La Côte du Gabon

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LA CÔTE DU GABON

Au moment où il est question des nouvelles explorations entreprises, dans le Gabon, par deux de nos compatriotes, MM. Marche et de Compiègne, nous croyons devoir donner quelques détails sur la géographie de contrées, à peine connues du monde civilisé, et qui intéressent tout particulièrement notre pays.

Ce district de l’Afrique torride est traversé par l’équateur et appartient encore à la France. Il est probable que les explorations scientifiques dont il est l’objet et que les découvertes des Français ont provoquées, donneront une nouvelle impulsion à la colonisation, ou plutôt à l’occupation française. Le pays est, en effet, sillonné par de nombreuses factoreries, la plupart étrangères, et qui, grâce au caractère docile des indigènes, gagnent chaque jour du terrain. Elles s’enfoncent progressivement dans les terres. Ce mouvement de propagation de l’influence européenne est d’autant plus remarquable qu’une nouvelle race venant des profondeurs encore inconnues de l’Afrique, et bien supérieure aux peuplades abruties qui jusqu’à ce jour occupaient seules ces rivages, se fait une place de plus en plus grande. Ces nouveaux venus sont les Palhouins ou Faces, dont tous les voyageurs font le plus grand éloge.

C’est depuis 1842 que nous sommes établis à l’embouchure de l’estuaire du Gabon en un point nommé Libreville, où l’évêque catholique de toute la contrée a établi sa résidence. Il n’y a pas encore dix ans cependant que l’on a des notions sommaires sur la géographie de cette partie importante de l’Afrique occidentale, car suivant toute probabilité, le fleuve découvert en quelque sorte par M. Serval, lieutenant de vaisseau de la marine impériale, est un frère du Nil, et vient comme lui s’alimenter aux grands lacs de l’intérieur, auxquels il sert de déversoir. L’histoire de l’exploration du Gabon nous donne un exemple saillant de la gravité des erreurs que les explorateurs européens sont exposés à faire lorsqu’ils arrivent dans des régions inconnues. On croyait naturellement que le magnifique estuaire du Gabon, dont les dimensions sont colossales, ouvrait un passage aisé jusqu’au centre du continent. Mais on s’engageait dans une sorte de cul-de-sac aquatique sans issue. En effet, toutes les rivières qui se jettent dans l’estuaire ont un cours très-peu long et descendent des montagnes de cristal très-voisines de la côte. Le vrai fleuve existait, mais il se trouvait au sud de l’estuaire. Sa grandeur était dissimulée par un gigantesque delta. Il s’émiettait en une multitude de branches que l’on croyait des rivières sans conséquence. Ainsi, en 1863, M. Serval fut-il littéralement stupéfait lorsque après quelques jours de marche dans l’intérieur, il aperçut devant lui un fleuve immense descendant vers le sud, avec un cours large, impétueux, profond. L’Ogové, qui roulait devant lui ses ondes, est la grande voie qui conduira probablement notre pavillon dans les régions où l’Égypte a établi sa puissance, grâce aux admirables expéditions de Baker. Le lieu où M. Serval a fait ces observations se nomme Adolina Longo. Il a été vendu à la France par un monarque palhouin, très-sympathique à nos voyageurs, et très-amateur de l’eau-de-vie, qu’on nomme dans ces pays le roi soleil.

C’est là que les deux explorateurs français dont nous avons précédemment parlé, anciens soldats de la guerre franco-allemande, viennent d’établir leur quartier général. Ils nouent des relations avec les tribus voisines et attendent l’arrivée des savants de Berlin pour se lancer dans le haut du fleuve à coup sûr. Quand nos ennemis seront encore à se débrouiller dans le dédale du delta, MM. Marche et de Compiègne navigueront paisiblement vers les lacs intérieurs. L’avenir de l’expédition s’annonce sous les plus heureux auspices. En effet, un courageux voyageur, M. Laplat, du Sénégal, infatigable pionnier, a déjà éclairé la route et l’on sait que, sur un parcours de 500 kilomètres en amont d’Adolina Longo, le fleuve ne diminue ni de force de courant, ni de largueur, ni de profondeur. C’est en cet endroit que des bâtiments à vapeur feraient merveille. Si MM. Marche et de Compiègne en avaient à leur disposition, ils pourraient certainement devenir de nouveaux Baker. La flore et la faune du Gabon promettent aux explorateurs d’aussi grandes merveilles que son occupation étendue, consolidée, agrandie, donnera nécessairement de trésors à la France.