Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/La Goutte et l’Araignée

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VIII.

La Goute & l’Araignée.




QUand l’Enfer eut produit la Goute & l’Araignée,
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter,
D’eſtre pour l’humaine lignée

Egalement à redouter.
Or aviſons aux lieux qu’il vous faut habiter.
Voyez-vous ces caſes étretes,
Et ces Palais ſi grands, ſi beaux, ſi bien dorez ?
Je me ſuis propoſé d’en faire vos retraites.
Tenez donc ; voicy deux buchetes ;
Accommodez-vous, ou tirez.
Il n’eſt rien, dit l’Aragne, aux caſes qui me plaiſe.
L’autre tout au rebours voyant les Palais pleins
De ces gens nommez Medecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à ſon aiſe.
Elle prend l’autre lot ; y plante le piquet ;
S’étend à ſon plaiſir ſur l’orteil d’un pauvre homme,

Diſant : Je ne croy pas qu’en ce poſte je chomme,
Ny que d’en déloger, & faire mon paquet
Jamais Hippocrate me ſomme.
L’Aragne cependant ſe campe en un lambris,
Comme ſi de ces lieux elle euſt fait bail à vie ;
Travaille à demeurer : voilà ſa toile ourdie ;
Voilà des moûcherons de pris.
Une ſervante vient balayer tout l’ouvrage.
Autre toile tiſſuë, autre coup de balay.
Le pauvre Beſtion tous les jours déménage.
Enfin aprés un vain eſſay
Il va trouver la Goute. Elle eſtoit en campagne,
Plus malheureuſe mille fois
Que la plus malheureuſe Aragne.

Son hoſte la menoit tantoſt fendre du bois,
Tantoſt fouir, hoüer. Goute bien tracaſſée
Eſt, dit-on, à demi panſée.
O, je ne ſçaurois plus, dit-elle, y reſiſter.
Changeons, ma ſœur l’Aragne. Et l’autre d’écouter.
Elle la prend au mot, ſe gliſſe en la cabane :
Point de coup de balay qui l’oblige à changer.
La Goute d’autre part va tout droit ſe loger
Chez un Prelat qu’elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplaſmes, Dieu ſçait. Les gens n’ont point de honte

De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L’une & l’autre trouva de la ſorte ſon compte,
Et fit tres-ſagement de changer de logis.