La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LI

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 212-213).

Chapitre cinquante-unième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre les connins.


Et quant le veneur voudra chassier connins, il doit avoir chiens d’oysel que l’en apèle espainholz, et doit fere querir par les hayes et par les buyssons au pays où il cuydera qu’ils demuerent et avoir aussi des lévriers petis pour le lièvre et pour le connin : et se levriers les prennent, c’est bien fet, et si non, les chiens d’oysiauls les feront entrer par les fosses. Et quant ilz seront dedens, ilz doyvent metre les bourses, qui sont faites de corde, au pertuis des terriers, en tanz pertuis comme il hara bourses, et les autres pertuis il doit estouper, fors que un par où il boutera le fuyron qu’il doit avoir. Et le fuyron doit estre muselé ; quar autrement, s’il occioit le connin dedans, il ne issiroit des fosses par deux ou trois jours, mes le mengeroit dedans et se demourroit[1].

Donc cuyderont saillir les connins et se prendrent ès bourses qui seront devant en chescune fosse. Et si les connins sont en grans pays où il ne hait terriers fors que les fosses qu’ils mesmes font en terre, lors les doit il chassier et tendre pourchetes et royseulz[2] et paniaulz, et si mestier est, fere hayes basses et petis pertuis, selon ce que la beste le requiert. Es pertuys puet tendre poches et las, ou petites ou menues cordeletes, espiciaument par les fausses voyes et sentiers où il voye qu’ilz ayent hanté d’aler et de venir. Aussi s’il n’a fuyron et vuelt prendre les connins qui sont dedenz les fosses, il les puet faire saillir hors avec pouldre d’orpiment et de souffre et de mirre[3] que mete arse[4] dedens ou parchemin ou drap ; et ait tendu, au dessous du vent, les bourses, comme j’ay dit, quant le fuyron y est ; et mete au dessus du vent le feu des poudres dessusdites ; et jà connin n’i demourra, que touz ne se vieignent fère prendre ès bourses. Pource que la chasse n’est pas de trop grant meistrise ne l’en ne les chasse à fourse, m’en teray-je, quar assez en ay dit[5].

Séparateur

  1. Voici comment on doit museler, ou, ainsi qu’on dit maintenant, encameler le furet. Avec une petite ficelle peu tordue, pour qu’elle soit moins dure, on noue en dessous la mâchoire inférieure du furet, en passant cette ficelle derrière les deux premiers crocs, afin de la fixer. On prend ensuite la mâchoire supérieure que l’on joint à l’autre par un double nœud sur le nez. On tord ensemble les deux brins de ficelle depuis le nœud jusqu’au col. Là, on les partage de nouveau pour que chacun fasse de son côté le tour du col. On les réunit sur la nuque par un dernier nœud dans lequel on pince un peu de poil pour éviter que ce collier ne glisse et que le furet ne s’en débarrasse.

    Sans ces précautions le furet peut rester au terrier, et alors il faut ou attendre sa sortie, ou défoncer le terrier, ce qui n’est pas une besogne fort agréable. Aussi les Espagnols ont-ils adopté ce proverbe : « Nul ne creuse de bon cœur que le maître du furet. » No cava de corazon sino su ducho del furon.

  2. Royseuls. Réseaux.
  3. Mirre. Myrrhe, résine odoriférante. Dans le manuscrit de Neuilly on lit mierre, qui signifie médecin. C’est évidemment une erreur du copiste.
  4. Arse. Ardre, brûler.
  5. La chasse au furet était autrefois considérée comme une chasse cuisinière. Elle était dédaignée par les veneurs et laissée aux petites gens. Aussi le proverbe disait-il : « C’est la noblesse à Mathieu Furon ; va te coucher, tu souperas demain. »