Évocations (Vivien)/La Rançon
LA RANÇON
Tes bras — Ô le poison qu’en vain tu dissimules !
M’enserrent froidement, comme des tentacules.
Viens, nous pénétrerons le secret du flot clair,
Et je t’adorerai, comme un Noyé la mer,
Les crabes dont la faim se repaît de chair morte
Nous feront avec joie une amicale escorte.
Reine, je t’élevai ce palais, qui reluit,
Du débris d’un vaisseau naufragé dans la nuit.
Les jardins de coraux, d’algues et d’anémones,
N’y défleurissent point au souffle des automnes.
Burlesquement, avec des rires d’arlequins,
Nous irons à cheval sur le dos des requins.
Tes yeux allumeront des torches de phosphore
À travers la pénombre où ne rit point l’aurore.
Je suis l’être qu’hier ton sein nu vint charmer,
Qui ne sut point assez te haïr ni t’aimer,
Que tu mangeas, ainsi que mange ton escorte,
Les crabes dont la faim se repaît de chair morte.
Tu l’enserras, avec de visqueuses douceurs,
Du même enlacement que les pieuvres, tes sœurs…
Viens, je t’accorderai le remords qui m’accable,
Sans la paix du pardon profonde et délectable.
Viens, je t’entraînerai jusqu’au lit du flot clair
Et j’aimerai ta mort dans la nuit de la mer.