Reflets d’antan/La Descente des Iroquois dans l’Île d’Orléans

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La descente des Iroquois dans l’Ile d’Orléans

(20 mai 1656)

I

LE CHANT DU DÉPART

 

Dansons, chantons, guerriers, nous aurons la victoire !
Le Huron ne sait plus que prier à genoux.
Allons boire son sang. Dans son crâne allons boire !
Le Manitou nous aime, il veillera sur nous.

Au fond de sa cabane, un jongleur solitaire,
Dans l’ombre de la nuit, a consulté les vieux.

Son oreille attentive, attachée à la terre,
A senti tressaillir les os de nos aïeux.

Femmes, à votre épaule attachez la nagane,
Dès que se glisseront les rayons matiniers.
Que le vieillard sans force, assis dans la cabane,
Invente des tourments pour tous nos prisonniers.

Du sang des ennemis notre lèvre est avide.
Nos pieds sont plus légers que les pieds du chamois ;
Sous leurs toits glissons-nous. La vengeance nous guide.
La vengeance, guerriers, c’est le plus cher des droits.

Nos forêts ont toujours, sous leurs immenses dômes,
Des silences de mort, des ténèbres de nuit.
Glissons sous les rameaux comme de noirs fantômes ;
Tels des serpents rusés, glissons, glissons sans bruit.

Guerre et mort aux amis de ces pâles visages
Que l’Esprit du Grand Lac a poussés sur nos bords !
Ils n’auront plus jamais de nos vastes rivages
Que le sable qu’il faut pour enterrer leurs corps !


« Guerriers, vos tomahawks ! Jusques à la rivière
Emportez les canots sur votre bras nerveux.
Honneur à l’Iroquois dont la main meurtrière
Du crâne des vaincus arrache les cheveux ! »


II.

Ainsi, le front orné d’un panache de plume,
À la brune, chantait un vieux chef iroquois.
Il dansait en chantant. Comme un fer sur l’enclume,
Sur son dos large et nu bondissait un carquois.

Alors se fit entendre une voix infernale,
Puis un rire éclata venant l’on ne sait d’où...
La forêt se tordit comme sous la rafale,
Et l’on vit s’envoler le nocturne hibou.

Et la troupe sauvage, enflammée, écumante,
La haine dans le cœur, s’éloigne des cantons.
Chaque jeune guerrier promet à son amante
De tailler au scalpel de glorieux festons.


III. Sur le fleuve

Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron.
Nage, nage, guerrier ! Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.

Sois-nous propice, Esprit du fleuve ;
Guide sûrement nos canots.
Que d’en haut nul rayon ne pleuve
Pour éclairer les sombres flots.

Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron,
Nage, nage, guerrier ! Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.

Pour nous l’ombre de la nuit plane
Pareille à l’aile d’un corbeau.
On n’entend que l’oiseau qui glane
Quelques poissons dormant sur l’eau.


Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron,
Nage, nage, guerrier ! Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.

Nos canots volent sur la lame
Comme les chevreaux dans les bois ;
Ils sont légers comme une flamme
Et les flots dansent sous leurs poids.

Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron.
Nage, nage, guerrier. Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.

Passons, car nul feu ne rayonne
Dans la ville où dorment les Blancs.
Du haut rocher qu’elle couronne,
La nuit a ceinturé les flancs.

Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron.
Nage, nage, guerrier ! Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.


Passons avant que l’aube vive
N’éveille les flots endormis.
Passons ! Abordons à la rive
Où sont cachés nos ennemis.

Nage, nage, guerrier ! De tes sueurs prodigue,
Fais gémir l’aviron.
Nage, nage, guerrier ! Le prix de ta fatigue,
C’est le sang du Huron.


IV.

Une troisième nuit roulait des voix funèbres.
Donnant à leurs canots de vigoureux élans,
Enfin, les Iroquois, au milieu des ténèbres,
Touchaient silencieux, la rive d’Orléans.

Le Huron, retiré sous sa tente d’écorce
Rêvait, dans son sommeil, chasse, amour et bonheur.
En perdant, par degrés, sa grandeur et sa force,
Il avait oublié la vengeance et la peur.


L’orient resplendit d’une aurore nouvelle ;
L’alouette chanta le réveil du matin.
Pour entendre la messe, alors, de la chapelle
Les sauvages pieux prirent tous le chemin.


V. La prière des Hurons

Grand Esprit dont la parole
Fait rouler cet univers,
Comme une feuille qui vole
Sous le souffle des hivers,
Ta puissance est admirable,
Nous t’adorons à genoux.
Prends pitié, Dieu secourable,
Prends pitié de nous !

Nos pères, dans l’ignorance,
Ne connurent point ta loi ;
Ils n’ont pas eu l’espérance,
La charité, ni la foi.


Nous, plus heureux que nos pères,
Nous t’adorons à genoux.
Prends pitié de nos misères,
Prends pitié de nous !

Ta lumière nous éclaire
Comme le soleil levant.
Ta parole sait nous plaire
Comme les soupirs du vent.
Nous tremblons en ta présence,
Nous t’adorons à genoux.
Prends pitié, Dieu de clémence,
Prends pitié de nous !


VI. La dernière heure

Mille insectes vêtus de transparents corsages,
Luisent comme des fleurs sur le sillon fumant,
Traînent à leurs greniers quelques graines sauvages,
S’abreuvent de rosée ou gazouillent gaîment.


Les rameaux de la vigne, où circule la sève,
Versent l’ombre autour d’eux, sur le champ diapré,
Et le trèfle odorant avec grâce relève,
Au milieu du gazon, son beau front empourpré.

Le bouvreuil, en sifflant une cantate douce,
Vole de cime en cime, au bord de la forêt ;
Ou, pour tisser son nid, cueille des brins de mousse
Emportés par le vent sur le tiède guéret.

Les Hurons matineux, que la sueur inonde,
Ensemencent leurs champs, sans autre anxiété
Que celle de savoir si la glèbe féconde
Sera jaune d’épis au soleil de l’été.

De leur retraite, alors, les Iroquois farouches
S’élancent en poussant d’épouvantables cris.
La flamme est dans leurs yeux, l’outrage, dans leurs bouches.
Ils cernent les Hurons désarmés et surpris.

Dans cet affreux combat, c’est l’autour qui se noie
Dans le sang généreux des timides agneaux.
C’est le tigre altéré qui déchire et qui broie
Les cerfs inoffensifs qui boivent aux ruisseaux.


Le Huron, expirant, de son sang tiède arrose
Le grain qu’il a jeté dans le nouveau sillon ;
Et le cruel vainqueur avec orgueil repose,
Sur son pâle cadavre, un regard de démon.

Les cris et les sanglots de ce peuple qui meure,
Retentissent au loin, sur l’onde et dans les bois.
Les mères sur leur sein pressent l’enfant qui pleure,
Et vers le champ de mort s’élancent à la fois.

La hache au dur tranchant, et la flèche sifflante,
Frappent sans les troubler ces chrétiens aux cœurs forts.
Et la bande iroquoise, un moment chancelante,
Recule de terreur, mais double ses efforts.

En vain, peuple martyr, ton courage s’embrase,
L’ennemi t’emprisonne en un cercle fatal.
Tel un cruel boa dans ses orbes écrase
Le taureau mugissant qui broute au fond du val.

Le vieux chef, malgré tous, se précipite et tombe...
La mort bientôt fera son lugubre monceau...
Deux frères ont hélas ! trouvé la même tombe,
Comme ils n’eurent tous deux que le même berceau.


Là, des femmes du bourg, Ondina, la plus belle,
Ondina dont l’oeil noir semblait toujours rêver,
Le sein percé deux fois d’une flèche mortelle,
Meurt auprès de l’époux qu’elle a voulu sauver.

Ainsi l’on voit tomber quand le rameau se casse,
Les doux fruits que l’été commençait à mûrir ;
Ainsi, près des ruisseaux, sous l’orage qui passe,
Deux superbes iris se penchent pour mourir.

Cependant les Hurons de toute part succombent.
Ceux qu’épargne la hache, hélas ! sont enchaînés.
Sous le tranchant scalpel les chevelures tombent...
Et les crânes scalpés sous les pieds sont traînés.
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Joyeux, ivres de sang, les Iroquois partirent,
Cachant leurs prisonniers au fond de leurs canots.
Des hauteurs de Québec les Blancs les entendirent...
Ils chantaient, en ramant, leurs exploits infernaux.