Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/L’Idée de Dieu

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 463-466).
XII


L’IDÉE DE DIEU




SUITE DE JÉHOVAH



Heureux l’œil éclairé de ce jour sans nuage,
Qui partout ici-bas le contemple et le lit !
Heureux le cœur épris de cette grande image,
Toujours vide et trompé si Dieu ne le remplit !

Ah ! pour celui-là seul la nature est sans ombre !
En vain le temps se voile et recule les cieux :
Le ciel n’a point d’abîme et le temps point de nombre

Qui le cache à ses yeux.


Pour qui ne l’y voit pas tout est nuit et mystères :
Cet alphabet de feu dans le ciel répandu
Est semblable pour eux à ces vains caractères
Dont le sens, s’ils en ont, dans les temps s’est perdu.

Le savant sous ses mains les retourne et les brise,
Et dit : « Ce n’est qu’un jeu d’un art capricieux. »
Et cent fois, en tombant, ces lettres qu’il méprise
D’elles-même ont écrit le nom mystérieux !

Mais cette langue, en vain par les temps égarée,

Se lit hier comme aujourd’hui ;

Car elle n’a qu’un nom sous sa lettre sacrée :

Lui seul ! Lui partout ! toujours Lui !

Qu’il est doux, pour l’âme qui pense,
Et flotte dans l’immensité
Entre le doute et l’espérance,
La lumière et l’obscurité,
De voir cette idée éternelle
Luire sans cesse au-dessus d’elle
Comme une étoile aux feux constants,
La consoler sous ses nuages,
Et lui montrer les deux rivages
Blanchis de l’écume du temps !

En vain les vagues des années
Roulent dans leur flux et reflux
Les croyances abandonnées
Et les empires révolus ;

En vain l’opinion qui lutte
Dans son triomphe ou dans sa chute
Entraîne un monde à son déclin ;
Elle brille sur sa ruine,
Et l’histoire qu’elle illumine
Ravit son mystère au destin !

Elle est la science du sage,
Elle est la foi de la vertu,
Le soutien du faible, et le gage
Pour qui le juste a combattu !
En elle la vie a son juge
Et l’infortune son refuge,
Et la douleur se réjouit.
Unique clef du grand mystère,
Ôtez cette idée à la terre
Et la raison s’évanouit !

Cependant le monde, qu’oublie
L’âme absorbée en son auteur,
Accuse sa foi de folie,
Et lui reproche son bonheur :
Pareil à l’oiseau des ténèbres
Qui, charmé des lueurs funèbres,
Reproche à l’oiseau du matin
De croire au jour qui vient d’éclore,
Et de planer devant l’aurore,
Enivré du rayon divin.

Mais qu’importe à l’âme qu’inonde
Ce jour que rien ne peut voiler ?

Elle laisse rouler le monde
Sans l’entendre et sans s’y mêler.
Telle une perle de rosée
Que fait jaillir l’onde brisée
Sur des rochers retentissants,
Y sèche pure et virginale,
Et seule dans les cieux s’exhale
Avec la lumière et l’encens.