La Chanson de l’aubépin
La chanson de l’aubépin
Paroles et musique de Madme Amélie Perronnet
Loriot
Fanchette
Scène 1er
C’est bon ! c’est bon ! qu’on s’dépêche… et qu’l’ouvrage n’vous gêle pas les mains ; l’premier que j’vois muser, j’lui donne son compte. (venant sur le devant de la scène) C’est vrai ça !… tous ces flâneux d’domestiques… faudrait les nourrir et les payer à rien faire ! et encore y trouveraient moyen d’se plaindre. Ah ! si au lieu d’avoir une femme pour bourgeoise, y zavaient affaire à un gaillard pas frileux, qui les z’houspiller un brin, la maison n’en irait pas plus mal !
Tous les gens du pays m’disent ben : marie-toi la Fanchette… N’y a que c’moyen-là d’mener ta barque… M’marier ? je l’voudrais ben aussi ! mais… avec qui ?… Tous ces gas du pays… c’est grossier… c’est brutal ! et ma fine… quand on a vécu quéque temps avec une grande dame comme mamz’elle de Kéradec, de qui que j’étais (pompeusement) femme de chambre, on s’est fait aux belles manières… et on n’peut pas s’épouser avec l’premier-v’nu !
Couplets :
Quand on a fréquenté l’beau monde ;
Et qu’on a lu quéque p’tits romans,
Faut trouver quéqu’un qui réponde
À ce qu’on possède d’sentiments.
Je n’veux donc pas, si la nature
M’a fait un tout p’tit brin d’attraits,
Avoir un mari sans allure,
Qui, des agréments d’ma figure,
Ne s’aperçoive au grand jamais.
Sans êtr’romanesque à l’extrême
Je d’vine c’que c’est qu’aimer
Et, sans craint’qu’on puiss’m’en blâmer (Bis)
Je veux qu’on m’aime, (Bis)
Comm’j’aimerai moi-même.
2
Entre les geun’s gens qu’on marie,
Comm’ça doit dûrer plus d’un jour,
On dit qu’y faut d’la sympathie,
J’crois que c’mot-là veut dire : amour ;
Celui qui n’saurait pas m’comprendre,
N’pourrait donc pas fair’mon bonheur.
Moi, j’ai l’caractère doux et tendre
Et l’cœur du mari que j’veux prendre
Doit savoir répondre à mon cœur.
Car, je suis sensible à l’extrême
Et j'devine c'que c'est qu'aimer,
Hélas ! sans savoir qui nommer (Bis)
Je veux qu'on m'aime (Bis)
Comm' j'aimerai moi-même.
Ah ! dame ! n'y en avait qu'un qui m'aurait convenu ici... c'est c'pauv' Loriot, qu'est parti, v'la tantôt deux ans... y m'aimait ben aussi, lui ! mais mon bonhomme d'oncle, n'pouvait pas l'souffrir d'son vivant... de fait... c'Loriot il était un brin bête ; un brin gourmand... un brin paresseux... beaucoup paresseux ; même... hé ben ! n'empêche... c'était core c'qui avait d'mieux dans l'pays... Jugez des autres ! Pauv'garçon ! je l'vois encore, l'jour qui s'a décidé à m'demander à mon oncle. (grosse voix) « toi... — » qui lui dit comme ça — « un feignant... un vaurien... l'mari d'Fanchette... j'aimerais mieux lui mettre une pierre au cou, et la j'ter dans not' mare » (tristement) c'pauv' Loriot ! ... il était si timide... y n'a pas su tant seulement lui dire qu'y f'rait son possible pour me mériter... Aussi, j'étais si furieuse de sa bêtise, que j'y ai ri au nez, en l'appelant : « imbécile » (soupirant) et l'lend'main il a quitté l'pays... et on n'sait pas c'quil est d'venu ! Ah ! y d'vait croire que j'l'haïssais : j'lai fait enrager tant d'fois... histoire de m'donner des airs. (prêtant l'oreille) Allons. Bon ! v'la les autres qui s'disputent, à la cuisine... voyons voir quoi-qu'y-z'ont à s'chamailler comme ça. (Elle sort à gauche)
Scène 2.
Personne ! Ouf ! Y m'semble toujours sentir quelqu'un derrière moi ! non ... ma vieille enjôleuse n'a pas pu m'suivre jusqu'ici... j'lai perdue d'vue au dernier relai, d'où j'arrive à pied... comprend-on ça ? une vieille veuve, chez qui j'entre comme domestique, et qui s'amourache de moi, au point d'vouloir convoler en secondes noces, à mon préjudice ? un instant ! la place était bonne, et les profits honnêtes... mais, pas d'ça Lisette ! Aussi, quand j'ai eu fait ma pelotte... j'ai décampé, malgré ses m'naces de m'courir après. Prétendre à un homme de m catégorie ! mame Grabouillot... une ancienne charcutière... soixante-huit printemps... et autant d'hivers ! ... dame... les femmes, c'est pas comm' les nèffes... n'y a pas besoin que la gelée passe dessus... J'suis, grâce à Dieu, à l'abri de ses poursuites, ici... dans c'te maison, où j'ai vu, pour la dernière fois, la méchante fille, qu'est cause de mes embarras... car, sans les dédains d'une cruelle, j'n'aurais jamais quitté mon village...
Ah ! Fanchette ! cœur de roche ! femme sans foye ! j'veux t'voir encore une fois, avant de m'expatrier pour de bon... et t'faire voir que je t'aime pus, mais pus du tout... ça t'vexeras, car t'tais pétrie d'amour-propre... et on sait ben qu'quand les femmes changent, c'est pas pour dev'nir meilleures.
Air :
En te r'voyant, fille insensible,
Je n'te dirai pas certain'ment,
Dans quell'situation pénible
Se trouva ton ancien galant.
Tu n'sauras pas, cruelle !
Que j'maudissais mon sort
Et, si tu m'crois fidèle (Bis)
J(te montrerai qu'tas tort.
Non, je n'suis plus, c't'amant candide,
Qui, dans tes lacs, jadis s'est pris
J'ai cessé d'être gauche et timide,
Et je vas te montrer, perfide,
Comment on s'éduque à Paris (Ter)
2
Quand j'ai su faire ma fortune,
J'pourrais te narguer gentiment,
Mais j'tiens à t'éblouir seul'ment,
Afin qu'mon imag' t'importune.
Pour me venger, dans un moment,
Je veux, d'une façon délicate :
Te faire apercevoir ingrate !
Tout c'que tu perds, en me perdant (bis)
Tes amoureux du voisinage,
Ne sont dignes que d'mon mépris,
Car il ignor'nt le beau langage,
Ils sont toujours de leur village :
Mais moi, j'ai tété-z-à Paris (Ter)
J'ny dirai pas que j'ai tété domestique d'une vieille charcutière qui voulait m'épouser... ça la f'rait rire. (regardant à gauche) mais v'la quéqun... Seigneur Dieu ! c'est elle ! l'affreuse créature est pus belle que jamais... (se redressant) Allons Loriot ! du toupet, mon bonhomme ! et morguienne, ébaubissons-là, c'te chipie, d'mon audace parisienne !
Scène 3
Un étranger ! un voyageur, sans doute ! (faisant la révérence) Quoi qu'y a pour vot' service, not' jeune monsieur ?
Qu'on m'serve à déjeuner, la belle enfant ! Quéque chose de léger ! d'la soupe aux choux ; des pommes de terre au lard ? j'ai l'estomac délicate !
Hé ! mais ! je n'me trome point ? c'te voix ! mais c'est lui ! c'est Loriot !
All'me r'connaît !
Mais, c'est toi, mon Loriot ! (se jetant à son cou.) Embrasse-moi donc
Qu'est-ce que c'est, la fille ? vous êtes bien familière ! ... ça peut n'pas plaire à tout l'monde ! moi, je n'suis pas fier ! mais enfin, faut qu'chacun tiende son rang, pour lors. (Il se rengorge)
Ah ! oui ! des bonnes soupes, même ! la cuiller s'y t'nait toute droite ! (haut) attendez donc ? (il a l'air de chercher) Le père Calhouic... il avait une nièce ?
C'est moi, Fanchette ! la p'tite Fanchette, qu'était chez les dames de Kéradec...
Ah ! oui ! Fille de chambre... je m'rappelle à présent... (d'un ton protecteur) c'te pauv' Fanchette ! ... (Il la lorgne) mais sais-tu que t'es d'venue un joli brin d'fille ! t'es pas déjà si déchirée pour une fille de campagne ? (Il continue à la lorgner)
Une fille de campagne ! Hé ben ! Qu'est-ce que t'es donc toi-même ? (Impatientée) Ah : ça ! quoi qu'il a donc à me r'luquer comme ça avec son p'tit morceau d'carreau ? En v'la des façons avec une payse ! Quéque ça veut dire, donc ?
Ah ! dame ! les temps sont changés, vois-tu ma fille !
Et toi aussi, ma fine, c'est à n'pas te r'connaitre !
D'puis deux ans, j'ai vu du pays, j'mai fait une position dans l'monde ! ...
Ah ! bah ! où donc ça ?
Mais, à Paris, donc ma poulette... d'où que j'arrivasse en chaise de poste.
Tiens, comme t'es crotté ?
Ah ! c'est qu'à une lieue d'ici, un essieu s'a cassé... et comme je suis pressé, j'ai mieux aimé marcher toujours, que d'attendre que l'charron l'eusse réparé.
T'as ben fait... si ben calé qu'on soit... faut s'servir de temps en temps, d'la voiture du père Adam... ça r'pose !
J'crois qu'elle me gausse.
Enfin ! t'as eu d'la chance ? tant mieux ! dis donc ? t'étais pas si fendant, l'jour où t'es parti d'ici, après le r'fus du père Calhouic, de t'prendre pour neveu... t'rappelle-tu ? que tu pleurais comme une fontaine... (Elle rit) T'étais-t-y drôle ?
Oui... même que tu m'as appelé imbécile. (essayant de rire) Ah ! Dieu ! t'avais joliment raison ! ... j'étais joliment bête d'braire pour si peu.
Pour si peu ?
Comm'si j'nétais pas sûr d'en r'trouver d'autres.
Voyez-vous ça ?
Car enfin, ma chère, ç'aurait été dommage qu'un beau garçon comm' moi... destiné à un avenir conséquent prenn' un' fille de rien... sans t'offenser, ma Fanchette !
Un' fille de rien ! ah ! mais ! mais ! c'est trop fort !
Elle rage. (Haut) Quand j'pense que si je m'fusse épousé avec toi... c'était fini d'toutes ces jolies femmes qui d'vaient m'faire d'l'oeil par la suite.
Des jolies femmes ? toi qu'étais si timide ? si bête avec les filles ?
Ça s'est passé !
T'es d'venu riche... toi qu'étais si paresseux.
Ça s'est passé !
Par des voleries, alors, toi qu'étais t'honnête ?
Ça s'est pass... (se calmant) Enfin ma chère, le plus clair, c'est que j'suis maintenant, un richard... et un Lovélâche...
Un lovélâche ?
C'est comm'ça qu'on appelle un enjôleux, à Paris... moi, si timide, si honnête, si bête... comme tu dis ! j'suis d'venu un sac à diables, un effronté fieffé... je suis bon à pendre à c't'heure.
Dis donc, mon Loriot ! veux-tu que j'te dise la vérité vraie ? Hé ben ! en t'voyant là, tout à l'heure, j'ai cru...
Hé ben !
Hé ben ! j'ai cru... qu'tu venais... tu sais ? ... pour renouer la chose d'autrefois...
Quelle chose, donc ?
Dame, sachant que j'suis ma maîtresse, à c't' heure, que le père Calhouic est mort, et qu'y m'a fait son héritière...
Le père Calhouic ? non... j'savais pas... après ? ...
Enfin... j'ai cru... qu'tu v'nais m'demander... si j'voulais m'répouser avec toi ?
Ah ! ben ! Ah ! ben ! pour que tu m'rises encore au nez, comme y a deux ans... merci ! Et d'abord... ma chère, pour qu'tu n'tinduzes pas plus longtemps en erreur... apprends que...
Que...
Que j'suis poursuivi d'amour par une belle dame, tout c'qu'y a d'plus huppé.
Pas possible !
Oui, ma fille... une vieille (se reprenant) une belle dame, qui s'est toquée d'moi, et qui veut que j'l'épousisse devant mossieu l'maire... (à part) attrape
En v'là une affaire ! (haut) Ah ! tu vas t'marier à une vieille... à une belle dame ?
Ah ! c'n'est pas fait ! j'ny tiens pas, parc'qu'avant tout, j'veux garder ma liberté.
Ah ! tu fais l'cruel ?... et quoi qu'en dit la vieille, non, la belle dame, de la cruauté ?
Elle ! pauv' chatte ! elle a d'abord voulu s'périr d'désespoir... et... à présent... elle me court après pour me poignarder... preuve qu'elle m'adore !
Elle est donc bien laide, c'te pauv'femme ?
Du tout ! une femme superbe ! cinq pieds, quat'pouces, et grosse à proportion... mais, vois-tu... (avec fatuité) ça f'rait l'malheur de tant d'autres ! ...
Duo
Quand on est jeune, aimable et riche,
Ça s'rait une stupidité
D'vouloir poser, en vrai caniche,
Pour la fidélité !
Mais pourtant, faut ben que l'mariage
Finisse un beau jour
Par fixer l'amour
Y faut, tôt ou tard, dev'nir sage.
Ici bas, vois-tu (bis)
La vertu...
La vertu ?...
C'est du bien d'perdu.
Ensemble :
Fanchette |
Loriot
|
---|---|
Quel langage ! | Mon langage |
Mais, je l'gage, | Oui, je l'gage |
Oui, sans contredit, | Doit, sans contredit, |
IL a perdu l'esprit ; | Etonner son esprit. |
Car sans rire | Car j'soupire |
Il peut dire | Mais j'veux rire |
Des cont's de sa façon | Pour lui cacher toujours |
Qui n'ont ni rim' ni raison | Que j'ai gardé mes amours. |
Tu n'peux t'imaginer, ma chère,
Ce que j'ai r'çu d'billets doux ?
C'est un' collection tout entière
Des écritur's de tous les goûts
Ici, l'un' me peint son martyre
Un' aut' me parl' de son tourment
Et d'son délire.
Ma fin' ! permets-moi de te l'dire.
Pour déchiffrer leurs complments
Il a ben fallu, d'puis deux ans
Qu'tu dépêch's, pour apprendre à lire !
Fanchette |
Loriot
|
---|---|
Voyez quel mauvais esprit | Voyez quel mauvais esprit |
S'fait ben voir dans tout c'qu'y dit | S'fait ben voir dans tout c'qu'elle dit |
Son humeur est méchante, | Elle est vraiment méchante |
Mais sa colèr' m'enchante, | Mais sa colèr' m'enchante, |
Et de sa vanité | Et, de sa vanité |
Que j'connaissais d'avance | Que j'connaissais d'avance |
Je veux, en vérité | Je veux, en vérité |
Bientôt tirer vengeance. | Bientôt tirer vengeance. |
J'faisais, pour toi, des voeux,
Maint'nant, j'te complimente
Si l'esprit t'a poussé, oui da, c'est ben heureux,
Et ton succès m'enchante
Oui ma Fanchette
POur faire ma conquête
Des grand's dames ont, à tout moment,
Oublié, pour mon agrément,
Leurs titres et leur rang
Vraiment ?
Leurs titres et leur rang.
J't'en cit'rai deux des plus riches
Qui s'ront, d'honneur, c'est désastreux,
Prises, pour moi, par les cheveux (Bis)
Qu'étaient, sans doute, postiches.
Ensemble (Reprise)
Voyez quel mauvais esprit | Voyez quel mauvais esprit.
C'est égal, j'penche à croire que c'te dame est laide comm' le péché, sans ça tu t'laiss'rais attendrir.
Mais non ! ell' parle du nez, v'là tout ; mais c'est ses lunettes qu'en est cause... elle est un peu mûre... mais en ménage... une femme mûre... ça vaut mieux, on est plus sûr d'sa fidélité.
Ah ! tu t'maries (jouant l'indifférence) et... avec qui ?
Oh ! vous l'connaisez ben ? Yvon... un grand bel homme ! six pieds cinq pouces... et mince à proportion.
Yvon ? ... c'grand roux, qui louchait des deux yeux.
ça 'est passé.
Un brutal... un lourdaud... toi qu'étais si délicate.
Ça s'est pass... (se calmant) et puis y va avoir un'gard'rie... ça n's'ra point un mauvais parti ! dà ! Faudra v'nir à ma noce, pas vrai ?
Ben obligé ! (à part Ah ! l'ingrate, qu'j'ai raison d'l'abominer.
Quoi donc ?
Hé ben ! quand tu passais, l'matin, d'vant la porte, et qu'tu toussais ben fort, pour que j'me r'tourne...
Tu n'te r'tournais pas toujours !
Menteur ! (haut) et l'dimanche... à la danse... qu'tu t'perchais à côté d'moi, en soupirant comme l'soufflet d'not' maréchal, sans oser m'inviter...
T'étais si dédaigneuse avec moi.
Innocent ! (haut) et, enfin, quand tu v'nais manger la soupe à l'auberge, et que j'te donnais une cuiller, tu me prenais souvent la main avec... très lentement – émue) Et tu n'savais pas c'qui fallait garder... d'la main ou de la cuiller.
Et la chanson de l'aubépin, que tu chantais à la veillée, t'en souviens-tu ?
Si j'men souviens ? écoute :
Air :
Perrine et Jeannot sont en guerre
D'où donc que leur vient ce courroux ?
Il dit que Perrine est légère
Ell' prétend qu'Jeannot est jaloux.
Mais, n'y a rien là d'sous qui m'étonne
C'est l'hiver qu'est cause d'tout ça,
Et l'humeur que chacun d'eux a
C'est l'brouillard de mars qui la donne
Mais quand l'aubépin verdira
La la la la
Mais quand l'aubépin verdira
Soyez bien certain que la paix se fera
Jarni, j'crois qu'j'y suis encore à c'bon temps, où j'l'entendais chanter tous les jours, comme un p'tit oiseau du bon Dieu.
2
L'hiver, par le froid tout sommeille
Les oiseaux restent dans leurs nids
Faut donc que le printemps réveille
Les amoureux qu'il a transis.
L'amour qui, tout plein d'espérance
Jadis, s'allumait à leur voix
Aujourd'hui, souffle dans ses doigts
Pour s'échauffer en leur présence
Mais quand l'aubépin verdira
La la la la
Mais quand l'aubépin verdira
Rien qu'à son aspect on se renfflamera
Bête ! puisque j'vas m'épouser avec Yvon
Pourquoi qu'tu r'parles d'ces bêtises, là, alors ?
Ah ! ça ! Loriot, j'y pense... si c'te dame qui court après toi, vient t'chercher jusqu'ici... quosqu'y faudra faire ?
Chut ! si elle vient ? c'qui n'aurait rien d'impossible... tu lui diras... tu n'lui diras rien... et tu m'préviendras.
Bon. (à part ; le menaçant) Ah ! tu veux m'en faire accroire... (haut) j'vas t'faire servir à déjeûner Mr Loriot.
C'est ça, ma fille ! et qu'ça n'traîne pas. (Elle sort à gauche)
Scène 4.
Ah ! Elle a cru que je r'venais pour ses beaux yeux ? Tandis que... pus souvent ! une coquette ! une sucrée ! une pic-grièche ! qui f'rait d'moi son esclave ! son valet ! son grôme ! merci ! j'sais c'que c'est ! j'en ai goûté... et pourtant, qu'elle est avenante et gentille... et finaude... Ah ! pour d'la finasserie... elle n'en chôme point, et elle a la tête plus pleine que l'eau... ça c'est sûr. (on entend vocaliser Fanchette dans la comtesse) Tiens... la v'la qui chante ! ah ! Dieu ! j'laime-t-y sa p'tite voix d'rossignolette. (Il s'assied)
3
Voilà que revient la verdure,
Et ses p'tits bourgeons fleurissants :
Plus souriante est la nature,
Plus épris sont les amants.
Auss ben, Jeannot et Perrine
Ont changé de maintien déjà,
Chantant par ci, dansant par là,
Rien qu'au regard, on se devine
Et quand l'aubépin fleurira
La la la la
Et quand l'aubépin fleurira
Le pasteur, dit-on les bénira
Scène 5
Enfin ! je vous r'trouve, Mr de Loriot !
Dieux ! c'est ma vieille ! (furieux) Qu'est-ce que vous voulez encore ?
Mais, à vous pardine ! (Elle fait un pas de tragédie, à chaque mot) Volage, infidèle ! Lovelâche ! (Elle lève le poignard sur lui)
Ah ! ça ! minute ! écartez d'abord c't'outil-là ! et voyons un peu d'quoi qu'y r'tourne.
Du tout... du tout... j'veux vous poignarder d'abord : nous nous expliquerons après !
Mais elle est enragée ! ... dites donc Hé ! si vous n'finissez pas, ça va d'venir du vilain.. j'sens la moutarde qui m'monte au nez, d'abord.
Comment, gueux fini, tu n'veux pas entendre celle qui t'adore ? qui veut d'venir ta légitime ? qui s'périrait pour te plaire, homme sans entrailles. (Elle pose le couteau sur la table)
Mais, puique j'vous ai déjà dit non, non, cent fois non, mame Putiphar !
Duo
Vot'conduite est abominable
Vous m'en rendrez raison (Bis)
V'la qui promet d'être agréable
Pourquoi m'chercher raison ?
Quelle injure à mon nom (Bis)
Pourquoi m'chercher raison (Bis)
Sans égards pour ma noblesse
Pour mon titre, et ma richesse
Monsieur s'donne, oui dà
Des airs de m'planter là (bis)
Bon Dieu ! bon Dieu ! que deviendra tout ça ?
Ensemble :
Fanchette |
Loriot
|
---|---|
Ne cherche pas à nier ton crime | Faudra-t-il donc être sa victime ? |
J'te vois trembler d'vant mon courroux | Me v'la m'nacé de son courroux (bis) |
Ton âme est noir' comme un abîme | Mais, l'épouser, ça s'rait un crime |
Tu devrais tomber à mes g'noux | Ell'voudrait que j'tombe à ses genoux |
Tu peux êtr' sur de ton affaire | Je voudrais savoir l'fond de c't'affaire |
Dieu sait comme ça finira | Dieux sais comment (Bis) ça finira |
J'te r'connais bien, la chose est claire | Inspirez-moi c'qui faudra faire |
Tâche à présent (bis) de t'tirer d'là ? | Mon doux Jésus, tirez-moi d'là |
Allons, allons ! Faudra que j'fasse justice moi-même.
Qu'ell' s'fasse justice ! ... mais c'te femme est folle ; ell' va m'causer du désagrément (d'un air conciliant, mais sans l'approcher) Voyons, mame Grabouillot ? vous n'êtes donc pas d'venue plus raisonnable ?
Je n'serais point-z'amoureuse ; si j'étais raisonnable.
Elle a raison. (Haut) Voyons, déposez un peu c'poignard andaloux... et causons comme une paire d'amis.
(Elle se rapproche)C'est ça, causons.
Vous voudriez qu'j'vous aimât ?
Ah !
Et que je vous offrasse ma main ?
Oh !
Mais j's'rais un ch'napan, si je vous l'offrissais.
Pourquoi ça ?
Parc'que ! ... mais, t'nez vous êtes furieuse après moi, parc'que je n'réponds pas à vot' flamme antiquaille
Oh !
Bon ! vous m'avez déjà dit ça... donc, si j'avais un gros chagrin, vous seriez à la joie de vot' coeur ?
Ah ! ...
Vous ? à cause donc ?
A cause que j'aime une fille qui n'm'aime pas
C'est ça ! j'm'en doutais... et c'te fille, c'est ?
C'est Fanchette ! ... vous n'connaissez pas Fanchette
Si... j'y ai parlé en arrivant ! ...
N'est-ce pas qu'elle est jolie ?
Assez... Coeur barbare.
J'l'avais aimée... autrefois... et j'me croyais guéri par deux ans passés loin d'elle... comme si on guérissait de c'mal-là !
Ah qui le dites-vous cruel ? ...
Pauv' vieille ! (haut) J'suis donc r'venu croyant qu'sa présence m'laisserait calme... Hé ben ! pas du tout ! en la r'voyant, mon coeur a sauté comme un baril de poudre à l'approche d'une chandelle.
Pauv' garçon !
Comment, une ingrate ? paré que vous êtes parti, y a deux ans, sans lui dire ni quoi, ni qu'est-ce... et qu'vous l'avez laissée tout c'temps sans nouvelles !
Cmment l'savez-vous ?
Est-ce que les hommes n'sont pas tous les mêmes ?
Vous d'vez vous y connaître... à vot' âge. Ah ! c'est fini du bonheur pour moi, maintenant ! et pourtant... je n'peux pas m'emêcher d'espérer
Romance
Si j'osais espérer qu'ell' m'aime
Ça m'f'rait passer plus d'un défaut ;
Je n's'rais pas si défiant d'moi-même,
A travailler, j's'rais moins nigaud.
J'saurais ben trouver dans ma tête,
L'moyen d'y être utile en ce lieu (bis)
En un mot, j'crois que j's'rais moins bête (bis)
Si Fanchette m'aimait un peu ! (bis)
Et pourquoi qu'vous n'y avez pas dit tout ça
Ah ! Pourquoi ? c'est c'te gueuse d'amour-propre. Voyez-vous ! j'aurais pas voulu avoir l'air... d'autant que l'père Calhouic l'a fait sa légateuse universelle... et... elle pourrait croire que c'est pour ça ! Si ben... qu'si n'fallait qu'un mot, pour qu'elle sache à quoi s'en tenir...
Ma foi ! j'oserais pas l'dire... et puis... Bath ! ... elle va s'marier avec Yvon.
Et... si c'était une frime pour se mettre à votre unisson... si elle vous avait attendu, sans rien promettre à personne... quoique vous en diriez ?
Ah ! la joie m'rendrait fou ! et j'lui dirais du fond d'mon âme...
S'il est vrai qu'y t'soit agréable
Fanchette d't'unir avec moi !
Si mon bonheur n'est point un' fable
Ah ! j'veux vivre et mourir pour toi !
Je croyais te r'trouver oublise
Ça n'est point, j'en reçois l'aveu (Bis)
Va, j'suis sûr de t'rendr' ben heureuse (Bis)
Si tu veux m'aimer un p'tit peu. (Bis)
Oui, va que j't'aime ! et d'tout mon coeur
Hé ! la vieille, est-ce que ça vous reprend ? (Fanchette arrache ses lunettes et jette son déguisement) Fanchette ! c'était Fanchette !
Et, tu n'me ris point z'au nez comme à ordinaire ?
Hé non ! puisque j'ai quasiment envie d'pleurer, au contraire.
Et pourquoi donc ça ?
Et d'joie, donc ! d'avoir r'trouvé mon vrai Loriot.
Mais qu'est-ce que c'est donc que c'te défroque, qui t'cachait si bien ?
C'est une vieille robe à mamzelle de Kéradec, qui n'pensait point qu'ça m'servirait à repêcher un mari !
Un mari ? Ah ! c'te fois, ma Fanchette, c'n'est point-z-une frime ?
Tu l'verras ben j'suppose !
Et quand ça ?
Dame ! nous v'la en avril... et la chanson dit comme ça :
Dès que l'aubépin fleurira
La la la
Reprise en duo
Dès que l'aubépin fleurira
Le Pasteur, dit-on, tous deux les bénira
La la la
(Final)
Y sont passé, ces jours d'orage
Les mauvais rêv's sont donc finis.
J'suis sûr' que nous f'rons bon ménage
Et j'pari' ben qu'dans not' village
On est plus heureux qu'à Paris (Bis)
Fin
Amélie Perronnet
20 avenue Trudaine