L’Angelus des sentes (recueil)/La Coupe

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 29-31).
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La Coupe


À Albert Fleury


 
Suivant un vol de colombes, tu l’as surprise
À l’heure où le baiser des matinales brises
Enivrait sa beauté d’une églogue d’oiseaux.
Son réveil ingénu se mirait dans les eaux.
Et tu sentais monter, en hymnes clairs, vers elle
Le frisselis de l’herbe et l’aveu des oiselles
Le battement des rocs de brume bleue noyés
Et la plainte des bois et des pics foudroyés
Et l’émerveillement de la montagne énorme ;
Puis, sous une avalanche d’aube, au bord des ormes

Les sanglots de la source où boit un faune ami
Et les frissons profonds des chênes endormis
Et l’âme d’or des lys de murmures enflée
Et tout le rêve verdoyant de la vallée !…
Tu mêlas ta voix douce à cet orage pur
Et la nymphe te dit :
« Tu viens lorsque l’Azur
Sème d’éclairs la face sombre des bruyères
T’agenouiller, ô mon Enfant, pour la prière
Devant mon corps de fleurs et d’étoiles drapé.
Vois : sur mes mains où rit l’odeur des foins coupés,
La bouche de l’aurore heureuse s’est posée.
Et le ciel brille en moi. Le vin qui m’a grisée
Est fait des pleurs d’amour que la Nuit bleue pleura,
Les souffles des œillets embraseront tes bras
Du feu clair qui ruisselle en mes veines ravies.
Ma bouche aimante apporte un océan de vie.
L’universelle force étincelle à mes flancs.
Laisse mes baisers d’or adorer tes bras blancs.
Je veux que ma beauté sublime te nourrisse,
Et s’il faut à tes yeux des formes créatrices

Afin de mieux sculpter ton rêve radieux
Prends mon corps opulent d’où naquirent les dieux
Au soleil caressé des roses renaissantes.
Mais pour investir mieux ton âme frémissante
De l’amour de mon âme où les astres ont lui,
Pour que tu sois le Doux qui chante selon lui,
Pour que ton jeune luth, enivré comme une aube,
Tressaille aux plis que font les brises à ma robe,
Et qu’il soit fort et beau comme le blé des champs.
Pour que la joie du monde éclate dans tes chants
Comme la vie jaillit des prairies éternelles.
Pour que ton cœur gonflé de l’or des ravenelles
Et des lents tremblements embaumés des bouleaux
Roule un torrent divin d’hymnes et de sanglots
Ma vie t’offre son sang impérissable. Bois-le ! »

Et ses mains ont béni ton front d’un vol d’étoiles.