La Normandie romanesque et merveilleuse/Préface

La bibliothèque libre.
J. Techener & A. Le Brument (p. i-viii).

À M. ANDRÉ POTTIER,
CONSERVATEUR
DE LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE DE ROUEN.


C’est à vous, Maître, qui dispensez à tous, avec tant de libéralité, vos fécondes lumières et votre bienveillante assistance, c’est à vous qu’appartient la Dédicace de ce modeste Ouvrage, entrepris d’après vos conseils, accompli sous votre direction. Si quelque succès doit récompenser mes efforts, avant tout il sera le vôtre : qu’il vous revienne tout entier. À vos soins assidus d’autres eussent sans doute répondu par plus de talent, nul n’eût répondu par plus de reconnaissance.


Amélie BOSQUET.

Depuis que la curiosité et le goût du public se sont dirigés vers l’histoire particulière des provinces ; depuis que l’on a compris qu’il y avait là, concernant les hommes et les choses, une mine d’observations et de connaissances nouvelles à exploiter, la vogue s’est emparée surtout des ouvrages qui se rattachent à la Normandie et à la Bretagne, deux provinces qui, en dépit des divisions administratives, semblent former encore, chacune à part, un tout homogène. Cette faveur était méritée sans doute, car, s’il doit se trouver, dans quelques-unes de nos annales locales, des faits mémorables, des personnages imposants, des incidents singuliers et poétiques, c’est surtout dans l’histoire des provinces dont la nationalité énergique a résisté à tous les changements, à toutes les révolutions qu’amènent la marche des événements et le cours des siècles. Dans la persuasion où nous étions donc que, cette fois ; la prédilection du public était déterminée par des motifs sérieux, et qui devaient en assurer la continuité, nous avons tenté, d’après l’avis et les inspirations d’un guide en qui nous avons toute confiance, de concourir, par une œuvre modeste, à ces laborieuses et patriotiques études, entreprises de toutes parts autour de nous. Le but proposé à nos efforts était de rassembler et de décrire ces antiques et persévérantes traditions qui sont une des richesses les plus poétiques de notre province. Ce sujet n’avait été traité jusqu’alors qu’accidentellement et d’une manière tout épisodique ; la recherche des faits véritables et le dépouillement des archives historiques ayant suffi pour absorber les préoccupations de nos savants compatriotes.

Cependant, la matière qui s’offrait à notre étude était si vaste, qu’il eût fallu des labeurs de Bénédictin pour l’épuiser. En effet, si nous nous fussions mise en peine de recueillir tous les récits traditionnels qui ont cours dans nos campagnes, chaque village eût pu nous fournir assez de documents pour remplir un volume. Aussi n’était-ce pas de cette manière que nous devions chercher à compléter notre œuvre ; mais, comme ces innombrables historiettes ne sont, en définitive, que des variantes, plus ou moins piquantes, de certains thêmes superstitieux faciles à développer, nous avons pu nous contenter d’exposer au lecteur ces données fondamentales, en y ajoutant d’assez nombreux spécimens des fabuleux récits qui s’y rattachent, pour que l’idée dominante en soit aisément appréciée. Toutefois, comme notre ouvrage admet plusieurs divisions indépendantes les unes des autres, il est peut-être à propos d’expliquer ici en quoi consistent ces différentes parties, afin que nos lecteurs puissent se former, dès l’abord, une idée exacte du développement de notre sujet.

Les trois premiers chapitres de ce livre sont consacrés à l’histoire de trois ducs fabuleux auxquels nos premiers chroniqueurs ont donné place dans les annales normandes, et dont le souvenir, maintenu par cette autorité, est demeuré long-temps populaire dans notre province.

Dans les chapitres subséquents, nous nous sommes occupée, en particulier, de chacune des superstitions qui ont cours dans notre contrée, et nous avons reproduit quelques-uns des contes suggérés par ces merveilleuses croyances, en apportant le plus grand soin à ne pas dénaturer, par de faux embellissements, les incidents traditionnels dont il était fort important, en effet, de conserver l’authenticité. Une autre section de notre ouvrage comprend un certain nombre de légendes religieuses, et le choix que nous en avons fait, au milieu des immenses recueils de nos agiographes, a été motivé par des raisons que nous expliquerons en leur lieu. Viennent ensuite toutes les versions singulières, toutes les opinions controuvées qui se sont répandues à propos de l’origine de nos villes normandes ; toutes les particularités étranges ou miraculeuses qui se rattachent à l’histoire des personnages célèbres de notre province. Nous terminons, enfin, par un certain nombre de traditions romanesques ou merveilleuses, qui se distinguent par un intérêt spécial de localité, et qui n’ont plus, par conséquent, de rapport direct avec les croyances communes à toute la contrée.

Malgré l’étendue de ce sujet, malgré les considérations sérieuses qu’il devait nécessiter, nous nous sommes hasardée à l’explorer, parce que, à quelques égards du moins, nous n’étions pas inexpérimentée sur ce terrain. Nos relations, nos habitudes, notre éducation même, nous avaient prédisposée déjà à traiter ce genre d’ouvrage, car nous avons toujours vécu près du peuple ; de bonne heure, tous les vieux contes que le peuple se plaît à redire, nous ont été familiers ; nous les avons aimés, nous y avons cru, et si, depuis long-temps, notre raison s’est affranchie de cette crédulité, notre imagination se remet facilement sous le joug. Cependant, il nous restait à compléter, par quelques études scientifiques, nos connaissances sur cette matière ; mais c’est de ce côté surtout que nous avons à nous féliciter d’avoir été parfaitement secondée. Le zélé Conservateur de la Bibliothèque publique de Rouen, à qui ses fonctions fournissent des occasions journalières d’utiliser, au profit de chacun, les ressources de son savoir aussi étendu que diversifié, a dirigé et facilité nos recherches, encouragé nos efforts, surveillé les progrès de notre travail, avec tout le discernement scrupuleux du critique et le dévouement inépuisable de l’ami. Quelques personnes, à qui nous sommes heureuse de pouvoir témoigner hautement ici notre reconnaissance, entre autres M. A. Canel et M. Fallue, tous deux auteurs de plusieurs ouvrages normands fort estimés, et M. Thinon, avocat, ont recueilli à notre intention, avec une complaisance toute spontanée, plusieurs renseignements locaux et des traditions inédites qui ne peuvent manquer d’ajouter à l’intérêt de notre recueil.

Avec le concours de circonstances aussi favorables, il semble qu’il nous restait peu de chose à faire pour atteindre au succès, et cependant, combien sommes-nous encore incertaine d’avoir pu le mériter. Nous apprécions, aujourd’hui, par nous-même, que si de bons matériaux sont indispensables pour faire un bon ouvrage, ils n’y suffisent pas toujours, et que si d’intelligents conseils peuvent ajouter beaucoup à la perfection d’une œuvre, ils ne sauraient en changer la valeur intrinsèque. Il y a, en effet, trois qualités principales de l’écrivain, qui, au-dessus d’une certaine limite peu difficile à atteindre, deviennent presque incommunicables ; c’est la pensée, le style et le goût.

Nous devons encore un témoignage de reconnaissance aux artistes qui ont contribué au modeste ornement de ce volume. Nos lecteurs apprendront avec intérêt que la plupart des lettres ornées qui décorent le commencement des chapitres, ont été dessinées par notre regrettable compatriote, M. E.-H. Langlois. M. G. Morin, directeur de l’École municipale de peinture de Rouen, et M. A. Drouin, ont bien voulu compléter cette série intéressante et toute spéciale, dont le burin justement célèbre de M. Brevière a traduit avec bonheur la piquante originalité.

Nous n’aurions peut-être pas acquitté toutes les délicates obligations que nous avons contractées, si nous n’ajoutions ici un sincère remercîment à M. N. Periaux, pour les soins vigilants qu’il a apportés à surveiller l’exécution typographique de notre ouvrage. En province, la publication d’un livre d’une certaine étendue étant souvent considérée comme une laborieuse entreprise, notre peu d’expérience eût sans doute accru nos perplexités, si cet habile typographe, et M. A. Péron, son digne successeur, ne nous fussent venus puissamment en aide.

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