La Grande Famille (J. Grave)/Ch. IX.

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P.-V. Stock, éditeur (p. 233-263).


IX


Une promenade à travers la campagne, jusqu’à Plougastel-Daoulas, avait été projetée entre quelques camarades dont faisaient partie Caragut, Mahuret, Brossier ; trois pays de ce dernier, et un autre camarade, lyonnais du nom de Picot complétaient la bande.

On devait partir un dimanche matin, sitôt la soupe mangée. Nos marsouins se promettaient une bonne journée de ballade et de liberté. Comme ils voulaient user de leur journée complète, ils avaient chargé leurs camarades de lit, de leur mettre leur gamelle de côté, préférant manger leur rata froid que de s’astreindre à rentrer vers quatre heures.

La veille du dimanche convenu était jour de prêt, avec les cinq sous du prêt précédent qu’il avait soigneusement mis de côté, et les quinze centimes de son bon de tabac qu’il avait vendu, ne fumant pas, Caragut se trouvait possesseur d’un capital de soixante-cinq centimes dont il pouvait disposer pour sa promenade : de quoi payer sa quote-part quand on s’arrêterait en route pour se rafraîchir.

Caragut savait, pour les avoir vus entre eux, qu’avec Brossier et ses camarades, il faisait bon, quand on allait chez le débitant, d’avoir de quoi payer son écot. Pour Mahuret, avec lui, il n’avait pas à se gêner, mais, outre qu’il ne voulait pas lui être continuellement à charge, il ignorait si, plus que lui, il était en fonds.

Sitôt que la revue fut passée, et qu’ils se furent débarrassés de leur fusil et de leur sac, ils coururent à la cuisine chercher leurs gamelles que Mahuret, qui était bien avec le maître-coq, obtint d’enlever quoique la soupe ne fut pas encore sonnée. Ils se dépêchèrent d’en avaler le contenu, et lorsque le clairon sonna la soupe, signal qui, également, indiquait que l’on pouvait sortir du quartier, ils étaient prêts à se mettre en route.


Il faisait un temps superbe, le soleil dardait ses rayons sur la campagne, inondant de clarté la route qui s’allongeait toute blanche, à travers les échancrures des feuilles des arbres et des haies des chemins.

L’air qui soufflait de la mer, tempérait l’atmosphère que le soleil n’avait pas encore eu le temps de surchauffer. Nos promeneurs étaient dans d’excellentes conditions pour leur promenade pédestre.

Cependant il fallait quelque chose pour faire descendre la soupe si hâtivement absorbée. Est-ce qu’il peut y avoir, pour le soldat, une bonne fête si le gosier n’est pas arrosé ! Il fut décidé d’un commun accord d’aller boire la goutte pour se donner des forces avant de se lancer en pleine route.

Tout près du quartier, était un débit que les amis de Brossier avaient l’habitude de fréquenter ; la petite troupe s’y arrêta et se fit servir deux quarts d’eau-de-vie qui furent lampés en un clin d’œil. Chacun fut taxé à quinze centimes, il restait à Caragut cinquante centimes de bon pour une consommation ultérieure.

Ainsi réconfortés, nos fantassins étaient les plus heureux troupiers du monde. Ils oubliaient les misères du métier, les tracasseries de l’autorité, la contrainte de la discipline, l’avilissement de l’obéissance. Ils s’en allaient, causant de leurs souvenirs, des amis laissés au pays, des parents qui les attendaient, de leurs rêves d’avenir, de leur retour au village ; quelques-uns confiant qu’une « bonne amie » les attendait, et se faisant à l’avance, fête du retour.

La gaité de la campagne environnante, l’eau-de-vie aidant, leur remplissait la tête d’espoirs radieux. La caserne était loin, derrière eux ; ils oubliaient qu’ils devraient y revenir le soir même.

Il était loin de leur pensée qu’avant de retourner chez eux, ils auraient à passer par la Cochinchine ou le Sénégal, et que beaucoup ne revenaient jamais de ce voyage ! Il faut si peu de chose, quand on est jeune, pour vous faire voir la vie en rose : la vie coule si luxuriante dans vos veines, à flots si pressés, qu’il vous semble qu’elle ne tarira jamais.

Ils avaient abandonné la grand’route pour se lancer dans un petit chemin pittoresque, bordé de ces talus couronnés de chênes étiques, d’ajoncs épineux et de genêts aux fleurs d’or, dont nous avons déjà parlé !

Il avait plu la veille, de véritables mares s’étaient formées dans les ornières du chemin, barrant le passage à tous moments. Pour éviter de se crotter les promeneurs durent chercher les bosses de terrain ou les pierres émergeant de l’eau, qu’ils sautaient de l’une à l’autre, pour recommencer un peu plus loin.

Une vache qui s’était échappée d’un pré voisin, pataugeait là-dedans, obstruant le passage. Nos promeneurs durent pousser sur le bord du chemin, afin de pouvoir passer, la bête qui les regardait de ses grands yeux humides, les frôlant de son mufle rose.

On arriva sur une falaise qui dominait la mer. D’énormes quartiers de roches noirâtres surplombaient la plage qui, à leur pied, s’étendait couverte de sable et de galets, tiquetée çà et là, de rocs à fleurs de terre, couronnés d’algues et de varechs tout humides.

L’aspect de ce coin de marine était grandiose et sévère mais d’un charme attirant cependant, Caragut et ses compagnons s’étaient arrêtés au bord de la falaise, aspirant à pleins poumons les senteurs salines qui se dégageaient des amas de goémons et que la brise rafraîchie soufflait sur la campagne, Caragut, particulièrement était heureux, doucement attiré par le spectacle qu’il avait sous les yeux.

Au fond, la mer s’étendait au loin, en une immense nappe d’eau, sans limites, tachetée de loin en loin par de minuscules points blancs que l’on devinait être quelque voile au large. Le vert sombre de l’eau était rendu plus profond par les rayons du soleil, tandis que la crête blanche des vagues scintillait de gouttelettes de cristaux transparents retombant en cascade dans le vert de la nappe.

Mais comme ils étaient encore loin du but de leur promenade, après avoir jeté un coup d’œil à l’admirable tableau qui s’étalait à leurs yeux, Brossier et ses pays se remirent en route, observant qu’il leur restait nombre de kilomètres à faire encore, et qu’on n’avait pas le temps de s’attarder. Caragut s’arrachant à regret au spectacle qui le captivait, dut, forcément, leur emboîter le pas. On côtoya quelque temps encore la mer, puis le chemin les ramena au milieu des champs et de la verdure.

La conversation qui s’était arrêtée sous l’impression de l’admiration ressentie, avait repris à bâtons rompus, avec la marche. Lorsque chacun eut épuisé sa provision de souvenirs, on retomba inévitablement dans les dégoûts du métier, mais diverses étaient les sensations. L’un regrettait ses champs, un autre son métier, celui-là, les noces qu’il pouvait faire les jours de paie, celui-ci, une fiancée, tous désireux d’être débarrassés des chaînes de la servitude, mais subissant la chose comme un mal nécessaire, n’élevant pas leur conception jusqu’à envisager la possibilité de la suppression de cet esclavage.

— C’est-il pas enguignonnant tout de même, disait un des camarades de Brossier, d’être forcé de faire le Jacques, quand je pense que sans le foutu numéro qui m’a amené ici pour cinq ans, je serais, à l’heure qu’il est, avec une fille de chez nous qui m’apportait pour dix mille francs de biens au soleil. Je serais chez moi, tranquille, à mon aise, soigner mes bestiaux, au lieu que le père est forcé, en mon absence, de prendre un domestique pour travailler nos champs.

Ma bonne amie m’a bien promis de m’attendre, mais en cinq ans elle a le temps de changer d’avis, d’autant plus qu’elle ne manquait pas de galants. Je ne retrouverai certainement pas un parti semblable si elle m’échappe.

— Et moi, interrompit le Lyonnais, on m’avait promis une place dans un grand magasin où je n’aurais eu qu’à me laisser aller pour arriver, en peu de temps, à avoir une très belle situation. Au lieu de cela me v’là avec un fusil dans les pattes, avec un sou par jour. Et tout ça ! pour aller garder des pays dont je me fous comme de l’an quarante.

— Il est de fait, dit Brossier, que ce n’est pas juste. S’il y a besoin de soldats, pourquoi que l’on ne fait pas comme en Angleterre : ne prendre que des volontaires ? Il n’y aurait qu’à bien les payer, on n’en manquerait pas.

— Ça, murmura Mahuret, entre ses dents, j’en doute fort. Il pourrait y avoir du mécompte.

— On a besoin de soldats pour défendre la France, fit le premier qui avait parlé, du nom de Saillant, ça, je le reconnais, c’est juste ; les autres pays nous mangeraient si nous n’étions pas en état de nous défendre. Mais, enfin, il y aurait moyen d’arranger cela de façon à ce que ceux à qui le métier déplaît ne soient pas forcés de partir. Ainsi, on a beau dire, mais le système de remplacement avait du bon.

— Pour ceux qui avaient de l’argent, goguenarda Mahuret.

— C’est-à-dire, fit Caragut qui n’avait soufflé mot jusque-là, que si le remplacement existait encore, tu aurais donné dix-huit cents ou deux mille francs à un pauvre diable pour qu’il aille, chez les Annamites, se faire casser la gueule pour toi ; se faire anémier par le soleil de Cochinchine ; gratter les boyaux par la dyssenterie pour que tu restes tranquille chez toi, à faire valoir ton bien.

— Pourquoi pas, après tout, les deux mille francs que je lui aurais donnés ne se gagnent pas comme cela à rien faire. C’est qu’il faut gratter dur et longtemps, pour les mettre de côté, il faut savoir courir des risques.

— D’ailleurs, tous n’y crèvent pas, fit un autre — un pauvre diable, qui, avant de venir au régiment, était forcé de se louer chez les fermiers — on en revient, et avec deux mille francs, on pourrait avoir une belle pièce de terre. Et à la lueur dont brillèrent ses yeux en prononçant cette phrase, on devinait que lui aussi regrettait le remplacement — pour pouvoir se vendre.

— Hé ! fit Caragut, je ne dis pas que celui qui partait à la place de celui qui le payait n’était pas aussi satisfait, sinon davantage, du marché, mais enfin, trouvez-vous que ce soit juste qu’un individu en soit réduit à faire ainsi bon marché de sa peau pour quelques malheureuses pièces de cent sous que, le plus souvent, il dévorait en peu de temps ?

Voyons, franchement, si on t’offrait deux mille francs pour faire un métier pendant cinq ans, tout en sachant que tu y claqueras au bout de deux ans, accepterais-tu ?

— Dame ! non, fit un peu refroidi celui qui aurait bien voulu pouvoir gagner la prime de remplacement.

— Quant à ça, dit Saillant, c’est une loterie, et puis je n’ai pas à voir si c’est bien ou mal, je m’en fous, ça est comme ça est, qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Puisque la société est organisée comme cela, le mieux est de s’en tirer du mieux que l’on peut.

— Ce que tu pourrais y faire ? ce serait de raisonner un peu. Voyons, tu trouves que ce n’est pas juste que l’on te force à donner cinq ans de ton existence pour faire un métier qui te déplaît. Trouves-tu que ça soit plus juste d’en forcer un autre à les donner à ta place ? Parce que tu auras de l’argent à lui donner, et que l’appât du gain lui fermera les yeux sur les inconvénients qui l’attendent, crois-tu que ces inconvénients en existeront moins, et lui seront moins poignants que pour toi qui obéis à la crainte du gendarme ? Les avanies en sont-elles moins écœurantes parce que le mobile qui vous les fait affronter n’est pas le même ?

— En tous cas, il aura toujours été payé.

— Si le marché avait été résiliable, crois-tu qu’il n’aurait pas été rompu plus d’une fois ?

— Mais alors, si tu es content qu’il n’y ait plus de remplaçants, si ça te plaît de voir tout le monde faire ses cinq ans, de quoi te plains-tu ? tu devrais être content d’être soldat !

— Hé non ! Ce que je trouve mal, c’est qu’il y ait des soldats. Je voudrais voir disparaître de nos mœurs, cette plaie hideuse, le militarisme, qui nous ronge et nous affaiblit.

Réfléchis un peu : Nous sommes jeunes, pleins de vigueur ; l’existence nous sourit, notre être ne demande qu’à s’étendre et à se développer et notre cœur à s’ouvrir à tous nos semblables. On nous prend et on nous enferme dans des casernes où tout nous est mesuré : l’air, l’espace, la lumière, on nous arrache à l’affection des nôtres et on nous isole de nos semblables.

Nous aurions voulu apprendre tout ce qui se déroule à notre intelligence, et on nous brise le cerveau pour le modeler à un métier de brute.

Nous sommes impatients de toute entrave, ce que nous voulons, c’est pouvoir user librement de nos facultés ! on nous courbe sous la discipline.

Nous sommes dans l’âge où l’amour nous talonne, où nous ne demandons qu’à nous répandre en caresses, à créer de nouvelles existences, on nous met un fusil dans les mains, et on nous dresse à donner la mort.

Lorsqu’un individu, soit dans un but de lucre, soit par un acte irraisonné, sous la pression de la colère d’un instant, arrache la vie à un de ses semblables, on l’arrête, on l’enferme, on le juge, on le condamne et on l’exécute pour lui apprendre qu’il ne doit point tuer ; tout meurtrier est couvert de réprobation. Et, à nous, tous les jours, à toute heure, on nous enseigne les différentes manières de donner la mort ; on brise notre volonté pour que, machines stupides, nous marchions au gré de ceux qui nous dirigent, sans discuter les actes qu’il leur plaira de nous faire accomplir. On nous tue si nous refusons de nous plier.

— Tout cela est bel et bien, fit Brossier, mais ce sont des phrases. Il y a une chose certaine, c’est qu’il faut se mettre en état de défense, au cas où un voisin mauvais coucheur voudrait nous chercher chicane.

— Ça, mon cher, c’est le prétexte que prennent les gouvernants pour nous forcer à être soldats ; c’est, bien souvent encore, sous le prétexte de se défendre qu’ils attaquent les premiers. Une fois que l’on a en mains la possibilité de s’agrandir aux dépens de ses voisins, c’est rare si la main ne vous démange pas à en essayer.

Moi aussi, je suis pour que l’on se défende lorsque l’on vous attaque, mais je voudrais pouvoir le faire à ma guise, et ne pas être l’instrument de ma propre servitude ; en haine d’un danger que les précautions prises pour le conjurer ne font qu’envenimer, je ne voudrais pas être le propre artisan de mon asservissement.

— Mais pour ça, fit Picot, il faudrait une entente de toutes les puissances, qu’elles acceptent toutes de désarmer. Mais il est bien évident qu’aucun pays ne voudra commencer le premier ; ce serait se mettre à la merci des voisins qui n’en feraient pas autant. :

— Et comme les gouvernements, fit Caragut, ont besoin de leurs armées, pour se défendre à l’intérieur autant qu’à l’extérieur, sinon plus, il est bien évident que nous ne verrons jamais cette entente tant que nous serons assez bêtes pour nous laisser réduire à l’esclavage sous prétexte de défense nationale.

Les promeneurs marchèrent quelque temps en silence, ruminant les réponses de chaque interlocuteur ou cherchant de nouvelles réflexions à produire.

Caragut reprit la discussion.

— Oui, de même que l’on dresse des coqs au combat, des chiens de lutte pour amuser de leur férocité une galerie de parieurs stupides, on nous exerce et on nous habitue à donner ou recevoir la mort sans en connaître la raison, sans que nous ayons à discuter du lieu, de l’heure, ni du moment où il plaira à nos maîtres de nous envoyer à la tuerie. Nous sommes les pions que l’on pousse sur l’échiquier. Comme eux nous devons être aussi passifs, ne devant sortir de notre passivité que pour donner la mort à ceux que l’on nous oppose.

Pendant cinq ans on nous habituera à cette besogne, on nous exercera à tirer parti des armes meurtrières que l’on nous met entre les mains. Et notre abrutissement est tel que nous ne savons pas les faire servir à notre délivrance. Nous brûlons de les planter dans la poitrine d’individus que nous n’avons jamais vus, qui ne nous connaissent pas davantage, de la mort desquels nous n’avons aucun avantage à tirer, et qui, peut-être, dans le cours de la vie, pourraient devenir les meilleurs de nos amis, si nos maîtres n’avaient intérêt à nous opposer les uns les autres.

C’est un crime de donner la mort isolément, mais c’est glorieux d’organiser des massacres d’hommes jeunes, vigoureux, qui pourraient être bons et aimants, et que l’on lance les uns contre les autres, au plus grand profit de certains flibustiers.

Ah ! que je voudrais le tenir ces rimailleurs du diable qui ont chanté : « la guerre est sainte ! la guerre est noble ! la guerre est féconde ! » et autres férocités semblables.

Je voudrais les voir aller débiter leurs inepties au paysan pleurant sur sa chaumière incendiée, ses récoltes ravagées, ses bestiaux enlevés, à la mère pleurant son fils couché d’une balle sur la terre labourée par les canons.

Et Caragut s’animant de sa tirade, s’était arrêté en train de taillader dans la haie du chemin, à grands coups de son sabre qu’il avait tiré du fourreau, et le maniant avec une ardeur telle qu’il était à supposer que s’il eut tenu les rimailleurs en question, ils auraient passé un bien mauvais quart d’heure.

— Hé ! dis donc ! fit Mahuret qui le regardait faire, elle ne t’a rien fait cette haie pour que tu la charcutes de la sorte.

Caragut avait repris sa route, remettant son sabre au fourreau.

— C’est vrai, fit-il, quand je pense à toutes ces choses, ça m’exaspère. Voyons ! qu’est-ce qu’elle rapporte la guerre pour qu’on la trouve juste et nécessaire ? N’est-elle pas aussi néfaste aux vainqueurs qu’aux vaincus ? Malgré les dépouilles qu’il tire du vaincu, le vainqueur n’est-il pas incomplètement soldé de ses frais de conquête ?

L’un et l’autre n’y perdent-ils pas la partie la plus vive de leur population ? Ne sont-ils pas ensuite forcés de consacrer le meilleur de leurs forces productives à regarnir leurs magasins, à reconstituer leurs arsenaux, à transformer leur matériel de guerre ? Et la jeunesse qui se pourrit dans l’oisiveté de la caserne, et dont ils éparpillent les cadavres sur les champs de bataille, ne serait-elle pas mieux aux champs et à l’atelier pour produire au lieu d’absorber le travail des autres ?

Si encore, la guerre avait l’excuse de la nécessité ; mais non, rien de plus absurde que les prétextes mis en avant pour entraîner deux peuples à se massacrer. Et si on connaissait les mobiles réels qui font agir ceux qui occasionnent ces catastrophes, ce serait bien plus absurde encore. Qui saura jamais les tripotages que couvre une expédition ?

Mais j’admets que ce soit réellement par patriotisme que se fasse une guerre ; quand, par exemple, les gouvernants d’un pays prétendent que les habitants de telle province doivent leur payer les impôts plutôt qu’à leurs voisins, ils ne manquent certainement pas d’arguments pour appuyer leurs prétentions.

Tantôt cette province est rattachée à leur pays par telle ou telle configuration géographique, tantôt cette province a fait, autrefois, partie de leur confédération — ils se gardent bien de dire en vertu de quelles circonstances — tantôt encore, les habitants de cette province parlent la langue des réclamants. En voilà assez pour que ces derniers mettent des centaines de mille hommes sous les armes que l’on enverra se faire massacrer et qui ne gagneront, dans ce massacre et cette conquête, qu’une augmentation d’impôts à payer, s’ils retournent valides dans leurs foyers.

On se garde bien, surtout, d’interroger auparavant les habitants de la province en litige. Ils pourraient répondre qu’ils n’ont pas de préférences plus pour l’un que pour l’autre des belligérants et préféreraient être libres de ne payer d’impôts à personne.

On se tue pour la conquête de provinces habitées, et il y a des terrains immenses qui restent incultes faute de bras pour les faire produire. Et pour maintenir ce bel état de choses, on immobilise des millions d’hommes dans la fainéantise alors que d’autres millions d’individus s’épuisent à travailler des douze et treize heures par jour pour subvenir à tous ces frais, pour parer à tous les parasitismes.

— Oui, fit Brossier, tout cela est bon, mais encore une fois, il faut pouvoir se défendre si on vous attaque. Qui désarmera le premier ?

— Hé ! certainement, si on vous attaque il faut se défendre, cela ne fait aucun doute ; mais comme ceux qu’on lance sur vous n’ont davantage aucun intérêt à vous attaquer, comme ils préféreraient également rester chez eux à caresser leurs femmes, embrasser leurs marmots et cultiver leurs champs, il résulte de tout ceci, que c’est notre bêtise à tous qui fait la possibilité de la guerre. Or, l’individu intelligent qui s’aperçoit qu’il fait une bêtise s’arrête ; pourquoi les peuples n’agiraient-ils pas de même ? C’est parce que ceux qui nous gouvernent ont intérêt à nous exciter les uns contre les autres pour prolonger leur exploitation, nous maintenir plus solidement sous le joug.

Caragut, une fois parti sur son terrain favori, s’enflammait sans s’en apercevoir et ne s’arrêtait plus.

Sous la conduite de Mahuret qui leur servait de guide, connaissant tous les environs de Brest pour les avoir parcourus nombre de fois en tous sens, les promeneurs avaient quitté la grande route pour s’engager en un chemin assez large bordé à leur droite par le mur d’enceinte d’un parc immense. Depuis un quart d’heure, ils longeaient ce mur et le voyaient se continuer devant eux, dominé par la cime des arbres de haute futaie qui s’élevaient en l’air, étendant par dessus leurs rameaux verdoyants.

La crête était couronnée par des nappes de lierre dont les frondaisons retombaient du côté de la route, tapissant ce vieux mur de guirlandes d’un vert sombre et luisant.

— Je suis bien sûr, fit Mahuret, en plaisantant, que les propriétaires de ce parc ne sont pas si bêtes que nous, et qu’ils ne vont pas passer cinq ans de leur existence à la caserne, ou bien se faire casser la gueule dans des disputes qui ne les intéressent pas.

— Tiens, répliqua Caragut, puisque nous sommes là pour y aller à leur place.

Brossier et ses copains supputaient avec admiration l’étendue de terrain que devait contenir l’enceinte de ce mur.

— Bon sang, fit l’un d’eux, résumant les réflexions des autres, quelles belles pièces de terre il y aurait à tailler là-dedans !

À leur gauche s’étendaient des prairies, coupées de loin en loin par l’inévitable clôture de talus couronnés de chênes nains, ombrageant le chemin, et tamisant les rayons du soleil qui s’élevait à l’horizon dans un ciel d’un beau bleu intense sous lequel semblaient voltiger quelques nuages blancs, si légers qu’ils semblaient de la ouate effilochée, et dont le contraste faisait paraître, à travers leurs déchirures, le bleu du ciel plus profond.

La discussion s’était à nouveau arrêtée, et les promeneurs marchaient silencieux.

— Dis donc, fit l’un d’eux, s’adressant à Caragut, tu dois avoir la pépie, à force de bavarder ? Moi j’avoue que j’ai attrapé soif rien que de t’entendre.

— Au bout de ce chemin, fit Mahuret, il y a un village où nous pourrons nous arrêter pour boire un coup.

Dix minutes après ils étaient attablés, ayant chacun devant soi une tasse de cidre.

— Alors, fit Brossier, reprenant la conversation où on l’avait laissée, selon toi il ne devrait plus y avoir d’armée, plus de soldats ?

— Non, car il n’y a rien de plus absurde, rien de plus anti-naturel.

Ou bien le droit du plus fort est la seule règle des hommes, alors pourquoi s’arrêter à l’appliquer entre nations seulement ? Pourquoi ne pas l’étendre aux relations individuelles ? Pour quelles raisons irais-je me battre à des centaines de lieues contre des gens qui ne m’ont rien fait, quand, à côté de moi, j’en ai qui me froissent tous les jours dans ma liberté, me gênent dans mon évolution, me rationnent ma pitance et m’empêchent de satisfaire la plupart de mes besoins ?

Si les hommes doivent s’arracher leur pâture, se disputer la possession d’une portion de terrain, s’éventrer pour se faire place au soleil, qu’on le dise carrément, et alors, au lieu de me ruer sur des individus qui ne m’ont rien fait, que je ne connais pas, dont l’existence ne gêne pas la mienne, je tournerai ma force contre ceux qui m’exploitent, contre ceux qui, dans ma propre patrie, ne m’ont laissé aucune place pour m’installer un abri, pas un seul coin de terrain pour y cultiver de quoi me nourrir, ne me laissant même la possibilité d’employer ma force de production s’ils n’ont pas intérêt à l’exploiter, et qui, comble de dérision, ne me laissent même pas le droit de me promener à ma guise, me feront un crime de ne pas avoir de domicile, m’enfermeront comme un malfaiteur, quand leur exploitation m’aura réduit à coucher à la belle étoile.

— Bon ! objecta Mahuret qui, jusque-là, n’avait rien dit, ce que tu nous dis là, ça n’est pas nouveau, je l’ai entendu rabâcher plus de cent fois dans les réunions publiques où j’allais quelquefois à Paris ; mais enfin toutes ces choses que l’on trouve injustes, que l’on ne subit qu’à contre-cœur, contre lesquelles on récrimine tant, comment se fait-il qu’on se les laisse imposer et qu’on s’y plie tout en rechignant ?

— Ça c’est plus compliqué. Il y a d’abord notre éducation, tous les préjugés que l’on nous inculque depuis des siècles. Nous naissons au milieu de choses et d’institutions qui existent et que l’on nous apprend à respecter ; on s’y développe, on y grandit, en entendant tous les jours vanter cet état de choses comme immuable ; on nous apprend que les maux dont nous nous plaignons sont dus à l’imperfection humaine, et que nous devons les subir en échange des avantages que nous procure l’organisation sociale ; on nous assure que si nous touchions trop brusquement à cette dernière, il en découlerait des maux encore pires que ceux que nous voulons empêcher ; que notre existence et notre bien-être sont attachés à la conservation de ce qui est.

Si toutes les institutions que vous trouvez si mauvaises, nous dit-on, venaient à disparaître, nous serions en proie aux pires cataclysmes ; les hommes se déchireraient, il n’y aurait plus de développement possible, plus de vie assurée ! Et comment ne pas croire à la vérité de ces axiomes, quand les vérités contraires ont toutes les peines du monde à pouvoir se produire, quand elles ne peuvent se faire entendre que d’une voix timide et détournée ?

Si l’existence de l’individu se développe sans avoir trop à souffrir des institutions qu’on lui donne à respecter, sans qu’elles le froissent de trop lorsque les circonstances le mettent en contact avec elles, il croit à leur efficacité, il les considère comme la sauvegarde de sa sécurité, et passe par les petits inconvénients, les acceptant comme les tares inévitables de l’imperfection humaine. Ne lui a-t-on pas appris à considérer la Société Humaine comme un être supérieur auquel doit s’immoler l’humble individualité !

Il faut que ces institutions en arrivent à le blesser bien profondément, qu’il ait amèrement à se plaindre de leur partialité, que son tempérament l’incite fortement à l’analyse des choses pour que son cerveau réagisse contre l’éducation première et les idées préconçues que l’on y a fourrées à force de les ressasser. Et encore, ses premières observations, ses premières critiques restent-elles à l’état indécis dans son cerveau, tant qu’il n’a pas été en rapport avec d’autres individus ayant abouti aux mêmes conclusions, tant que ses lectures ne sont pas tombées sur les livres où sont consignés les mêmes aperçus. Combien acceptent l’état de choses actuel faute de s’être trouvés dans le milieu qui eût favorisé le développement de leurs premières observations.

Et ensuite, lorsqu’on en a reconnu toute la fausseté, qu’on ne les subit plus que comme contrainte, que de luttes, que de préjugés secondaires à éliminer avant que d’oser lutter ouvertement, en tentant de s’y soustraire, contre l’organisation qui vous opprime. Sans compter les persécutions que l’on s’attire lorsque vous vous attaquez aux institutions fondamentales de l’organisation sociale. Et, en raison de toutes ces difficultés, et de l’isolement où se trouve chaque individu, on se borne à murmurer chacun dans son coin, à récriminer sans essayer de réagir et de se soustraire à la continuation des abus qui se perpétuent par l’indifférence des uns, l’ignorance des autres, et la complicité de tous.

En raison de cela, il se produit ce fait : on proclame, comme aujourd’hui, par exemple, en théorie la fraternité des peuples, on reconnaît que chacun d’eux a le droit de vivre à sa guise, selon ses mœurs, ses usages, le caractère et le tempérament des individualités qui le composent, et, en fait, on se ruine à fabriquer des instruments de meurtre, en vue des agressions futures.

Bien mieux, l’industrie, le commerce, se sont tellement développés, qu’aujourd’hui un peuple, quel qu’il soit, ne pourrait s’isoler et vivre à l’écart des autres. Tout devient international, les postes, les chemins de fer, les banques, la monnaie, ne peuvent se développer sans faire l’objet de conventions entre les différentes puissances.

Les relations commerciales se sont tellement enchevêtrées, les échanges sont devenus si nombreux, qu’un peuple qui actuellement tenterait de s’isoler des autres, en aurait l’existence de ses habitants tellement bouleversée qu’il se verrait forcé d’y renoncer. Les produits d’un peuple se répandent par tout l’univers, mais en retour il tire pour sa subsistance des produits de toute la terre.

Donc, l’évolution humaine nous mène à l’alliance de tous les peuples, cela est admis, on le constate tous les jours, et parce qu’il plaît à certains intérêts de tenir des armées formidables sur pied, amenant ainsi les peuples à se regarder en chiens de faïence, les nations continuent à se ruiner en hommes et en argent pour préparer la guerre.

Peut-être, à l’avenir, la guerre ne se fera-t-elle plus pour s’assurer la suprématie sur son voisin ou pour se disputer une province. Étant donné le courant d’idées qui se développe, ceux qui nous dirigent commencent à avoir peur de la guerre. Mais comme ils ont besoin de l’armée à leur service, qu’il faut bien en justifier le maintien, on les emploiera à aller « civiliser » — c’est le terme consacré — les peuples que l’on qualifie « d’inférieurs », parce qu’ils ne sont pas encore arrivés à notre état de développement. Cela aura un triple avantage : ce sera la justification des armées permanentes, cela permettra d’ouvrir des débouchés nouveaux aux produits nationaux, nécessitera une augmentation du personnel fonctionnaire, et par-dessus le marché, les soldats pourront, dans ces entreprises, se faire la main pour les besognes à venir. Ce n’est donc qu’à son corps défendant, poussée par les circonstances, comme le besoin de dénouer des complications intérieures, que la gent gouvernementale se déciderait à une guerre continentale.

Les conquêtes coloniales, voilà le rôle futur des armées. Aujourd’hui l’humanité se borne à la seule race blanche — et dans celle-ci, n’y a-t-il encore que « l’élite » qui compte. — Des « savants » ne craignent pas de le déclarer : l’Européen a le droit, pour se développer, de détruire tout ce qui n’est pas en état de lui résister. Le fait seul de disparition des races, dites inférieures, devant les empiètements de la « civilisation » est la démonstration la plus complète de cette théorie, ainsi que la justification du fait accompli. Si les races disparues avaient été dignes de la « civilisation » elles auraient résisté à l’élimination. Ce n’est pas plus malin que cela : Vous êtes seul, avec un méchant bâton dans les mains, nous arrivons à plusieurs, armés de fusils à tir rapide, de revolvers et armes bien tranchantes, nous vous massacrons, c’est bien fait pour vous, vous étiez de race « inférieure » ! C’est dommage que Lacenaire et Troppmann n’aient pas fait valoir cette argumentation, ils auraient été acquittés. Mais en sociologie, il y a des « savants » qui sont payés pour trouver des arguments de cette force !


Il y avait déjà un moment que les buveurs avaient vidé leurs tasses, et qu’ils se préparaient à se remettre en route.

Ce fut Mahuret qui donna le signal en faisant observer qu’ils n’étaient pas encore arrivés.

La dépense fut soldée, et les promeneurs reprirent la route, heureux de se dégourdir les jambes, et de secouer l’espèce de torpeur où commençait à les plonger le discours de Caragut. Ils avaient l’intuition que ce qu’il leur disait devait être vrai, mais il leur aurait fallu une somme d’efforts trop grande pour en saisir toute la portée, et, du reste, ils étaient venus pour s’amuser et non pour faire de la sociologie.

Caragut qui, avant de venir à Brest, n’était jamais sorti de Paris, n’avait pas les yeux assez grands pour admirer les échappées de paysage que lui découvraient les accidents de terrain. Ses camarades marchaient un peu à la débandade, le laissant aller seul, comme s’ils avaient la vague appréhension d’être encore « rasés ». Il pouvait donc, à son aise, s’arrêter aux coins qui le ravissaient, aux carrefours, passer l’inspection des calvaires de granit dont quelques-uns étaient ciselés comme de vrais bijoux.

Les habitants du pays qu’ils croisaient sur la route, attiraient aussi son attention. Ce n’étaient plus ces Bretons sombres des environs de Brest, habillés de noir, coiffés de chapeaux de feutre noir, enrubannés de velours également noir, et dont la mise plus ou moins délabrée annonce la misère.

Ici, c’étaient des pêcheurs à la culotte de coutil blanc, vêtus de gilets et de vestes de diverses couleurs gaies, enjolivées de boutons de métal, plats, chevauchant les uns sur les autres, en une seule ligne du haut jusqu’au bout de la veste ou du gilet. Sur leurs épaules pendait le long bonnet de laine rouge, que l’on est accoutumé de voir aux marins de la première république, sur les gravures de l’époque et du plus pittoresque effet.

Les femmes avaient des costumes d’un aussi agréable aspect. Des corsages aux couleurs tendres, agrémentés de broderies où la soie jaune étalait sa note dominante. Leurs coiffures de tulle et de dentelle, rappelaient les coiffures du moyen-âge ; quelques-unes se rapprochant du hennin du temps d’Isabeau de Bavière.

Cela était propre, coquet, gracieux, et donnait une tout autre tournure à ceux qui les portaient.

Nos promeneurs s’approchaient de Plougastel, ils savaient que c’était le costume de la localité qu’ils avaient sous les yeux, le connaissant déjà, pour l’avoir vu à quelques pêcheurs qui viennent parfois jusqu’à Brest vendre le produit de leur pêche, ou bien — lors de la saison — apporter de ces fraises excellentes et bon marché, que la localité produit en abondance.

Ils ne tardèrent pas à faire leur entrée dans le bourg.

Après avoir tourné autour du calvaire, visité l’église, parcouru le cimetière, vaqué un peu par les rues, ils entrèrent chez un débitant où ils se firent servir chacun une tasse de lait qu’ils dégustèrent en mangeant des fraises achetées à un habitant qu’ils avaient rencontré en portant un plein panier.

Ils étaient contents de leur promenade, heureux de respirer à pleins poumons l’air pur que la brise apportait. La fraîcheur de la verdure environnante, et, surtout, la joie de ne pas être talonnés par le spectre de la discipline, sous la forme d’un gradé quelconque, les rendait joyeux et dispos. Leur état d’esprit leur faisant envisager la nature environnante sous un aspect plus agréable que s’ils l’avaient visitée, sac au dos, en armes, sous la conduite d’un état-major.

Après avoir mangé les fraises et bu le lait, ils se firent servir du cidre, désireux de s’attarder à cette table, d’éloigner le moment de réintégrer la caserne, en dégustant, à petits coups, la boisson qu’on leur avait servie, et regardant défiler les consommateurs qui venaient boire leur bolée de cidre ou lamper leur verre d’eau-de-vie. À travers la porte ils apercevaient les habitants vaquer à leurs affaires. Le spectacle du débitant et de la débitante courant d’un consommateur à l’autre, affolés lorsqu’ils avaient deux groupes de clients à servir à la fois, n’était pas moins curieux.

Lorsqu’ils furent rafraîchis et suffisamment reposés, le soleil était déjà tourné au couchant, on agita la question de retourner au quartier, mais, pour varier le plaisir, il s’agissait de prendre un chemin différent de celui par lequel on était venu. Mahuret, qui connaissait parfaitement la localité, se chargea de les ramener de bonne heure à la caserne tout en leur faisant voir de nouveaux sites.

Brossier marchait en tête avec ses trois pays, chantant des refrains de leur village, s’arrêtant, lorsqu’ils se trouvaient à un carrefour pour demander à Mahuret le chemin à prendre.

Mahuret, Caragut et le Lyonnais, s’entretenaient de ce qu’ils avaient vu, échangeant les réflexions que leur inspiraient les objets qui les intéressaient sur la route, pendant que leur arrivaient les éclats de voix des chanteurs :

Les maires et les préfets
Sont des vilains cadets,

bis

Ils nous font tirer au sort,
Tirer au sort

bis

Pour nous conduire à la mort.

Et, insensiblement, la conversation retombait sur la question qui les tracassait le plus : les ennuis du métier, et le désir d’en avoir fini.

Il était près de six heures lorsqu’ils arrivèrent à la caserne. Ils trouvèrent sous leur lit, leur gamelle que leurs camarades, selon leur promesse, avaient mise en réserve. Caragut auquel il restait deux sous proposa d’en mettre chacun autant pour aller prendre un litre à la cantine où ils se rendirent avec leur gamelle qu’ils vidèrent avec un appétit que la promenade n’avait pas peu contribué à développer, et qui leur fit trouver la ration bien insuffisante.