La Cavalière/10

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Société générale de librairie catholique (p. 214-237).


X

où le fatout et la demoiselle se fâchent tout rouge


Hélène resta un instant comme écrasée, puis, tout son corps eut des tressaillements, et sa poitrine fut soulevée par un spasme. Nicaise la regardait avec une sévérité mêlée de pitié.

— Demoiselle, dit-il après un assez long silence et d’une voix où tout son pauvre cœur tremblait, vous avez été pour épouser cet homme-là. Est-ce que vous gardez pour lui quelque chose dans votre cœur ?

Hélène se tut, Nicaise ne parla plus. Ce fut seulement après une longue minute que la grande fille se découvrit le visage. Nicaise vit qu’elle avait pleuré.

— Tu es un méchant ou un fou, dit-elle, et je suis folle moi-même d’écouter les propos de quelqu’un comme toi !

— Demoiselle… voulut dire Nicaise.

— Et quand je me souviendrais, s’écria-t-elle éclatant comme une bombe, faudrait-il t’en demander la permission, valet ? Quand je me souviendrais, ne suis-je pas ma maîtresse ? Il ne m’a pas trompée, entends-tu ? L’argent est de l’argent, puisque tu l’as dit. Il s’est retiré parce que l’argent que j’avais n’était plus là. J’aurais fait comme lui… Lui assassin ! M. Ledoux ! Tu me fais rire, entends-tu ! Un assassin aurait achevé la noce ou se serait enfui. Lui est venu dire devant tout le monde ce qu’il avait à dire. Et n’as-tu pas vu son habit de marié, si net et si propre ? Celui qui a tué le bonhomme n’avait plus de manches à son pourpoint ; les ongles allaient jusqu’à l’os. Lui, un assassin ! Lui, qui m’a donné de l’argent ! Lui, qui m’a donné mon brevet ! Lui mon bienfaiteur ! Tu es un fou et tu es un méchant. Écoute. Je l’aurais là endormi devant moi, moi qui cherche toujours, comme une louve, moi qui tâterais le bras du régent, pour savoir… tu entends bien, je l’aurais là, devant moi, endormi, M. Ledoux, que je ne lèverais pas sa manche, pour voir que tu as dit faux, menteur !

Nicaise était simple, c’est vrai, mais il avait passé toute sa vie à étudier Hélène Olivat en l’admirant. Il savait que rien ne pouvait contre ses emportements ni contre ses obstinations.

— N’en parlons plus, demoiselle, dit-il avec un calme qui sembla singulier à Hélène elle-même.

— Ça ne suffit pas, répliqua-t-elle, essayant de raccrocher sa colère à quelque chose. Mon drôle, tu demanderas pardon à M. Ledoux !

— Je ferais bien davantage encore, demoiselle Hélène, répondit-il gravement, pour vous prouver comme je vous suis attaché.

— Allons ! murmura la grande fille s’apaisant tout à coup. Vous êtes jaloux de lui, tous tant que vous êtes, et c’est peine perdue, allez ! Il ne songe guère à moi. C’est un grand seigneur maintenant…

— Tu vas finir, toi ! reprit-elle, remarquant le sourire amer qui était autour des lèvres du fatout. Tu as des airs, ce soir à te faire mettre à la porte !

Nicaise redevint sérieux. Elle poursuivit :

— En un mot comme en mille, je te défends de me reparler jamais de M. Ledoux ! Jamais, entends-tu ?

— Oui, demoiselle.

— À moins que tu n’aies envie de changer de condition. Tu es libre !

— Demoiselle, répondit Nicaise dont la voix s’altéra, je comptais bien vivre et mourir près de vous…

— Alors la paix !… Qui avons-nous à la maison ?

— Beaucoup de monde, demoiselle. D’abord un détachement de Royal-Auvergne-cavalerie avec son capitaine.

— On les entend, Dieu merci !

— Ensuite ce Hollandais à qui M. Ledoux m’avait envoyé pour avoir votre brevet…

— À sa femme plutôt, dit Hélène qui, connaissant son pouvoir, crut ramener d’un seul sourire la gaieté sur le grave visage du fatout. La comtesse au parapluie, hé, garçon ? Et au petit vin blanc !

Nicaise ne se dérida point.

— La Hollandaise est aussi chez vous, demoiselle, dit-il seulement.

— Et après ?

— Il y a une belle dame qui mène trois gentilshommes avec elle.

— Une princesse, donc celle-là ?

— Elle en a l’air.

— Son nom ?

— Elle n’a pas dit son nom… C’est comme le seigneur, qui est dans la chambre du bout, et qui voyage en chaise avec deux secrétaires et trois valets.

— Oh ! oh ! fit Hélène. Et de quoi a-t-il l’air, celui-là ?

— D’un Anglais, demoiselle. Ses valets l’appellent Mylord comte.

— Est-ce tout ?

— Non, demoiselle.

— Défile ton chapelet, dit la grande fille qui remit ses pieds au feu. Ça va bien pour un premier jour, et il paraît que la place est bonne !

Nicaise parut hésiter.

— Allons ! dit-elle.

— Il y a répliqua enfin le fatout, Cartouche et trois hommes de sa bande.

Elle le regarda bouche béante.

— Tu dis !… balbutia-t-elle, à demi relevée, et les deux mains sur les bras de son fauteuil.

— Vous avez bien entendu, demoiselle.

— Cartouche ! et trois hommes de sa bande !

— Ce qui fait, demoiselle, trois brigands et un damné !

— Ah çà, ah çà, bonhomme ! dit Hélène dont le regard exprima une amicale inquiétude, est-ce que ce serait vrai, hein ? Est-ce que la tête déménage ?

— Je le voudrais au prix de tout ce qui est à moi sur la terre ; répondit le fatout, car j’ai le cœur trop plein de peine !

— Cartouche ! Et le régiment d’Auvergne est ici ! Et tu n’as pas fait arrêter Cartouche !

— Oh ! non, demoiselle.

— Et pourquoi ?

— À cause de vous.

L’étonnement la fit muette. Nicaise poursuivit froidement :

— Demoiselle, j’avais peur de vous mettre dans l’embarras.

— Moi ! à propos de Cartouche !

— C’est M. Ledoux qui est Cartouche, demoiselle.

Ce pauvre Nicaise croyait frapper là un terrible coup. En effet, Hélène resta un instant comme stupéfiée. Puis elle se renversa sur son fauteuil, énervée par un rire spasmodique.

— Ah ! le malheureux ! le malheureux ! dit-elle, fou comme un lièvre en mars ! fou à lier ! fou à tuer ! M. Ledoux, Cartouche ! Mais c’est qu’il me regarde encore comme s’il avait toute sa raison ! Joues-tu la comédie, bonhomme ?

— Non demoiselle. Et j’aurais bien dû penser que vous ne me croiriez pas. Je n’ai jamais été si en peine.

Il s’arrêta, tournant son chapeau entre ses doigts. Hélène essuyait ses yeux que le rire avait mouillés.

Nicaise avait aussi deux grosses larmes qui brûlaient ses paupières.

— Va falloir en finir, se dit-il à lui-même. Je n’ai plus rien à faire ici.

Il s’approcha d’un pas.

— Demoiselle Hélène, dit-il, je vous ai servi de mon mieux…

— Est-ce que tu vas me quitter, garçon ? demanda-t-elle, avertie par l’expression de son regard. Me quitter de toi-même et sans qu’on te renvoie !

— J’en ai le cœur bien gros, demoiselle, mais c’est comme vous le dites. Je ne suis pas fou, croyez-moi. La preuve, c’est que je resterai, si vous voulez me promettre de ne point livrer ce jeune homme pour de l’argent.

— Des conditions à moi ! toi ! s’écria la grande fille avec toute sa colère revenue. Je livrerai le jeune homme, si je veux ! Pour de l’argent, si ça me plaît ! Passe la porte, imbécile, et que je ne te revoie jamais plus !

— Jamais plus ! répéta le fatout d’une voix défaillante.

Et il se dirigea en effet vers la porte.

— Eh bien, dit Hélène, et ton compte, innocent ?

Nicaise se retourna et prit dans sa poche un pli qu’il déposa sur la table.

— J’oubliais, dit-il. Voilà un ordre du roi que m’a chargé de vous remettre celui que vous appelez M. Ledoux. Comment l’a-t-il obtenu, je n’en sais rien, et peu m’importe. Vous y obéirez si vous voulez. Quant à mon compte, demoiselle, il n’y a pas de compte entre nous. L’argent que vous gagnez au métier que vous faites me brûlerait les doigts. J’aime mieux ma poche vide.

— Coquin ! s’écria Hélène en s’élançant vers lui. Je crois que tu m’insultes !

Elle était faite ainsi : elle le frappa sur la joue de toute la force qu’elle avait, Puis elle chancela et serait tombée à la renverse si Nicaise ne l’eût soutenue dans ses bras.

— Va-t-en ! va-t-en ! râla-t-elle. Je te chasse !

Nicaise la plaça sur son fauteuil, et gagna la porte d’un pas ferme. Sur le seuil, il se retourna pour dire :

— Demoiselle Hélène, que Dieu vous conseille et vous bénisse !

Et il sortit. En descendant l’escalier, il essaya d’interroger sa pensée, qui vacillait dans son cerveau. Il s’assit sur la dernière marche et pressa son front à deux mains.

— Voyons ! voyons ! se dit-il. J’ai quelque chose à terminer ici avant que d’aller à la rivière. Elle ne m’a pas cru ! Elle a un mauvais cœur ! Hélène ! la demoiselle Hélène !…

Il se redressa tout à coup.

— La Poupette ! s’écria-t-il, on veut l’enlever, je me souviens. Il faut que je lui parle !

Il prit aussitôt le chemin de la chambre de Mariole. Dans le corridor, il rencontra Raoul, qui avait revêtu de nouveau son costume de postillon. Il l’arrêta, quoique Raoul eût l’air fort affairé.

— Monsieur le vicomte, dit-il, j’aime mieux parler à vous qu’à la petiote. Vous êtes un homme, et un honnête homme ; moi, je vas quitter cette maison-ci et je ne pourrai pas veiller, comme je me l’étais promis.

Raoul avait beau être pressé, il écouta dès qu’il comprit qu’il s’agissait de Mariole. Nicaise lui fit part de tout ce qu’il avait surpris relativement au projet formé par les gens de M. Ledoux d’enlever Mariole qui était pour eux une ennemie. Raoul sourit et dit :

— Nous avions pourtant déjà bien assez de besogne ! Mais sois tranquille, garçon, cette affaire-là passera la première.

Nicaise n’en voulait pas plus, il est des heures où chacun de nous, même le meilleur, devient égoïste à force d’être absorbé par ses désirs ou ses devoirs ; Raoul ne demanda même pas au fatout pourquoi il s’en allait ainsi, ni pourquoi il était triste. Il s’informa seulement de lui s’il connaissait un moyen d’avoir des chevaux en dehors de la maison de poste. Nicaise répondit non, et ils se quittèrent.

Nicaise fit son paquet, le chargea sur son dos, au bout d’un bâton, et partit à grands pas, à travers champs, par la brune qui tombait déjà noire.

Raoul, lui, gagna une porte située à peu de distance de la chambre de Mariole, et frappa trois coups distincts. Une belle grosse Hollandaise, luisante comme une tulipe, vint lui ouvrir.

— Est-ce pour la conspiration ? demanda-t-elle avec mystère.

— Oui, répondit Raoul.

— Dites le mot de passe, alors !

Raoul prononça solennellement : — Je veux voir la reine !

— Ça suffit, dit la grosse soubrette. Quand est-ce que nous allons monter sur le trône, monsieur le postillon ?

— Il n’y a plus que trois relais, répliqua Raoul. Faisons vite.

La grosse soubrette entr’ouvrit une portière et dit avec une profonde révérence :

— Madame la comtesse, c’est pour la conspiration.

— Savez-vous, répondit la voix de l’épouse Boër derrière la draperie, ne parlez pas si haut, imprudente, et faites entrer… vous concevez !

Raoul fut introduit aussitôt dans le sanctuaire où l’épouse attendait impatiemment son couronnement. Elle était assise sur un fauteuil beaucoup plus haut que les autres et qui avait apparence de trône. Elle était parée comme une demi douzaine de châsses, et fière, et si heureuse que sa face bouffie semblait avoir des rayons.

On ne saurait dire au juste comment cette bouffonnerie avait commencé. Le hasard sans doute et ce qu’il y a d’éternellement espiègle dans le caractère français avaient entamé l’histoire, à moins que ce ne fût une comique vengeance de Raoul contre ce scélérat de mein herr Boër.

Maintenant, sous cette comédie, il y avait intérêt de vie et de mort, car les écuries de la maison de poste étaient closes, et le chevalier de Saint-Georges n’avait plus aucun moyen de continuer sa route. Or l’épouse était venue dans une bonne chaise que traînait un excellent attelage.

— Nous vous permettons d’approcher, monsieur le vicomte, dit-elle avec emphase et volubilité. Comprenez-vous ? Nous aimons les gens comme il faut. Et ce déguisement de postillon vous va bien. Nous supposons que les affaires marchent. Notre divorce avec mein herr Roboam Boër ne souffrira pas l’ombre d’une difficulté, vous savez ? Nous prouverons par témoins qu’il a voulu nous battre, nous empoisonner et même nous égorger. Les gens de cette auberge seraient bien étonnés s’ils apprenaient tout à coup qu’une jeune et belle reine est parmi eux. Vais-je voir bientôt mon royal fiancé ?

— Sa Majesté, répondit Raoul, en vous envoyant ses compliments, vous fait prier de donner vos ordres, afin que votre chaise de poste soit prête dans une demi-heure.

— Savez-vous ! répliqua l’épouse étonnée. Et dormir !

— On ne dort pas sur la route du trône, madame !

— Ah ! concevez-vous ! concevez-vous ! le trône ! Si mon royal fiancé avait honte de mein herr Roboam, on pourrait l’exiler de suite, n’est-ce pas ?

— Parfaitement, madame. C’est dans l’ordre des choses politiques.

Raoul salua avec respect et se retira en recommandant la chaise de poste. L’épouse, restée seule, se fit ajouter quelques rubans et mangea son souper d’un énorme appétit. Seulement, elle exigea que sa luisante soubrette fît l’essai des viandes et du vin.

— Savez-vous ! dit-elle. C’est l’étiquette : à chaque repas, un beau gentilhomme boira dans mon verre avant moi ! C’est la politique.

Raoul traversa toute la maison pour se rendre au logis du chevalier de Saint-Georges où il avait laissé lady Mary Stuart dans l’angoisse. Les choses prenaient en effet, de ce côté, une inquiétante tournure. En chemin, Raoul rencontra bon nombre de méchants visages qui lui étaient inconnus. Mein herr Roboam avait aussi amené sa séquelle.

Hélène Olivat, cependant, était, comme nous l’avons laissée, dans son fauteuil auprès de son feu. Aucun des domestiques de la maison ne songeait à elle, car, d’habitude, Nicaise aimait à la servir tout seul. D’ailleurs ce soir, à la maison de poste de Nonancourt, valets et servantes ne savaient auquel entendre.

La nuit venait rapidement. Il n’y avait point de flambeau allumé dans la chambre d’Hélène, qui s’éclairait seulement aux lueurs mourantes du foyer.

D’ordinaire, ses accès de courroux étaient aussi courts que violents. Pour employer une locution populaire, la main tournée, il n’y paraissait plus. Mais aujourd’hui sa colère durait, une colère sombre et profonde. Nicaise, un enfant du pays, là-bas, qu’elle avait vu tout petit, qui avait grandi avec elle, Nicaise, un esclave pour le dévouement, un dévot pour le respect, Nicaise enfin qui la vénérait comme une sainte, Nicaise l’avait outragée froidement et tête haute.

Outragée à ce point qu’elle avait levé la main sur lui !

Et Nicaise ne s’était point courbé sous le châtiment.

Froidement et résolûment aussi Nicaise l’avait abandonnée.

Elle n’était point fille à dire : j’ai eu tort… Jamais ! Elle marmottait au contraire entre ses dents serrées : J’ai bien fait ! J’ai bien fait !

Et pourtant, ce qui prolongeait sa colère, c’était le remords, un remords sourd qu’elle étouffait sous les vanteries de sa conscience fanfaronne.

— J’ai bien fait ! J’ai bien fait !

On lui reprochait d’aimer l’argent ! Employait-elle l’argent de travers ? Y avait-il dans toute sa vie une seule action qui ne fût noble, généreuse et vertueuse ? On peut aimer l’argent quand on s’en sert ainsi. Et d’ailleurs, elle était libre, elle était la maîtresse.

Quant aux accusations contre M. Ledoux, cet homme rangé, prudent, tiré à quatre épingles ! Cartouche !

— J’ai bien fait ! J’ai bien fait ! Et si Mariole bouge, ah ! celle-là je la jette sur le pavé !

Pensait-on se moquer d’elle !

Quoiqu’elle eût si bien fait, elle était triste à mourir et d’une humeur détestable ; elle avait envie de se donner des coups de poing à travers la figure, comme le pauvre fatout.

Qui l’avait donc changée ainsi ? Et pourquoi parlaient-ils tous de l’argent avec cet hypocrite mépris ? de l’argent que tout le monde aime !

Elle se leva péniblement ; elle était brisée plus que si elle eût fait quinze lieues de son pied dans les grandes coupes de Béhonne. Elle avait froid. Elle jeta deux bûches dans le feu, si rudement que la cheminée se remplit d’étincelles.

Les étincelles lui montrèrent le pli que le fatout avait laissé sur la table. Elle le prit et voulut avoir de la lumière pour le lire, mais les flambeaux étaient sans chandelles.

Le feu flambait déjà. Elle se pencha et lut un ordre de mettre tous les chevaux de la poste à la disposition de M. le marquis de Romorantin, et de lui seul.

En vérité, la grande fille était si loin de croire aux accusations du fatout contre ce bon M. Ledoux, que le nom noble de celui-ci ne les lui rappela même pas. Elle froissa le papier et se demanda, car elle était grand-turc dans sa maison, sur qui elle allait passer sa colère.

Justement, une victime se présentait. On frappait à la porte de gauche, qui donnait sur le corridor, conduisant à la chambre du vagabond, comme Hélène appelait volontiers le chevalier de Saint-Georges.

Ah ! jarnicoton ! celui qui frappait allait passer un méchant quart d’heure, qui que ce fût ! En ce moment, Hélène n’avait pas à choisir. Tout lui était bon. Elle eût bouleversé monseigneur le régent en personne.

— Entrez, dit-elle.

La porte s’ouvrit. Elle vit un jeune cavalier qu’elle prit d’abord, dans l’obscurité, pour « le vagabond » lui-même. Mais le nouveau venu était plus petit, et quand le rayon qui partait du foyer l’atteignit, Hélène vit bien aussi qu’il était plus mince.

— Qu’est-ce qu’il vous faut, l’enfant ? Demanda-t-elle de sa plus grosse voix.

L’enfant sortait probablement d’un lieu où la lumière était mieux distribuée, car il mit sa main au-devant de son regard pour éviter les rayons du foyer et voir un peu à qui il avait affaire.

Hélène, de son côté, l’examinait. C’était en apparence un tout jeune homme, parfaitement beau et bien fait. Son costume noir, très-élégant, était porté avec une gracieuse hauteur. Ce devait être, assurément, quelque petit seigneur d’importance.

— Qu’est-ce qu’il vous faut ? répéta Hélène. N’avez-vous point de langue ?

— Madame, répondit l’adolescent avec une timidité où perçait déjà quelque rancune, car il ne devait point être habitué à être ainsi traité, je voudrais savoir si vous êtes la maîtresse de cette maison de poste.

— Oui ; après ?

L’adolescent fit un geste d’étonnement.

— Quoi ! dit-il, vous seriez cette Hélène Olivat qu’on m’a dépeinte comme étant si bonne…

— Vous verrez bien si je suis bonne ! répliqua la grande fille ; on met mademoiselle devant mon nom, quand on a de la politesse. Allez !

— Le jeune homme, reprit le nouveau venu, le pauvre jeune homme à qui vous avez rendu un si grand service…

— Je m’en repens… Allez !

— Vous vous en repentez ! s’écria le nouveau venu.

— De tout mon cœur ! Et si c’était à recommencer…

— Que feriez-vous, demoiselle Olivat ? demanda le jeune inconnu qui se redressa.

— Je lui dirais : mendiant, passe ta route… Après ?

L’adolescent se rapprocha d’elle d’un pas délibéré.

— Eh bien, bonne femme, dit-il en changeant de ton, je préfère cela de beaucoup, et nous allons bien mieux nous entendre. Je n’aime pas implorer, tel que tu me vois. J’ai besoin de chevaux de poste, tout de suite, et l’on m’en a refusé à tes écuries. Voilà vingt louis dans cette bourse, voilà un pistolet dans cette main ; si tu donnes des chevaux, les vingt louis sont à toi ; si tu me résistes, aussi vrai que tu es une mégère, je te fais sauter la cervelle !