Poésies (Éphraïm Mikhaël)/La Captive

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Œuvres de Éphraïm Mikhaël Voir et modifier les données sur WikidataAlphonse Lemerre Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 141-144).
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LA CAPTIVE


J e ne sais pour quel superbe et inexpiable péché la froide princesse est captive dans la salle aux murs de cuivre. Immobile et comme enorgueillie par des regards d’invisibles foules, assise sur un trône, entre deux chimères d’or, elle s’est alanguie et sans doute elle contemple dans le miroir des murailles son insolente beauté.

Pourtant, voici qu’elle se lève, et, les yeux ardents encore de rêves que la veille n’a point chassés, elle marche vers les murs métalliques. Dans leur transparence elle voit, comme en un lumineux brouillard d’aurore, venir une forme vague, une forme voluptueuse de femme aux cheveux épars. Tressaillante d’amour surnaturel, murmurant des paroles de bienvenue, elle court en ouvrant les bras vers la royale vision. Mais elle a reconnu sa propre splendeur et ses narines sentent dans la salle l’unique parfum de sa chair. Alors, triste et lasse, dans sa robe de pourpre dégrafée, elle revient s’asseoir et pleurer entre les chimères ironiques : « Moi, dit-elle, encore moi ! » Autour d’elle, la salle élève ses implacables murailles polies : ni fleurs amies, ni armes anciennes ; partout réfléchie par les cuivres, la captive seule orne sa prison.

Voilà bien des heures qu’elle s’ennuie et qu’elle souffre, la froide princesse gardée par son image. Maintenant, elle se hait ; maintenant, elle voudrait couvrir de voiles les grands miroirs qui la font sa geôlière éternelle. Cependant une fenêtre est ouverte : si elle pouvait par cette fenêtre voir les vendangeurs errants dans les vignes, ou les moissonneuses plongeant leurs bras dans la toison des blés, ou seulement — cela même serait divin — les graves bœufs creusant des sillons noirs dans les plaines crépusculaires ! Comme elle se pencherait éperdument à sa fenêtre et comme elle jetterait vers les campagnes en travail de longs et fraternels baisers !

Hélas ! la route qui passe en bas est déserte à jamais : elle n’a ni commencement ni fin et les arbres noirs qui la bordent ont un grondement solennel d’eaux qui coulent vers l’Océan. Dans sa douleur, la princesse déchire ses vêtements ; ses colliers arrachés égrènent leurs gemmes avec un bruit railleur, et, sous les lambeaux de sa pourpre déchirée, elle s’apparaît tout entière dans les miroirs qui exaltent l’inutile gloire de sa riche nubilité.

À la fin, pourtant, la porte va s’ouvrir : Si c’était l’heure du pardon ! Si le beau vainqueur vêtu de lumière allait entrer ! Si quelque voix éprise allait crier : « Je viens te délivrer de toi ! »

Non, c’est une esclave qui offre, en des coupes d’émeraude, des fruits rares et des vins précieux. Et cette esclave porte aussi des habits de pourpre ; elle laisse aussi ruisseler à terre le lourd trésor de ses cheveux, et, de corps et de visage, elle est — mieux qu’une sœur — pareille à la princesse. D’ailleurs elle est bonne et douce, et parle un rauque langage d’Orient, qui fait ressembler les paroles d’amitié à des râles de colombe.

Mais dans la beauté de l’envoyée la captive ne retrouve que sa beauté, et les paroles consolatrices ne la font songer qu’à sa propre voix. Et c’est pourquoi la princesse douloureuse chasse avec colère la belle esclave aimante, plus cruelle que les miroirs.

1886.