La Guirlande des dunes/Au Cimetière

La bibliothèque libre.
Toute la Flandre
Deman (La Guirlande des dunesp. 44-47).

Au Cimetière


Avec en main de la lumière
Qui balançait son pas,
Le fossoyeur du village, là-bas,
Le soir, gagnait le cimetière,
Où longuement, de haut en bas,
Pendait un Christ en croix.

Vers les défunts saignait la croix,
Vers les défunts saignait l’effroi,
Vers les défunts saignaient les mains
Du Christ immense et surhumain.

Depuis quels temps, on ne sait pas,
Le fossoyeur maussade et las,
Avec, en main, sa petite lumière,
Gagnait ainsi le cimetière.

On le voyait poser contre la croix,
Sa pauvre et maigre échelle en bois,
Puis y monter, puis en descendre ;
Et dans le soir blafard et faux
Soudain, là-haut,
S’allumait un flambeau.

La flamme était placée,
Près des côtes violacées,
Par où le sang divin abondamment sortait
Et chaque soir, le vent se lamentait
Autour de cette flamme inépuisée
Que l’homme à Dieu, obstinément, tendait.

Vers les défunts saignait la croix,
Vers les défunts saignait l’effroi,
Vers les défunts saignaient les mains
Du Christ immense et surhumain.

Ceux qui, le corps rompu, s’en revenaient
Des lointains effrénés de la mer,
Ceux qui, filets au dos, s’acheminaient
Vers la pêche nocturne et le hasard pervers
Voyaient, aux heures crépusculaires,
Jusques au seuil de leur chaumière,
Grandir le Christ et sa lumière.

Vers les défunts saignait la croix,
Vers les défunts saignait l’effroi,
Vers les défunts saignaient les mains
Du Christ immense et surhumain.

Ceux qui veillaient, à la lueur de leur chandelle,
L’enfant que secouait une toux éternelle,
Ceux qui pleuraient, avec de lourds sanglots,
Le fils perdu là-bas, quelque part, sous les flots,
Apercevaient, dans le champ clair de leur fenêtre,
Soudain, le Christ et sa terreur leur apparaître.

Vers les défunts saignait la croix,
Vers les défunts saignait l’effroi,
Vers les défunts saignaient les mains
Du Christ immense et surhumain

Et telle était la peur dont le village
Tremblait, devant ce maigre Christ sauvage,
Qu’aux jours de kermesse et de fête,
On lui voilait, avec effroi, la tête,
Pour qu’il ne vît jamais la joie ardente et rouge,
Couples noués, bondir de bouge en bouge.