La Métaphysique (trad. Pierron et Zévort)/Notes

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Traduction par Alexis Pierron et Charles Zévort.
Ébrard, Joubert (tome 1p. 223-274).

NOTES.


LIVRE PREMIER.




Les Scolies sur la Métaphysique publiées par Brandis, et qui occupent déjà dans la collection tout l’espace compris entre les pages 518 et 833, se composent, pour les cinq premiers livres, p. 518-734, du texte entier d’Alexandre d’Aphrodisée ; d’extraits, quelquefois considérables, d’Asclépius ; de divers passages d’autres scoliastes, qui ont leur importance comme compléments et comme éclaircissements d’Asclépius et d’Alexandre ; enfin, mais pour le premier livre seulement, de courts extraits du commentaire traduit en latin par Patrizzi, et attribué à Jean Philopon.

« Alexandri commentarii in Aristotelis Metaphysicorum quinque libros priores e cod. Reg. Paris. 1876 (A) vel descripti vel cum eo collati sunt, adhibitis ad libros A, α, Γ a quarto inde capite, et Δ, codice Monacenci (M), ad libros Β et priorem partem libri Γ codice Coisliniano 161 (C). Ad loca insigniora omnium quinque librorum, præter cod. Coisl., excussi sunt cod. Vatican. Bibl. Reginæ 108 (V), cod. Laurent. 87, 12 (L) et Asclepii codices. Accedunt scholia partim ex illo L, partim ex Asclepii cod. Reg. Par. 1901 (B), Monac (M), et Laurentiano 81, 1 (A), partim e cod. Reg. Par. 1853 excerpta. Ex anonymi brevi expositione Metaphysicorum, quæ sub Joh. Philoponi nomine a Fr. Patricio Latine Ferrariæ a. 1583 edita est et in cod. Vat. Urbin. 49 Græce legitur, addidi scholia quædam ad primum librum ( Anon. Urbin.). » Brand., Schol. in Aristot., p. 518.

Jusqu’ici nous avons abondamment puisé dans ce précieux recueil ; nous continuerons d’y puiser avec la même confiance. Nous aurons toutefois à présenter, sur divers points, quelques observations critiques. Ici, par exemple, nous devons remarquer, au sujet de l’Anonyme du Vatican, Anon. Urb. comme le désigne Brandis, qu’il n’est pas positivement prouvé que l’auteur de cet ouvrage ne soit pas Philopon. Ce n’est-là qu’une présomption, fondée sur ce que ces scolies, si courtes, si serrées, ne sont pas dans la manière habituelle du commentateur auquel on les attribue, et sur ce que le manuscrit d’où Brandis en a tiré quelques passages, ne porte pas de nom d’auteur. Mais celui que Patrizzi eut en sa possession, qu’il avait acheté chez des moines de l’île de Chypre, avant la dévastation de cette île par les Turcs, et qu’on retrouverait sans doute au fond de la bibliothèque de l’Escurial, où l’a déposé Patrizzi, ce manuscrit portait le nom de Jean Philopon. C’est ce que nous atteste, non pas Patrizzi lui-même, mais son éditeur et son ami, l’imprimeur Dominique Mammarello. Mammarello nous apprend encore, dans son curieux avis au lecteur, que Patrizzi ne décidait pas la question d’authenticité. « Sed ut ad Philoponum redeam, an is, quem vobis damus, idem Philoponus fuerit, qui, cognomine Grammatici, in alios aliquot Aristotelis libros commentaria conscripserit, idem Patricius, uti ex eo audivi, sæpe dubitavit : non ex ingenio quidem aut eruditione hujus philosophica, quæ satis apparet insignis, sed ex illius commentandi more ad hunc collato. Ille enim, quamvis in Aristotelis contextu explanando satis sit brevis et concisus, attamen digressionibus, uti vocant, utitur multis, ac Theorematibus. Hic vero noster, et in exponendis verbis illo concisior est (et si ingenii acutie non minore), et nulla Theoremata unquam proponit. Sane, sive idem fuerit, sive alios quispiam, Philoponi certe cognomine liber ille, unde translatus est fuit inscriptus, et ab eodem Patricio, ante latinus factus, quam in Hispanias proficisceretur ac librum veterem ab se abalienaret… »

Quoi qu’il en soit, on peut, aujourd’hui encore, s’en tenir au doute, comme Patrizzi. Aussi, toutes les fois que nous avons cité, toutes les fois que nous citerons la version de Patrizzi, nous avons donné, nous donnerons toujours au commentateur, ainsi que l’a fait son interprète, le nom de Philopon.


Page 11. Le but proposé à notre entreprise, ce doit être un étonnement contraire, si je puis dire, à celui qui provoque les premières recherches de toute science. Bekker, p. 983 ; Brandis, p. 9 : Δεῖ μέντοι πως κασταστῆναι τὴν κτῆσιν αὐτῆς εἰς τοὐναντίον…

Nous avons suivi, pour l’interprétation générale de cette fin de chapitre, les indications de Philopon, fol. 2, a. La distinction entre les deux sortes d’étonnement, celui qui est le principe de la science, et celui qui en est, pour ainsi dire, le dernier terme, entre l’étonnement de l’homme qui ne sait pas et l’étonnement de l’homme qui sait, rattache naturellement ce passage à tout ce qui précède, et donne un sens clair et précis à τοὐναντίον. Nous ne parlerons pas de la leçon τάξιν des anciennes éditions, au lieu de κτῆσιν. Au fond, le sens est le même ; c’est toujours de la philosophie qu’il s’agit, en opposition avec les autres sciences. Nous préférons néanmoins la leçon des nouveaux éditeurs ; elle s’accorde mieux, ce semble, avec la signification propre de καταστῆναι.

Page 11. Toujours en effet les sciences ont, comme nous l’avons remarqué, leur source dans l’étonnement qu’inspire l’état des choses : ainsi, pour parler des merveilles qui s’offrent à nous d’elles-mêmes, l’étonnement qu’inspirent, ou les révolutions du soleil, ou l’incommensurabilité du rapport de la diagonale au côté du carré, à ceux qui n’ont point encore examiné la cause. Bekker, p. 983 ; Brandis, p. 9 : Ἄρχονται μὲν γάρ, ὥσπερ εἴπομεν, ἀπὸ τοῦ θαυμάζειν πάντες εἰ οὕτως ἔχει, καθάπερ τῶν θαυμάτων ταὐτόματα τοῖς μήπω τεθεωρηκόσι τὴν αἰτίαν, ἢ περὶ τὰς τοῦ ἡλίου τροπὰς, ἢ περὶ τὴν τῆς διαμέτρου ἀσυμμετρίαν.

Le sens que nous avons adopté pour cette phrase a contre lui les plus graves autorités. M. Cousin, De la Métaphysique, etc. p. 131 : « On commence par s’étonner que les choses soient de telle façon, et, comme on s’émerveille en présence des automates, quand on n’en connaît pas les ressorts, de même nous nous étonnons… » Hengstenberg, Arist. Metaph., p. 6 : So wundern sich diejenigen, welche die Ursache noch nicht durchschaut haben, über die automatischen Kunststücke, oder über die Sonnenwenden. — Bessarion : « Incipiunt etenim…, sicut de præstigiosis quæ per se ipsa moventur, illi qui nundum speculati sunt causam. » — Du Val, Synopsis analytica doctrinœ peripat., part. II, p. 88 : « His enim perspectis, cessabit admiratio, ut fit cum τῶν θαυμάτων (id est, eorum quæ sponte et per se moveri videntur, ut erant Dædali statuæ, ut sunt etiamnum præstigiatorum…, gallice joueurs de marionnettes, lignei homumuli, depugnantes saltitantes,) machinas, libramenta, funiculos deteximus. » — Alexandre d’Aphrodisée pense qu’il s’agit dans ce passage de figures automatiques : Τὰ ὑπὸ τῶν θαυματοποιῶν δεικνύμενα παίγνια, οἷον ἄψυχά τινα εἴδωλα ἃ ἐξ αὐτῶν δοκεῖ καὶ αὐτομάτως κινεῖσθαι. Schol. in Aristot., p. 530 ; Sepulv., p. 8. — Le Scoliaste de la bibliothèque Laurentienne se sert à peu près des mêmes termes d’Alexandre ; et Asclépius exprime encore la même idée : Ὥσπερ ἐπὶ τῶν μηχανικῶν.

Nous devons exposer toutes les raisons qui nous ont semblé repousser l’interprétation ordinaire de ce passage, et établir celle que nous ayons donnée.

1o Θαῦμα, comme le montre Ruhnkenius par de nombreux exemples (Timæi Sophistæ Lexic. voc. platonic. s. v. θαῦμα), peut bien avoir, dans certains cas, le sens que lui attribuent ici les commentateurs, et, avec eux, le traducteur allemand et le traducteur français, mais qu’en résulte-t-il pour la phrase qui nous occupe ? Nous avons, non pas θαύματα seulement, mais τῶν θαυμάτων ταὐτόματα. Αὐτόματα n’est point ici un substantif, car alors que signifierait τῶν θαυμάτων ? Le traducteur allemand l’a bien senti : automatische Kunststücke ; et avant lui, Bessarion : de præstigiosis, quæ per se ipsa moventur ; et, malgré la ressemblance des termes, ce n’est pas seulement ταὐτόματα, mais l’expression tout entière, que M. Cousin a rendue par ces mots : les automates. Αὐτόματος est donc un adjectif. Le sens de cet adjectif est parfaitement déterminé dans la langue grecque, dès le temps d’Homère qui l’emploie fréquemment, et toujours dans l’acception de : ultro veniens, sponte se offerem, ou comme eût dit Bessarion : qui per se ipsum movetur, celui qui se présente de soi-même, spontanément, sans être mu par autre chose que sa volonté propre. De même chez Aristote ; car le ταὐτόματον de la fin du chap. 3, liv. I de la Métaph., et du liv. XI, ch. 8, rentre dans le sens général et primitif de αὐτόμ.: qu’est-ce en effet que le hasard, sinon ce qui arrive sans cause nécessaire, du moins sans cause bien connue ?

2o La tournure τῶν θαυμάτων ταὐτόματα est très fréquente dans la langue grecque, et tous les grammairiens l’ont notée. Le substantif au génitif est considéré, pour ainsi dire, comme un tout, et l’adjectif désigne une partie de ce tout. Si θαύματα signifie des marionnettes, des Kunststücke à lui seul, ταὐτόμ. est complètement inutile ; il ne peut marquer aucune distinction dans les θαύματα, il ne désigne pas une partie de ce tout, puisqu’il s’applique à toutes les parties : toutes les marionnettes sans exception sont automatiques, pour qui ne connaît pas la cause de leur mouvement ; sinon elles ne seraient plus des marionnettes ; c’est-là leur nature même. Τῶν θαυμ. est donc pris ici dans son sens habituel, miracula, mirabilia, et par conséquent nous sommes fondés à traduire comme nous l’avons fait : « Ainsi, pour parler des merveilles qui s’offrent à nous d’elles-mêmes. » Ex mirabilibus quæ se sponte offerunt, serait en latin la reproduction rigoureuse des expressions d’Aristote.

3o L’interprétation suivie par M. Cousin, forcerait à voir dans καθάπερ… ἢ περὶ…, les deux termes d’une comparaison : « et comme on s’émerveille… de même nous nous étonnons, etc. » Or, pour qu’il y eût là comparaison, ne faudrait-il pas que le mot correspondant à καθάπερ, fût, non pas la disjonctive , mais οὕτως, ou tout autre mot analogue ?

4o L’explication que nous préférons, concorde avec celle que nous avons donnée précédemment de τὰ πρόχειρα τῶν ἀπόρων θαυμάσαντες : « Entre les objets qui les étonnaient, et dont ils ne pouvaient se rendre compte, ils s’appliquèrent d’abord à ceux qui étaient à leur portée ; » explication universellement admise. Ce ne sont-là que deux formes légèrement différentes d’une pensée unique.

5o Enfin, à ces considérations qui nous paraissent probantes, nous pouvons ajouter, en faveur de notre opinion, des autorités d’un grand poids. Saint Thomas s’exprime ainsi dans son commentaire, fol. 5, b : « Quæ quidem admiratio erat, si res ita se haberet, sicut automata mirabilia, id est quæ videntur mirabiliter a casu accidere. Automata enim dicuntur quasi per se accidentia. » — Le vieux traducteur latin : « Quemadmodum mirabilium automata. » — Argyropule : « Ut fit cum mira quædam spectantur, causa nundum perspecta. »Sepulveda lui-même, le traducteur d’Alexandre d’Aphrodisée, n’a pas hésité à adopter le même sens. Fidèle à la lettre de son auteur, il traduit ainsi le passage d’Alexandre : « Porro admirabilia esse dicit præstigiosa quæ per se ac sponte moveri videntur, dum a rerum admirandarum artificibus ostentantur. » P. 8. Mais, s’agit-il d’Aristote, il laisse, à côté de cette version du commentaire, subsister la phrase d’Argyropule, malgré son respect profond pour les opinions du commentateur.


Page 11. Il paraît étonnant à tout le monde qu’une quantité ne puisse être mesurée, même par une quantité très petite. Bekker, p. 983 ; Brandis, p. 9 : Θαυμαστὸν γὰρ εἶναι δοκεῖ πᾶσιν, εἴ τι τῷ ἐλαχίστῳ μὴ μετρεῖται.


Nous avons suivi la leçon de Brandis et de Bekker. Plusieurs mss. l’autorisent, et en marge du ms. E de Bekker, on lit γρ. τῷ ἐλαχίστῳ, καὶ ταύτην μᾶλλον τὴν γραφὴν οἶδεν Ἀλέξανδρος. Et en effet, telle est la leçon d’Alexandre : Schol. p. 530 ; Sepulv. p. 8. L’ancienne leçon εἴ τι τῶν οὐκ ἐλαχίστων μὴ μετρεῖται, présente du reste un sens clair et raisonnable : « Il paraît étonnant qu’une chose qui n’est pas extrêmement petite, ne puisse être mesurée » ; ce qui justifie jusqu’à un certain point la répugnance de Du Val, ad h. l., pour celle d’Alexandre. Quant à la leçon εἴ τι τῶν ἐλαχίστων, que donne un autre ms., elle ne saurait être admise ; il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on manque de mesure pour mesurer ce qui est d’une extrême petitesse.


Page 12. Or, on distingue quatre causes La première est etc.


On se tromperait, si l’on pensait qu’Aristote donne à cette distinction une valeur absolue, et qu’il maintient toujours une distance telle entre ces quatre principes, que tout rapprochement entre eux, que toute réduction de l’un à l’autre soit impossible. M. É. Vacherot, dans sa dissertation si profondément aristotélique, a parfaitement démontré le contraire. Le lecteur verra avec plaisir cet excellent morceau.

« Pour compléter la théorie des quatre principes, il nous reste à les considérer dans leurs divers rapports. Aristote en a-t-il fait quatre principes d’une nature différente ? ou bien, tout en les posant comme distincts, n’a-t-il pas reconnu entre eux une certaine identité de nature qui en permette la réduction ? D’abord, partout Aristote identifie la forme et le but. La forme, dit-il quelque part, n’est que le but auquel tend le principe moteur. Que signifie d’ailleurs ἐντελεχεία ? le principe final (τέλος) réalisé par le mouvement dans la matière, et devenant la forme. Quelque part Aristote soutient que la forme de la maison n’est pas l’amas de pierres dont elle est construite, mais seulement la propriété de mettre à couvert les personnes et les choses. Ici donc il confond la forme avec le but. On sait d’ailleurs qu’Aristote, dans sa critique du système platonicien, s’attaquait surtout à l’existence substantielle des idées. L’idée, disait-il, n’est que le but que se propose un agent. Or, le but n’existe point à part de l’agent. Ainsi l’idée de la maison n’est point une existence idéale, existant à part des objets ; elle existe seulement dans la pensée de l’architecte. Après cette critique, Aristote ne pouvait se contredire au point de poser son principe formel comme une entité réelle et séparée du moteur. Or, le principe formel résidant dans le moteur n’est autre que le principe final. Ces passages et beaucoup d’autres démontrent que dans la pensée d’Aristote le principe formel n’a pas une autre nature que le principe final. Tout ce qui les distingue, c’est une différence de position. Le même principe retient le nom de but, quand il réside dans le moteur ; il devient la forme quand il a été déposé par le mouvement dans la matière. La forme n’est donc qu’une simple modification du principe final.

« Maintenant, le principe final n’existe pas substantiellement et en dehors de tout autre principe. Il réside comme fin dans un moteur, comme forme dans une matière quelconque ; il n’existe point ailleurs. La substance du principe final est donc soit le moteur, soit la matière ; mais la matière n’en est qu’accidentellement la substance ; car, bien qu’elle soit inséparable de la forme, elle ne la contient pas, elle est la condition et rien de plus ; le moteur, au contraire, contient le principe final. En résumé, ce principe n’existe point par soi ; il réside dans le moteur comme dans sa vraie substance ; mais il n’en est pas moins distinct de ce qui le renferme. Ainsi, d’une part la matière, de l’autre le moteur, la fin et la forme ; la forme s’identifiant avec la fin, laquelle se rattache au moteur comme à son sujet.

« La réduction peut, selon nous, être poussée plus loin encore. Le principe final, avons-nous dit, se distingue du principe moteur, en y résidant. Il n’y a aucun moyen de les identifier. Le moteur ne peut absorber le principe final ; le principe final peut encore moins absorber le moteur. Aristote, d’ailleurs, n’a nulle part tenté l’identification des deux principes. Mais ce dualisme peut très bien se ramener à un principe supérieur. Dans le sein de l’acte pur (ἑνεργία) se confondent le moteur et la fin ; l’acte pur, en effet, c’est l’être parfait ; or, le caractère même de la perfection pour un être, est de se suffire à soi-même, et par conséquent d’être le principe et le but de tous ses mouvements. C’est pourquoi Aristote pose partout l’acte pur à la fois comme cause motrice et comme cause finale. Voilà donc le principe final dont la forme n’est qu’une modification s’absorbant avec le moteur dans l’acte pur. D’un autre côté, la matière réduite à sa plus simple expression n’est, comme on sait, que la puissance. Poussée jusque là, la réduction est parvenue à son terme. Dans la pensée d’Aristote, un abîme sépare l’acte de la puissance, l’être du possible. Ces deux principes s’excluent, loin de s’identifier. » Théorie des premiers principes, selon Aristote, p. 43 sqq.

Page 12. Car ce qui fait qu’une chose est, est tout entier dans la notion de ce qu’elle est. Bekker, p. 983 ; Brandis, p. 9 : Ἀνάγεται γὰρ τὸ διὰ τί (anc. éd. : τὸ διὰ τί πρῶτον) εἰς τὸν λόγον ἔσχατον.

Nous entendons par διὰ τί, ce par quoi une chose se manifeste, ce qui lui donne son existence, ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, sa raison d’être ; en un mot, ce qui est exprimé un peu plus haut par οὐσία, τὸ τί ἦν εἶναι. Quant à λόγον ἔσχατον, c’est, au fond, comme l’indique le mot ἀνάγ., la même chose que διὰ τί : λόγος, c’est la notion propre de l’être, ce qui entre nécessairement dans la définition, ce qui constitue la définition. Voyez page 12, la note sur οὐσία. Voyez aussi Alex. Schol. p. 531 ; Sepulv. p. 9 ; Philopon, fol. 2, a, etc. Asclépius explique ainsi ce passage, et notamment le mot ἔσχατον : Ἀνάγεται εἰς τὸν λόγον, τουτέστιν εἰς τὸν ὁρισμόν· ἔσχατον, μετὰ γὰρ τὸ ὁρίσασθαι οὐκέτι ζητοῦμεν τὸ διὰ τί, Schol. in Arist. p. 531.

Page 14. … il voyait que c’est l’humidité qui nourrit toutes choses, que le chaud lui-même en vient, et que tout animal vit de l’humidité. Bekker, p. 983 ; Brandis, p, 10 :… ἐκ τοῦ πάντων ὁρᾶν τὴν τροφὴν ὑγρὰν οὖσαν καὶ αὐτὸ τὸ θερμὸν ἐκ τούτου γιγνόμενον καὶ τούτῳ ζῶν.

Nous avons conservé l’ancienne leçon καὶ τὸ ζῶον τούτῳ ζῶν, rejetée par Brandis, Bekker et M. Cousin. Non-seulement elle se trouve dans les anciennes éditions, mais un des mss. de Bekker l’autorise ; car peut-on lire autrement ces mots : καὶ] καὶ τὸ ζώιον ? Ensuite, cette idée : Tout animal vit de l’humidité, n’est-elle pas nécessaire pour compléter l’explication du système de Thalès ? Aristote nous donne d’abord les motifs qui ont décidé le philosophe, dans une généralité un peu vague : C’est l’humidité qui nourrit toutes choses ; puis, il précise, il indique les raisons les plus concluantes : Le chaud lui-même en vient ; enfin, L’animal en vit. D’ailleurs, Asclépius semble avoir eu sous les yeux la leçon καὶ τὸ ζῶον : « Il est impossible dit-il, que les animaux se nourrissent sans humidité ; » ἀδύνατον γάρ ἐστιν ἄνευ ὑγρότητος τρέφεσθαι τὰ ζῶα. Schol. p· 533. N’est-ce pas là une remarque destinée spécialement à confirmer des paroles : τὸ ζῶον τούτῳ ζῶν ?

Page 16. Anaxagore de Clazomène, l’aîné d’Empédocle, n’était pas arrivé à un système aussi plausible. Bekker, p. 984 ; Brandis, p. 11 : ᾿Αναξαγόρας δὲ ὁ Κλαζομένιος τῇ μὲν ἡλικίᾳ πρότερος ὢν τούτου, τοῖς δ’ ἔργοις ὕστερος.

Un autre sens paraît sortir naturellement des expressions d’Aristote. M. Cousin traduit : « Anaxagoras de Clazomène, qui naquit avant ce dernier, mais qui écrivit après lui. » Page 135. On conserve ainsi l’opposition des termes de la phrase grecque, τῇ μὲν ἡλικίᾳ, τοῖς δ’ ἔργοις. Nous nous étions d’abord arrêtés à cette interprétation. Mais les mots ἔργῳ, ἔργοις, dans une opposition, ont ordinairement une signification vague, comme, revera, chez les Latins, et, chez nous, en fait, en réalité. Il n’est pas prouvé non plus qu’ici, ὕστερος signifie postérieur, chronologiquement : ὕστερος a un assez grand nombre de sens, voyez liv. V, 11, et, en rapprochant les dates, la différence d’âge si considérable entre Anaxagore et Empédocle, même dans la supposition la plus favorable, ne permettrait guère d’admettre que les ouvrages d’Anaxagore n’aient paru qu’après ceux d’Empédocle. Du reste nous n’avons pu résister au témoignage unanime des commentateurs anciens. Suivant eux, ce n’est point d’un rapport chronologique qu’il s’agit ; l’opposition de πρότερος et de ὕστερος n’est ici qu’une opposition purement verbale : πρότερος marque la priorité dans le temps, ὕστερος, la postériorité dans l’ordre de mérite, l’infériorité. Alexandre allègue à l’appui de son opinion un autre passage d’Aristote, sans doute celui du liv. I, 3 : « Empédocle se sert des causes plus qu’Anaxagore. » Voyez Brandis, Schol p. 534 ; Sepulv. p. 11. Philopon s’exprime ainsi : « Prior quidem tempore, sed posterior et mancus secundum opinionem ; » fol. 2, a ; et l’Anonyme du Vatican, l’original grec de Patrizzi : Πρότερος γοῦν τῷ χρόνῳ, ἀλλ’ ὕστερος καὶ ἐλλείπων κατὰ τὴν δόξαν. Schol. p. 534.

Page 17. … et que non-seulement rien ne naît ni ne périt dans toute la nature (opinion antique, et à laquelle tous se sont rangés) ; mais même que dans la nature tout autre changement quelconque est impossible. Bekker, p. 984 : …καὶ τὴν φύσιν ὅλην οὐ μόνον κατὰ γένεσιν καὶ φθορὰν (τοῦτο μὲν γὰρ ἀρχαῖόν τε καὶ πάντες ὡμολόγησαν) ἀλλὰ καὶ κατὰ τὴν ἄλλην μεταϐολὴν πᾶσαν.

Brandis, p. 12, supprime toute la parenthèse τοῦτο μὲν γάρ… ainsi que ἀλλά qui commence le membre de phrase suivant. Pourquoi ce retranchement ? Il n’est autorisé par aucun manuscrit ; sans cela, Bekker se serait conformé, comme il fait ailleurs, au texte de Brandis. Serait-ce qu’on ne trouve pas ces mots dans les anciens commentateurs ? Il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’ils eussent négligé une parenthèse, un simple rappel du passé. Mais il y a mieux ; Asclépius nous donne, en l’expliquant, la parenthèse tout entière, et même ἀλλά. Schol. in Arist. p. 535 : …οὐ μόνον κατὰ γένεσιν καὶ φθορὰν (τοῦτο μὲν γὰρ ἀρχαῖόν τε, καὶ πάντες ὡμολόγησαν τὸ εἶναι ἀμετάϐλητον τὴν ὕλην) ἀλλὰ καὶ κ. τ. ἄ. μ. π. D’ailleurs la proposition est d’une vérité incontestable ; il n’est pas un philosophe qui, admettant l’existence de la réalité, n’ait admis aussi la persistance du fond commun de tous les êtres, de la nature. Aristote devait donc faire observer que ce n’était pas de cela, de cette opinion commune à tous qu’il s’agissait ; que les partisans de l’unité allaient bien autrement loin ; qu’ils avaient suivi jusqu’au bout les conséquences de leur principe.

Page 24. Et si quelque chose manquait, ils employaient tous les moyens pour que le système présentât un ensemble complet. Bekker, p. 986 ; Brandis, p. 16 : Κἂν εἴ τί που διέλειπε, προσεγλίχοντο τοῦ συνειρομένην πᾶσαν αὐτοῖς εἶναι τὴν πραγματείαν.

L’ancien texte présente quelques différences avec celui de Brandis et de Bekker ; mais elles sont sans importance pour le sens de la phrase. Nous devons dire un mot sur προσεγλίχοντο. Argyropule et Bessarion le traduisent par supplebant ; le traducteur allemand a suivi leur interprétation : « Und wenn einiges mangelte, so ergantzten sie es, um Zuhammenhang in ihre gantze Lehre zu bringen. Arist. Metaph. p. 12. M. Cousin traduit aussi : « Et si quelque chose manquait, ils y suppléaient, pour que le système fût bien d’accord et complet. » De la Met. p. 148. Mais n’est-ce pas là forcer un peu la signification de προσεγλίχοντο ? Γλίχομαι marque le désir, le souhait de la réalisation du désir : προσγλίχομαι, c’est l’aspiration vers l’objet du désir, l’effort qu’on fait pour y arriver ; annitebantur, traduit Patrizzi, Philop. fol. 3. a. Quand même προσεγλίχοντο pourrait signifier ils y suppléaient, serait-ce dans la phrase qui nous occupe ? Il faudrait pour cela voir dans l’article τοῦ, l’équivalent de ὥστε : tournure fréquente dans la poésie, surtout chez les tragiques, mais extrêmement rare, sinon inusitée en prose. Dans notre version, τοῦ dépend immédiatement de προσεγλίχοντο, et le sens général reste aussi complet qu’avec l’autre interprétation.

Page 26. …ces éléments… constituent et composent tout l’univers. Bekker, p. 986; Brandis, p. 17 : …συνεστάναι καὶ πεπλάσθαι φασὶ τὴν οὐσίαν.

Alexandre d’Aphrodisée nous semble avoir un peu exagéré la portée du mot πεπλάσθαι, en y voyant une sorte d’épigramme contre les Pythagoriciens : « Ex illis… constitutam fictamque substantiam inquiunt esse. Merito fictam dixit dum de hujusmodi generatione verba faceret. Talis enim generatio figmento (πλάσματι) similis est, nec ullam habet cum vero similitudinem. » Sepulv. p. 16, Schol p. 543. Nous n’avons vu dans πεπλάσθαι appliqué à la substance, que ce qu’exprime notre mot composition, qu’une simple modification, une explication de συνεστάναι. Quant à οὐσία, nous n’avons pas dû le prendre dans son acception spéciale d'essence, ni même dans celle de substance ; c’est ici quelque chose de plus général ; ἡ οὐσία, c’est tout ce qui est, le monde, l’univers : rien ne limite la signification.

Page 28. … et ce qu’on peut inférer des systèmes des premiers philosophes relativement aux principes. Bekker, p. 987 ; Brandis, p. 19 : …παρὰ τῶν συνηδρευκότων ἤδη τῷ λόγῳ σοφῶν τοσαῦτα παρειλήφαμεν.

Nous avons suivi le premier des deux sens que propose Alexandre d’Aphrodisée : « Qui huic sermoni incubuere ; id est, qui indagaverunt et quæesivere de his quæ loquimur, vel qui incubuere sermoni horum sapientum, de quibus mentionem fecimus. » Sepulv. p. 17. Voyez aussi Schol. p. 545. C’est évidemment le sens le plus naturel, et surtout le plus clair. Que signifierait en effet, sermoni horum sapientum, τῷ λόγῳ σοφῶν, à cet endroit de la Métaphysique ? Aristote n’a certes pas travaillé sur des ouvrages de seconde main ; Aristote est le premier père de l’histoire de la philosophie. Quant à τῷ λόγῳ, quelque vague que soit par elle-même cette expression, n’est-elle pas suffisamment déterminée par ce qui suit : τοσαῦτα παρειλ. ? Ces derniers mots n’indiquent-ils pas la discussion relative aux principes ?

Page 30… sinon, un être unique serait plusieurs êtres, et c’est-là la conséquence du système pythagoricien. Bekker, p. 987 : Brandis, p. 19 : Εἰ δὲ μὴ, πολλὰ τὸ ἓν ἔσται, ὃ κἀκείνοις συνέϐαινεν.

Nous n’avons pas entendu par τὸ ἕν, l’unité proprement dite, l’αὐτὸ τὸ ἕν dont il a été question plus haut. La proposition serait vraie, sans doute, en parlant des Pythagoriciens ; mais elle ne résulte pas de ce qui précède. Tout ce qu’il est permis de conclure de l’identité du double et du nombre deux, c’est que la même définition conviendrait à plusieurs objets, qu’un être unique serait plusieurs êtres. C’est le sens qu’a suivi Hengstenberg : Sonst würde das eine ein vielfaches seyn. (Arist. Metaphysik, p. 15) ; expressions qu’on pourrait rendre ainsi en latin : Foret enim, quod unum quid est, multiplex quid· C’est le sens indiqué par Alexandre d’Aphrodisée, Schol. ρ. 547, 548, Sepulv. p. 18 ; par Philopon, fol. 3, b ; et saint Thomas s’exprime ainsi : « Nam multa et diversa assignabant quasi unum essent. Sicut proprietates numerales dicebant idem esse cum proprietatibus naturalium rerum. » Div, Thom. Aquin., t. IV, fol. 12, a.

Page 31. Car c’est en vertu de leur participation avec les idées que tous les objets d’un même genre reçoivent le même nom que les idées. Bekker, p. 987 ; Brandis, ρ. 20 : Κατὰ μέθεξιν γὰρ εἶναι τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων τοῖς εἴδεσι.

Nous avons suivi avec M. Cousin la leçon τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων ὁμώνυμα τοῖς εἴδεσι. C’est celle des anciennes éditions, celle de tous les mss., excepté deux suivant Bekker ; Alexandre d’Aphrodisée explique formellement et συνωνύμων et ὁμώνυμα, Schol. p. 548 ; Sepulv. p. 19. Trendelenburg a montré par des exemples nombreux qu’il y avait dans la langue d’Aristote une différence considérable entre συν. et ὁμών., et qu’ils ne faisaient point ici double emploi. Aristote, au commencement du traité des Catégories, définit ces deux termes dans le sens où nous venons de les entendre : Ὁμώνυμα λέγεται, ὧν ὄνομα μόνον κοινόν· ὁ δὲ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ἕτερος. — Συνώνυμα δὲ λέγεται, ὧν τό τε ὄνομα κοινὸν καὶ ὁ κ. τ. λ. ο. ὁ αὐτός. Et partout il est fidèle à cette définition. Voyez aussi liv. I, c. 7, éd. Brand. p. 29. de la Mét. ; l. IV, 4, p. 69 ; l. VII, 4, p. 134 ; l. XI, 3, p. 216. Dans le passage qui nous occupe τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων désigne donc tous les êtres qui, compris dans le même genre, ont un nom qui leur est commun, et se définissent de la même manière. Ces êtres, en participant avec les idées, recevront d’elles leur nom, leur seront ὁμώνυμα, mais non pas συνώνυμα : ces idées, éternelles, impérissables, ne sont pas du même genre que les choses perçues par les sens. Voyez Trendelenburg, Platonis de ideis et numeris doctrina ex Aistotele illustrata, p. 32, 33. Aux observations que nous a fournies Trendelenburg, nous ajouterons que, pour Platon, les êtres sensibles, soumis à un perpétuel changement, étaient des êtres sans nom par eux-mêmes : ils n’avaient un nom qu’en vertu de leur participation avec les idées, celui de l’idée dont ils participaient : « Per participationem harum dicebat multa, quæ et anonyma dicebat, ut quæ semper mutarentur. » Philop. fol. 3, b. On ne peut donc supprimer ὁμώνυμα, qu’en tronquant la pensée même de Platon.

Page 33. … tous les nombres à l’exception des nombres impairs… Bekker, p. 987 ; Brandis, p. 21 : … τοὺς ἀριθμοὺς ἔξω τῶν πρώτων εὐφυῶς ἐξ αὐτῆς γεννᾶσθαι ὥσπερ ἔκ τινος ἐκμαγείου.

Nous avons adopté l’interprétation qu’Alexandre d’Aphrodisée, Schol. p. 551, 552, Sepulv. p. 21., et Philopon, fol. 4, a, donnent de ἔξω τῶν πρώτων. Aussi n’avons-nous pas pu traduire πρώτων par première ; il n’y a de première que les nombres impairs, qui n’ont d’autres facteurs qu’eux-mêmes et l’unité, tels que 3, 5, 7, 11, 13, etc. ; tandis qu’il s’agit ici de tous les nombres impairs. Trendelenburg, Plat. de ideis, ρ. 78 sq., attaque vivement le sens donné par Alexandre : « Peut-on appeler premiers, dit-il, les nombres impairs, et cela sans restriction ? » Il nous a semblé que, comparés aux nombres pairs (lesquels ont tous d’autres facteurs qu’eux-mêmes et l’unité, excepté le nombre deux, la dyade), les nombres impairs pris en général, avaient bien pu recevoir le nom de premiers. Il faut songer qu’Aristote s’adressait aux contemporains, aux disciples de Platon, à des hommes nourris dans ces doctrines, qui n’avaient pas besoin comme nous, d’une précision de langage toujours rigoureuse, et comprenaient pour ainsi dire à demi-mot. La discussion que soulève Trendelenburg à propos de ἐκμαγεῖον, établit victorieusement que ἐκμαγεῖον n’a pas ici le sens que lui ont donné les traducteurs latins : sigillum, effigies, sont les expressions dont ils s’étaient servis. Mais là n’est pas la difficulté. Qu’importe en effet que ἐκμαγεῖον signifie le moule d’où sortent les nombres, ou la matière pure et simple, materia nuda comme dit Trendelenburg ? C’est πρῶτος qui est le mot décisif. Brandis, Reinisch. Mus. t. II, p. 574 et M. Cousin, De la Mét. p. 152, concilient les deux opinions. Les nombres en question seraient les nombres idéaux, mais les nombres idéaux impairs. Nous persistons à croire toutefois que les paroles d’Aristote ont une signification plus générale ; Aristote ne fait pas acception de nombres pairs réalisés, plutôt que de nombres pairs idéaux ; et les nombres impairs qu’il excepte sont tout autant les nombres impairs réalisés que les idéaux : ce sont les idéaux s’il s’agit de la dyade idéale, et s’il s’agit du deux réalisé, les réalisés.

Page 33. … de l’autre une matière, une substance, à laquelle s’appliquent les idées, pour constituer les êtres sensibles, l’unité, pour constituer les idées. Bekker, p. 988 : …καθ’ ἧς τὰ εἴδη μὲν ἐπὶ τῶν αἰσθητῶν, τὸ δ’ ἓν ἐν τοῖς εἴδεσι.

Brandis avait donné : Τὰ μὲν ἐπὶ τῶν αἰσθ. τὰ δὲ ἐν τοῖς εἴδεσι, Errata, l.4, ce qui est en contradiction, ce semble, avec le commencement de la phrase : τὰ γὰρ εἴδη τοῦ τί ἐστιν αἴτια τοῖς ἄλλοις, τοῖς δ’ εἴδεσι τὸ ἕν. Brandis a trouvé cette leçon dans Alexandre : Voyez Schol. p. 553 ; Sepulv. p. 22. Mais Alexandre, après celle-là pour laquelle il ne se prononce pas, donne aussi la leçon adoptée depuis par les éditeurs, leçon que Brandis avait lui-même suivie dans son ouvrage sur les livres perdus d’Aristote ; que Trendelenburg maintient malgré son respect pour le texte de Brandis, et que Bekker a rétablie à la place qu’elle doit occuper.

Page 37. … l’élément fondamental de toutes choses paraît être celui duquel, considéré comme principe, la terre se forme par voie d’agrégation. Bekker, p. 988 ; Brandis, p. 24 : Τῇ μὲν γὰρ ἂν δόξειε στοιχειωδέστατον εἶναι πάντων ἐξ οὗ γίγνονται συγκρίσει πρώτου. Anc. édit. : Τὸ μὲν γὰρ… πάντων γῆ, ἐξ οὗ γίγνεται… Le ms. Ε de Bekker : γῆ μὲν γὰρ

Nous avons conservé, γῆ, mais nous ne ponctuons pas comme les anciens éditeurs, nous ne plaçons pas non plus, comme le ms. Ε de Bekker, γῆ en tête de la phrase. Il y aurait, dans les deux cas, contradiction avec ce qui va suivre, et même avec le bon sens ; il est absurde de dire que la terre est l’élément dont les parties en se réunissant donnent naissance à tous les autres éléments. Nous lisons στοιχ. εἶναι πάντων, γῆ ἐξ οὗ γίγνεται.

Page 40. … quelque chose qui se rapproche des doctrines postérieures, et surtout de celles des philosophes de nos jours.

Nous lisons avec Bekker, p. 989, et les anciens éditeurs : Βούλεται μέντοι τι παραπλήσιον τοῖς τε ὕστερον λέγουσι καὶ τοῖς νῦν φαινομένοις μᾶλλον, et non pas, comme Brandis, p. 26, et M. Cousin, p. 160, τοῖς φαιν. Outre l’autorité des mss., ὕστερον n’amène-t-il pas νῦν avec lui ? νῦν ne donne-t-il pas à l’idée plus de clarté et de précision, en fixant l’esprit sur une époque, sur une école déterminée ? Aristote, un peu plus bas, s’exprime ainsi : « Peut-être dira-t-on qu’elles sont (les idées) causes de la même manière que la blancheur… Cette opinion, qui a sa source dans les doctrines d’Anaxagore, et qui a été adoptée par Eudoxe et par quelques autres… » Voilà, ce nous semble, Aristote justifiant lui-même, I, 7, p. 47, par un exemple, son expression : τοῖς νῦν φαινομένοις.

Page 49. … alors l’homme en soi se composera, outre le nombre, de certaines substances ; alors, l’idée nombre, l’homme idéal, que ce doit ou non un nombre déterminé, sera un rapport numérique de certains objets, et non un pur nombre ; et, par conséquent, ce n’est pas le nombre qui constituera l’être particulier.

Nous avons lu avec les anciens éditeurs : Καὶ ὁ αὐτὸς ἄνθρωπος ἄλλων τινῶν ὑποκειμένων ἔσται· καὶ ἡ ἰδέα ἀριθμός, καὶ αὐτοάνθρωπος, εἴτε ἀριθμός τις ὢν εἴτε μή, ὅμως ἔσται λόγος ἐν ἀριθμοῖς τινῶν, καὶ οὐκ ἀριθμός· καὶ οὐκ ἔσται τις διὰ ταῦτα ὁ ἀριθμός. Brandis, p. 31, supprime, καὶ ὁ αὐτὸς ἄνθρωπος, rapporte ἄλλων τινῶν ὑπ. au membre de la phrase précédent, remplace καὶ οὐκ ἔσται par οὐδ’ ἔσται, et ne met pas d’article devant le dernier mot, ἀριθμός. Bekker suit le texte de Brandis ; seulement il ponctue un peu différemment : ἄλ. τιν. ὑπ. ἔσται, καὶ ἡ ἰδέα ἀριθμός· και αὐτ…, p. 991. Ces corrections, surtout celles de Brandis, ont obscurci le sens au lieu de l’éclaircir. M. Cousin, qui traduit d’après le texte nouveau, s’est vu forcé de commenter la phrase pour la rendre intelligible. Il nous a semblé que l’ancienne leçon, autorisée du reste par plusieurs des mss. de Bekker, échappait à cet inconvénient ; que la suite du raisonnement y était nettement marquée, et que la conclusion d’Aristote arrivait naturellement et sans effort. Aristote vient de faire cette supposition : Un homme est un rapport numérique de certaines substances. Il en tire la conséquence immédiate : L’homme en soi, c’est-à-dire le type, le modèle de l’individu, se compose aussi de certaines substances. Puis il marque la contradiction où tombent les partisans de la doctrine des nombres : L’homme idéal n’est plus un pur nombre, comme on l’avait affirmé. Enfin, il amène le principe général qu’il veut établir, et qui sort toujours de ses arguments contre la théorie des nombres : Le nombre ne se réalise pas dans les êtres.

Page 54. Ainsi, les uns disent que la syllabe xa est composée de c, de s, et de a ; les autres prétendent qu’il y entre un autre son, distinct de tous ceux qu’on reconnaît comme éléments.

Nous n’avons pris pour exemple, ni sma, qu’on lit dans les textes imprimés et dans les mss., parce que personne ne peut contester que sma ne vienne de s, de m et de a ; ni za, qui ne serait qu’une représentation fautive du ζά d’Alexandre d’Aphrodisée, parce que notre z n’est en réalité qu’une autre forme de la lettre s. Nous avons préféré xa que donne aussi Alexandre, et qui présente dans notre langue la même particularité que dans le grec : xa, csa. Voyez Schol., p. 586 ; Sepulv., p. 43. Dans le passage d’Alexandre, σμά n’est pas même indiqué. Philopon, fol. 6, b, ne donne que sda (ζά). Asclépius adopte σμά, à ce qu’il semble, Schol., p. 587 ; mais l’explication qu’il ajoute est-elle vraie avec σμά ? οὐδέποτε δύνανται γνῶναι εἴτε ἐκ τοῦ σʹ σύγκειται εἴτε ἐκ τοῦ ζʹ ἢ δʹ. Elle suppose ζά, et encore à condition de lire : εἴτε ἐκ τοῦ ζʹ σύγκ. εἰτε ἐκ τοῦ σʹ ἢ δʹ, sans quoi elle n’a absolument aucun sens.

Page 55. Il résulte évidemment de ce qui précède que les recherches de tous les philosophes portent sur les principes que nous avons énumérés dans la Physique…

Voici comment M. A. Jacques apprécie la méthode suivie par Aristote dans l’examen des systèmes de ses devanciers :

« Sans doute Aristote n’a pas résolu avec cette fermeté qui suppose l’expérience d’un âge plus avancé, le problème de la méthode historique : il ne l’a pas même posé, du moins explicitement. Mais s’il n’a pas donné directement le précepte, il l’a suivi ; et de sa pratique, il est aisé de conclure la théorie, énoncée ou non, qu’elle réfléchit fidèlement.

« Aristote part d’un système qu’il emprunte à l’analyse psychologique et qu’il importe dans l’histoire pour s’y orienter : en cela nous l’approuvons, malgré la peur exagérée qu’on voudrait nous faire des dangers de l’esprit de système : vrai ou faux, le système abrégera les longueurs sans fin de l’observation purement empirique ; et d’ailleurs, ne va-t-il pas se trouver en présence de son juge, à savoir l’observation elle-même et les faits, lesquels ne l’accepteront définitivement comme leur règle qu’après l’avoir éprouvé et lui avoir conféré sur eux en le redressant, s’il est faux, un droit de domination illimitée ? C’est donc sans danger réel et avec un avantage inappréciable qu’Aristote, par la psychologie a préjugé l’histoire ; il a pu, appuyé sur une étude impartiale de l’esprit humain, de sa constitution et de ses lois, assigner d’avance à la pensée toutes les directions sans lesquelles il lui est donné de se tourner, quelque part et à quelque époque que son développement s’accomplisse. Ces directions, il les a réduites à quatre principales : il a trouvé l’ordre de succession de ces tendances dans la vie intellectuelle ; qu’il aborde maintenant l’histoire, tout s’y explique et s’y déroule aisément ; plus rien d’obscur, plus rien d’imprévu. On dira peut-être que c’est-là tourner dans un cercle : entreprendre l’étude du passé pour contrôler un système, et construire tout d’abord sur ce système même qui est en questionna science du passé, destinée à le juger : mais la contradiction n’est qu’apparente. C’est qu’en effet il y a influence réciproque, action et réaction mutuelles, de l’histoire sur la théorie, et de la théorie sur l’histoire. L’histoire n’est qu’un moyen : la théorie est la vraie, la seule fin : mais l’emploi du moyen n’est possible qu’à la condition que la fin soit déjà, au moins en partie et confusément atteinte.

« Le procédé systématique est donc incontestablement dans la pratique d’Aristote : y est-il suffisamment compensé par le procédé expérimental ? Je trouve ce dernier employé avec une rigueur peu commune dans une revue minutieusement complète de toutes les doctrines antérieures ; j’y vois le respect scrupuleux de l’enchaînement naturel des systèmes, dans l’ordre même où le temps les a produits. Ainsi, à côté de la méthode a priori, la méthode a posteriori qui la confirme. Aristote les allie : et dans quelle mesure ? Précisément dans la mesure où doit les tenir unies une saine méthode, également éloignée d’une crainte excessive de l’hypothèse, et d’une présomptueuse confiance dans la hardiesse de ses inductions. Aristote considéré comme historien de la philosophie, p. 24, sqq.




LIVRE DEUXIÈME.




Page 58. Mais l’impossibilité d’une possession complète de la vérité dans son ensemble et dans ses parties, montre tout ce qu’il y a de difficile dans la recherche dont il s’agit.

Nous lisons avec les anciens éditeurs : Τὸ δ’ ὅλον τ’ ἔχειν καὶ μέρος μὴ δύνασθαι, δηλοῖ τὸ χαλεπὸν αὐτῆς, et non pas avec Brandis, p. 35 et Bekker p. 993 : Τὸ δ’ ὅλον τι ἔχειν, ce qui signifierait : « Mais avoir une vue d’ensemble, sans pouvoir connaître toutes les parties, etc. » Avoir une vue d’ensemble sans pouvoir connaître toutes les parties, a quelque chose d’obscur et d’affecté. Il est vrai que l’ancienne leçon n’est pas sans difficultés. Faut-il entendre τὸ δ’ ὅλον τ’ ἔχειν κ. τ. λ. comme s’il y avait τ. δ. ὅ. τ. ἔ. καὶ μέρος μὴ δύνασθαι ἔχειν, auquel cas la leçon reviendrait pour le sens à celle de Brandis et de Bekker ; faut-il n’y voir qu’une simple hyperbate ? Alexandre d’Aphrodisée ne décide pas la question. Schol. p. 590 ; Sepulv. p. 45. Asclépius se jette dans de vagues considérations à propos de μέρος, Schol. p. 591 ; et l’autre scoliaste cité par Brandis (Cod. reg.) s’en tient au doute comme Alexandre, id. ibid. Forcés de choisir, nous avons adopté le sens qui nous a paru le plus naturel, et le mieux d’accord avec tout le passage.

Page 59. Et les praticiens, quand ils considèrent le comment des choses, n’examinent pas la cause pour elle-même, mais en vue d’un but particulier, d’un intérêt présent. Bekker, p. 993 ; Brandis, p. 36 : Καὶ γὰρ ἂν τὸ πῶς ἔχει σκοπῶσιν, οὐ τὸ ἀΐδιον ἀλλὰ πρός τι καὶ νῦν θεωροῦσιν οἱ πρακτικοί.

Le sens que nous avons adopté ici diffère légèrement de celui qu’on peut tirer de la leçon de Brandis et de Bekker. Au lieu de ἀΐδιον, nous lisons avec les anciens éditeurs τὸ αἰτιον καθ’ αὑτό, leçon autorisée aussi par Alexandre, suivie par Bessarion et par Argyropule, que donnent tous les mss. de Bekker à l’exception d’un seul, et qui s’accorde encore mieux que ἀΐδιον avec la définition de la science, liv. I, 1. Quant à la ponctuation de certains éditeurs qui séparent καὶ νῦν θεωρ. du reste de la phrase, ponctuation suivie par le vieux traducteur latin, elle fait dire à Aristote une chose un peu puérile, ce semble : « Même encore aujourd’hui les praticiens, etc. » Pourquoi non ceux d’aujourd’hui comme ceux de tous les temps ?

Page 61. En effet, ceci succède à cela, signifie deux choses ; ou bien une succession simple : Après les jeux Isthmiques, les jeux Olympiens ; ou bien un rapport d’un autre genre : L’homme par l’effet d’un changement vient de l’enfant, l’air de l’eau. Bekker, 994 : Διχῶς γὰρ γίγνεται τόδε ἐκ τοῦδε· ἢ ὡς τόδε λέγεται μετὰ τόδε, οἷον ἐξ Ἰσθμίων Ὀλύμπια, ἢ οὐχ οὕτως, ἀλλ’ ὡς ἐκ παιδὸς ἀνὴρ μεταϐάλλοντος ἢ ὡς ἐξ ὕδατος ἀήρ.

Brandis, p. 37, lit : λέγεται κατὰ τόδε, au lieu de μετὰ τόδε, que donnent les textes imprimés et les manuscrits ; mais cette correction embarrasse le sens qui est fort clair avec μετά. Du reste, c’est à Brandis qu’on doit : ἢ ὡς τὸδε λέγεται… ; les anciens éditeurs donnaient tous : μὴ ὡς τόδε…, ce qui est en contradiction avec la suite, surtout avec cet exemple : Le jour vient de l’aurore. C’est lui encore qui a ajouté : ἢ οὐχ οὕτως ἀλλ’ mots omis par les anciens éditeurs. Ces corrections, autorisées par les mss. et par les anciens commentateurs, complètent la phrase et donnent à ce passage autrefois inextricable, un sens raisonnable et satisfaisant.

Page 65. Aussi quelques-uns la regardent-ils comme indigne d’un homme libre, non-seulement dans la conversation, mais même dans la discussion philosophique. Bekker, p. 995 ; Brandis, p. 39 : ὥστε καθάπερ ἐπὶ τῶν συμϐολαίων, καὶ ἐπὶ τῶν λόγων ἀνελεύθερον εἶναί τισι δοκεῖ.

M. Ravaisson, Essai sur la Met., t. I, p. 130, donne à cette phrase un sens bien différent : « Car il y a là quelque chose qui enchaîne comme un contrat, et où plusieurs regrettent leur liberté. » Mais, καὶ, en relation avec καθάπερ, indique évidemment une comparaison. Il ne peut y avoir de difficulté que sur la signification de ἐπὶ τῶν συμϐολαίων. In symbolis, de l’ancien traducteur latin est une expression trop restreinte, et qui ne représente qu’à moitié celle d’Aristote. Bessarion donne in contactibus, ce qui n’explique rien ; Argyropule, in pactis atque contractibus : mais Aristote parle-t-il réellement des affaires, dans le sens propre du mot ? Hengstenberg restreint encore plus le sens. Pour lui, il s’agit ici de commerce : im Handel und Wandel, Metaph., p. 33. Il nous a semblé que le mot conversation, en regard de discussion philosophique, conservait mieux l’opposition des termes, et conciliait les opinions un peu diverses des commentateurs. Voyez Alex. Schol. p. 602 ; Sepulv. p. 53. Philop. fol. 7, b. Saint Thomas f. 26, etc.




LIVRE TROISIÈME.




Page 78. Il en est de même pour les objets dont traite l’Optique, et pour les rapports mathématiques des sons musicaux. Bekker, p. 997 ; Brandis, p. 47 : Ὁμοίως δὲ καὶ περὶ ὧν ἡ ὀπτικὴ πραγματεύεται καὶ ἡ ἐν τοῖς μαθήμασιν ἁρμονική.

Argyropule traduit : « Similiter et de his est putandum, circa quæ Musica, Mathematica, Perspectiva versatur. » Cette version suppose un texte différent de celui que nous avons. Or, tous les éditeurs, tous les mss. donnent unanimement, la leçon καὶ ἡ ἐν τ. μ. ἁ. D’ailleurs, il vient d’être question tout à l’heure de l’astronomie, c’est-à-dire, d’une portion des mathématiques : ὁμοίως δὲ καί serait bizarre en parlant des mathématiques. Il s’agit, il est vrai, de sciences qui se rattachent aux mathématiques, mais non pas des mathématiques elles-mêmes. Bessarion et le vieux traducteur semblent craindre de se compromettre ; ils s’en tiennent au mot à mot : « In Mathematicis harmonia, » ce qui n’offre absolument aucun sens en latin. Mais Alexandre d’Aphrodisée interprète nettement le passage : « Même raisonnement pour les objets dont traite l’Optique ; pour ceux de l’Harmonie mathématique, c’est-à-dire de la musique ; non pas cette musique qui module des airs sur les cordes de la lyre, et dont les objets sont des objets sensibles ; mais celle qui démontre quelle est la proportion numérique qui constitue chacun des accords : cette science est une science mathématique ; ses objets sont  des objets mathématiques. » Schol. p. 617 ; Sepulv. p. 65.

Page 91.

Alors que la puissante Discorde…

Bekker, p. 1000 ; Brandis, p. 54 :

Ἀλλ᾽ ὅτε δὴ μέγα νεῖκος ἐνὶ μελέεσσιν ἐθρέφθη
Εἰς τιμάς τ᾽ ἀνόρουσε τελειομένοιο χρόνοιο,
Ὅς σφιν ἀμοιϐαῖος πλατέος παρελήλατο ὅρκου.

L’explication de ces vers présente des difficultés. Nous ne nous arrêterons pas aux variantes, αὐτὰρ ἐπεί dans Simplicius pour ἀλλ’ ὅτε δή ; ἐρέφθη qui ne s’entend pas, pour ἐθρέφθη ; ἐς τιμάς, pour εἰς τιμάς, etc. Nous passons à l’interprétation des termes en eux-mêmes. Pour commencer par ἐθρέφθη il nous paraît impossible d’entendre ce mot dans un autre sens que croître, grandir, se fortifier ; nonobstant la glose d’Hésychius θρέψαι, πῆξαι. Sturtz, pour le prouver, accumule les exemples, Empedocl. Agrig. p. 581. C’est démontrer l’évidence. Εἰς τιμὰς ἀνορούειν c’est ce qu’Empédocle dans un autre passage désigne par κρατεῖν, Simplicius, Ad Arist. Phys. l, fol. 8, a :

Ἐν δὲ μέρει κρατέουσι περιπλομένοιο κύκλοιο,

c’est la Discorde qui va triompher de l’Amitié, c’est son empire qui s’apprête, ou, comme dit Empédocle, ses honneurs. Τελειομένοιο χρόνοιο ne signifie pas autre chose, que περιπλ. κύκλ. dans le vers que nous venons de citer, ou περιπλομένων ἐνιαύτων, que l’on rencontre si fréquemment dans les poètes épiques. Virgile emploie aussi une expression tout à fait analogue : Perfecto temporis orbe. Æn. VI, v. 545. Quant à ὅς σφιν, ὅς ne peut se rapporter qu’à χρόν. ; mais, σφίν dépend-il de τιμάς, ou bien se rapporte-t-il à la Discorde et à l’Amitié ? Sturtz pense que ce dernier sens est préférable. Et en effet, ce mot s’applique plutôt aux personnes, et ici l’Amitié et la Discorde sont des personnifications, qu’aux choses proprement dites. D’ailleurs, que ce mot se rapporte ou non à l’Amitié et à la Discorde, le sens reste au fond toujours le même ; ces honneurs entre lesquels le temps se partagerait, ce sont les hommes alternatifs de la Discorde et de l’Amitié.

Maintenant, que signifie ὅρκος πλατύς ? Sturtz renvoie d’abord à un autre passage d’Empédocle :

Ἔστιν ἀνάγκης χρῆμα, θεῶν ψήφισμα παλαιὸν,
Ἀΐδιον, πλατέεσσι κατεσφρηγισμένον ὅρκοις,

où ces mots signifient évidemment comme Sturtz traduit : jusjurandum firmum, scil. sanctum, p. 574. Mais il ajoute ensuite : « Hoc tamen loco verti potest naturœ nécessitas,  ineluctabile fatum. Itaque verba πλ. παρ’ ἐλήλατο (c’est ainsi qu’on doit écrire suivant Sturtz) ὅρκου verto : a naturœ necessitate advectum est, hoc est adductum et destinatum venit. p. 582. » Ce sens nouveau, de ὅρκ. πλ., Sturtz ne l’appuie d’aucun exemple, d’aucune preuve ; c’est une simple hypothèse. Sturtz y a été conduit sans doute par sa manière d’écrire le mot παρελήλατο. En effet, si παρά a pour régime πλ. ὅρκ., le temps qui s’élance d’auprès du serment sacré n’ayant absolument aucun sens, il a bien fallu inventer une signification à πλατέος ὅρκου ; et même nous ne comprenons pas bien que Sturtz écrivant ainsi, ait proposé le premier sens. Bessarion avait traduit avant nous : « Quod eis cum alternum sit, amplum præcessit jusjurandum. » On se rappelle d’ailleurs le raisonnement fameux du Ier liv., ch. 3, p. 15. Le serment, suivant les anciens, était la chose antique et sacrée par excellence. Empédocle ne trouve pas de meilleur moyen de caractériser, l’antiquité du temps, plus grande encore, que cette idée : Il a procédé même le serment.

Nous ne nous arrêterons pas à l’interprétation que le vieux traducteur a donnée de ces vers. Elle est entièrement arbitraire : « Sed itaque magnum odium in membris nutritum est, et ad honorem intendebat perfecto tempore, qui mutabilis (sic) dissolvit sacramentum. »

Page 98. Dans ce cas, en effet, la substance qui auparavant n’était pas, existe maintenant ; celle qui était auparavant, cesse d’exister. N’est-ce pas là pour la substance, une production et une destruction ?

Les anciennes éditions donnaient, d’après la plupart des mss. : Δοκεῖ μὲν γὰρ ἡ οὐσία μὴ οὖσα πρότερον, νῦν εἶναι, ἢ πρότερον οὖσα, ὕστερον μὴ [μετὰ τοῦτο γίγνεσθαι καὶ φθείρεσθαι ταῦτα πάσχειν]. Cette leçon est évidemment défectueuse. Brandis opère un changement considérable et lit d’abord : Δ. μ. γ. ἡ οὐσία ἐὰν μὴ οὖσα πρότερον, ἢ πρότερον οὖσα, ὕστερον μή ᾖ, μετὰ τοῦ γ. κ. φ. τ. π. page 58. Mais il craint d’être allé trop loin, et en effet il y a contradiction dans les termes de la phrase ; il propose en note de lire : πρότερον, νῦν ᾖ, ἤ, ce qui rend le sens beaucoup plus satisfaisant. C’est à cette dernière leçon que s’est arrêté Bekker, p. 1002.

Notre traduction ne s’éloigne pas, au fond, de celle qu’on aurait eue en se conformant au texte de Bekker. Ce n’est pas néanmoins que nous approuvions toutes ces corrections. Nous pensons qu’Aristote avait indiqué seulement le fait, laissant au lecteur le soin de tirer la conséquence : la phrase s’arrêtait à ὕστερον μή ; et l’opposition de la phrase suivante τὰς δὲ στιγμὰς κ. τ. λ. suffisait pour faire comprendre la pensée. Μετὰ τοῦτο γ. κ. φ. τ. π. n’est qu’une glose maladroitement intercalée, et qu’on ne s’est même pas donné la peine de faire concorder grammaticalement avec ce qui précède. Éditeurs, au lieu de tomber dans l’arbitraire, nous eussions retranché cette fin de phrase, ou nous eussions fait comme les anciens éditeurs qui ont mis entre crochets ces mots douteux. Traducteurs, nous avons profité de la glose, pour donner dans toute son étendue l’argument d’Aristote.




LIVRE QUATRIÈME.




Page 106. … l’identité et la similitude, et toutes les choses de ce genre, ainsi que leurs opposés, en un mot, les contraires… Anc. édit. : Λέγω δ’ οἷον περὶ ταὐτοῦ καὶ τοῦ ὁμοίου καὶ τῶν ἄλλων τῶν τοιούτων, καὶ τῶν τούτοις ἀντικειμένων· σχεδὸν δὲ πάντα ἀνάγεται τἀναντία

Bekker p. 1003, et Brandis p. 62, suppriment καὶ τῶν τούτοις ἀντικειμένων. Nous avons suivi l’ancienne leçon, sur la foi des mss. mêmes de Bekker et sur celle des commentateurs ; et aussi parce que ce n’est point assez de dire que la science dont il s’agit étudiera l’identité et la similitude, et les choses de ce genre : ce n’est-là qu’une moitié de son objet ; il faut l’autre moitié ; il faut une expression qui serve de transition pour arriver au principe général des contraires : ἀνάγεται τἀναντία

Page 106. … nous démontrerons dans la revue des contraires que presque tous se ramènent à ce principe… Bekker, p. 1004 ; Brandis, p. 62 : Τεθεωρήσθω δ’ ἡμῖν ταῦτα ἐν τῇ ἐκλογῇ τῶν ἐναντίων.

Deux mss. appuient cette leçon de Brandis et de Bekker, et elle s’accorde parfaitement avec les faits, puisque cette revue des contraires dont parle Aristote se trouve dans les derniers livres de la Métaphysique au Xe, au XIIe et au XIVe. Toutefois elle n’est point authentique. La véritable leçon est τεθεώρηται, quelque étrange que cela puisse paraître d’abord. Le témoignage d’Alexandre d’Aphrodisiée est formel : « Aristote nous renvoie à la revue des contraires, comme s’il avait traité des contraires dans un ouvrage à part. Cette revue se trouve dans le deuxième livre sur le Bien. » Schol. p. 642 ; Sepulv. p. 87. Or, avec la leçon de Brandis et de Bekker, la remarque d’Alexandre ὡς ἰδίᾳ περὶ τούτων πραγματευόμενος, quasi de his privatim disseruerit, porte à faux. On a vu dans l’Introduction, l’origine de ces contradictions apparentes. Néanmoins, pour ne pas arrêter inutilement le lecteur, nous avons mis au futur dans la traduction, ce que la note du bas de la page devait, en tout état de cause, marquer au futur.

Page 110. Admettons qu’ils s’y ramènent en effet. Bekker, p. 1004-5 ; Brandis, p. 65 : Εἰλήφθω γὰρ ἡ ἀναγωγὴ ἡμῖν.

Les anciens éditeurs, ajoutent : ἐν τῷ πρώτῳ περὶ ἀγαθοῦ, mais ils mettent entre crochets ces mots au moins douteux. Le seul manuscrit Τ de Bekker donne, cette leçon. Alexandre, Asclépius et Philopon ne la connaissent pas ; et même ils citent, à propos de la réduction des contraires, non pas le Ier, mais le IIe livre du περὶ ἀγαθοῦ. — « Aristote nous renvoie encore ici ( voyez la note précédente) au deuxième livre du traité sur le Bien : εἰς τὰ ἐν τῷ Β περὶ τ’ Ἀγαθοῦ. » Alex. Schol. p. 648. ; Sepulv. ρ· 92. — Asclépius : εἰς τὰ ἐν τῷ δευτέρῳ περὶ τ’ Ἀγαθοῦ δεδειγμένα. Schol. p. 649. — Philopon : Reducit enim hœc in unum et multa in secundo de Bono. fol. 13, a.

Page 111. … il sera toujours vrai que certaines choses se rapportent à l’unité, que d’autres dérivent de l’unité. Bekker, p. 1005 ; Brandis, p. 65 : …ἀλλὰ τὰ μὲν πρὸς ἓν, τὰ δὲ τῷ ἐφεξῆς.

Voici comment Philopon marque la différence qu’il y a entre les deux expressions dont se sert Aristote : « Differant vero quæ deinceps ab bis quæ ad unum. Cum utræque eorum sint quæ multipliciter dicuntur, quia alia quidem ad unum, quod illius unius aliquid sint, ita dicuntur. Ordinem quemdam habentia ad invicem, ut ad sanitatem, sana. Quæ vero deinceps. Secundum hoc sunt, eorum quae multipliciter dicuntur, quod ipsorum aliud est primum, aliud secundum. Non enim quia dualitas sit, confert quicquam ut sint 3 vel 4, sed e contra, eo quod 3 sint, confert ut 2 sint. Quare in his quae sic multipliciter dicuntur, posteriora perfecta sunt. » fol. 13, a. Cette explication se trouvait déjà dans Alexandre, Schol. p. 648 ; Sepulv. p. 92 ; mais Alexandre ne s’en contente pas. Il ajoute immédiatement, que peut-être ἐφεξῆς n’a pas d’autre sens que ἀφ’ ἑνός, ce qui rentre, remarque-t-il, dans les observations qu’a faites Aristote au commencement du chapitre : Διεῖλε γὰρ οὕτω λεγόμενα πολλαχῶς εἴς τε τὰ ἀφ’ ἑνὸς, καὶ πρὸς ἕν. Forcés de choisir, nous avons préféré cette interprétation, la plus simple, et celle qui se prêtait le mieux à traduction. Du reste nous devons dire qu’Alexandre donne : τὰ δὲ ὡς ἐφεξῆς, et non τῷ ἐφ., variante qui méritait d’être notée par Bekker, et peut-être de prendre la place de la leçon vulgaire.

Page 117. Enfin celui qui accorde que les paroles ont un sens, accorde aussi qu’il y a quelque chose de vrai indépendamment de toute démonstration. De là… Bekker, p. 1006 ; Brandis, p. 68. : Ἔτι δὲ ὁ τοῦτο συγχωρήσας συγκεχώρηκέ τι ἀληθὲς εἶναι χωρὶς ἀποδείξεως· ὥστε οὐκ ἂν πᾶν οὕτως καὶ οὐχ οὕτως ἔχοι.

Cette phrase manque tout entière dans les anciennes éditions et dans les traductions latines, excepté dans celle d’Argyropule revue par Sepulveda. Brandis l’a restituée d’après le texte d’Alexandre, Schol. p. 654 ; Sepulv. p. 98.

Page 121. De sorte qu’il faut bien que ceux dont nous parlons disent que rien n’est marqué du caractère de l’essence et de la substance, mais que tout est accident. Bekker, p. 1007 ; Brandis, p. 71 : Ὥστ’ ἀναγκαῖον αὐτοῖς λέγειν ὅτι οὐθενὸς ἔσται τοιοῦτος λόγος, ἀλλὰ πάντα κατὰ συμϐεϐηκός.

Les anciens éditeurs lisaient : ὥστ’ ἀναγκ. αὐτ. λ. ὅ. ο. ἔ. τ. εἰδικὸς καὶ οὐσιώδης, καὶ ἀεὶ τῷ ὑποκειμένῳ προσηρμοσμένος λόγος… Mais aucun des traducteurs latins n’indique les mots εἰδικὸς καὶ… ; ils ne sont pas davantage mentionnés par les commentateurs anciens : Brandis et Bekker n’y ont vu, et avec raison, qu’une glose de τοιοῦτος λόγος, qu’un rappel de ce qui avait été dit précédemment : Ὅλως δ’ ἀναίρουσιν οἱ τοῦτο λέγοντες οὐσίαν, καὶ τὸ τὶ ἦν εἶναι, « Admettre un tel principe c’est détruire complétement toute substance et toute essence. »

Page 126. Pourquoi, en effet, se mettent-ils en route pour Mégare… Bekker, p. 1008 ; Brandis, p. 75 : Διὰ τί γὰρ βαδίζει Μέγαράδε, ἀλλ’οὐχ

Argyropule traduit ici comme s’il y avait dans le texte : Ἀθήναζε ; d’autres, comme s’il y avait οἴκαδε. Nous ne condamnons pas ces leçons : c’étaient, pour ainsi dire, des variantes à l’usage des Grecs qui n’habitaient pas dans Athènes.

Page 128. … et nous voilà débarrassés de cette doctrine effrontée qui condamnait la pensée à n’avoir pas d’objet déterminé. Bekker, p. 4009 ; Brandis, p. 76 : Καὶ τοῦ λόγου ἀπηλλαγμένοι ἂν εἴημεν τοῦ ἀκράτου

Ἄκρατος signifie proprement, pur, sans mélange. Les sens dérivés reviennent à celui que nous donnons ici : intempéré, excessif, téméraire, etc. Bessarion : intemperata oratione ; le vieux traducteur : incondita oratione ; Hengstenberg, p. 69 : frechen Lehre. Avant nous M. Michelet avait rendu ἄκρατος λόγος par doctrine effrontée. Toutefois, on peut entendre avec M. Ravaisson : « Ainsi nous voilà délivrés de cette doctrine de confusion, qui, etc. » T. I, p. 142. C’est dans ce sens qu’Asclépius paraphrase ἀκράτου : α, dans ce mot, ne marque pas, suivant lui, la privation, mais au contraire l’augmentation ; il s’agit du mélange, de la confusion, portés au plus haut point. Voyez Schol. p. 667.

Page 131.

La pensée est, chez les hommes, en raison de l’impression du moment.

Bekker, p. 1009 ; Brandis, p. 78 :

Πρὸς παρεὸν γὰρ μῆτις ἐναύξεται ἀνθρώποισι.

Nous ne remarquerons pas la leçon ἀέξεται qui était peut-être préférable à ἐναύξ. ; elle ne change rien au sens. L’interprétation de ce vers est donnée par Aristote lui-même non-seulement ici, mais encore dans le De anima, III, 3, Bekker, p. 417 : « Les anciens prétendent que la pensée et la sensation sont la même chose. Telle est l’opinion d’Empédocle quand il dit : Πρὸς παρεὸν… » Nous avons donc dû entendre παρεον dans le sens de état actuel, impression du moment ; πρός marque le rapport nécessaire de la pensée et de l’impression, et ἐναύξ. ou ἀέξεται, non-seulement l’augmentation, mais en général l’état de la pensée à tous ses degrés, depuis le plus faible et le plus imperceptible, depuis la notion la plus vulgaire, jusqu’aux plus sublimes conceptions.

Sturtz, dans son ouvrage sur Empédocle, que nous avons déjà cité, attaque le commentaire même d’Aristote sur le vers du philosophe : « On trouve plusieurs passages chez les anciens, où il est dit qu’Empédocle ne distinguait pas la sensation de la pensée. Mais je ne puis me résoudre à croire que telle ait été son opinion. Je suis d’avis, qu’il ne faut pas entendre autre chose par ce que dit Empédocle, sinon, que l’âme, dès qu’elle est privée du secours des sens, ne peut plus avoir aucune connaissance des objets corporels. » Empedocles Agrigentinus, p. 493. Et plus loin : « Je suis d’un avis tout-à-fait contraire à celui d’Aristote, et je ne comprends pas bien qu’il ait pu inférer des paroles d’Empédocle que ce philosophe confondait la pensée et la sensation. » p. 494. Puis Sturtz remarque, et avec raison, qu’Alexandre est peu explicite sur ce point ; que Simplicius dans son commentaire sur le De anima n’a pas éclairci la question : obscuriuscule dicit ; que Philopon ne dit qu’un mot sur ce passage dans son commentaire sur la Métaphysique ; et, profitant de quelques expressions dubitatives du même commentateur au sujet du même passage dans le De anima, il conclut que les anciens eux-mêmes ont douté de l’exactitude de l’interprétation qu’Aristote a donnée des doctrines d’Empédocle. Enfin il propose lui-même son explication : « Pro præsenti rerum conditione, pro re nata, crescit hominibus prudentia, hoc est, experientia duce homines evadunt sapientiores ac prudentiores. » p. 500.

Ainsi voilà πρὸς παρεὸν γὰρ… réduit à une signification purement morale ; c’est une sentence dans le genre du vers fameux de Solon :

Γηράσκω δ’ αἰεὶ καινὰ διδασκόμενος.

Mais alors Sturtz est tombé en contradiction avec lui-même Michel Néander, dans son Opus aureum, t. I, p. 524, s’exprimait ainsi : « Tam diu discendum est, quam diu nescias, et, si proverbio credimus, quam diu vivas. » L’explication de Sturtz revient tout à fait à la phrase de Néander. Pourquoi donc Sturtz a-t-il dit en parlant de cette dernière : « Cette explication me plairait assez. Mais Empédocle est un Physicien. Il faut en chercher une autre. » p. 495. Du reste on a déjà fait sans doute une remarque qui détruit toutes ces objections. Aristote avait sous les yeux le poème d’Empédocle ; nous n’en avons que quelques vers. Les données nous manquent pour juger par nous-mêmes. Il y aura toujours entre les explications des modernes, quelque ingénieuses, quelque vraisemblables qu’on les imagine, et les explications d’Aristote, quand elles sont claires, positives, catégoriques, la différence de l’hypothèse au fait, de l’apparence à la réalité.

Page 131.

C’est toujours en raison des changements…

Bekker, p. 1009 ; Brandis, p. 78 :

Ὅσσον ἀλλοῖοι μετέφυν, τόσον ἄρ σφισιν αἰεί
Καὶ τὸ φρονεῖν ἀλλοῖα παρίστατο.

Les manuscrite portent : Ὅσον ἀλλοίοις μετέφην, τόσσον… παρίσταται. La correction ὅσσον est incomplète : il faut ajouter κ’ ou γ’, ut legibus consulatur, comme dit Sturtz. Du reste ou peut maintenir ὅσον ; ce sera un vers qui n’est pas cité tout entier, et auquel manque la première syllabe. Τόσον était forcé pour τόσσον. Ἀλλοίοις μετέφην, ne s’entend pas. La plupart des éditeurs lisent μετέην avec ἀλλοίοις, et dans ce cas le sens est le même qu’avec la correction de Brandis et de Bekker. Παρίσταται au lieu de παρίστατο est sans importance.

Sturtz, p. 493 sqq., fait, à propos de ces deux vers, des observations analogues à celles qu’il a présentées sur le précédent : rapprochés par Aristote et dans la Métaphysique et dans la De anima, ils se trouvaient naturellement tous les trois dans les mêmes conditions. Voici l’explication proposée par Sturtz : « Quatenus quiscum aliis hominibus versatur, vel res alias agit, hactenus cuique semper evenit, ut aliter sentiat, hoc est, hominum sententia mutatur pro conversationis vel negotiorum diversitate. » P. 500.

Ici, Sturtz perd plus encore que tout à l’heure le sentiment des doctrines qu’il a exposées lui-même. Le mot ἀλλοῖος a une signification si bien déterminée dans la philosophie ancienne, qu’on ne comprend pas qu’il ait pu lui faire signifier le commerce des hommes entre eux. Si l’on admet d’ailleurs la correction que Sturtz propose un peu plus loin : ἄλλος τις μετ., que devient alors la concordance si naturelle de ἀλλοίοις ou ἀλλοῖοι et de ἀλλοῖα ? Et, dans ce cas, la difficulté reste encore tout entière, sinon pour ἄλλος τις, au moins pour ἀλλοῖα. Comment ἀλλοῖα peut-il désigner le commerce ; de la sociétés et les rapports des hommes entre eux ?

Page 131.

Telle est, pour chaque homme…

Bekker, p. 1009 ; Brandis, p. 78 :

Ὡς γὰρ ἕκαστος ἔχει κρᾶσιν μελέων πολυκάμπτων,
Τὼς νόος ἀνθρώποισι παρίσταται. Τὸ γὰρ αὐτὸ
Ἔστιν ὅπερ φρονέει μελέων φύσις ἀνθρώποισι
Καὶ πᾶσιν καὶ παντί· τὸ γὰρ πλέον ἐστὶ νόημα.

Simon Karsten, afin de rendre la période mieux cadencée (concinnius quia congruit sequenti τὼς νόος…), a lu : ὡς γὰρ ἑκάστῳ ἔχει… Il pouvait ajouter que ἑκάστῳ se trouve dans quelques manuscrits. Le sens reste toujours le même. Karsten donne ensuite πολυπλάγκτων, au lieu de πολυκάμπτων ; correction arbitraire, et au moins inutile, car πολυκάμπτων s’applique également à tous les membres, tandis que πολυπλάγκτων ne peut guère être que l’épithète des jambes, et, quoiqu’en dise Karsten, une épithète banale. Le même critique propose pour καὶ πᾶσιν καὶ παντί, deux sens différents. Il y voit d’abord un pléonasme dans le genre de ὅλῳ καὶ παντί, πᾶν διὰ παντός, et c’est-là le sens qui lui plaît le mieux, car il n’indique l’autre que sous une forme dubitative : nisi forte… Cet autre sens, c’est celui que nous avons adopté. On rencontre fréquemment dans les meilleurs prosateurs, surtout chez Thucydide, πᾶς τις employé pour ἕκαστος. Pourquoi πᾶς n’aurait-il pas, seul, en poésie, et particulièrement en opposition avec πάντες, la même valeur que πᾶς τις en prose ? Quant au premier sens de Karsten, il repose sur une assimilation arbitraire : dans les deux exemples cités, il n’y a pas de pluriel, et par conséquent, pas d’opposition entre les termes.

Τὸ γὰρ πλέον revient, dans les vers de Parménide, à ἐναύξεται ou ἀέξεται dans celui d’Empédocle. Karsten cite ces paroles de Théophraste : Δυοῖν ὄντοιν στοιχείοιν, κατὰ τὸ ὑπέρϐαλλόν ἐστιν ἡ γνῶσις. Ἐὰν γὰρ ὑπεραίρῃ τὸ θερμὸν ἢ τὸ ψυχρὸν ἄλλην γίνεσθαι τὴν διανοίαν. Nous ajouterons qu’Asclépius, Schol. p. 671, donne la même explication que Théophraste : Τὸ γὰρ πλέον νόημα προσγίνεται ἐκ τῆς πλέονος αἰσθήσεως καὶ ἀκριϐεστέρας. Ainsi τὸ πλέον indique aussi le rapport nécessaire, à tous les degrés, de l’état du corps, et de la pensée. Voyez Simon Karsten, Parmenid. Eleat. reliq., p. 126.

Page 132. … il représente Hector délirant par l’effet, de sa blessure, étendu, la raison bouleversée. Bekker, p. 1009 ; Brandis, p. 78 : Ἐποίησε τὸν Ἕκτορα, ὡς ἐξέστη ὑπὸ τῆς πληγῆς, κεῖσθαι ἀλλοφρονέοντα.

Le vers d’Homère auquel Aristote semble faire allusion n’existe pas dans l’Iliade. Hector est blessé par Ajax Ξ, XIV, 412. Ses amis l’emportent loin du champ de bataille. Leurs soins le rappellent à la vie, puis il s’évanouit dans leurs bras, V. 438-39 :

… Τὼ δέ οἱ ὄσσε
Νὺξ ἐκάλυψε μέλαινα.

Plus loin on lit, Ο, XV, 9 :

Ἕκτορα δ’ ἐν πεδίῳ ἴδε κείμενον.

Mais le mot ἀλλοφρονέοντα se trouve nulle part dans tout ce passage. Aristote l’a pourtant emprunté à Homère. La forme ionienne et poétique indique assez son origine. D’ailleurs, s’il n’en était pas ainsi, l’opinion dont parle Aristote n’aurait aucune portée, aucun sens. Homère emploie une seule fois ce mot dans l’Iliade ; il s’agit d’Euryale étourdi du coup dont il a été frappé par Epéus. Ψ, XXIII, 698 :

Κὰδ δ’ ἀλλοφρονέοντα μετά σφισιν εἷσαν ἄγοντες.

Il est probable qu’Aristote aura cité de mémoire, qu’il se sera trompé de nom, qu’il aura mis Hector là où il fallait écrire Euryale. Ces sortes d’erreurs ne sont pas sans exemple chez les anciens. Tel vers que Platon attribue à Sophocle est un vers d’Euripide, et réciproquement. Le mot κεῖσθαι qu’Aristote place à côté de ἀλλοφρ., serait alors un souvenir du vers que nous avons cité :

Ἕκτορα δ’ ἐν πεδίῳ ἴδε κείμενον.

On s’étonnera sans doute que ni Alexandre, ni Asclépius, ni Philopon ne se soient aperçu de l’erreur, que personne encore ne l’ait notée. Mais les commentateurs des philosophes lisent peu ou lisent mal les poètes. Il faut dire aussi que les commentateurs des poètes sont médiocrement curieux de philosophie. Eustathe ignore et la citation d’Aristote, et sa digression sur ἀλλοφρονέοντα. À deux fois différentes Eustathe disserte longuement sur cette expression, car elle se trouve aussi une fois dans l’Odyssée : ἀλλ’ ἥμην ἀλλοφρονέων, Κ, X, 374, et il ne fait aucune mention du passage de la Métaphysique. Quant à l’hypothèse de la disparition d’un vers du texte de l’Iliade, on ne saurait la soutenir. Tout nous prouve que le texte d’Homère n’a pas changé depuis le temps des Pisistratides. Aristophane, Aristarque eux-mêmes n’ont rien retranché ; ils ont seulement noté les vers dont l’authenticité leur paraissait douteuse. Or, ce n’est que dans ces travaux de révision qu’un vers aurait pu disparaître.




LIVRE CINQUIÈME.




Page 149. La cause finale est dans le même cas, car le bon et le beau sont pour beaucoup d’êtres et principes de connaissance, et principes de mouvement. Bekker, p. 1013 ; Brandis, p. 87 : Πολλῶν γὰρ καὶ τοῦ γνῶναι καὶ τῆς κινήσεως ἀρχή τἀγαθὸν καὶ τὸ καλόν.

La leçon vulgaire καὶ τὸ κακόν a pour elle l’autorité des manuscrits et celle de Philopon, fol. 17. a ; les traducteurs latins l’ont adoptée, et Alexandre la note, toutefois sans s’y arrêter, Schol., p. 689 ; Sepulv., p. 127. Celle de Brandis et de Bekker nous a paru préférable, parce que du temps d’Alexandre d’Aphrodisée, elle était la leçon vulgaire. Alexandre remarque en effet, que dans certains exemplaires on lit : Le bien et le mal sont pour beaucoup d’êtres… (ubi supr.) ; διὸ ἕν τισι γράφεται, n’indique évidemment que le petit nombre de manuscrits. Et cette leçon est mieux d’accord avec ce principe auquel revient sans cesse Aristote : La cause finale est le bien : et avec l’esprit du XIIe livre, où le souverain bien est posé comme l’objet désirable, intelligible par excellence. Aristote dit quelquefois, que le bien qu’on a en vue peut n’être qu’un bien apparent, V, 2 ; mais pour nous il est toujours un bien, et pour nous c’est toujours un bien qui est le but de toute action, de toute connaissance. Voyez Ethic, Nicom., I, 1, sq. ; Bekker, p. 1094, sq.

Page 152. La cause proprement dite est ou particulière ou générale ; la cause accidentelle est aussi ou particulière ou générale ; les unes et les autres peuvent être ou combinées ou simples. Enfin, toutes ces causes sont ou en acte, ou en puissance. Bekker, p. 1014 ; Brandis, p. 90 : Ἢ γὰρ ὡς τὸ καθ’ ἕκαστον, ἢ ὡς τὸ γένος αὐτοῦ, ἢ ὡς τὸ συμϐεϐηκὸς, ἢ ὡς τὸ γένος τοῦ συμϐεϐηκότος, ἢ ὡς συμπλεκόμενα ταῦτα, ἢ ἁπλῶς λεγόμενα· ἔτι ὡς ἐνεργοῦντα ἢ κατὰ δύναμιν..

On lit dans les anciennes éditions : …ἢ ὡς συμπ. τ., ἢ κατὰ δύν., ἢ ἁπλῶς λεγ., ἔτι ὡς ἐνεργ. Cette interversion détruit entièrement l’ordre établi pair Aristote ; au lieu de six espèces de causes, il y en a huit, et elles ne sont plus opposées deux à deux. Aussi tous les traducteurs latins ont-ils remis les termes à leur place. Du Val approuve ce qu’ils ont fait : « Bess. transpositis vocibus [sic melius legit… alii vett. interpp. non longe ab hac emend… » Toutefois il conserve l’ancienne leçon, probablement par respect pour les mss. Mais Alexandre ne laisse aucun doute sur la question, et Philopon énumère les modes de la cause dans leur ordre rationnel. Alex. Schol., p. 692 ; Sepulv., p. 129. Philop., fol.18, a.

Page 154. Ce sont les syllogismes premiers, composés de trois termes dont l’un sert de moyen. Bekker, p. 1014 ; Brandis, p. 91 : Εἰσὶ δὲ τοιοῦτοι συλλογισμοὶ οἱ πρῶτοι ἐκ τῶν τριῶν δι’ ἑνὸς μέσου.

«…Illæ enim demonstrationes, quæ existunt in tribus terminis tantum, dicuntur esse aliorum elementa. Nam ex his componuntur aliœ demonstrationes, et in ea resolvuntur. Quod sic patet. Secunda enim demonstratio accipit pro principio conclusionem primæ demonstrationis, inter cujus terminos intelligitur medium quod fuit primae demonstrationis principium. Et sic secunda demonstratio erit ex quatuor terminis, prima ex tribus tantum. Tertia vero et quinque. Quarta ex sex. Et sic quœlibet demonstratio unum terminum addit. In quo manifestum est demonstrationes primas in postremis includi, ut si… » St. Thomas, fol. 59, a, b. Voyez d’ailleurs Alexandre, Schol., p. 693 ; Sepulv., p. 131 ; Philopon, fol. 18, a.

Page 156.

… qu’aucun être n’a réellement une nature,
Mais que le mélange, et la séparation…

Bekker, p. 1015 ; Brandis, p. 92 :

… φύσις οὐθενός ἐστιν ἐόντων
Ἀλλὰ μόνον μίξις τε διάλλαξίς τε μιγέντων
Ἐστὶ, φύσις δ’ ἐπὶ τοῖς ὀνομάζεται ἀνθρώποισι.

La leçon vulgaire φύσις οὐθενός ἐστιν ὄντων, qui du reste ne change rien au sens, nous paraîtrait préférable à celle de Brandis et de Bekker. Plutarque, Plac. philos. I, 30, cite le passage d’Empédocle comme il suit :

Ἄλλο δέ τοι ἐρέω· φύσις οὐδενός ἐστιν ἁπάντων
Θνητῶν, οὐδέ τις οὐλομένου θανάτοιο τελευτὴ,
Ἀλλὰ μόνον μίξις…

Ce vers θνητών οὐδέ τις…, et surtout le mot ἁπάντων, sans parler de l’orthographe οὐθενός adoptée par Aristote, prouvent qu’Aristote n’a pas prétendu citer textuellement Empédocle, sinon, à partir de ἀλλὰ μόνον. Ces vers appartenaient, suivant Plutarque, au premier livre du poème d’Empédocle : ἐν τῷ πρώτῳ φυσικῷ.

Page 162. Il y a homogénéité, quand on ne peut marquer dans le sujet aucune division sous le rapport de la qualité. Et le sujet, ce sera, ou bien le sujet immédiat, ou bien les derniers éléments auxquels on puisse le rapporter. Bekker, p. 1016 : Brandis, p. 95 : Ἀδιάφορα δὲ ὧν ἀδιαίρετον τὸ εἶδος κατὰ τὴν αἴσθησιν· τὸ δ’ὑποκείμενον ἢ τὸ πρῶτον ἢ τὸ τελευταῖον πρὸς τὸ τέλος.

Nous avons suivi les indications d’Alexandre, Schol., p.697, Sepulv., p. 135, et de Philopon, fol. 18, b, et 19, a et nous avons tâché de donner un peu plus de précision aux termes vagues dont se sert Aristote. Κατὰ τὴν αἴσθησιν, désigne non pas toute espèce d’indivisibilité en parties perceptibles aux sens, mais seulement, si l’on nous passe le mot, l’indivisibilité qualitative. Dans les deux exemples allégués plus bas par Aristote, le sujet est essentiellement divisible sous le rapport de la quantité : il s’agit dans un cas, de liquides particuliers, dans l’autre, des liquides en général. Sur πρῶτον et τελευταῖον, nous citerons les paroles mêmes d’Alexandre : … πρῶτον μὲν ὑποκείμενον λέγων τὸ προσεχῶς ὑποκείμενον, οἷον εἰ οἶνός ἐστιν… ὧν δὲ τὸ ἔσχατον ὑποκείμενον, ταῦτα ἓν, οὐ τῷ αὐτὰ μή εἶναι ἀδιάφορα αἰσθητὰ ἀλλήλων, ἀλλὰ τῷ ἐξ ἑνός τινος ἐσχάτου αἰσθητοῦ καὶ ἀδιαιρέτου κατ’ εἶδος σώματος γεγονέναι αὐτά. Enfin les mots πρὸς τὸ τέλος n’ont été ajoutés par Aristote que pour insister davantage sur la signification de τελευταίων. De quelque manière qu’on entende ces mots, et Alexandre fait là-dessus deux hypothèses, Aristote veut toujours indiquer le dernier terme auquel aboutit la réduction d’un sujet à un autre sujet, c’est-à-dire le sujet irréductible, qui ne dépend plus d’aucun autre et dont tous les autres dépendent, celui que nous appellerions le sujet premier.

Page 165. Et, si l’on prend l’ordre inverse, ce qui peut être divisé en trois sens de tous les côtés est un corps. Τὸ δὲ πάντῃ τρίχῃ διαιρετὸν, σῶμα.

Brandis, p. 97, et Bekker, p. 1016, retranchent ce membre de phrase. Avant eux plusieurs traducteurs latins, et non pas Bessarion seulement comme le prétend Du Val. avaient omis ces mots. C’est que ces mots, placés comme ils sont dans les manuscrits, et dans les textes imprimés, détruisent l’ordre annoncé par ἀντιστρέψαντι δέ. il faut qu’il y ait, pour conserver la suite des idées : Ἀντιστρ. δὲ τὸ μὲν πάντῃ τρ. διαιρ. σ. τὸ δὲ δίχῃ διαιρετὸν ἐπίπεδον. Τὸ δὲ μονάχῃ γραμμή…, et c’est l’ordre que nous avons suivi dans la traduction. On nous pardonnera une légère interversion, qui conserve un membre de phrase utile au développement complet de la pensée, évidemment annoncé par ἀντιστρ., puisqu’il est dans l’énumération qui précède, et donné par la plupart des manuscrits.

Page 167. De même encore on ne dit que le non-blanc est, que parce que l’objet dont il est l’accident, est lui-même. Bekker, p. 1017 ; Brandis, p. 98 : Οὕτω δὲ λέγεται καὶ τὸ μὴ λευκὸν εἶναι, ὅτι ὧ συμϐέϐηκεν, ἐκεῖνό ἐστιν.

Les anciens éditeurs donnaient τὸ λευκόν, ce qui n’est qu’une répétition oiseuse des exemples précédents. C’est Brandis qui a restitué la négation, sur l’autorité d’Alexandre et celle d’Asclépius. Il n’a pas publié le passage d’Asclépius, mais on peut consulter Alexandre, Schol., p. 700 ; Sepulv., p. 138. D’ailleurs, la suite logique des idées, l’exemple qui vient un peu plus loin : ἔστι Σωκράτης οὐ λευκός, enfin de passage du liv. XII, 1 : …τὸ οὐ λευκὸν καὶ τὸ οὐκ εὐθύ. Λέγομεν γοῦν καὶ ταῦτα εἶναι, οἷον…, tout en un mot justifie la correction de Brandis.

Page 177. Pouvoir ou Puissance s’entend du principe du mouvement ou du changement placé dans un autre être, ou dans le même être, mais en tant qu’autre.

Les anciens éditeurs ont lu : Δύναμις λέγεται, ἡ μὲν ἀρχὴ κινήσεως ἢ μεταϐολῆς ἡ ἐν ἑτέρῳ, ἢ ᾗ ἕτερον. Brandis, p. 104 : … μεταϐ. ἡ ἐν ἑτέρῳ ᾗ ἕτερον. Bekker, p. 1019 : … μεταϐ. ἡ ἐν ἑτέρῳ ᾗ ἕτερον, οἷον…

Ces trois leçons ont au fond le même sens. Avec la leçon vulgaire, il faut nécessairement sous-entendre αὐτῷ, et alors c’est renoncé des deux cas distingués par Aristote, et la phrase est régulière. La seconde leçon présente une anacoluthe ; ἐν ἑτέρῳ ᾗ ἕτερον est le premier nombre d’une opposition, et n’a pas de correspondant grammatical. Mais, logiquement, le second membre de l’opposition se trouve dans cette phrase : ἀλλ’ἡ ἰατρικὴ δύναμις οὖσα ὑπάρχοι ἂν ἐν τῷ ἰατρευομένῳ ; et ce second membre, si on l’exprime, c’est ce que nous avons écrit : « ou bien dans le même être, mais en tant qu’autre. » La leçon de Bekker revient à celle de Brandis. Mais alors il y a ellipse seulement, et non plus anacoluthe ; le deuxième cas est sous-entendu, mais la phrase est régulière grammaticalement.

Page 189. Parfait en soi s’entend donc alors, ou de ce à quoi il ne manque rien de ce qui constitue le bien, de ce qui n’est point surpassé dans son genre propre, ou de ce qui n’a en dehors de soi absolument aucune partie. Anc. édit. : Τὰ μὲν οὖν καθ’ αὑτὰ λεγόμενα τέλεια, τοσαυταχῶς λέγεται, τὰ μὲν τῷ κατὰ τὸ εὖ μηδὲν ἐλλείπειν μηδ’ ἔχειν ὑπερϐολὴν ἐν ἑκάστῳ γένει, μηδ’ εἶναί τι ἔξω..

Brandis, p. 111, et Bekker, p. 1021, lisent : … ἔχειν ὑπερϐολὴν μηδὲ ἔξω τι λαϐεῖν· τὰ δ’ ὅλως κατὰ τὸ μὴ ἔχειν ὑπερϐολὴν ἐν ἑκάστῳ γένει μηδ’ εἶναί τι ἔξω.. Nous n’avons pas osé intercaler dans la phrase le cas de la privation indiqué par κατὰ τὸ μὴ ἔχειν, malgré l’autorité des savants éditeurs, et bien que ce ne soit pas là une correction arbitraire, puisque cette leçon est autorisée par quelques manuscrits, et qu’on la trouve dans la traduction latine d’Argyropule. Nous avons craint qu’il n’y eût une contradiction à appeler parfait en soi, la négation de la perfection et du bien, après qu’Aristote venait à deux reprises différentes d’appeler parfait par métaphore le vice et les imperfections : Οὕτω δὲ μεταφέροντες καὶ ἐπὶ τῶν κακῶν λέγομεν… Καὶ ἐπὶ τὰ φαῦλα μεταφέροντες, λέγομεν




LIVRE SIXIÈME.




À partir de ce livre, le commentaire d’Alexandre d’Aphrodisée nous fait défaut, si l’on doit en croire Brandis. Ce qu’on regarde comme l’ouvrage de ce critique, ne serait désormais qu’un écrit apocryphe, composé par quelque scoliaste d’une époque postérieure. Brandis n’attache plus à ce commentaire la même importance qu’auparavant ; il n’en donne plus que des extraits, comme il fait encore pour Asclépius et les autres scoliastes : seulement ces extraits sont plus suivis et plus nombreux. Il met toutefois les extraits sous le nom d’Alexandre, dans l’incertitude où il est sur le nom du véritable auteur[1].

« Ad libros sqq. Metaphysicorum non integros dedi Alexandri, qui feruntur, commentarios, sed scholia tantum ex iis excerpta, cura mihi dubium non sit falso eos Aphrodisiensis nomen præ se ferre, sive Michaelis Ephesii sunt, quemadmodum Cod. Reg. Par. 1876 autumat (Μιχαὴλ τοῦ Ἐφεσίου σχόλια εἰς τὸ εʹ τῶν Μετὰ τὰ Φυσικὰ Ἀριστοτέλους), si ve alius cujusdam similis notæ scholiastæ. Ad scholia quæ nihilommus Alexandri nomine more solito insignivi, codd. Reg. 1876 et Monac. excussi, cod. Vat. Bibl. Reg. Christ. 109 et Coislin. 161 inspexi. Scholia reliqua, Asclepii al., e codd. petivi ad calcem libri primi laudatis. » Schol. in Arist., p. 734. (Voyez plus haut, p. 223.)

M. Ravaisson va plus loin que Brandis. Il pense que le commentaire en question est de Michel d’Éphèse, « Le commentaire de Michel d’Éphèse sur les livres VI-XIV se trouve dans un grand nombre de manuscrits, à la suite de celui d’Alexandre d’Aphrodisée sur tes cinq premiers livres ; dans quelques-uns il n’en est pas distingué ; dans d’autres il porte ce titre : Σχόλια Μιχαήλου Ἐφεσίου εἰς τῶν μετὰ τὰ φυσικὰ εʹ. Déjà Sepulveda qui a traduit le tout en latin sous le nom d’Alexandre d’Aphrodisée, avoue que ce nom manque, à partir du VIe livre, dans un grand nombre de manuscrits. De plus nous trouvons dans un autre commentaire de Michel d’Éphèse (in libr. de Respirat. ex vers. lat. 1552, in-fo.) fo 44, a : « Scripsi etiam nonnihil super sextum usque ad decimum tertium (lege quartum ) transnaturalium (id est metaphysicorum). D’ailleurs il suffit de jeter les yeux sur ces scolies pour voir combien elles sont inférieures au commentaire sur les cinq premiers livres auquel on les associe, et peu dignes d’Alexandre d’Aphrodisée. » Essai sur la Métaphysique, t. I, p. 65.

La question de l’authenticité des derniers, livres du commentaire attribué à Alexandre, a été discutée et savamment approfondie, il y a plus de trois siècles, par le traducteur du commentaire, édit. de Venise, p. 170, 171. Nous allons mettre sous les yeux du lecteur ce morceau mal connu, et dont les critiques modernes ne paraissent pas avoir tenu assez de compte.


À CLÉMENT VII, SOUVERAIN PONTIFE.

PRÉFACE

DE JEAN GINÈS SEPULVEDA,

Sur le commentaire des derniers livres de la philosophie d’Aristote.

« .... On vous remerciait en ma personne de ce que bientôt cette éclatante lumière philosophique allait éclairer le monde latin (latinos homines) ; on excitait un zèle qui ne devait point être stérile : mais l’on disait que c’était une chose bien triste, après la perte à peu près complète des autres commentaires d’Alexandre, de ne posséder même pas en entier le commentaire sur la Philosophie première. C’est-là ce que me marquaient les lettres de mes amis de l’Académie de Bologne, du Gymnase de Padoue ; c’est-là ce que tous les gens instruits de Rome ne cessaient de me répéter[2]. Il était difficile de ne pas se troubler à ce concert unanime ; et pourtant, je le déclare, ce n’était point assez pour me convaincre. Je restais dans le doute, parce que toutes ces assertions n’étaient pas accompagnées des preuves à l’appui ; et aussi, parce que j’ai vu paraître de mon temps une foule de prétendus Aristarques, qui, cherchant à faire du nouveau, sont moins génés pour décider sur tout un livre de philosophie, après la lecture d’une page ou deux, qu’Aristarque lui-même pour décider sur un vers d’Homère, et dont les assertions téméraires, acceptées comme vraies par le vulgaire ignorant, gagnent les gens instruits, et ne peuvent être enfin repoussées qu’à l’aide d’arguments décisifs.

« Il y a quatre moyens de déterminer l’authenticité d’un commentaire philosophique ; à savoir, par l’ancienneté des titres, par le caractère du style, par la concordance des doctrines, enfin par les preuves historiques. Or, toutes ces raisons établissent que l’ouvrage est d’Alexandre d’Aphrodisée ; toutes sans exception, et telle est sur ce point ma certitude que je puis assez admirer la témérité, ou, si l’on veut une autre expression, la légèreté (levitas) de celui qui osa si effrontément (tam impudenter) propager une opinion si extravagante (tam fatuum commentum).

« En effet, sans rien préjuger des titres des manuscrits que je n’ai pas consultés, sans prétendre qu’on n’a rien de bien avéré à nous en dire, ce que je puis affirmer, c’est que les quatre manuscrits les plus anciens, ceux dont j’ai suivi le texte dans ma traduction, portent tous tes quatre, au titre, le nom d’Alexandre, et que, de ce côté, rien absolument ne peut faire soupçonner que l’ouvrage soit de la main de divers commentateurs. En supposant qu’il y eût eu deux auteurs ou un plus grand nombre, je ne vois pas pourquoi les copistes auraient omis ces noms dans ce commentaire, plutôt que dans celui data Morale à Nicomaque. Le commentaire de la Morale, est pour la plus grande part l’ouvrage d’Eustrate ; néanmoins les parties composées par Aspasius et par Michel d’Ephèse, portent chacune un titre distinct, et sont marquées du nom de leur auteur.

« Quant, au caractère du style, à la diction, il y a une telle ressemblance entre les deux parties du commentaire dont il s’agit, que deux gouttes de lait ne se ressemblent pas davantage (ut lac non sit lacti similius). Que dirai-je du rapport des doctrines ? Non-seulement il y a un accord parfait entre les deux parties, mais même un certain nombre d’opinions propre à Alexandre, qui sont citées par Averroès et les autres Péripatéticiens, et qui se montrent dans ses autres ouvrage se rencontrent surtout dans les livres contestés.

« J’arrive aux preuves historiques. Le moyen de démontrer la fausseté du titre, c’était de faire voir qu’on trouvait dans les livres contestés le nom de quelque auteur postérieur à Alexandre, et particulièrement, qu’Alexandre y était cité. Alexandre vécut sous le règne d’Antonin et sous celui de Sévère ; et l’on sait qu’à partir de cette époque il n’est aucun commentateur des écrits philosophiques d’Aristote qui n’ait sans cesse à la bouche le nom d’Alexandre, soit pour confirmer ses opinions par le témoignage de ce philosophe, soit pour se glorifier d’avoir découvert quelque chose qui avait échappé à la sagacité d’un tel critique. Ce qu’allèguent à chaque instant Michel d’Ephèse, Jean Philopon, Simplicius, Ammonius, c’est l’opinion d’Alexandre. Et certes, c’était ici ou jamais, le lieu de citer Alexandre, soit pour invoquer son autorité, soit pour le réfuter, si l’on ne partageait pas ses idées, car les derniers livres de la Métaphysique contiennent en somme, si je puis dire, tous les points les plus importants de la doctrine péripatéticienne. Or, dans tout l’ouvrage, il n’est pas une seule fois fait mention de l’opinion d’Alexandre. On ne saurait donc rapporter la composition du commentaire à quelque Grec des temps postérieurs : il faudrait qu’il eût ignoré les ouvrages d’Alexandre. On ne peut pas davantage en faire honneur à un écrivain plus ancien, cela est évident, puisque dans le sixième livre[3] l’auteur nomme Alexandre d’Aphrodisée le philosophe, c’est-à-dire se nomme lui-même. C’est-là sans doute, c’est ce nom, je le pense du moine, qui a été la cause de l’erreur que nous combattons. Ainsi, quelque Grec à la tête légère (Græculum quempiam leviculum) qui copiait cet ouvrage sans en comprendre, peut-être, ni le sens ni les doctrines, se sera aperçu que souvent, dans cette partie aujourd’hui contestée ; on rencontrait le nom d’Alexandre, et que le sixième livre faisait particulièrement mention d’Alexandre d’Aphrodisée le philosophe ; et sans examiner ce que signifiaient ces mots, cet homme en aura tiré la conclusion que tout le reste de l’ouvrage n’était pas d’Alexandre, et aura proclamé comme une vérité que cette partie n’était point authentique. Or, quiconque sans un propos délibéré de se refuser obstinément à l’évidence, examinera ces mots, et saura ce qu’ils veulent dire, ne conservera pas le moindre doute à ce sujet…

« Quand un point de doctrine présente quelque obscurité, les Péripatéticiens prennent ordinairement pour exemple le nom de quelque philosophe connu. S’agit-il de l’individu, de ses parties, ils diront : Socrate, Platon, ou : la matière, la forme de Socrate, la matière, la forme de Platon. Ce sont là les exemples familiers des autres commentateurs ; les expressions d’Alexandre sont souvent : moi, et Alexandre. Ainsi, il dit : ma forme, ma matière, et dans d’autres cas analogues : la matière d’Alexandre, la forme d’Alexandre. Il atteste donc qu’il est lui-même Alexandre. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, pour qu’on sache bien quel est cet Alexandre, il énumère ses qualités dans le sixième livre : blanc, maigre, philosophe, d’Aphrodisée, et immédiatement après, revient aux expressions moi et mon. Ajoutez que dans tout le cours de ce long ouvrage il n’est fait mention d’aucun des commentateurs d’Aristote à l’exception d’Aapasius, et de Sosigène qui fut le maître d’Alexandre d’Aphrodisée. Aspasius est cité dans les deux parties du commentaire, Sosigène seulement dans la seconde où Alexandre le nomme son maître. Si l’on insiste, si l’on prétend que dans quelques passages la dernière partie du commentaire laisse à désirer, je demanderai s’il existe un seul ouvrage parfait. Aucun, répondra-t-on sans nul doute. Hé bien, n’allons pas exiger de la nature humaine une puissance toute divine, et contentons-nous de ce que dans cette dernière partie, ainsi que partout, Alexandre est resté infiniment au-dessus de tous les commentateurs grecs et latins.

« Ces preuves rendent si manifeste l’erreur de nos adversaires, qu’on ne saurait se refuser à leur évidence ; ce serait ne pas voir luire le soleil en plein midi… »

Après une étude longue, attentive, et, nous ne craignons pas de le dire, approfondie, du commentaire entier dans son ensemble et dans ses moindres détails, nous nous arrêtons à l’opinion de Sepulveda. Il n’y a aucun motif intrinsèque de contester l’authenticité d’une partie de ce commentaire, et la fin est, de même que le commencement, digne d’Alexandre d’Aphrodisée. Quant aux raisons extérieures alléguées par. M. Ravaisson, elles ne nous ont point semblé concluantes. Voici quelques observations qui sans doute se seront déjà présentées d’elles-mêmes à l’esprit du lecteur.

1o Un seul manuscrit, le manuscrit 1876, porte, suivant l’éditeur du texte d’Alexandre, le titre qui attribue à Michel d’Éphèse lesseolies sur les livres VI-XIV.

2o Ce titre, M. Ravaisson le donne assez différent de celui de Brandis. D’où vient la différence ?

3o Brandis ne songe à tirer aucune conséquence positive de ce titre : ce titre, en effet, n’aurait quelque importance que dans le cas où les autres manuscrits seraient anonymes ; or, ils portent tous un nom, et le même nom.

4o Sepulveda n’a pas traduit tout le commentaire sur les livres VI-XIV ; il n’en connaissait ni le XIIIe ni le XIVe.

5o On a vu dans la dissertation de Sepulveda, que le nom d’Alexandre ne manque dans aucun des manuscrits qu’il avait sous les yeux. Le traducteur d’Alexandre n’établit aucune distinction dans le genre de celle qu’on lui attribue.

6o L’expression de Michel d’Ephèse : Scripsi etiam nonnihil (nous supposons exacte cette version), ne s’applique guère, ce semble, à un ouvrage aussi considérable que le commentaire dont il s’agit.

7o Enfin la citation Scripsi etiam… prouve contre la conclusion qu’on en tire ; elle montre clairement que nous n’avons pas le commentaire de Michel d’Ephèse sur la seconde moitié de la Métaphysique. La partie contestée des scolies, ce sont les livres VI-XIV. Or, les expressions supersextum usque ad decimum tertium désignent les livres VII-XIV. Les commentateurs grecs ne comptent pas l’ἄλφα ἔλαττον, et la note de M. Ravaisson, lege quartum, au sujet de decimum tertium exige impérieusement pour sextum : lege septimum. Michel d’Ephèse n’a donc pas écrit de commentaire sur le VIe livre de la Métaphysique. Et pourtant nous avons un commentaire sur le VIe livre ; et cet ouvrage est évidemment de la même main que les scolies des livres qui suivent, de l’aveu même du critique que nous combattons. Donc on ne saurait attribuer à Michel d’Ephèse le commentaire sur les livres VI-XIV ; et la démonstration de Sepulveda subsiste dans toute sa force.


FIN DU TOME PREMIER.
  1. Dans son livre : De perditis Arist., etc., il appelait l’auteur Pseudo-Alexander.
  2. C’est pendant son séjour en Italie que Sepulveda a fait sa traduction.
  3. Le septième, d’après la manière de compter des Latins, « Cum enim Alexander sit gracilis, philosophus, albus, Aphrodisieus illud gracile, et philosoplium, et album, etc. » Alex. Sepulv., p. 214.