensibles les défauts de sa constitution territoriale. Le royaume de Prusse serait demeuré un bien petit royaume, si Frédéric-Guillaume, le roi-sergent, n’avait forgé l’épée de la Prusse, si Frédéric II, le roi-capitaine, n’en avait fait sentir la pointe à l’Europe entière. L’œuvre du grand Frédéric est une des plus considérables qu’un homme ait accomplie : il a fait de l’état prussien une patrie prussienne. Ailleurs, la patrie, c’est le sol natal ; c’est aussi la longue tradition des communs souvenirs, ce sont les joies et les larmes des ancêtres ; mais les sujets du roi de Prusse, ces riverains de la Vistule, de l’Elbe et du Rhin, séparés par des territoires étrangers, n’avaient ni la communauté du sol ni la communauté des souvenirs ; un hasard les avait réunis, un hasard les pouvait disjoindre. Frédéric les a scellés pour toujours par l’admiration de son génie et la gloire qu’il a jetée sur le nom prussien. Au même moment, l’Allemagne ressentit l’orgueil de posséder une Prusse, et, dans le profond abaissement politique où elle était tombée, elle aperçut comme une aurore des temps nouveaux.

De quel droit une puissance quelconque se lèverait-elle en Prusse pour contester au roi la propriété de la chose qu’ont faite ses ancêtres? Ces événemens se sont-ils donc accomplis dans la nuit des temps? Mais il n’y a pas deux cents ans que le premier roi de Prusse a été couronné : il y a cent quatre-vingt-six ans, c’est-à-dire deux fois la vie du roi d’aujourd’hui, qui est né neuf ans après la mort de Frédéric. Sans doute, de grandes perturbations ont été apportées dans le monde par la révolution française. La théorie des droits de l’homme a cheminé derrière nos armées et elle est entrée avec elles dans toutes les capitales. La machine de l’état prussien, un moment brisée, a été refaite après 1807, avec le concours du peuple prussien et du peuple allemand, et il a bien fallu payer leur part de peines à ces collaborateurs. Tout roi de Prusse se pique d’ailleurs d’être un homme éclairé. C’est une de ses manières d’être que de savoir se plier aux nécessités de la vie moderne. Il a toujours voulu faire une autre figure que le Habsbourg de Vienne, endormi dans la tranquillité d’un despotisme traditionnel. Bien qu’il n’aime guère l’esprit nouveau, il a entretenu un commerce de coquetteries avec lui, mais il ne s’y est pas compromis sans retour et n’est pas allé jusqu’aux épousailles. Frédéric-Guillaume IV, lorsqu’il a consenti à donner une constitution à son peuple, a trouvé cette jolie formule : un peuple libre sous un roi libre. Qu’entendait-il par la liberté du roi? Son successeur, le roi Guillaume, l’a montré dès son avènement, pendant la grande crise constitutionnelle qui s’est terminée au lendemain de Sadowa. Le roi de Prusse veut demeurer libre de faire son office de roi de Prusse, de garder et de fortifier l’état fondé par ses ancêtres, de l’étendre comme ils ont fait, pour cela d’organiser son armée comme il lui plaît, de l’accroître, de prélever sur le pays le tribut nécessaire. Que si la constitution accorde à des chambres le droit de voter l’impôt chaque année, et, par conséquent, de le refuser, la constitution se trompe, ou plutôt le peuple en interprète mal l’esprit, car elle n’a pu subordonner la liberté du roi à la liberté du peuple. A la vérité, ces deux personnes, le roi et le peuple, dont les relations sont nombreuses et compliquées, ne peuvent être aussi libres l’une que l’autre sans entrer par momens en conflit ; mais la liberté du roi consiste précisément en ceci, qu’il a seul qualité pour résoudre ce conflit. Ainsi a fait le roi Guillaume, et l’événement lui a donné raison. Ses ancêtres avaient acquis le territoire de l’état prussien avant que fût ne le peuple de Prusse ; lui, il a conquis les duchés de l’Elbe, et Francfort, et la Hesse, et le Hanovre, malgré la chambre prussienne. Il est donc et il demeure le vrai représentant de la Prusse ; il est antérieur et supérieur aux partis et aux rouages constitutionnels, comme ses pères à ces morceaux de peuple et de territoires dont ils ont composé l’état prussien, ainsi qu’un artiste compose une mosaïque où il fait concourir des marbres de couleurs variées à l’harmonie d’un dessin imaginé par lui.

Le roi de Prusse, empereur d’Allemagne, est à l’Allemagne comme empereur ce qu’il est à la Prusse comme roi. Cette équation est tout le problème allemand.

À ces causes historiques permanentes d’incompatibilité entre l’esprit du gouvernement prussien et le régime parlementaire s’ajoute une cause présente et particulière, la personnalité de M. de Bismarck.

M. de Bismarck a beaucoup parlé, beaucoup écrit, et ne s’est point donné la peine de mentir sur ses actes ; il sera donc facile de faire un jour son portrait. La postérité admirera en lui, comme sa qualité maîtresse, la hardiesse, qui vient tout à la fois de la puissance de sa nature et de la faculté de voir les choses telles qu’elles sont. La puissance, toute sa personne en est empreinte. « Il est colossal, dit l’auteur de l’Allemagne actuelle qui excelle dans le portrait; je l’ai vu à cheval, vêtu de son uniforme blanc; j’ai cru apercevoir les quatre fils Aymon. » De sa clairvoyance témoignent ses succès, qu’il a prévus et prédits; mais les historiens en trouveront d’autres preuves tout intimes dans sa correspondance particulière. Je ne sais si jamais écrivain de métier a dépassé ce grand seigneur dans l’art de décrire. Ses lettres sont des tableaux ou plutôt des musées. Le fleuve et la mer, la steppe et la montagne, l’orage et la sérénité, toutes les forces et toutes les formes de la nature, la pleine lumière du jour et les clartés de la nuit, la fureur du vent et la caresse du souffle léger, les animaux et les hommes, les toisons et les pelages, les figures et les vêtemens, toutes les variétés du dessin, toutes les nuances de la couleur, tous les bruits, sous de cloche, mélodies jetées dans l’air par le paysan qui passe, murmure des feuilles, hurlemens de la mer, la vie enfin, toute la vie, il la voit, il l’entend, il la sent. On a dit que son œil a absorbe » les choses. Cela est vrai, et il voit dans la politique comme dans la nature. A l’abri de l’énorme sourcil qui semble fait pour arrêter les fantômes, cet œil profond, cet œil qui voit et qui veut, pénètre la réalité. Que de pauvres fantômes se sont perdus dans cette épaisse broussaille : fantôme, apparu en 1848, d’une république allemande; fantôme de la puissance autrichienne ; fantôme de l’équilibre européen ; hélas ! fantôme de la force militaire de la France! L’œil a perçu la niaiserie du sentimentalisme germanique, le décousu de l’Autriche, l’instabilité de l’équilibre entre des puissances dont chacune avait ses visées particulières, la faiblesse de notre régime pseudo-militaire. M. de Bismarck a compris qu’à travers ces vanités pouvait passer la fortune de la Prusse, et que la force aurait raison de ces apparences.

Justement le roi Guillaume perfectionnait l’arme et l’aiguisait. Savait-il que bientôt il la mettrait au clair? Peut-être, car les vieux soldats attendent vaguement la guerre à chaque printemps, comme les poètes attendent les violettes et les roses. Combattant de 1814, il vivait dans l’esprit de la revanche inassouvie. Humilié en 1848 par la révolution, en 1850 par l’Autriche, il se fortifiait contre tous les dangers possibles. Puis il était l’héritier d’une race inquiète, toujours menacée et qui le plus souvent a échappé au péril par des conquêtes. Sans doute il avait appris l’histoire de sa famille dans quelqu’un de ces livres populaires que l’on trouve dans les écoles de Prusse. A la fin est la liste des souverains; à côté de chaque nom, un carré et un chiffre : dans le carré, le nombre de milles ajoutés par le prince au territoire ; le chiffre donne le « nombre de têtes » ajoutées à la population. Guillaume Ier laisserait-il le carré vide et l’histoire écrire un zéro à la colonne des têtes? Enfin, il se croyait sincèrement l’élu de la Providence, et la Providence ne pouvait l’avoir élu pour ne rien faire, elle qui, par fonction, a des desseins? Bref, le roi Guillaume était une force disponible, et M. de Bismarck une activité qui cherchait à s’employer. L’ébranlement de cette force par cette activité a bouleversé le monde.

Le don d’agir uni au don de voir, le plaisir de l’action joint au goût et à la faculté de l’observation profonde, voilà M. de Bismarck. S’il était né roi, son cheval, comme jadis le cheval de Louis XI ou celui du grand Frédéric, porterait tout son conseil. On saurait par ses ordres qu’il a délibéré. Après la méditation solitaire du cabinet, l’acte éclaterait tout d’un coup. Né sujet, il a dû discuter avec son maître, longuement, péniblement, avec des caresses et des soumissions, mais avec des colères aussi et la rage interne. Vingt fois, il a failli quitter la partie et, comme il dit, se retirer « sous le canon de Schonhausen. » Du moins, il entend n’être le serviteur que de son roi, le courtisan que de son empereur. Il n’a jamais flatté la foule ni enjôlé un parlement. Ironie, sarcasmes, sourires, mépris, menaces composent son éloquence parlementaire. A peine, au lendemain des grands succès, après Sadowa quand il a fait la confédération de l’Allemagne du Nord, après Sedan quand il a fait l’empire, a-t-il condescendu à quelque bienveillance : la moindre opposition réveille en lui le lutteur des temps de conflit, et de nouveau il accable de ses dédains professeurs, avocats, journalistes, idéologues. Il oppose à leur prétention de participer au gouvernement les droits sacrés de la couronne, à leurs théories les faits, à leurs critiques sa gloire, à leur inexpérience son œuvre. C’est la lutte de l’homme d’état de profession contre le politicien de rencontre, de l’homme d’action contre les hommes de mots. Je suis sûr que j’ai vu la plus parfaite expression qu’un visage humain puisse donner au mépris, un jour que j’ai regardé le chancelier écoutant une harangue de M. le professeur Virchow : l’homme qui a étudié l’anatomie des peuples et pratiqué la vivisection sur l’Europe ne croyait évidemment pas que le bon docteur progressiste eût le droit de lui faire la leçon, au sortir d’un laboratoire où il venait de disséquer une grenouille.

M. de Bismarck est un politique du XVIe ou du XVIIe siècle, égaré dans ce temps de discussions et de polémiques. Nul doute que cette incapacité de s’accommoder aux nécessités de la vie publique ne soit une faiblesse chez cet homme fort. S’il avait daigné être aimable et conciliant, s’il avait mis au service de sa politique le charme et la séduction de son esprit, s’il avait caressé les opposans de sa fine main au lieu de les faire cabrer sous les coups de sa cravache, il aurait épargné à lui-même la fatigue des conflits et à ses successeurs les revanches qu’il leur faudra subir ; mais le chancelier ne veut entendre à aucune concession, et, plutôt que de permettre au Reichstag de se tromper lui-même par des apparences, il le rappelle durement à la modestie de son rôle. Il fait semblant de ne pas comprendre ses secrets désirs. Un jour, il raillait avec sa familiarité superbe le parlement qui rejetait tous ses projets et n’en proposait aucun : « Que voulez-vous donc? dit-il en substance aux députés. Vous ressemblez à des enfans qui jouent à cacher un objet qu’un des joueurs doit chercher ; mais, au moins, quand celui-ci s’approche de la cachette, on l’avertit par un air de musique. Vous, vous ne faites jamais de musique.» — M. de Bismarck sait bien ce que cache le Reichstag, — c’est-à-dire l’envie d’être un vrai parlement, — mais il tourne obstinément le dos à la cachette, et vraiment les députés n’ont pas de raison pour faire de la musique. Non-seulement il enferme le Reichstag sur l’étroit terrain où l’a bloqué la constitution, mais il le lui dispute. En somme, les représentans de l’Allemagne n’ont que deux droits politiques : ils fixent chaque année le chiffre du contingent, et aucun impôt nouveau ne peut être établi sans leur aveu. Le chancelier leur demande d’accroître par des monopoles les ressources permanentes dont il dispose, et d’affranchir ainsi le gouvernement de tout contrôle. Il les somme de renoncer pour une période septennale à leur prérogative de fixer le contingent. Le Reichstag ne se résout pas volontiers à ce suicide par persuasion, et voici le défaut capital, le vice irrémédiable de la constitution; le parlement d’Allemagne n’a qu’un moyen de manifester, je ne dirai pas sa liberté, mais son existence. Ce moyen, c’est le conflit.

Pour éviter ce conflit, ou tout au moins pour le retarder, M. de Bismarck applique à la politique intérieure la méthode de la diplomatie. Il négocie avec les divers partis, les sépare ou les réunit, selon l’opportunité. Pas un seul n’a son estime ni sa confiance, et il leur a fait sentir tour à tour ses rigueurs; mais il ne peut, si puissant qu’il soit, les tenir devant lui à l’état de coalition permanente, et, comme il est en guerre nécessaire avec les protestataires, les socialistes et les progressistes, il essaie de se réconcilier avec les catholiques. Pour cela, il a dépensé plus de patience et d’habileté, employé des procédés plus inattendus que dans sa politique européenne. Il a étonné le monde par le spectacle de la réconciliation du pape et de l’empereur, qui rappelle les plus célèbres scènes de l’histoire du moyen âge. Je ne crois point me tromper en disant que le chancelier, qui a de la grandeur dans l’imagination, a été séduit par l’étrangeté même du coup de théâtre. Puis entre ces deux pouvoirs, l’église et l’empire, même l’empire protestant d’un Hohenzollern, il y a des affinités secrètes : tous les deux représentent la persistance et la résistance du passé. Au-dessus de l’Europe travaillée dans les profondeurs par la révolution, ils s’élèvent comme deux sommets, éclairés par les derniers rayons d’un soleil qui descend vers l’abîme. Mais M. de Bismarck ne perd jamais de vue le réel, et sa haute fantaisie est inspirée par les nécessités de la vie pratique ; il n’aurait point pris le successeur de Grégoire VII pour arbitre dans l’affaire des Carolines, s’il n’avait voulu faire pièce à M. Windthorst, et au parti catholique.

Sans doute, ce n’est pas une méthode normale de gouvernement que la méthode diplomatique; elle ne résout rien, parce qu’elle ne tue personne. Faire une alliance étroite entre la royauté prussienne qui est de droit divin et la royauté italienne qui est de droit révolutionnaire, accabler l’Autriche sous ces forces combinées, puis confondre dans une entente cordiale l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, c’est un chef-d’œuvre; mais, du temps où M. de Bismarck combattait les catholiques avec l’aide des libéraux, il n’a pas mené ceux-ci à l’assaut des églises. La lutte n’a point jeté par terre des blessés ni des morts ; les catholiques n’ont point subi le fait accompli d’une victoire évidente reconnue par un traité. Lorsque la réconciliation sera faite entre l’église et le chancelier, ils n’iront point de conserve attaquer l’armée socialiste dans ses repaires ; aucune armée ne se formera contre ces nouveaux anabaptistes, aucune solution ne sera imposée par le fer. On prend un parti entre deux feux, mais ces feux ne brûlent pas. M. de Bismarck a montré à l’Autriche et à l’Italie que leurs intérêts ne s’opposent point, et que chacune d’elles trouvera dans une alliance le moyen de faire ses affaires particulières; mais les partis d’un même pays n’ont qu’une seule carrière, qui est le pays même; ils ont un commun adversaire, le maître. L’Autriche s’est détournée du nord vers l’est ; catholiques, socialistes, protestataires, progressistes ont l’œil attaché à un point fixe. Il est possible d’atténuer les effets de leur coalition, soit dans les élections, soit dans le parlement, et de grouper leurs suffrages de façons diverses : il est impossible de les réconcilier dans une commune obéissance. Tout cela est vrai, mais le chancelier fait ce qu’il peut. Ce |n’est point parce qu’il est le premier diplomate du monde qu’il gouverne comme on négocie; ce n’est point parce qu’il est, comme il a dit, «inhabile au gouvernement intérieur, » ni parce que son esprit, plié à des habitudes, en subit le joug. Il a en face de lui, dans cet empire qu’il a créé, des puissances intérieures aussi difficiles à manier que les puissances du dehors.

Toute cette habileté, jointe à l’autorité que donnent au chancelier les services qu’il a rendus à son pays, n’a pu empêcher les conflits. Deux fois, M. de Bismarck a eu recours à la dissolution, après des éclats de colère ; mais il retrouve dans le pays les partis qu’il a chassés du parlement. Il vient de remporter une sorte de victoire. Il n’a point entamé les catholiques, ni les protestataires, mais le nombre des députés socialistes a été réduit, — avantage qui est plus que compensé d’ailleurs par l’accroissement du chiffre des suffrages socialistes. Des conservateurs et des nationaux-libéraux ont conquis les sièges sur les progressistes.. Ceux-ci sont les vaincus des dernières journées électorales, justement parce que leurs doctrines ne sont point de celles qui puissent être appréciées par la masse ; ils présentent une nuance à la foule, qui ne voit que les grosses couleurs. Mais ce succès, à quel prix il a fallu l’acheter ! Au prix d’une pression électorale violente, en remuant l’Allemagne jusque dans ses profondeurs, en mettant en cause l’empire lui-même, car les élections dernières ont eu le caractère d’un plébiscite. Le chancelier a obtenu l’appui du pape auprès des catholiques, et signifié à ceux-ci, par la voix des officieux, que, dès que le saint-père a parlé, ils doivent obéir sans examen : doctrine singulièrement dangereuse, car un pape n’est l’allié perpétuel que de ceux qui sont les perpétuels alliés de l’église. Enfin il a dressé devant le peuple allemand le spectre de la guerre, troublé ou même arrêté les transactions commerciales, donné à penser que l’unité de l’Allemagne coûte cher au monde, et qu’il n’est point juste qu’une crise parlementaire allemande agite l’Europe entière. De pareils procédés ne peuvent longtemps se soutenir. Ces convulsions énervent le corps qui les subit : le tétanos n’est pas un système de gouvernement.

Certes il faut être autorisé par des raisons très sérieuses pour oser dire que ce puissant édifice de l’empire allemand n’est point solide; mais, si grands que soient les hommes qui l’ont bâti, ils ne peuvent résister longtemps à la force des choses. L’unité de l’Allemagne a été longtemps désirée; elle était prévue et prédite, mais elle a été faite brusquement. Les esprits y étaient préparés par l’histoire et par les lettres, par la politique et par la poésie, par des raisons et par des chansons, mais elle a été improvisée. Elle est l’œuvre des siècles et l’œuvre d’un jour, une conséquence et un accident. Elle ne pouvait être accomplie que par la Prusse, et la Prusse, qui a eu son développement propre et son histoire très particulière, ne pouvait constituer l’Allemagne qu’à la façon prussienne, mais l’Allemagne ne peut s’accommoder à jamais du régime prussien. C’est pourquoi les fondateurs de l’empire sont inquiets. Ces puissans sont tristes. Le vieil empereur, comme jadis Charlemagne, regarde parfois avec anxiété vers l’avenir. Son fils a la terreur de l’inconnu. Son petit-fils se raidit contre les dangers futurs, et des paroles qu’il a prononcées sont des expressions de haine et des menaces. Très sombre enfin est la philosophie de M. de Moltke. On ne peut reprocher à ces hommes cette forme de l’infatuation qui est la sécurité. Ils ont les yeux grands ouverts et l’attitude vigoureuse de la défensive. Ils savent qu’il était plus aisé de vaincre sur les champs de bataille et d’improviser une constitution que de faire vivre l’incohérente Allemagne sous la rigueur de la loi prussienne. M. de Bismarck a exprimé à plusieurs reprises et en termes très clairs ses inquiétudes. L’indiscret confident de ses pensées, M. Busch, ne nous a-t-il point dit qu’on verrait en Allemagne, après la mort de son maître, des folies, courtes peut-être, mais qui pourraient faire un mal irréparable? Les discours du chancelier commentent ces prévisions pessimistes. Un jour, il déclare qu’il aime mieux voir élever la jeunesse dans des séminaires ecclésiastiques que dans les universités, reniant ainsi par défiance de l’esprit libéral une des gloires incontestées de l’Allemagne. Au lendemain même des élections, il parle des difficultés intérieures, qui lui semblent aussi graves que les périls du dehors. Ainsi, du vivant même des trois héros de l’unité allemande, on entend avec étonnement ces pronostics attristés. La mélancolie du soir s’est mêlée tout de suite au sourire de l’aurore.

Qu’adviendra-t-il de l’œuvre quand les ouvriers auront disparu ; quand les partis ne seront plus dominés par l’autorité du chancelier, par le respect qu’inspirent ses succès prodigieux et par cette considération que les hommes accordent toujours à quiconque a fait tuer beaucoup d’hommes? quand enfin on aura porté en grande pompe dans les caveaux de Postdam le vieil empereur, dont l’Allemagne entière vénère la simple et tranquille majesté? L’avenir dépend des circonstances, de la volonté de telle personne qui peut détendre les ressorts et essayer du régime parlementaire ; de telle autre qui les comprimera jusqu’à les briser. Il dépend des accidens, d’une mort, d’un crime, d’une guerre. Verra-t-on le roi de Prusse et ses alliés, comme l’a dit M. de Bismarck à la veille de la dissolution du Reichstag, « reprendre les sacrifices qu’ils ont faits à l’empire » et chercher une autre forme de l’unité, ou bien le parlement mis en possession des prérogatives parlementaires, le pouvoir impérial s’affaiblir, les partis se disputer le gouvernement, et le Reichstag, où aucune majorité n’est possible, devenir une tour de Babel, au pied de laquelle les peuples allemands exprimeront en leur langue unique la diversité confuse de leurs sentimens? Arrivera-t-il alors, comme le prévoit M. de Bismarck, qu’une « majorité démocratique,.. sans patriotisme et sans conscience, » envahira la représentation de l’empire ? Enfin ce professeur d’université, qui a fait de si curieuses confidences à l’auteur de l’Allemagne actuelle aurait-il vu juste en annonçant qu’un jour le socialisme, comme jadis la réforme, mettra ses armées en campagne, et, par la guerre civile et sociale, où disparaîtront toutes les formes du passé, édifiera au milieu de l’Europe l’Allemagne de l’avenir ? Une chose est certaine, c’est que la constitution présente de l’Allemagne est accidentelle et passagère.


IV.

Un des grands mérites de l’auteur de l’Allemagne actuelle est de nous donner une impression juste. Aussi ne s’est-il pas contenté de montrer quelques-uns des défauts graves de la constitution de l’empire, il a commencé par en vanter la force présente ; il a fini en nous conseillant la prudence et en prêchant la paix.

La force est encore intacte. Le pays est divisé, mais l’armée ne l’est pas; la propagande socialiste pénètre dans les casernes, mais elle n’a enhardi aucune recrue jusqu’à la désobéissance ; les partis parlementaires se querellent avec le chancelier, mais le soldat est soumis à l’empereur. L’armée a ce caractère singulier qu’elle est à la fois l’armée d’un peuple et l’armée d’un homme : tout un pays la recrute et elle est comme la propriété de l’empereur. C’est l’Allemagne en armes, et pourtant elle est au-dessus de l’Allemagne. Il n’est jamais question de la régler sur les convenances de la vie nationale : elle doit être la première servie et satisfaite. Certainement elle est le signe le plus clair de l’unité. Autour d’elle se rallieraient, si l’œuvre était mise en péril par l’étranger, tous les Allemands de tous les pays. Ils saisiraient avec enthousiasme la joie de se retrouver unanimes, et le malaise, qui gagne peu à peu les patriotes les plus clairvoyans, s’apaiserait dans un hurrah formidable. De même, chez nous, lorsqu’un ministre demande à la chambre, qui est une arène de partis, quelque nouveau sacrifice exigé par la sécurité de la patrie, les députés de la France, pour un moment, se sentent tous Français.

Quand deux pays voisins se trouvent dans cette situation que chacun d’eux est divisé contre soi-même et uni contre l’autre, une légitime inquiétude pèse sur le monde entier : la guerre paraît fatale et toute prochaine.

L’auteur de l’Allemagne actuelle nous affirme que l’Allemagne ne menace personne et qu’elle est pacifique. Depuis quinze ans, dit-il, elle maintient la paix, et elle a évité plus d’un conflit ; à la vérité, la Prusse est de nature belliqueuse, mais le jour où elle a mis la main sur les états allemands, tout en augmentant ses forces matérielles, elle a gêné ses mouvemens et diminué l’impétuosité de son initiative. L’Allemagne accepterait sans hésiter la lutte contre l’Europe entière, si sa frontière était menacée ; mais elle se trouve bien comme elle est, répugne à toute conquête, et, pourvu qu’on la laisse tranquille, ne cherchera noise à personne... Rien de plus vrai, et nous serions rassurés en effet, si nous avions devant nous un pays en pleine possession de ses destinées ; mais l’Allemagne ne sera point consultée le jour où sera lancé l’ordre de mobilisation, et publiée la déclaration de guerre. Certes M. de Bismarck n’est pas homme à recommencer aisément l’épreuve de 1870. Il n’aime point la guerre pour la guerre. Il est un trop grand homme d’état, et il a trop le souci de sa responsabilité envers son pays, envers l’histoire et envers Dieu, pour abandonner au parti militaire la direction de sa politique et lui permettre de se jeter sur la France, uniquement parce que l’heure serait bien choisie d’une guerre de destruction : mais il semble que, depuis quelques mois, il ne soit plus aussi maître de lui-même : ne serait-ce point parce qu’il ne se sent plus aussi maître d’autrui? L’échec de la politique de la triple alliance impériale lui a fait perdre l’espoir de maintenir longtemps la paix. L’opposition du parlement l’a exaspéré ; elle a donné plus de précision à ses inquiétudes. Les dernières élections enfin ont révélé la ténacité des oppositions et la violence de l’antipathie de l’Alsace contre les vainqueurs. Pendant plusieurs années après la guerre, le chancelier a été l’arbitre de l’Europe ; sa puissance même lui faisait trouver doux le repos du lion. Aujourd’hui, il a devant lui la série des difficultés intérieures et extérieures : il les classe, et peut-être pense-t-il qu’il est d’une bonne méthode de se mesurer successivement avec elles, pour ne point les léguer toutes ensemble à la seconde génération de l’empire.

La France a montré par des signes évidens sa volonté de retarder l’échéance que l’opinion européenne considère comme fatale. Les Allemands craignent ou font semblant de craindre qu’elle ne se précipite un jour et tout à coup dans la guerre ; mais cette promptitude aux résolutions extrêmes n’est plus dans nos mœurs, et nos institutions la rendent impossible. Nous avons, nous aussi, une armée nationale, et chacun de nous sait que la guerre suspendra toute vie et mettra des angoisses dans toutes les âmes. Personne, d’ailleurs, en France, n’a le pouvoir de donner le signal décisif : nous avons une procédure parlementaire pour la déclaration de guerre, et ceux qui dirigent aujourd’hui notre parlement avaient tout au moins âge déjeune homme en 1870 : ils ont des souvenirs qui rendent graves. Enfin nous vivons dans une crise continue, sous le régime de la division des partis, du conflit des programmes, des tiraillemens en tous sens, des efforts contradictoires qui se neutralisent et se perdent en piétinement. L’Allemagne sait comment et par qui elle serait gouvernée pendant la lutte : savons-nous qui nous gouvernerait? Pour toutes ces raisons, la France ne peut avoir une politique offensive. Elle est prête à une résistance qui serait formidable, car elle y mettrait toutes les forces accumulées depuis dix-sept ans, une résolution unanime et le sentiment que l’alternative est entre la victoire ou la mort ; mais elle ne prendra point la responsabilité de l’attaque : elle attendra. Cependant une réconciliation sincère est impossible. L’auteur de l’Allemagne actuelle nous donne de sages avis dans le chapitre original qu’il intitule la Revanche. Il y a, nous dit-il, des revanches inattendues, comme celle que la France a prise sur sa vieille ennemie, l’Angleterre, le jour où Bosquet a sauvé ses soldats à Inkermann, le jour encore où Pélissier a pris d’assaut Malakoff, pendant que nos alliés étaient arrêtés au pied du Grand-Redan. A merveille ! Mais comment et contre qui pourrions-nous donc nous allier à l’Allemagne? Il ne faut pas non plus nous proposer l’exemple de l’Autriche vaincue et réconciliée avec le vainqueur, car l’Autriche n’a point perdu d’âmes qui fussent siennes. Les territoires qu’on lui a enlevés ne lui appartenaient point. Elle n’a pas subi d’amputation dans la chair vive, et même ses malheurs lui ont été bienfaisans : elle marche plus librement depuis que son pied ne traîne plus ce boulet du royaume lombard-vénitien qui pesait si lourd à Sadowa. L’Allemagne a fait une tout autre condition à la France, qu’elle a mise dans l’impossibilité d’oublier la défaite.

Singulière situation! Deux peuples pacifiques et dont les génies, divers et puissans, collaboreraient efficacement au progrès de la civilisation, vivent sous la menace permanente de la guerre, l’attendent et se fatiguent à s’y préparer. Aussi entendons-nous des empiriques proposer un remède au mal : « Mieux vaut, disent-ils, en finir tout de suite. » Heureusement, il n’est point si simple d’appliquer ce remède effroyable. Un peuple vaincu n’a jamais attaqué le vainqueur, quelques années après la lutte, uniquement parce qu’il se croyait prêt à recommencer l’expérience; un peuple vainqueur n’a jamais attaqué le vaincu, parce qu’il le soupçonnait de vouloir prendre une revanche. Si la guerre est inévitable, personne ne voit comment elle pourra s’engager : la modalité est incertaine, et la partie si redoutable, qu’il ne se trouvera peut-être de sitôt, pour l’engager, aucune personne assez hardie, aucun homme assez inhumain. Dès lors, qui connaît les secrets de l’avenir? Il paraît insensé de rêver aujourd’hui le triomphe de la raison et de l’humanité, et d’espérer que l’Allemagne avoue jamais qu’elle s’est trompée en abusant de sa victoire; mais notre temps a vu tant de catastrophes, tant de révolutions, tant de reviremens inattendus! L’Allemagne est-elle donc assurée qu’elle pourra toujours braver l’hostilité de la France? Elle est aujourd’hui enchaînée à notre frontière, et, pour ainsi dire, captive de ses conquêtes. N’aura-t-elle jamais le désir de reprendre la liberté de ses mouvemens? N’en sentira-t-elle jamais la nécessité?

Quoi qu’il doive arriver, tenons compte des possibilités de l’avenir. Ayons, au moins pour la politique extérieure, le long espoir et les pensées vastes. Prenons garde d’y appliquer notre méthode des principes et des formules : il faut ici l’observation attentive, le calme, la patience, la docilité envers la force des choses, la prudence éclairée de la diplomatie. Pour dire toute notre pensée, il n’est point facile à un gouvernement démocratique de conduire une diplomatie, car la démocratie a des vues simples et elle aime les décisions promptes, au lieu que la diplomatie est en présence d’intérêts compliqués et fait entrer le temps dans ses calculs. La démocratie considère la lutte entre la France et l’Allemagne comme un duel entre deux personnes; elle a l’honneur irascible, et il est toujours à craindre qu’au moindre incident le sang ne lui monte à la tête : la diplomatie étudie tout l’échiquier de la politique européenne; elle place dans l’ensemble les questions particulières; elle sait que l’honneur d’une nation se répartit, pour ainsi dire, sur toute son histoire ; elle représente et elle sert la patrie continue. Elle atteste qu’il n’y a point de procédé plus puéril ni plus périlleux que d’accepter, sans examen, l’heure et le rendez-vous assignés par l’adversaire. Si la diplomatie et la démocratie étaient inconciliables, il faudrait redouter de graves surprises et peut-être des dangers mortels ; mais notre pays a fait preuve, dans des crises récentes, de sang-froid et de raison. L’Allemagne nous met à de rudes épreuves. Elle nous cherche des querelles qui ressemblent trop à celle du loup et de l’agneau. Elle fait semblant de s’alarmer, si nous voulons pourvoir à la sécurité d’une frontière où elle a massé tout le matériel d’une invasion. Elle a inventé un délit international nouveau, celui du souvenir; elle fait du regret un attentat, un casus belli de l’espérance. Pourtant, nous n’avons point perdu la tête. Si nous persévérons dans notre calme, si la démocratie française apporte dans les relations extérieures l’esprit de conduite et l’esprit de suite, si elle est clairvoyante et patiente, point obstinée au même objet, si elle ne se laisse point fasciner par les regards et les mouvemens d’aile de l’aigle d’Allemagne planant au-dessus des Vosges, elle attendra peut-être la récompense, mais elle l’aura.

N’allons point lui dire surtout qu’elle est nécessairement isolée dans le monde, et qu’elle ne peut compter que sur elle-même : ce serait la dispenser de toute sagesse, et, d’ailleurs, ce serait mentir. Les monarchies européennes ne s’entendront pas plus en ce siècle pour faire une croisade contre une république qu’elles ne se sont accordées au XVIe siècle pour renvoyer le Turc en Asie. Il n’y a point de sentimens en politique : il y a des intérêts. Les puissances monarchiques ont des intérêts qui se contredisent; elles ne semblent pas du tout disposées à faire régner sur la terre la paix perpétuelle. Le jour, soit lointain, soit prochain, où elles mobiliseront leurs armées, elles donneront des marques d’une considération empressée à un état, même démocratique, qui disposera d’un million de soldats.


ERNEST LAVISSE.

  1. La Politique médiatrice de l’Allemagne. Paris, 1855.
  2. M. Constantin Frantz.
  3. Art. 5 de la constitution.
  4. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié avec quelle finesse, quel esprit et quel talent M. Victor Cherbuliez a exposé ici-même le mécanisme de la constitution donnée par M. de Bismarck à l’Allemagne du Nord en 1866.