L’Impératrice Joséphine et le prince Eugène (1804-1814)/03

La bibliothèque libre.
L’IMPÉRATRICE JOSÉPHINE
ET
LE PRINCE EUGÈNE
1804-1814
D’APRÈS LEUR CORRESPONDANCE INÉDITE[1]

III[2]
LES DISGRACIÉS

Neuf mois se sont écoulés : mois d’agonie pour Joséphine, qui, dès qu’elle a rejoint l’Empereur à Fontainebleau le 26 octobre, a compris qu’elle était condamnée. L’Empereur revient le 14 novembre à Paris où arrivent les rois de Saxe, de Wurtemberg, de Westphalie et de Hollande. L’arrêt est prononcé le 30 novembre. Le 8 décembre, Eugène arrive à Paris, où il est mandé. Le 14 décembre, Napoléon et Joséphine signent l’acte d’annulation du mariage ; le 15, le Sénat, sur un discours d’Eugène, rend un sénatus-consulte conforme. Joséphine se retire à Malmaison ; mais la vie y est insupportable en hiver pour elle et pour son entourage. L’Elysée faisant partie de son douaire, elle s’y installe le 3 février au soir, du plein consentement de l’Empereur, qui lui a témoigné depuis le divorce une tendresse accrue par le sacrifice qu’il lui a imposé. Le 2, Eugène a précédé sa mère à l’Elysée. Il part le 13 pour l’Italie, dépossédé de la couronne qui lui avait été promise, honoré de la future succession du grand-duché de Francfort et investi de principautés et de dotations aléatoires. Il fait bonne mine à mauvais jeu, mais Auguste, vis-à-vis de laquelle, lors de son mariage, l’Empereur a pris de formels engagemens, ne pardonne pas.

Eugène doit revenir pour le mariage impérial auquel il est invité ainsi que la vice-reine.


Paris, le 23 février (1810).

« Je t’ai écrit il y a peu de jours, ainsi qu’à ta femme, mon cher Eugène. J’attends de tes nouvelles avec impatience. J’ai toujours le cœur bien triste. L’Empereur est à Rambouillet. La reine de Hollande l’a accompagné, je reste seule, et cet isolement augmente ma mélancolie. J’ai eu le feu chez moi avant-hier dans l’appartement que tu as occupé, celui qui avoisine ta chambre à coucher. Il parait qu’avant ton départ, il y était déjà et je ne suis plus étonnée de la fumée dont tu te plaignais. Il avait miné sourdement une poutre qui traversait la cheminée. Tout, dans l’appartement, a été consumé. Heureusement que cet accident est arrivé de jour et de bien grand matin. Je ne l’ai su que quand tout a été fini. Ton valet de chambre a fait une maladie très grave. J’ai ordonné que l’on en ait le plus grand soin, mais il ne sera en état de partir que dans huit jours. Il en restera quinze en route et, à cette époque, tu seras au moment de revenir. Je lui ai donné l’ordre de t’attendre ici. On m’a priée de te recommander le petit-fils de M. d’Espagnac, ancien gouverneur des Invalides. Il est à Milan dans ce moment. J’ignore ce qu’il demande, mais je porte de l’intérêt à sa famille. J’embrasse Auguste et mes petites-filles. Leur présence et ta tendresse me sont bien nécessaires.

« JOSEPHINE.

« Tu me ferais plaisir de m’envoyer des perles d’or comme celles que tu as données à Hortense et dans la même quantités »


Est-ce une comédie que joue Joséphine ? Elle veut paraître heureuse des plus dures vicissitudes et il faut qu’Eugène s’en réjouisse avec elle !

Le 1er mars, l’Empereur adresse au Sénat un message par lequel il constitue le grand-duché de Francfort au profit du Prince primat et, à la mort de celui-ci, en assure la réversibilité à Eugène et à ses hoirs : c’est consacrer le dépouillement d’Eugène des droits qui lui avaient été reconnus sur le royaume d’Italie. Dans le message au Sénat, l’Empereur fait seulement ces deux allusions. D’abord pour le présent : « Elevé au grand-duché de Francfort, nos peuples d’Italie ne seront pas pour cela privés de ses soins et de son administration. Notre confiance en lui sera constante comme les sentimens qu’il nous porte ; » et pour l’avenir : « La postérité… venant à s’éteindre ou ledit prince Eugène-Napoléon, comme prince d’Italie, venant à être appelé à la couronne de ce royaume, » hypothèse que Napoléon n’admet qu’au cas où faillirait la postérité de son second fils, à naître, qu’il destine au trône d’Italie.

Quant à la terre de Navarre, que Napoléon ajoute à la dotation de Joséphine, il donnera à ce présent sa signification en invitant l’épouse répudiée à aller y résider de préférence à l’Elysée et à Malmaison[3]. A la vérité, Navarre sera duché et appartiendra plus tard au prince Eugène : mais quoi ! une impératrice-reine qui devient duchesse, quelle étrangeté !


Paris, ce 12 mars (1810).

« J’ai eu, il y a peu de jours, mon cher Eugène, un grand sujet de consolation dans la nouvelle marque d’attachement que l’Empereur t’a donnée et dans la manière pleine de bonté dont il parle de toi dans sa lettre au Sénat ; je reçois aujourd’hui pour moi-même une preuve de son amitié : il me donne Navarre, et tu n’es pas oublié dans cette donation ; je t’envoie la copie des deux décrets. Il m’est bien doux de voir que l’Empereur pense à moi, et que ses sentimens sont toujours les mêmes. Tu en seras aussi heureux que moi. J’espère que je ne tarderai pas à te voir et que le passage du Mont-Cenis sera moins difficile ou du moins que tu seras plus prudent, surtout ayant ta famille avec toi. Il me tarde bien d’embrasser mes petites-filles et de témoigner à ta femme tout le plaisir que m’a fait sa dernière lettre. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


Invitée, le 12 mars, par l’Empereur, à partir le 25 pour Navarre et à y passer le mois d’avril, Joséphine n’a pas trouvé le château habitable (lettre du 3 avril à Hortense) et, dès le 3 mai, elle a formé le projet d’aller à Aix-la-Chapelle, après avoir passé quelques jours à Malmaison. Eugène, invité au mariage impérial avec Auguste, est arrivé le 20 mars à Paris, et, dans l’intervalle des fêtes, où il est ainsi que sa femme à l’avant-dernier rang, il sert d’intermédiaire et de négociateur entre sa mère et l’Empereur. (Lettres de Joséphine à Napoléon du 19 avril, de Napoléon à Joséphine du 21, de Joséphine à Napoléon du 25, d’Eugène à Napoléon du 25, de Napoléon à Eugène du 26, de Napoléon à Joséphine du 26.) C’est à cette lettre que Joséphine fait allusion dans la lettre suivante. L’Empereur lui a dit : « Eugène m’a dit que tu veux aller aux eaux ; ne te gêne en rien. N’écoute pas les bavardages de Paris. Ils sont oisifs et bien loin de connaître le véritable état des choses. » Elle changera donc Aix-la-Chapelle pour Aix-les-Bains, où « elle trouvera plus de distraction dans un lieu qu’elle n’a pas encore vu et dont la situation est pittoresque. » Mais elle n’y part que vers le 20 juin, après avoir passé un mois à Malmaison.


(Avril 1810.)

« Je reçois à l’instant ta lettre, mon cher Eugène, et je m’empresse de te répondre. Je le remercie d’avoir fait toutes mes commissions. La lettre de l’Empereur est bonne et aimable, mais, puisque tu l’accompagnes, tu me ferais plaisir de savoir si, sans lui déplaire, je pourrai m’absenter un an de France et réaliser le projet que nous avions fait ensemble. De plus, je désire savoir ton opinion sur le moment où je dois aller à Malmaison, si je dois attendre précisément que l’Empereur soit de retour, ce qui serait peut-être mal interprété, ou plutôt me rendre à Malmaison pour le 5 ou le 6 mai, c’est-à-dire quelques jours avant le retour. L’Empereur, dans sa lettre, me laisse entièrement libre de faire ce que je veux, et il me recommande surtout de ne point écouter les bavardages de Paris. Réponds-moi de suite, mon cher Eugène ; j’attends ton avis sur ce que je dois faire. Je regrette que tu ne puisses pas venir à Navarre. Auguste devrait bien venir passer avec moi le temps de ton absence. J’aurai tant de plaisir à la voir et j’en aurai tant de soin 1 Je vais écrire à Corvisart pour savoir si je peux sans inconvénient aller à d’autres eaux que celles d’Aix-la-Chapelle ; mais je sais qu’il a écrit hier à mon médecin qu’il tenait pour ma santé aux eaux d’Aix-la-Chapelle. J’écrirai demain à l’Empereur. J’adresserai ma lettre à Lavallette. Adieu, mon cher Eugène, tu es un fils bien tendre pour ta mère. Elle t’en remercie et t’embrasse bien tendrement.

« JOSEPHINE. »


L’Empereur a autorisé l’échange d’Aix-la-Chapelle pour Aix-les-Bains. Il n’a aucune idée d’aller ici et il pourrait aller là. Tout est donc pour le mieux. Joséphine, avant ou après sa cure, ira visiter la Suisse qui jamais ne fut autant à la mode ; mais on a vu que dans un moment de découragement, elle a demandé si, sans déplaire à l’Empereur, « elle pourrait s’absenter un an de France et réaliser le projet qu’elle avait fait avec son fils. » C’est là l’origine de toutes les tracasseries qui assombriront son voyage et qui lui feront voir dans ce qu’on lui mandera de Paris un ordre d’exil, alors que l’Empereur croira aller au-devant de désirs, qui, pour la première fois, seraient raisonnables.

Vers le 5 juillet, Eugène quitte Paris pour rentrer en Italie ; il vient voir sa mère à Aix, mais Auguste, enceinte, reste à Sécheron, près de Genève, où Joséphine lui rend visite.


Aux eaux d’Aix, ce 15 juillet (1810).

« J’ai trouvé à mon retour ici, mon cher Eugène, la seule chose qui pût me dédommager de t’avoir quitté, une lettre de l’Empereur, parfaitement bonne et aimable pour moi et pour Hortense. Il me mande, ce que tu auras lu dans les journaux, qu’il a réuni la Hollande à la France et que cet acte a cela d’heureux qu’il tranquillise la Reine et qu’elle viendra à Paris avec ses deux fils[4]. Tu sais, mon cher Eugène, que sa seule ambition est le repos et l’amitié de l’Empereur. Avec ces deux biens elle aura tous les autres. J’espère que le titre et la fortune de Tascher seront bientôt fixés[5], si même ils ne le sont pas déjà. Témoigne à ma chère Auguste tout le plaisir que j’ai eu à passer une journée avec elle. Vous allez revoir mes petites-filles. Je regrette bien de ne pas les embrasser aussi. Adieu, mon cher Eugène, le meilleur des fils ; tu connais toute ma tendresse pour toi.

« JOSEPHINE. »


(Aix)20 juillet (1810).

« M. de La Bédoyère[6]est venu prendre mes commissions pour toi, mon cher Eugène. Il est bien heureux d’aller te rejoindre, tandis que je reste si loin de toi et que j’ai joui un seul moment du bonheur de te voir. Au reste, il a été bien doux pour moi puisqu’il a fait diversion à tous mes chagrins. Je n’ai pas eu d’autre lettre de la Reine depuis celle du 18. Je l’attends ces jours-ci à Aix où elle vient prendre les eaux. On ne sait encore rien de positif sur le Roi[7] ; on présume qu’il a passé aux Colonies hollandaises. On parle beaucoup de cette disparition à Paris. L’Empereur doit être bien malheureux. On dit que la proclamation du Roi a été arrangée dans le Moniteur. Il se plaignait beaucoup de son frère et a même prononcé les mots de haine. Si j’apprends quelque chose de plus positif, je te le manderai. Je ne puis m’empêcher d’être inquiète de son sort. J’espère que tu as trouvé tes petites filles bien portantes. Donne-moi de leurs nouvelles, de celles d’Auguste et des tiennes. Je vous embrasse tous bien tendrement.

« JOSEPHINE.

« Envoie-moi de bons fromages. »


(21 juillet).

« Je t’ai écrit hier, mon cher Eugène, par le capitaine de tes gardes. Aujourd’hui Sanois[8]va rejoindre son régiment qui est sous tes ordres et je profite de son départ pour te recommander ce jeune homme. Il est mon cousin-germain. Je désire lui faire une pension. Mande-moi quelle somme je pourrais fixer pour sa pension. Il se répand une nouvelle qui parait très fondée. On dit que Bernadotte est nommé, par l’Empereur, roi de Suède[9], que l’empereur de Russie veut son frère et que les Suédois penchent pour ce dernier et qu’en confidence ils ont refusé net Bernadotte. On dit l’Empereur très en colère et qu’il leur avait fait signifier que s’ils ne l’acceptaient pas pour roi, qu’il réunirait la Suède au Danemark. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse et je t’aime tendrement.

« JOSEPHINE. »


L’Empereur avait écrit, à la date du 20 juillet : « Je vois avec plaisir… que tu aimes Genève. Je pense que tu fais bien d’y aller quelques semaines. » D’où le projet du voyage en Suisse ; mais l’Empereur avait dit aussi Milan ou Navarre pour l’hiver, et Joséphine trouvait toujours des prétextes pour retournera Malmaison, où elle espérait être tolérée, car on l’y voyait sans plaisir, et elle le savait ; mais pourvu qu’elle ne quittât point Paris et les environs, ses marchands et son monde, elle était prête à tout supporter.


Aux eaux d’Aix, ce 23 août (1810 ? ).

« Je vois avec regret, mon cher Eugène, que la saison s’avance et qu’il ne me reste plus assez de temps pour aller en Italie. Le désir d’attendre la Reine m’a fait prolonger mon séjour à Aix, mais, comme les eaux lui font du bien, on lui a conseillé de les continuer jusqu’au milieu de septembre. Je compte employer le temps à voir le lac de Genève, le Montanvert et quelques parties de la Suisse. La Reine viendra m’y rejoindre et nous reprendrons ensemble le chemin de Malmaison. C’est après-demain que je commence ma tournée et que je partirai pour le Sécheron où j’ai fait retenir l’auberge que tu as occupée. J’espère m’arranger l’année prochaine de manière à être plus heureuse et à pouvoir aller passer quelques mois avec toi et avec Auguste. Je sais que, dans ce moment, tu as beaucoup d’occupation et de travail à reprendre ; mais, je t’en prie, mon cher Eugène, n’excède pas tes forces et ménage ta santé. N’oublie pas que tu es l’espérance de ta famille et le seul bien de ta mère. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse avec tendresse.

« JOSEPHINE. »


Il apparaissait à Eugène, comme à tous ceux qui portaient intérêt à l’Impératrice, qu’elle aurait tort de revenir à Paris et de risquer ainsi une sorte de rivalité avec la nouvelle épousée dont nul n’ignorait la jalousie. Eugène le lui avait écrit ; sur quoi elle s’était adressée directement à l’Empereur[10].


Au Sécheron, le 25 septembre (1810).

« Tu sais, mon cher Eugène, combien j’ai de confiance en toi. Tout ce que tu me mandes sur les inconvéniens de retourner en ce moment à Paris m’a extrêmement frappée. J’ai de suite retardé mon départ, mais ne voulant rien faire qui ne soit agréable à l’Empereur, je lui ai écrit pour lui demander franchement ce qu’il me conseillait de faire. Il a toujours été mon guide, j’espère qu’il voudra bien l’être encore. Je t’envoie copie de ma lettre ; c’est la Reine qui est chargée de la porter. Elle a passé ici quarante-huit heures et s’est mise en route hier matin pour Paris. Elle verra l’Empereur à son arrivée. Ainsi, j’espère qu’elle m’enverra sa réponse ou me fera connaître ses intentions. Tu as bien raison aussi relativement aux nouvelles constructions que j’avais projetées à Navarre et je me félicite d’avoir été de ton avis, même avant de recevoir ta lettre, car je venais d’écrire à l’intendant général de ma maison de se borner à faire réparer le château qui existe et d’ajourner entièrement toute construction nouvelle. Je vais profiter des derniers beaux jours pour visiter la Suisse. Je pars demain et je compte trouver à Berne la réponse de la Reine. Si l’Empereur me conseille de prolonger mon absence, je ferai chercher une maison près des bords du lac pour l’habiter à mon retour de la Suisse et j’irai à Milan pour les couches de ta femme. Le bonheur de revoir mes enfans sera une douce consolation. Adieu, mon cher Eugène, tu sais combien je t’aime. J’embrasse tendrement ta femme et mes petites-filles.

« JOSEPHINE. »

« C’est Billi[11]qui te remettra ma lettre. Il a été très aimable et très dévoué pour moi dans ce pays-ci. »


COPIE DE MA LETTRE A l’EMPEREUR


A Sécheron, le 23 septembre.

« La Reine, qui est venue ici passer deux jours avec moi, me quitte demain pour retourner à Paris. Elle espère avoir bientôt le bonheur de te voir. Permets que je la recommande à ton amitié qui est notre seule espérance. Elle te remettra cette lettre que je t’écris avec le trouble dans le cœur, car chaque instant me fait mieux sentir l’embarras de ma position. Plus j’approche de l’époque que j’avais fixée pour le terme de mon voyage, plus je suis incertaine de ce que je dois faire. Bonaparte, tu m’as promis de ne pas m’abandonner. Voici une circonstance où j’ai bien besoin de tes conseils. Je n’ai que toi dans le monde, tu es mon seul ami, parle-moi donc franchement. Puis-je retourner à Paris, ou dois-je rester ici ? Sûrement j’aimerais mieux me rapprocher de toi, surtout si j’avais l’espérance de te voir, mais si cette espérance ne m’est pas permise quel serait mon rôle tout cet hiver ? Au lieu qu’en prolongeant encore mon absence, pendant sept à huit mois, les circonstances me deviendront, j’espère, plus favorables, puisque l’Impératrice aura acquis de nouveaux droits à ton amour ! Je charge la Reine de causer avec toi sur mes intérêts et d’entrer dans tous les détails que je ne puis pas t’écrire. Elle te dira combien tu m’es cher et qu’il n’y a aucun sacrifice qui puisse me coûter lorsqu’il s’agit de ton repos. Si tu me conseilles de rester, je louerai où j’achèterai une petite campagne aux bords du lac. Je désire seulement savoir s’il n’y aurait pas d’inconvénient à l’avoir près de Lausanne ou de Vevey, si je trouvais le site plus conforme à mes goûts. J’irai aussi en Italie pour voir mes enfans. Je compte employer une partie de l’automne à parcourir la Suisse, car j’ai besoin de beaucoup de distractions et je n’en trouve qu’en changeant de lieux. Je retournerai peut-être encore l’été prochain aux eaux d’Aix qui m’ont fait du bien. Ce sera une année d’absence, mais une année que je supporterai par l’espérance de te revoir ensuite et par l’idée que ma conduite aura eu ton approbation. Décide donc ce que je dois faire et, si tu ne peux pas m’écrire, charge la Reine de me faire connaître tes intentions. Ah ! je t’en conjure, ne refuse pas de me guider. Conseille ta pauvre Joséphine ; ce sera une preuve d’amitié et tu la consoleras de tous ses sacrifices. »


L’Empereur a fait répondre par Mme de Rémusat une lettre que l’Impératrice a reçue à Berne, probablement dans la première quinzaine d’octobre. Joséphine y voit une menace de proscription, elle écrit à l’Empereur, à Hortense, elle envoie Deschamps, son secrétaire, aux nouvelles. Elle offre de rester à Genève, d’aller à Milan, de ne reparaître à Navarre qu’en septembre. Elle passe à des velléités de résistance désespérée. Enfin, le 13 octobre, elle reçoit par Hortense les dernières instructions de l’Empereur. Il a dit Milan ou Navarre. Elle choisit Navarre et tout de suite s’en vient à Malmaison. Car elle a de la logique. De là elle écrit :


A Malmaison, 17 septembre (1810).

« J’ai différé de t’écrire, mon cher Eugène, j’attendais une occasion sûre et je profite aujourd’hui du départ du trésorier de la couronne d’Italie[12], pour te donner quelques détails sur ma position. Tu connais la lettre que j’ai écrite à l’Empereur, je t’en ai envoyé copie. J’ai reçu sa réponse à mon retour de la Suisse, à Sécheron. Il me laisse entièrement libre sur le choix de mon séjour ; seulement, il regarde Navarre et Milan comme les lieux les plus convenables. C’est à Milan que j’aurais donné la préférence. Tu sais combien je désirais aller passer quelques mois auprès de toi, mais tu n’imagines pas tous les bruits qu’on a répandus à ce sujet. On a prétendu que j’avais reçu l’ordre d’aller en Italie et que je ne reviendrais plus en France. L’inquiétude avait gagné jusqu’aux personnes de ma maison. Toutes craignaient un voyage qui ne devait plus avoir de terme. J’ai donc été obligée de renoncer à ce qui m’aurait été le plus doux et à ne pas quitter la France, au moins cette année. Il paraît que l’impératrice Marie-Louise n’a pas parlé de moi et qu’elle n’a aucun désir de me voir. En cela nous sommes parfaitement d’accord, et je n’aurais consenti à la voir que pour plaire à l’Empereur. Il paraîtrait même qu’elle a pour moi plus que de l’éloignement, et je n’en vois pas la raison, car elle ne me connaît que par le grand sacrifice que je lui ai fait ; je désire comme elle le bonheur de l’Empereur, et ce sentiment devrait la rapprocher de moi. Mais rien de tout cela n’influence sur ma conduite. Je me suis tracé la ligne que je dois suivre et je ne m’en écarterai pas : c’est de vivre éloignée de tout dans la retraite, mais avec dignité et sans rien demander que le repos. Les arts et la botanique seront mes occupations ; l’été, j’irai aux eaux, et, pour me rapprocher de toi, je viens d’acheter une jolie campagne sur les bords du lac de Genève, et pour 165 000 francs[13]. Je passerai cet hiver à Navarre où je me rendrai cette semaine. Le peu de jours que je suis restée à Malmaison m’était nécessaire pour me reposer après mon voyage en Suisse. J’y ai vu peu de monde. Les personnes qui, dans d’autres temps, avaient paru m’être très attachées, ne m’ont pas toutes donné des preuves de souvenir. Je leur pardonne de bon cœur. Je ne me rappelle que ceux qui ne m’ont pas oubliée et je ne pense pas aux autres. Je saurai, j’espère, trouver le bonheur autour de moi et dans la tendresse de mes enfans, car je suis sûre que mon cher Eugène m’aimera toujours comme je l’aime. Je n’avais pas dit à M. d’ (Arenberg ? ) ce dont tu me parles dans ta lettre. Il faut qu’il se soit mal expliqué, car je suis bien convaincue que tu ne m’écris rien que d’après ton cœur et ce que tu juges le plus avantageux pour moi. Le général Bertrand m’a dit qu’il devait t’écrire pour te prier d’être parrain de l’enfant dont sa femme vient d’accoucher[14]. Je l’ai assuré que tu lui donnerais avec plaisir cette marque de ton attachement pour lui. Adieu, mon cher fils, j’embrasse Auguste et mes petites-filles et je t’aime tendrement.

« JOSEPHINE. »


Après un séjour de quinze jours à Malmaison (du 1er au 15 novembre), Joséphine est partie pour Navarre où elle restera jusqu’au mois de septembre 1811. C’est là qu’elle apprend la naissance de son petit-fils Auguste-Eugène-Charles-Napoléon, né à Milan le 9 décembre 1810[15]. La nouvelle en a été apportée à l’Empereur par le comte Caprara, grand-écuyer du royaume d’Italie, « l’un des premiers et des plus constans amis que j’ai eus en Italie, » écrivait Napoléon à Eugène le 25 mars 1806. Il était le neveu du cardinal de Milan, et malgré les désordres d’une vie toute livrée au jeu, il resta fort avant dans la faveur de l’Empereur qui le fit grand-croix de la Couronne de fer et sénateur.


Navarre, le 16 décembre (1810).

« Ta lettre du 9, mon cher Eugène, m’est parvenue hier. Tu ne pouvais me donner de nouvelle plus agréable et plus vivement attendue que celle de l’heureuse délivrance d’Auguste. Je sais combien elle désirait un fils. Voilà ses vœux et les nôtres comblés, et je partage tout votre bonheur. Cette nouvelle a répandu la joie dans ma maison. Il y a longtemps que nous n’en avions autant éprouvé. Je n’ai point encore vu Caprara ; il est resté aujourd’hui pour faire sa cour à l’Empereur, mais il doit venir ici demain, et tu devines à combien de questions il doit s’attendre. J’espère le retenir à Navarre quelques jours, quoique les plaisirs n’y soient pas très vifs. La vie que je mène est celle d’une dame de château. Ma société n’est pas très nombreuse. J’ai maintenant près de moi sept ou huit dames et un homme ou deux tout au plus, quand il y a un chambellan, ce qui donne au château un peu l’air d’un couvent. Tu juges d’après cela combien Caprara sera édifié et peu amusé. Il se promènera quand il fera beau et, les jours de pluie, il restera avec nous au salon, où M. de Vielcastel[16]lui fera la lecture. J’ai été indisposée les premiers jours de mon arrivée, peut-être à cause de l’humidité. On m’a donné l’émétique qui a coupé la fièvre, et je serais très bien à présent sans un peu de faiblesse qui m’est restée sur les yeux. Cependant je les ai encore assez bons pour bien voir mon petit-fils, s’il était ici. Embrasse-le pour moi. Je ne te dis rien pour Auguste parce que je lui écris. Adieu, mon cher Eugène, tu sais combien je t’aime tendrement. Donne-moi souvent des nouvelles de ta femme et de tes enfans.

« JOSEPHINE. »


Navarre, le 22 décembre (1810).

« J’ai été pendant quatre jours bien inquiète de ton silence, mon cher Eugène, et j’allais t’écrire pour te demander des nouvelles d’Auguste et de mon petit-fils, quand ta lettre du 13 m’est parvenue. Je vois avec peine que j’avais raison d’être inquiète et que ma chère fille a été bien souffrante. Fais-moi donner souvent de ses nouvelles. J’attendrai avec impatience que tu m’assures positivement qu’il n’y a plus le moindre sujet de crainte. Ma santé est assez bonne, mais je ne me porterai tout à fait bien que lorsque Auguste sera rétablie. J’espère que tu as souvent des nouvelles d’Hortense. Il n’y a encore rien de décidé sur son sort. Je pense que l’Empereur va s’en occuper dans ce moment, ayant fixé l’apanage du Roi[17]. Elle attend avec impatience de voir son sort assuré. Elle n’a pas pu venir à Navarre depuis que j’y suis. Je compte qu’elle viendra le mois prochain. Adieu, mon cher Eugène, tu sais combien ma tendresse pour toi est grande. J’embrasse de bien bon cœur mon petit-fils et mes petites-filles.

« JOSEPHINE. »


A la suite de ses couches, la vice-reine avait été très souffrante d’un accident rhumatismal à la main droite que le célèbre Scarpa, son médecin, soigna par les eaux du Padouan. Cette cure servit de prétexte à Auguste pour esquiver le voyage de Paris, lors de la naissance du roi de Rome.


Navarre, le 1er janvier (1811).

« Ce que tu me mandes des souffrances d’Auguste m’afflige beaucoup, mon cher Eugène. Ta lettre du 24 décembre m’est arrivée ce matin et m’a donné de bien mauvaises étrennes. Je regrette de n’être pas auprès de ta femme et auprès de toi, car je sais combien tu l’aimes et combien tu dois souffrir aussi. Mon médecin, que j’ai consulté, m’a dit que ces sortes de rhumatismes n’avaient rien de dangereux, que souvent ils cédaient à la seconde ou à la troisième application de sangsues. Tu me feras plaisir de charger Méjan ou Bataille de m’envoyer tous les jours un bulletin de sa santé, car je sais que tu n’as pas toujours le temps d’écrire. Adieu, mon cher Eugène, je suis bien affectée de savoir Auguste souffrante. Dis-lui tous les vœux que je fais pour son prompt rétablissement. Je t’embrasse tendrement et ta famille.

« JOSEPHINE. »


A Navarre, ce 5 janvier 1811.

« Je suis bien heureuse, mon cher Eugène, d’avoir reçu aujourd’hui ta lettre du 28 décembre. Tu peux juger combien j’étais inquiète d’Auguste par mon attachement pour elle et par l’idée de tout ce que tu souffrais. Ta lettre du 26 m’avait vivement affectée ; je suis plus tranquille aujourd’hui et j’espère, d’après ce que tu me mandes, qu’il n’y a réellement aucun danger. Autrement j’irais de suite auprès d’elle. La saison ne m’arrêterait pas. Ecris-moi, mon cher Eugène ; j’ai besoin de tes lettres et je les attends avec impatience. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse et ta famille.

« JOSEPHINE. »


A Navarre, ce 20 janvier 1811.

« Je vois avec peine, mon cher Eugène, que la convalescence d’Auguste marche lentement ; je sais qu’il n’y a aucun danger, et c’est ce qui me rassure, mais je suis bien affectée de la voir souffrir si longtemps. Afin de me distraire de cette idée, je me suis occupée d’une petite parure pour elle et j’espère qu’elle pourra bientôt s’en servir. Je la lui envoie par M. de [Caprara] que je charge aussi de te porter le sabre que je te destinais depuis longtemps[18]. Ces petits soins embellissent ma solitude. Je t’ai déjà parlé de la vie de Navarre ; elle est toujours la même et je m’y accoutume. C’est un bien si doux que la tranquillité ! L’ambition est la seule chose qui puisse en dégoûter et, Dieu merci, je ne suis pas atteinte de cette maladie. Je voudrais seulement être plus à même de te voir. Peu de choses alors me manqueraient. Hortense est ici depuis quelques jours ; elle retourne demain à Paris. Elle est si maigre et si changée que j’ai presque autant de peine que de plaisir à la voir. Je voudrais bien lui donner ma santé qui est très bonne dans ce moment. La gelée a repris depuis hier, ce qui augmentera les promenades et diminuera les lectures du salon. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse tendrement et ta petite famille.

« JOSEPHINE. »


Navarre, le 1er février (1811).

« J’ai été pendant plusieurs jours très inquiète, mon cher Eugène, de ne pas recevoir de bulletin de la santé d’Auguste, mais celui du 23 m’a rassurée. Je vois que la fièvre et les douleurs l’ont quittée, et j’espère qu’elle sera bientôt rétablie. Je voudrais avoir la même espérance pour Hortense, mais elle est toujours bien faible et Pierlot[19], qui arrive de Paris, m’a dit que dimanche dernier, au dîner de l’Empereur, elle s’était trouvée mal. Heureusement, mes inquiétudes ont été aujourd’hui dissipées ; je sais qu’elle va mieux. Adieu, mon cher Eugène, tu connais toute ma tendresse pour toi. J’embrasse tendrement Auguste et la famille.

« JOSEPHINE.

« Je désirerais bien avoir, mon cher Eugène, des crêpes de Bologne. Tu serais aimable de m’en envoyer de blancs et de couleur. Ils sont plus beaux qu’en France. »


L’Impératrice reste à Navarre jusqu’au 3 septembre. « L’approche de l’automne m’a engagée à quitter Navarre, » écrit-elle le 5 à Hortense. Elle vient de recevoir une lettre de l’Empereur, en date de Trianon le 20 août, où elle a lu : « Mets de l’ordre dans tes affaires. Ne dépense que 1 500 000 francs et mets de côté tous les ans autant : cela fera une réserve de quinze millions en dix ans pour tes petits-enfans ; il est doux de pouvoir leur donner quelque chose et de leur être utile. Au lieu de cela, on m’a dit que tu as des dettes, cela serait bien vilain. Occupe-toi de tes affaires et ne donne pas à qui en veut prendre. Si tu veux me plaire, fais que je sache que tu as un gros trésor. Juge combien j’aurais mauvaise opinion de toi si je te savais endettée avec trois millions de revenu. » Cela va faire l’objet principal de la lettre suivante :


A Malmaison, ce 25 septembre (1811).

« J’ai reçu ta lettre du 16, mon cher Eugène. Je sens avec quel plaisir Hortense se sera mise en route pour les îles Borromées[20]. Il m’eût été bien doux de l’accompagner dans ce petit voyage, mais j’espère que mon tour arrivera, et je compte partir à la fin d’octobre, à moins que ma santé ne s’y oppose. Je ne suis pas bien portante depuis trois mois. Je ne sais pas si c’est l’air de Navarre où nous avons été tous plus ou moins malades. Moi qui ai l’air en apparence de bien me porter, j’éprouve une douleur à la tête et des bourdonnemens dans les oreilles à me faire craindre de devenir sourde, puisque quelquefois je n’entends pas. J’ai consulté Corvisart qui m’a fait mettre des sangsues, mais je n’en suis pas moins souffrante. Il paraît décidé à me faire mettre un vésicatoire au col. J’ai reçu avant mon départ de Navarre une lettre de l’Empereur. Il me parlait avec bonté de mes dettes ; il parait qu’on les lui a fort exagérées, mais je compte que bientôt il n’en entendra plus parler. Je mets dans ma maison le plus d’ordre possible et je ne me permets aucune dépense nouvelle. Je t’avouerai que si quelque autre motif que celui de ma santé peut me faire suspendre mon voyage de Milan, ce serait la crainte d’augmenter mes dépenses, car le séjour d’une grande ville exige toujours de la représentation ; mais alors, ce voyage ne serait que différé ; je serai libre de toute dette au printemps prochain. À cette époque, rien ne m’empêcherait plus de rester avec toi jusqu’à la saison des eaux. Tu connais ma position. Mande-moi ce que tu me conseilles de faire. J’ai reçu ta procuration pour te faire suppléer par le grand-duc de Berg au baptême du fils de M. de La Rochefoucauld. Je n’attends pour en faire usage que le retour de ce dernier. M. de La Rochefoucauld dont il est question est le mari de Mme de La Rochefoucauld, ancienne dame d’honneur. Son fils a dix ans[21]. Adieu, mon cher Eugène, tu connais toute ma tendresse pour toi. J’embrasse tendrement Auguste et mes petits-enfans. Si Hortense est encore avec toi, embrasse-la bien pour moi ; dis-lui que ses enfans sont toujours à Malmaison, qu’ils jouissent de la meilleure santé possible et que je ne puis m’en séparer.

« JOSEPHINE. »


L’Impératrice, tout en achetant Prégny et en projetant des travaux considérables à Malmaison et à Navarre, avait cru, peut-être de bonne foi, que certaines combinaisons de son intendant lui permettraient de payer ses dettes. Le Trésor de la Couronne avait dû avancer plusieurs centaines de mille francs et l’Empereur était fort fâché, au moment même où Joséphine se croyait assurée d’être entièrement libérée.


A Malmaison, ce 11 octobre (1811).

« J’ai reçu ta lettre, mon cher Eugène, elle m’a été d’autant plus agréable que j’étais peinée de ton silence. Je t’ai écrit il y a quelques jours. Tu auras vu par les détails où je suis entrée les motifs qui m’ont empêchée d’aller te voir. Sois sûr que j’ai beaucoup souffert de cette privation ; mais je commence à en retirer le fruit, car, au moyen des soins que j’ai pris, toutes mes dettes seront acquittées à la fin de ce mois et je m’en trouve heureuse, moins encore par le motif de ma propre tranquillité que par l’espérance de faire ce qui peut être agréable à l’Empereur. J’aurais pu rendre la charge moins lourde en l’étendant sur l’année prochaine, mais les intentions de l’Empereur n’auraient pas été aussi bien remplies, et l’idée qu’il sera content de moi me donne du courage pour supporter les sacrifices. Ma santé est assez bonne dans ce moment. Je vis ici comme à Navarre. J’ai eu le plaisir de terminer il y a peu de temps le mariage que je t’avais annoncé du comte de Pourtalès et de Mlle de Castellane[22]. La noce s’est faite à Malmaison et sans bruit. Adieu, mon cher Eugène, je n’ai pas besoin de te dire combien tu m’es cher ; embrasse pour moi Auguste et mes petits-enfans. »

« JOSEPHINE. »


Deux années n’ont point passé depuis la dernière liquidation, le dernier paiement des dettes de Joséphine par l’Empereur. Depuis le divorce où tout fut soldé, elle a, outre la dépense de ses trois millions annuels, engagé 1 200 000 francs de dettes avouées, sans parler de huit à neuf cent mille ajournées. L’Empereur, qui est informé que « les dépenses de cette maison sont fort désordonnées, » écrit (1er novembre) à Mollien pour qu’il déclare au nouvel intendant, M. de Montlivault, que la Couronne ne paiera plus le million assigné pour le douaire s’il ne rapporte la preuve que toutes les dettes sont éteintes. Il s’agit de ramener Joséphine à quelque prudence et de lui faire peur.


A Malmaison, le 27 octobre (1811).

« Ton silence, mon cher Eugène, me fait craindre que tu ne croies avoir à te plaindre de moi. Tu ne serais pas juste, mon cher fils. Tu dois savoir combien il m’aurait été doux d’aller passer l’hiver avec toi, mais plusieurs motifs m’en ont empêchée, et tu vas juger toi-même qu’il n’y a pas de ma faute. J’avais depuis quelque temps des sujets d’inquiétude relativement au million qui m’est assigné par l’Empereur sur le Trésor de la Couronne. Le duc de Frioul avait laissé entendre à mon intendant général que l’Empereur pourrait bien le retrancher de mon revenu et, dernièrement, une lettre de M. Estève est venue augmenter mes craintes. Il a écrit à M. de Montlivault qu’il avait ordre de ne pas me payer le million l’année prochaine, à moins qu’il ne lui fût délivré par mon intendant une attestation qu’il ne me restait aucune dette. Cette dernière condition n’est pas ce qui m’inquiète, car je puis t’assurer que toutes mes dettes seront payées à la fin de l’année. Mais j’ai craint que cet avis ne fût pas d’un bon présage et qu’il ne m’annonçât pour l’avenir une rigueur dont je serai d’autant plus affligée que je ne l’aurai pas méritée. L’Empereur a plus d’une fois rendu justice à ma conduite, et je sens qu’il ne peut me faire aucun reproche. Tu juges, mon cher Eugène, que, dans l’incertitude où j’étais, je n’ai pas dû m’éloigner. L’absence ne pouvait que me nuire, si j’étais dans le cas de faire des réclamations. Cependant j’aime à me persuader que cette mesure de l’Empereur n’a eu d’autres causes que son intérêt pour moi et le désir que je sois heureuse. Il a été trompé par Pierlot et il ne veut plus que je le sois. Je serais bien malheureuse d’avoir à craindre le contraire. La retenue d’un million serait une diminution considérable dans ma fortune et me mettrait hors d’état de conserver ma maison telle qu’elle est, mais la cause me serait bien plus sensible que la perte même. Tu sais que les sacrifices d’argent ne sont pas les plus pénibles pour moi. Au mois de janvier, je serai plus tranquille et j’espère au printemps prochain t’aller voir, l’esprit plus content et mon revenu libre de toute dette. Adieu, mon cher fils, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. ; »


A Malmaison, le 25 décembre (1811).

« Ta lettre m’a fait le plus grand plaisir, mon cher Eugène. Tu ne pouvais me donner une nouvelle plus agréable que la grossesse d’Auguste[23]. Je partage ta joie et même tes espérances, car je me flatte aussi que ce sera un garçon. Voilà ta famille qui s’augmente. Cela m’engage à faire des économies dont tes enfans pourront profiter un jour. Je m’occuperai dans un an à augmenter et à embellir Navarre. J’aurais désiré te mander aujourd’hui que toutes mes dettes étaient payées. Tous les fonds sont faits, même au-delà de ce que je dois, mais mon intendant attend pour payer que M. Mollien soit moins occupé des affaires de l’État pour s’occuper des miennes dont il est chargé par l’Empereur[24]. Comme je pense qu’Auguste ne fera pas beaucoup de toilette cet hiver, je lui envoie une robe de dentelle de point d’Alençon que je te prie de lui offrir de ma part pour ses étrennes. Adieu, mon cher fils, recommande bien à Auguste de se ménager ; je vous embrasse tous deux bien tendrement et mes petits-enfans.

« JOSEPHINE. »


(Décembre 1811 ? )

« J’ai différé de t’écrire, mon cher Eugène, afin de pouvoir t’assurer positivement une chose qui te fera plaisir : c’est que mes affaires sont terminées et toutes mes dettes payées. Voilà les étrennes que je t’envoie cette année et je connais si bien ta tendresse pour moi que je suis sûre qu’elles te seront agréables. J’en ai reçu de bien douces aussi en apprenant la nouvelle grossesse d’Auguste. Elle espère me donner un nouveau petit-fils et je partage ton espérance. Ma seule peine est de savoir qu’elle souffre. Je compte toujours aller vous voir tous les deux au printemps prochain et me rendre ensuite aux eaux d’Aix pour achever le bien que m’aura fait mon séjour auprès de vous. Adieu, mon cher fils, je t’embrasse avec toute la tendresse que tu me connais pour toi.

« JOSEPHINE.

« Comme je sais que tu es amateur de beaux tableaux, je t’indique un Téniers admirable et que Constantin m’a dit être aussi beau que celui des Arquebusiers que tu as vu dans ma galerie. On me l’a proposé, mais je ne veux acheter aucun tableau dans ce moment. Le prix est de 240 0 francs dont on demande le paiement par douzième de mois en mois. C’est Mme de Souza[25]qui me l’a proposé et qui en connaît le propriétaire. »


Les préparatifs pour la guerre avec la Russie étaient commencés de très longue date, d’une part comme de l’autre, mais ils n’avaient transpiré que tard dans le public, — et Joséphine était devenue du public. L’Empereur depuis longtemps n’avait pas écrit. Sa dernière lettre était du 25 août 1811, elle avait trait surtout aux dettes et si, depuis lors, durant son voyage sur le Rhin, il s’était occupé de Joséphine, c’avait été surtout à cause de ce règlement et de son incurable prodigalité.


A Malmaison, le 3 février (1812).

« On parle beaucoup de guerre, mon cher Eugène ; j’ignore si ces bruits sont fondés, ils me rendent triste. On dit aussi que tu seras employé. Tu en seras content, mais moi, cela dérangera beaucoup mes projets. Je me faisais un bonheur d’aller te voir au printemps prochain. Je serai encore obligée d’ajourner mon voyage. Mande-moi ce que tu comptes faire et, dans le cas où tu quitterais l’Italie, si Auguste y restera. Si elle est instruite de ces bruits, elle doit être aussi affligée que moi. J’attends ta réponse à la dernière lettre que je t’ai écrite où je t’annonçais que toutes mes dettes étaient payées. J’ai été charmée de faire une chose que l’Empereur désirait. J’ignore quel sera le résultat de tous les sacrifices que je fais jusqu’à présent. J’en ai peu de consolation, car l’Empereur semble m’avoir oubliée, quoique je sache qu’il rend justice à la conduite que je tiens. Adieu, mon cher Eugène, je ne te parle pas de ma tendresse : tu sais combien je t’aime.

« JOSEPHINE. »


Le règlement des dettes antérieures à 1812 est achevé à la fin de janvier, sur un rapport de Mollien à l’Empereur. Joséphine désirait rendre l’Elysée, moyennant une forte somme en argent ou un supplément de douaire ; l’Empereur trouva plus aisé de le lui échanger, sans la consulter, pour le palais de Laeken, quitte à occuper Laeken lui-même, malgré l’échange.

On ne saurait douter que la lettre d’Eugène à laquelle répond celle qu’on va lire n’ait été motivée par les plaintes de quelque Tascher au sujet de la dot offerte par l’Impératrice à Mlle Annette de Mackau, mariée, le 22 janvier 1812, en la chapelle de Malmaison, au général Pierre Wattier, comte de Saint-Alphonse. Venant après la dot de Mlle de Castellane-Norante (Mme Pourtalès), les Tascher pouvaient regretter que les libéralités de l’Impératrice n’allassent point à eux seuls. Ils n’avaient pourtant pas eu à se plaindre et, si l’absence des comptes postérieurs à 1809 empêche de présenter des certitudes, les comptes antérieurs ne laissent point de doute sur la façon dont Joséphine a traité, — et fait traiter par Napoléon, — tous les membres de sa famille et de la famille Beauharnais.


A Malmaison, ce 22 février (1812).

« J’ai reçu ta lettre du 14, mon cher Eugène ; elle m’a fait d’autant plus de plaisir qu’il y avait déjà quelque temps que je n’avais reçu de tes nouvelles. J’ai été moi-même privée de t’écrire, ayant souffert pendant quelques jours d’un catarrhe humoral. Je me trouve mieux à présent, mais je vois avec peine, par la dernière phrase de ta lettre, que tu ne viens pas à Paris avant d’aller à l’armée, comme on le disait. J’aurais eu bien du plaisir à te voir et j’aurais eu besoin de ta présence pour mes affaires. Tu sais que l’Empereur m’a donné le palais de Laeken en échange de celui de l’Elysée ; toi seul, mon cher fils, aurais pu me servir d’intermédiaire pour me faire connaître les intentions de l’Empereur et fixer mon sort.

Je vois avec peine qu’on ne t’a pas dit vrai pour ce qui regarde mes cousins. M. [Niepce][26], qui fait leurs affaires, m’a demandé de répondre pour Louis[27], à l’époque de son mariage, de 60 000 francs, ce que j’ai fait. A l’échéance, j’ai payé la somme entière. Mon intention n’a jamais été de lui en demander le remboursement, mais j’ai été sévère pour M. [Niepce], parce qu’il a une mauvaise réputation et qu’il passe pour faire ses affaires aux dépens de mes cousins, le ministre du Trésor m’ayant averti qu’il disait partout que M. de Tascher lui devait cent mille écus. Pour-Henry Tascher[28], j’ignorais qu’il eût besoin d’argent, le roi d’Espagne lui ayant donné un million à l’époque de son mariage. J’ai payé pour sa femme une parure de diamans de 30 000 francs. Au mois de janvier dernier, j’ai payé pour lui à Le Roy, marchand de modes, un mémoire de 32 000 francs. Quant au plus jeune[29], je lui fais une pension de 6 000 francs. Cette somme doit suffire, étant logé et nourri chez sa sœur, et de plus je paye Halna cent louis qui lui donne des leçons[30]. Je donne mille écus de pension à Sanois[31], 12 000 francs à M. Dugué[32], 3 000 francs à Mme de Copons[33]. Je paye l’entretien et les pensions des trois enfans de M. de Sainte-Catherine[34], mille écus de pension à Mme Duplessis, qui a accompagné en France la duchesse d’Arenberg[35], 2000 francs de pension à une Mme Tascher dont le mari est au service[36], et une autre pension de mille francs à une dame Tascher, religieuse[37]. Tu vois, mon cher Eugène, que je ne suis pas si mauvaise parente qu’on voudrait te le faire croire, et que j’ai le droit de faire quelque chose pour les personnes qui sont autour de moi et qui contribuent tous les jours à me rendre la vie agréable. Je suis charmée que l’indisposition de tes enfans n’ait pas eu de suite, et j’espère qu’Auguste, en avançant dans sa grossesse, souffrira moins. Je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


A Malmaison, 22 mars (1812).

« Je profite, mon cher Eugène, du départ du général Pactod[38]pour répondre à ta dernière lettre. Je vois avec bien de la peine que tu ne viendras pas ici avant de te rendre à l’armée. On avait fait courir le bruit de ta prochaine arrivée à Paris et je l’aurais bien désirée[39]. Tu m’aurais servi d’intermédiaire près de l’Empereur. Tu lui aurais demandé pour moi ce que je dois faire pendant son absence et dans quel lieu il veut que j’habite. Je pense comme toi que je ne dois pas rester aussi près de Paris, s’il vient à s’en éloigner. Maintenant que je n’ai plus l’espérance de te voir, je compte lui écrire pour lui demander ses conseils. J’espère qu’il sera assez bon pour me diriger et qu’il a toujours conservé pour moi de l’amitié. Dans la dernière lettre qu’il m’a écrite il y a quinze jours[40], il m’a assurée que ses sentimens pour moi n’étaient pas changés et je sais qu’il approuve ma conduite. Je suis restée étrangère à tout, je n’écoute aucun propos et je ne vois ici que des personnes attachées à la Maison. Je ne désire connaître ses intentions que pour m’y conformer entièrement. J’irai avec joie à Milan, un peu avant les couches de ta femme, la soigner pendant ton absence Embrasse pour moi tes enfans, dis à Auguste que je suis touchée de la lettre qu’elle m’a écrite. Je vois qu’elle est bien affligée de ton prochain départ, et moi aussi, mon cher Eugène ; je suis bien triste de te voir faire la guerre, mais j’espère que Dieu protégera un bon fils en faveur d’une bonne et tendre mère. Je ne finirai pas cette lettre sans te parler du général Pactod qui se charge de te la remettre. Il m’a inspiré de l’intérêt par l’attachement qu’il a pour toi et par son désir d’être employé sous tes ordres. Tu seras bien aimable de t’occuper de lui. Adieu, mon cher fils, tu sais avec quelle tendresse je t’aime et t’embrasse.

« JOSEPHINE.

« On dit que l’Impératrice va à Dresde, chez le roi de Saxe et que là elle se réunira à son père. »


A Malmaison, ce 1er juillet (1812).

« Je t’ai mandé dans une de mes dernières lettres, mon Eugène, que j’avais écrit à l’Empereur pour lui demander de nouveau son consentement à mon voyage d’Italie. L’Empereur m’a répondu en date du 20 juin et sa lettre m’a rendue aussi heureuse pour toi que pour moi, car tu m’as dit souvent que tu préférais son approbation a tous les biens du monde ; tu dois être satisfait. L’Empereur me dit dans sa lettre : « Eugène, se porte bien et se conduit bien[41]. » Je compte partir pour Milan, du 12 au 15 de ce mois. J’ai souffert ces jours-ci de l’humeur que j’ai à la tête. Je suis mieux à présent. Donne-moi de tes nouvelles toutes les fois que tu le pourras, c’est la seule chose qui puisse me consoler d’être si loin de toi. Adieu, mon cher fils, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE.

« Je m’aperçois, en retournant la page, que je t’écris sur une demi-feuille. Tu vas croire que c’est par économie, mais je ne suis pas encore à ce point de perfection. C’est simplement une méprise. »


Le départ, fixé au 16 juillet, a failli être retardé par une éruption survenue au petit Napoléon, le fils aîné d’Hortense qui est avec elle aux eaux d’Aix-la-Chapelle ; mais enfin Joséphine part, elle passe par Genève où elle s’arrête à Prégny, et malgré les débordemens du Rhône et les odieuses couchées, elle arrive à Milan le 27.


A Milan, ce 28 juillet (1812).

« Je suis arrivée hier à Milan à sept heures du soir, mon cher Eugène, bien fatiguée, mais bien heureuse de me trouver au milieu de ta famille. Auguste est à merveille ; sa santé est si bonne et sa grossesse si belle que cela présage des couches bien heureuses. Je te prie de ne pas t’inquiéter. J’aurai bien soin d’elle. Tes enfans sont adorables, il n’en existe pas de plus aimables. Enfin, mon cher fils, j’attends d’être un peu plus calme pour te bien détailler tout le bonheur que j’éprouve depuis vingt-quatre heures. Il faut qu’il soit bien grand pour avoir oublié que je voyais ta femme, tes enfans et que mon fils était à plus de six cents lieues de moi. Je te quitte, mon cher Eugène, je sens que je vais m’attendrir. Je retourne à tes enfans que j’aime déjà à la folie, tant ils sont aimables pour moi. Adieu encore, mon cher fils, je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


A peine l’Impératrice était-elle arrivée que, le 31 juillet, la vice-reine mit au monde une fille, — son quatrième enfant, — Amélie-Auguste-Eugénie.


Milan, ce 1er août (1812), à six heures du soir.

« Je t’ai écrit deux fois hier, mon cher Eugène ; aujourd’hui, je profite du départ de l’écuyer qui se rend près de toi. Auguste continue à être parfaitement bien. Elle a dormi toute cette nuit. La fièvre de lait ne paraît pas encore et tout annonce qu’elle ne sera pas forte. Ta fille est superbe et, si tu regrettais de n’avoir pas eu un fils, je t’assure que tu seras bien dédommagé quand tu la verras. Il est impossible de donner de plus belles espérances pour la figure et pour la force. Je t’ai dit qu’Auguste n’avait eu que quatre heures de grandes douleurs. La veille, elle avait ressenti les premières dans la journée, mais qui n’avaient pas été assez fortes pour l’empêcher de dîner avec moi et d’aller ensuite nous promener en calèche. A minuit, les douleurs ont augmenté et dès ce moment, je me suis établie près d’elle. J’envoyai chercher Locatelli[42]et Scarpa[43]. Ils croyaient que l’accouchement n’aurait pas lieu avant neuf heures du matin, mais tout à coup les souffrances augmentèrent et Auguste venait d’accoucher lorsque le duc de Lodi[44]et les personnes qui avaient été prévenues arrivèrent. Chère et bonne Auguste, comme elle t’aime ! Au milieu des plus fortes douleurs, elle ne cessait de l’appeler et de pleurer de ce que tu n’étais pas auprès d’elle. Quoique touchée moi-même de ses souffrances, j’ai fait de mon mieux pour la calmer. Enfin, entre quatre et cinq heures, ta fille est venue au monde. Il n’y a pas eu un seul moment de crainte, tout s’est passé aussi bien qu’on pouvait le désirer. A cinq heures, j’ai été me coucher un peu fatiguée, mais contente et heureuse. Ta fille a été ondoyée hier dans la soirée. Elle n’a pas la nourrice qu’on avait arrêtée ; lorsqu’on est allé la chercher, il y avait quatre jours qu’elle avait la fièvre. Heureusement qu’on en a trouvé une autre. Je l’ai vue, elle a l’air de la santé, les dents très belles, les médecins lui ont trouvé un lait très bon. Son enfant qui a deux mois est fort et bien vivant. Cependant, on a cru devoir cacher à Auguste ce petit incident. Tu vois, mon cher fils, que tout va bien et que tu dois être entièrement tranquille, car je le suis moi-même. Je n’ai plus d’inquiétude que pour toi seul. Je pense sans cesse aux dangers où tu es exposé ; n’oublie pas que notre existence est inséparable de la tienne. Je suis de plus en plus enchantée de tes enfans. Ton fils est très fort, très gai et très doux ; nous sommes maintenant fort bien ensemble. Hier, après t’avoir écrit ma lettre du soir, je la lui ai donnée pour la remettre à l’écuyer et je lui ai dit que c’était pour Papa. Il a baisé la lettre et l’a portée à l’écuyer. Joséphine a eu un moment de sensibilité qui m’a fait plaisir. Elle s’est mise à pleurer lorsque, ayant demandé à voir sa mère, on le lui a refusé. Il a fallu pour la consoler la mener à sa mère. Tu seras heureux par tes enfans, mon cher Eugène, tu le mérites, les bons fils doivent être d’heureux pères. Adieu, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


A Milan, ce 26 août (1812).

« J’ai été avant-hier, mon cher Eugène, voir Brera[45]. J’y ai reconnu avec plaisir l’effort de tes soins pour l’embellir. Tous les tableaux n’y sont pas d’un égal mérite, mais il y en a une demi-douzaine qui sont de toute beauté. J’ai eu surtout beaucoup de plaisir à voir les fresques de Luini. Puisque je suis en train de louer, je te dirai que j’ai lu dans le Moniteur d’aujourd’hui ton rapport sur les journées des 25, 26 et 27 juillet[46]et que j’en ai été très contente. Ce sont de grandes choses dites simplement. Le mot Je ne s’y trouve que lorsqu’il est absolument nécessaire. Rien dans ce rapport ni pour toi, ni pour les personnes de ta maison, mais, en revanche, il finit par un mouvement bon et juste en faveur de la veuve du général Roussel[47]. J’ai reçu ta lettre du 8. Je vois avec chagrin que tu n’étais pas encore débarrassé de ta fluxion. Ménage-toi bien, mon cher fils, je n’aurai de véritable tranquillité que lorsque j’apprendrai que la paix est faite. Auguste est à merveille. Depuis deux jours nous dînons ensemble et je te laisse à penser si nous parlons de toi. Aime-la bien, aime-moi aussi : je ne sais, en vérité, qui de nous deux t’aime le plus. Mme Visconti[48], qui fait le service près de moi comme dame de Palais, me prie de te rappeler que tu as promis à son mari une place de gouverneur de Palais. Elle désirerait celle du palais de Mantoue qui est vacante. J’ai vu ici la fille de l’amiral Villaret-Joyeuse[49]. Elle est venue exprès de Venise pour me prier de te la recommander auprès de l’Empereur. Cette famille est intéressante et je n’oublie pas que l’amiral, étant gouverneur de la Martinique, a prodigué ses soins à ma mère et lui a fermé les yeux. Tes enfans sont toujours charmans et bien portans : Ton fils et moi nous sommes les meilleurs amis du monde. Dès qu’il me voit, il quitte tout pour venir sur mes genoux. Je fais tous les soirs sa partie. Adieu, mon cher Eugène, je t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE. »


Quittant Milan tout à la fin d’août, Joséphine est arrivée à Aix en Savoie au début de septembre avec sa suite : M. de Beaumont, son chevalier d’honneur et Mme Wattier Saint-Alphonse (Mlle de Mackau). Elle y retrouve ses belles-sœurs Julie Clary, la reine d’Espagne et la princesse Pauline ; avec Julie, sa sœur Désirée Bernadotte, — la princesse de Suède.


A Aix, le 13 septembre (1812).

« La date de ma lettre t’apprendra, mon cher Eugène, que je suis arrivée à Aix. Ma route a été heureuse, ma santé est assez bonne, mais j’éprouve un grand vide. Ce n’est plus ici Milan, ni son beau soleil, et encore moins les objets si chers que je m’étais accoutumée à y voir. Chaque instant me fait sentir que j’en suis éloignée. Auguste aussi me regrette. Elle m’a écrit la lettre la plus tendre. Ses enfans lui demandent si je reviendrai bientôt et Joséphine a pleuré en entendant partir ma voiture. Tu vois que tes enfans te ressemblent. Ma consolation est de les avoir laissés parfaitement bien portans. Auguste n’a jamais été mieux ni plus fraîche. Autrement, sois-en bien sûr, ce n’est pas de ma santé que je me serais occupée. J’ai reçu, depuis que je suis à Aix, trois lettres de toi, du 15, du 19 et du 21. Je suis touchée de l’intérêt avec lequel l’Empereur t’a parlé de moi. Il sait qu’il n’y a pas de cœur qui lui soit plus dévoué que le mien. J’ai vu avec plaisir que mes premières lettres t’étaient parvenues. Tu as dû en recevoir une de moi tous les jours pendant les quinze jours qu’Auguste n’a pu t’écrire. Auguste a mis trop de prix aux cadeaux que j’ai faits : ils ne sont pas si considérables que tu le penses. C’est toi, mon cher fils, qui es maintenant magnifique ; je ne suis ton exemple que de loin. D’ailleurs, l’ordre et l’économie couvriront aisément les dépenses qu’il est convenable de faire. Tu sais que je devais beaucoup l’année dernière ; j’ai tout acquitté. J’ai payé comptant toutes les dépenses de cette année et j’arriverai à la fin de décembre sans rien devoir[50]. Il y a dans ce moment peu de monde à Aix. Cependant j’y ai trouvé encore la reine d’Espagne, la princesse Pauline et la princesse de Suède. J’ai déjà pris trois bains ; je me dépêche pour profiter des derniers beaux jours, mais, malgré mes soins, je doute que les eaux me paient le sacrifice que je leur ai fait. Adieu, mon cher Eugène : aime-moi, je t’aime et t’embrasse tendrement.

« JOSEPHINE.

« Mme de Saint-Alphonse et M. de Beaumont sont touchés de ton souvenir et me prient de t’exprimer leur reconnaissance. Ce pauvre M. de Beaumont est dans le chagrin. Il vient d’apprendre que son fils, qui est en Espagne, a eu la cuisse percée d’une balle. »


D’Aix, l’Impératrice est venue à Prégny sur le lac, où elle restera jusque vers le 20 octobre.


A Prégny, près Genève, le 9 octobre (1812).

« Ta lettre du 8 m’a fait du bien, mon cher Eugène, je t’attendais avec impatience, quoique toutes les nouvelles dussent me rassurer pour toi, j’avais besoin d’un mot de ta main pour être entièrement tranquille. Je le suis maintenant et je puis jouir des succès de l’Empereur et des preuves de zèle et de dévouement que tu lui donnes. Je fais part de ta lettre à Hortense qui en sera aussi heureuse que moi. Ma santé est assez bonne. Les eaux d’Aix m’ont fait beaucoup de bien, mais le froid m’en a chassée. Je suis venue ici me reposer quelques jours avant de retourner à Mal maison. Auguste m’écrit souvent. Elle continue à se bien porter, quoiqu’elle ait été comme moi bien inquiète. Je te remercie de tout ce que tu me dis d’aimable sur le souvenir que l’on veut bien garder de moi à Milan. J’ai reçu beaucoup de témoignages d’affection, mais je ne me fais pas illusion, mon cher fils ; c’est à toi seul que je les rapporte. Je ne les dois qu’à l’attachement qu’on y a pour toi et au soin que tu prends pour répondre du mieux qu’il est possible à la confiance de l’Empereur. Je sais que tes enfans ne m’oublient pas, c’est ce qui me touche le plus. Auguste m’a mandé que ton fils, en priant pour toi et pour elle, avait ajouté de lui-même et pour l’autre maman. Cela est charmant ; je ne peux plus l’embrasser ni lui ni ses sœurs, mais je pense souvent à eux, comme je pense à mon Eugène, au fils le plus tendrement aimé.

« JOSEPHINE. »


L’Impératrice rentre à Malmaison le 25 octobre, après un voyage heureux ; elle apprend, à la porte de Melun, le drame qui s’est passé la veille à Paris : la tentative du général Malet. Elle traverse Paris qui est calme. Presque aussitôt elle écrit à son fils une lettre qui arrive droit au cabinet noir[51]. Elle lui dit : « S’il avait pu y avoir le moindre danger pour l’Impératrice et le roi de Rome, je ne sais si j’aurais bien fait, mais bien certainement j’aurais suivi mon premier mouvement, j’aurais été avec ma fille me réunir à eux. » Désormais, les lettres de Joséphine à son fils, et de son fils à elle, ne parviendront pas. Il y a trace qu’il écrit particulièrement de Posen le 6 février ; mais depuis la lettre du 10 novembre[52], point d’autre jusqu’à celle qu’on va lire.

Eugène à ce moment a quitté le commandement en chef qu’il a exercé du mieux qu’il a pu, dans les conditions désastreuses où l’a placé le brusque départ de Murat de la Grande-Armée (16 janvier 1813). Le 30 avril, il a fait sa jonction avec l’armée que l’Empereur amène de France. Après l’entrée à Dresde, il est expédié le 12 mai sur l’Italie pour y former une armée nouvelle[53]. Le 18 mai, il est à Monza. De mai à août, il met debout 47 000 hommes et il commence son mouvement le 15 juillet ; le 16 août, il garde les portes de l’Italie à Laybach et à Pontreba. Au milieu de ces occupations, il reste par excellence l’homme de famille, et cette lettre de sa mère en est une preuve.


A Malmaison, ce 13 juin (1813).

« Ta lettre du 9 m’arrive à l’instant, mon cher Eugène, je profite pour y répondre de suite du départ du général Marcognet qui commandait à Cherbourg et qui va maintenant servir sous tes ordres[54]. Je te le recommande ; c’est un homme de mérite et que l’Empereur a distingué. Il est enchanté d’être sous tes ordres ; il m’a dit qu’il te servirait avec un cœur de feu. Il paraît qu’il a toujours servi aux avant-postes. Je suis charmée qu’Auguste se soit décidée à prendre les eaux cette année. Je suis persuadée que c’est la seule chose (après ton retour), qui pourra consolider sa santé. Je suis heureuse que ton fils aille mieux, mais je t’avouerai que j’en ai été bien tourmentée. Consulte bien les médecins pour savoir s’il ne serait pas prudent de lui mettre pour quelque temps un petit vésicatoire, car il n’a jamais eu de gourme, et les glandes qu’il a eues et la douleur de la tête prouvent que c’est une petite humeur qui le tracasse et qui l’empêche d’être gai. Tu me demandes, mon cher fils, des nouvelles de ma santé. Elle est bonne, surtout depuis que je te sais à Milan. La vie que je mène est toujours la même, ne m’occupant que de ma galerie et de mes plantes. Mon jardin, qui est la plus belle chose possible, est plus fréquenté par les Parisiens que mon salon, car, au moment où je t’écris, on me dit qu’il y a au moins trente personnes dans le jardin qui s’y promènent. Mais, mon cher fils, il n’aura tout son prix pour moi que le jour où je pourrai t’y voir avec toute ta famille. En attendant ce bonheur-là, je pense à toi sans cesse, et tu es souvent avec mes dames le sujet de notre entretien. Elles me chargent de te présenter leur hommage. Embrasse pour moi Auguste et les enfans et crois, mon cher fils, à la tendresse de ta mère

« JOSEPHINE. »

On connaît les détails de la défection de Murat, et dans quelles conditions Eugène eut à lutter contre l’armée napolitaine. L’Empereur n’avait point été sans concevoir quelque inquiétude au sujet d’Eugène lui-même, et des explications, fort vives de la part d’Auguste, avaient été échangées entre la vice-reine et lui. Pour la première fois, Joséphine fut invitée à remplir vis-à-vis de son fils une mission politique[55]. Les démarches de l’Empereur attestent des craintes qui, sans doute, n’étaient point justifiées, mais que l’on pouvait comprendre. On était tout près du dénouement et, si elle souhaitait la paix, Joséphine n’avait aucunement conscience de l’imminence de la catastrophe.


A. Malmaison, le 24 mars (1814).

« Ta lettre du 17, mon cher Eugène, m’a fait grand plaisir, Tu sais que mon plus grand bonheur est d’être sûre que tu penses à moi et que je suis aimée de mon cher fils. J’ai été bien souffrante depuis quinze jours d’un catarrhe humoral[56]. Je me suis purgée hier, mais je n’en suis pas encore quitte. Je suis tourmentée de la position où tu es, de celle où nous sommes. Cependant, depuis hier, on parle à Paris d’un courrier anglais venant de Londres et qui a dit dans toute la route qu’il apportait la signature de l’Angleterre pour la paix. Dieu veuille que cette nouvelle soit vraie ! La France n’en a jamais eu un plus grand besoin. J’en ai bien besoin aussi pour mon cœur, car je ne puis penser sans ta plus vive inquiétude au surcroit d’ennemis que tu as à combattre. Plus de cent mille ennemis contre toi, quand tu n’en as pas la moitié ! Quelle position et combien le roi de Naples est coupable ! Si la paix ne se fait pas, il me paraît bien difficile de sauver l’Italie. Ce que je demande au ciel, c’est de conserver les jours de mon Eugène. Qu’il vive, je saurai*tout supporter. Tu suffis à mon ambition. J’aurai toujours assez de gloire avec celle que tu t’es acquise. Adieu, mon cher Eugène, je t’embrasse et t’aime tendrement.

« JOSEPHINE. »


Le drame est accompli. Revenant sur Paris, le 30 mars, /’Empereur apprend à la Cour-de-France la défection de Marmont : il rentre à Fontainebleau. Le 7, sur l’insistance des maréchaux, il renonce pour lui et pour sa famille aux trônes de France et d’Italie.

Joséphine, qui a quitté Malmaison le 29 au matin, sur la nouvelle que Marie-Louise partait des Tuileries, et que Paris était menacé, a voyagé avec ses chevaux, s’arrêtant à Mantes pour y coucher. Elle arrive le 30 à Evreux assez tard, et de là à Navarre. Elle est rejointe le 1er août par Hortense qui a faussé compagnie aux Bonaparte :


A Navarre, ce 9 avril (1814).

« Quelle semaine j’ai passée, mon cher Eugène, combien j’ai souffert de la manière dont on a traité l’Empereur ! Que d’injures dans les journaux ! Que d’ingratitude de la part de ceux qu’il avait le plus comblés ! Mais il n’a plus rien à espérer ; tout est fini, il abdique. Par-là, tu es libre et délié de ton serment de fidélité. Tout ce que tu ferais de plus pour sa cause serait inutile. Agis pour ta famille. Je te fais passer la copie d’une lettre que Marescalchi craint que tu n’aies pas reçue. Je partage son opinion sur ce qui te regarde. C’est M. Van Berchem qui te remettra ma lettre. Tu peux croire à tout ce qu’il te dira. Ta sœur est auprès de moi avec ses enfans, son sort et le mien ne sont pas encore décidés. Toi, mon cher fils, où es-tu, que fais-tu ? Dans quel état est la santé d’Auguste ? Il y a si longtemps que tes lettres et les siennes ne parviennent plus ! Je languis d’avoir de vos chères nouvelles. Je suis dans des transes et une anxiété horribles. Adieu, mon cher Eugène, je fais des vœux pour que nous soyons tous réunis.

« JOSEPHINE. »


11 avril. — Par le traité de Fontainebleau, l’Empereur assure 400 000 francs de rentes à Hortense et à ses enfans ; un million à l’impératrice Joséphine, sans compter ses biens meubles et immeubles particuliers, et un établissement convenable hors de France au prince Eugène. Il a pensé à tout et à tous.

On sait la fin : la suspension d’armes signée le 17 entre Eugène et le maréchal de Bellegarde, la mise en marche des Français ; les proclamations aux troupes italiennes, la confiance qu’Eugène semble avoir prise que l’armée, l’Italie officielle et les souverains coalisés le veulent pour roi d’Italie ou du moins de Lombardie ; les intrigues, les trahisons, les massacres de Milan ; l’espèce d’abdication d’Eugène, sa convention nouvelle avec les Autrichiens, son départ de Mantoue où, quelques jours auparavant, Auguste est accouchée de son cinquième enfant[57] ; son rapide séjour à Vérone, son voyage à Munich, sa lettre à Louis XVIII, son arrivée à Malmaison. C’est le 9 mai. Tout dépend pour Eugène de l’empereur de Russie avec qui, depuis le 20 avril, il s’est mis en correspondance et qui a fort galamment reçu ses ouvertures. Alexandre est dans d’intimes relations avec Hortense pour le duché de laquelle il bataille, avec Joséphine dont il veut assurer la situation ; il est plein des meilleures intentions pour Eugène ; mais, « vu les prétentions de chacun, dit celui-ci, je ne puis comprendre comment on arrivera à s’entendre. » Le 23 mai, à la suite d’imprudences que la coquetterie justifiait peut-être, mais que la raison eût déconseillées, Joséphine prend un refroidissement qui, greffé sur son « catarrhe humoral, » aggravé par de nouvelles imprudences, tourne à la bronchite infectieuse. Le 29, elle expire dans les bras de son fils et de sa fille. Ainsi ne survit-elle pas à sa gloire et sa chute prend des airs d’apothéose.


FREDERIC MASSON.

  1. Copyright by Frédéric Masson, 1916.
  2. Voyez la Revue des 15 octobre et 15 novembre.
  3. Voyez Joséphine répudiée, p. 125.
  4. Par une lettre en date du 8 juillet, l’Empereur a annoncé à Joséphine, presque dans les termes qu’elle rapporte, la réunion de la Hollande.
  5. L’Empereur s’est expliqué avec Eugène sur les mariages Tascher, par une longue lettre en date du 26 avril. (Lecestre, n° 607.) Le 3 juillet, il donne à Louis Tascher, créé comte, 100 000 livres de rente, sur le Domaine extraordinaire, 100 000 à prendre sur les 400 000 livres de rentes réservées en Bavière pour la famille du prince primat, la réversibilité des 200 000 livres de rente, dotation du duché Dalberg et du titre ducal.
  6. On sait que Charles-Angélique-François Huchet de La Bédoyère, né le 7 avril 1786, entré au service le 11 octobre 1806, comme gendarme d’ordonnance, aide de camp de Lannes, aide de camp d’Eugène et capitaine de ses gardes, fut condamné à mort lors du retour de Napoléon, et fusillé, le 19 août 1815.
  7. Parti de Haarlem, dans la nuit du 1er juillet 1810, le roi Louis, — le comte de Saint-Leu, — était arrivé Je 9 à Tœplitz. Il en donna avis le 16 à Madame mère. Le 20, l’Empereur était fixé sur le lieu de sa retraite.
  8. Gabriel Desvergers de Sanois, second fils de Jean-François-Joseph Desvergers de Sanois, frère de la mère de Joséphine et de Elisabeth de Hodebuurg, ne à Fort-de-France le 20 octobre 1792, page del/Empereur le 25 octobre 1808, premier page le 20 décembre 1809, lieutenant surnuméraire au 6e de hussards, le 20 juillet 1810 (en garnison à Milan), titulaire, le 8 janvier 1811, capitaine le 5 juin 1813. (En captivité en Russie.) Chef de bataillon honoraire pour être employé aux Colonies, le 4 mars 1815, titulaire, le 29 mai 1815, adjoint comme chef d’escadron àl’état-major général du maréchal Grouchy, le 9 juin 1815, lieutenant-colonel du régiment des milices de la Martinique, marié le 12 septembre 1818 à Marie-Anne-Camille-Joséphine de Perpigna ; grande fortune, trois habitations, cinq cents nègres, belle maison à Fort-de-France. A la suite des décrets du Gouvernement provisoire sur l’affranchissement des nègres, il fut entièrement ruiné et on brûla sa maison où trente-cinq blancs furent égorgés : lui-même n’échappa qu’en se sauvant dans une chaloupe ; il vint à Paris, où il reçut une pension de Napoléon III ; il est mort en 1870.
  9. La nouvelle que Joséphine donne à son fils de la nomination de Bernadotte à l’expectative du trône de Suède, ne saurait étonner Eugène qui, deux fois, durant son séjour à Paris, a refusé l’offre que lui en avait faite l’Empereur parce qu’il eût dû apostasier.
  10. Dans Joséphine répudiée (p. 198 et suiv.), je n’ai point fait état de la présente lettre que je ne connaissais point et qui explique les conseils que l’Empereur fit donner à Joséphine par Mme de Rémusat, laquelle était du voyage de Fontainebleau. Son initiative ne paraissait point alors très explicable : elle est justifiée par cette lettre de Joséphine, omise dans le recueil publié par la reine Hortense (Lettres de Napoléon à Joséphine. Didot, 2 vol. in-8o).
  11. Billy van Berchem avait connu Joséphine pendant la Révolution. Il avait fait fortune dans les fournitures de l’armée d’Italie et était entré dans l’intimité de Barras, de Mme Tallien et de Mme Bonaparte. Il épousa sa cousine Mlle d’Illens, fille d’un Suisse d’Yverdun. Elle était d’une grande beauté et devint l’une des favorites de Joséphine. L’Impératrice, ayant retrouvé Billy à Genève, voulut en faire un de ses écuyers (25 juin 1811) ; n’ayant pu l’obtenir de Napoléon, elle le nomma, de son chef, capitaine de ses chasses à Navarre. Une de ses filles, Augusta, épousa en 1835 Alexandre Pourtalès.
  12. M. Michel Hennin, fils de l’ancien premier commis des Affaires étrangères. Il était receveur général des pays conquis par l’armée d’Italie lorsque Eugène arriva à Milan. Il s’attacha à lui, fut le trésorier de la couronne, l’ami, le conseiller, l’homme d’affaires du prince qu’il suivit en Bavière. Il revint après sa mort en France, et l’on connaît l’admirable collection d’estampes qu’il légua en 1863 à la Bibliothèque impériale. D’autres établissemens publics eurent en partage ses collections d’autographes.
  13. Prégny avait été acheté, par Joséphine, des héritiers de feu M. Henry Melly de Genève, moyennant 145 000 livres pour le fonds et 120 000 livres pour les meubles (acte chez Noël, 25 avril 1811). Il fut revendu le 22 février 1817, 105 006 francs pour le fonds et 1 800 francs pour les meubles. C’est assez prouver comme elle était impérialement volée.
  14. Hortense-Eugénie, fille de M. le comte Henri-Gatien Bertrand, général de division, aide de camp de Sa Majesté l’Empereur et Roi et de Mme Françoise Elisabeth Dillon. Elle fut baptisée le 24 avril 1811. Elle épousa M. Amédée Thayer et mourut en 1886.
  15. Il épousa par procuration le 1er décembre 1834, en personne, le 26 janvier 1835, Maria II da Gloria, reine de Portugal, et mourut à Lisbonne le 28 mars 1835.
  16. Charles de Salviac, baron de Vielcastel (1766-1821), chambellan de l’Impératrice après le divorce, baron de l’Empire le 6 octobre 1810. Il avait épousé Mlle de Lasteyrie, nièce de Mirabeau, dont il eut sept enfans.
  17. Le 10 décembre, un sénatus-consulte a constitué l’apanage de Louis comme prince français ; le 26, un décret détermine la part qu’y aura Hortense ; mais de fait elle jouit de la totalité, soit 2 millions, et règle son budget sur un revenu de 1 750 000 francs.
  18. Ce sabre appartient au duc Georges de Leuchtenberg, « sabre de fantaisie avec ceinturon, boucles en or et camées antiques » (n° 7 de la collection).
  19. Louis Pierlot, receveur général de l’Aube, nommé intendant général par décret du 1er janvier 1810, démissionnaire en juin 1811, mort en 1826.
  20. Ce voyage avait passé inaperçu, au milieu des divers déplacemens de la Reine en 1811. Dans une lettre à Mme de Boucheporn, gouvernante de ses enfans, en date de Genève du 14 septembre (1811), Hortense dit : « Je vais faire un petit voyage pour voir mon frère ; je serai de retour du 10 au 15 octobre. »
  21. Il s’agit ici de Joseph-Eugène-François-Polydore, fils de M. Alexandre-François de La Rochefoucauld, comte de l’Empire, l’un des commandans de la Légion d’honneur, chevalier de l’Aigle noir, ancien ambassadeur près les cours étrangères, et de dame Adélaïde-Marie-Françoise Pyvart de Chastulé, son épouse. né le 15 mai 1801, il fut baptisé le 20 octobre 1811 par l’aumônier chapelain de l’Impératrice et eut pour parrain le prince Eugène, représenté par le grand-duc de Berg et l’impératrice Joséphine : dans les diverses généalogies de la maison de La Rochefoucauld, il est désigné seulement sous les prénoms de François-Joseph-Polydore. Il avait perdu les autres en 1814. Il fut ministre plénipotentiaire et mourut en 1855.
  22. Il en coûte à l’Impératrice cent mille francs et un trousseau. Le 11 novembre 1811, mariage mixte célébré à Malmaison par le pasteur Marron et le cardinal Maury. M. Jules-Henri-Charles-Frédéric Pourtalès, venu en France comme aide de camp Neuchâtelois du prince de Neuchâtel, Berthier, était passé ensuite dans la maison de Joséphine pour des raisons intimes, il fut admis à la cour de Prusse et fut grand maître des cérémonies. Mlle de Castellane-Norante avait été, sans titre, recueillie par l’Impératrice.
  23. Elle était enceinte d’Amélie-Auguste-Eugénie qui naquit à Monza, en présence de sa grand’mère le 31 juillet 1812, fut mariée en 1829 à Dom Pedro Ier empereur du Brésil et mourut à Lisbonne en 1873.
  24. Les belles résolutions de Joséphine au sujet de l’équilibre de ses finances ne l’amènent qu’à faire des dettes plus fortes. Les entretiens de Mollien avec l’intendant, M. de Montlivault, les dispositions prises par celui-ci et approuvées par l’Empereur ont cet unique résultat.
  25. Mlle Filleul, en premières noces Mme de Flahault, morte en 1836.
  26. Ce M. Niepce, négociant, rue Neuve-Croix, place Vendôme en l’an IX.
  27. Louis Tascher, arrivé en France en l’an X, cousin germain de l’Impératrice, avait été entretenu par elle à l’institution de M. Gay-Vernon jusqu’au jour où il était entré à l’École de Fontainebleau. Sans compter de nombreuses gratifications, il avait reçu de l’Empereur, à dater du 1er vendémiaire an XIV, un traitement de 3 000 francs. Lors de son mariage avec Mlle de la Leyen, il avait été comblé par l’Empereur. (Voyez ci-dessus.)
  28. Henry, frère de Louis, parti le 12 mars 1806 pour Naples, où il s’était attaché à la fortune de Joseph, épousa, le 11 juin 1811, Marcelle-Marie-Adèle Clary, nièce de la reine d’Espagne. (Voyez, à son sujet, la lettre de l’Empereur à Eugène, Lecestre, n° 607.)
  29. Charles-Marie-Rose-Anne Tascher, dit Sainte-Rose, né à Fort-Royal en 1782 ; il recevait de l’Impératrice 150 francs par mois payés à sa sœur Mme d’Arenberg, 50 francs pour son domestique, un louis pour ses menues dépenses, plus 782 francs par trimestre payés à M. Gay-Vernon pour son éducation. Il était défrayé de vêtemens, etc.
  30. L’abbé Halna, qui portait le titre de bibliothécaire, donnait « des leçons d’histoire et de géographie à l’épouse du Premier Consul » et à diverses personnes de sa famille. Helléniste, antiquaire, astronome, orientaliste, professeur de géographie à l’École militaire de Fontainebleau. Il fut à la Restauration chanoine de Notre-Dame et bibliothécaire à Sainte-Geneviève.
  31. Voyez ci-dessus.
  32. En 1808, payé à M. Dugué, pension 14 400 francs. Je ne trouve rien antérieurement.
  33. Françoise-Aimée Desvergers de Maupertuis, fille de Jean Desvergers de Maupertuis, seigneur de Sanois, et de Louise-Elisabeth Duval, mariée à François-Jean-Antoine-Raymond de Copons del Llor, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, président à mortier au Conseil souverain du Roussillon. Il est fort question d’elle dans la correspondance de d’Antraigues.
  34. Catherine-Louise-Jeanne-Élisabeth Desvergers de Sanois, fille de Joseph-François et de Marie-Catherine-Françoise Brown, nièce de Rose-Claire Desvergers de Sanois qui épousa Joseph-Gaspard de Tascher et fut mère de Joséphine, avait épousé J.-J.-A. Sainte-Catherine d’Audiffredy, chef de bataillon, attaché à l’État-major général, qui mourut de la fièvre à Pina, en Aragon, le 22 mars 1810. Il appartenait, ainsi que l’a démontré M. C. d’E. A., Dictionnaire des familles françaises, tome II, p. 56, à la famille des Audiffret, deuxième rameau de la quatrième branche.
  35. Stéphanie Tascher, sœur de Louis et d’Henry, fille du baron Tascher, oncle de Joséphine, est arrivée à Calais, le 30 thermidor an XI, avec ses jeunes frères » sous la conduite de cette Mme Duplessis, créole, qui resta près d’elle comme une sorte de dame de compagnie. Stéphanie épousa, le 1er février 1808, Prosper-Louis duc d’Arenberg ; le mariage ayant été déclaré nul le 29 août 1816, elle épousa le 8 novembre 1817, le marquis de Chaumont-Quitry qu’elle avait connu à Navarre, écuyer de l’Impératrice.
  36. Mme Tascher (de Bordeaux), pension de 3 000 francs en 1809 (Comptes),
  37. Une dame Tascher, religieuse, pension de 1 000 francs en 1809 (Comptes).
  38. Le général Pactod qui, en mars 1809, avait déjà fait partie de l’Armée d’Italie, et s’était signalé à Malborghetto et à Raab, avait reçu le 16 mars 1812 l’ordre de se rendre à l’Armée d’Illyrie.
  39. Il y arriva le 22 avril.
  40. Non retrouvée.
  41. Gubin, 20 juin 1212. « Je reçois ta lettre du 10 juin. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu ailles à Milan près de la Vice-Reine. Tu feras bien d’aller incognito. Tu auras bien chaud. Ma santé est fort bonne. Eugène se porte et se conduit bien. Ne doute jamais de mon intérêt et de mon amitié. »
  42. Giacomo Locatelli, chevalier de la Couronne de fer, premier médecin du roi d’Italie.
  43. Antonio Scarpa, l’un des chirurgiens les plus illustres des temps modernes (1747-1832), chirurgien consultant du roi d’Italie, membre de la Légion d’honneur. Étant partisan de la maison d’Autriche, il avait refusé de prêter serment à Napoléon et avait dû quitter sa chaire de Pavie : « Qu’importe le refus de serment, dit Napoléon. Le docteur Scarpa honore l’Université et mes États. »
  44. François-Louis-Joseph Melsi d’Eril, vice-président de la République italienne, chancelier garde des Sceaux du royaume d’Italie, duc de Lodi par décret impérial du 20 décembre 1807, avec 200 000 livres de rentes de dotation.
  45. La Brera, ancien collège des Jésuites dont la galerie des tableaux fut aménagée par ordre de la République cisalpine, et très développée par Eugène.
  46. Moniteur du 21 août 1812.
  47. Marie-Catherine Hermann, veuve du général baron Roussel tué par méprise aux avant-postes le 26 juillet.
  48. Antonia Samper, dame de Palais d’Italie, épouse de Jean-Alphonse-Jules Visconti, chambellan de l’Empereur, comte de l’Empire par lettres patentes du 11 octobre 1810.
  49. Mort à Venise dont il était gouverneur général, le 24 juillet 1812.
  50. Rien que chez Leroy, Joséphine dépense, en 1812, 170 286 fr. 21, sur quoi elle laisse en souffrance 96 611 fr. 43 qui ne seront soldés qu’en novembre 1813. Par-là on peut juger du reste.
  51. Affaires étrangères. Fonds français, 1794, f° 98.
  52. Ibid., 1794, f° 108.
  53. Je me permets pour toute cette période de renvoyer le lecteur à mon livre Napoléon et sa famille, t. IX, p. 104 et suiv.
  54. Nommé le 30 mai au corps d’observation de l’Adige.
  55. Napoléon et sa famille, IX, 264 et suiv.
  56. Il convient de rapprocher cette indisposition, qui s’est déjà présentée deux ans auparavant, de la maladie qui, deux mois plus tard, emporta Joséphine.
  57. Theodelinde-Louise-Eugénie-Auguste-Napoleone née à Mantoue le 13 avril 1814, mariée le 8 février 1841 au comte de Wurtemberg, duc d’Urach, morte à Stuttgart le 1er avril 1857.