La Religion (Louis Racine)/Préface

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Préface

La raison qui me démontre avec tant de clarté l’existence d’un dieu, me répond si obscurément lorsque je l’interroge sur la nature de mon âme, et garde un silence si profond quand je lui demande la cause des contrariétés qui sont en moi, qu’elle-même me fait sentir la nécessité d’une révélation, et me force à la desirer. Je cherche parmi les différentes religions, celle dont cette révélation doit être le fondement. Par le premier de tous les livres, que me donne le premier de tous les peuples, et par la suite de l’histoire du monde, je trouve à la religion chrétienne tous les caracteres de certitude que je souhaite. Plein d’admiration pour elle, je m’y soumettrois aussi-tôt, si je n’étois arrêté par l’obscurité de ses mystéres, et par la sévérité de sa morale. J’examine la foiblesse de mon esprit, et je reconnois que ma raison ne doit pas être ma seule lumiere.

J’examine mon cœur, et je reconnois que la morale chrétienne est conforme à ses besoins. J’embrasse avec joie une religion aussi aimable que respectable.

Tel est le plan de cet ouvrage, que j’ai conduit sur cette courte pensée de M. Pascal : à ceux qui ont de la répugnance pour la religion, il faut commencer par leur montrer qu’elle n’est pas contraire à la raison, ensuite qu’elle est vénérable ; après, la rendre aimable, faire souhaiter qu’elle soit vraie, montrer qu’elle est vraie, et enfin qu’elle est aimable. cette pensée est l’abrégé de tout ce poëme, dans lequel j’ai souvent fait usage des autres pensées du même auteur, aussi-bien que des sublimes réflexions de M De Meaux sur l’histoire universelle.

En suivant ces deux grands maîtres, j’ai choisi les deux grands hommes qui ont écrit sur la religion de la maniere la plus convaincante, la plus noble et la plus digne d’elle.

Quoique chaque chant contienne une matiére différente, et fasse, pour ainsi dire, un poëme particulier ; ils doivent tous cependant répondre au dessein général, et être liés ensemble, de façon que le premier amene le second, celui-ci le troisiéme, et ainsi des autres.


Chant I.

La vérité fondamentale de toutes les autres vérités, est l’existence d’un dieu.

Elle fait le sujet du premier chant. J’en tire la preuve des merveilles de la nature, et de l’harmonie de toutes ses parties, qui concourant à la même fin, font voir l’unité du dessein de l’ouvrier. Je montrerai dans la suite, que cette même unité de dessein régne aussi dans l’établissement de la religion ; parce que ces deux grands ouvrages ont le même auteur. L’idée que nous avons d’un dieu me fournit la seconde preuve. Cette idée est commune à tous les hommes, qui n’ont couru après les fausses divinités, que parce qu’ils cherchoient la véritable. Ainsi l’idolatrie me fournit une nouvelle preuve. La derniere est prise de notre conscience intérieure, et de la loi naturelle, qui avant toutes les autres loix a toûjours forcé les hommes à condamner l’injustice, et à admirer la vertu.

Chant II.

La nécessité de se bien connoître soi-même pour bien connoître Dieu, conduit au second chant : j’imite le langage d’un homme, qui après avoir perdu ses premieres années dans des études frivoles, veut faire la plus importante des études, qui est celle de soi-même. J’ouvre les yeux sur moi, et je suis étonné des contrariétés que j’y trouve. Qui suis-je ? Mon bonheur ne peut être ici bas, puisque j’y dois rester si peu. Quand j’en sortirai, où irai-je ?

Mon ame est-elle immortelle ? Ma raison m’en donne des assurances que je saisis avec joie ; cependant comme je crains que mon intérêt à croire une vérité si consolante, ne m’en ait fait trop aisément recevoir les preuves ; je veux m’instruire de ce que la raison a dit aux plus fameux philosophes de l’antiquité. Je les vois tous divisés entr’eux, par des systêmes qui ne m’expliquent rien. Platon me contente plus que les autres ; mais quand je lui demande la cause de mes malheurs, il se taît.

Ces philosophes ont connu notre misére, et tous en ont ignoré la cause. Le silence de la raison m’allarme ; je suis prêt à me désesperer, lorsque j’apprens que Dieu a parlé aux hommes. Quel est ce peuple dépositaire de sa parole ? La raison qui m’a fait sentir la nécessité d’une révélation, m’anime à la chercher.


Chant III.

Cette recherche est la matiere du troisiéme chant. Deux religions partagent presque toute la terre, la chrétienne et la mahométane. Mahomet en avouant qu’il n’est venu qu’après J C par cet aveu favorable aux chrétiens, me renvoie à eux ; les chrétiens, pour me faire connoître l’antiquité de leur religion, me renvoient aux juifs, et les juifs me renvoient à leurs livres sacrés. Le misérable état de ce peuple, et son obstination à attendre un messie, sont les preuves vivantes du livre qu’il conserve avec tant de soin. Ce livre m’explique l’énigme que la raison n’avoit pû pénétrer. Ce livre m’apprend ensuite l’histoire de la naissance du monde, et celle du peuple favorisé de Dieu. Tandis que tous les autres s’égarent dans l’idolatrie, l’idée pure d’un seul être reste chez ce peuple plus ignorant que les autres : mais une protection visible le sauve du naufrage. Dieu le rappelle sans cesse à lui, ou par des miracles, ou par des prophètes ; je m’arrête à ces prophètes. Surpris de leurs prédictions, ainsi que des figures aussi claires que les prophéties ; je reconnois un dieu toûjours occupé de son grand ouvrage, qui tantôt nous le fait annoncer par des hommes qu’il inspire, et tantôt nous le fait envisager de loin dans des images si ressemblantes.


Chant IV.

La venue d’un libérateur tant de fois prédit et figuré, est le sujet du quatriéme chant. L’enchaînement des révolutions des empires avec l’établissement de la religion chrétienne, en prouve la divinité.

Son histoire est celle du monde, parce que Dieu, par l’unité de son dessein, rapporte tous les événemens à son grand ouvrage. La réunion de presque tous les empires à l’empire romain, si favorable au progrès de l’évangile, conduit à la paix générale de la terre sous Auguste. Cette paix prépare les payens au renouvellement des siécles prédit par leurs oracles, et les juifs à la venue de ce messie prédit par leurs prophètes. Dans cette attente générale, J C paroît, prouve sa mission par ses miracles et par sa doctrine. Le châtiment des juifs prouve leur crime : le rapide progrès de la religion, les martyrs, et leurs miracles font tomber le paganisme en ruines ; et il est entiérement aboli par les barbares que Dieu appelle du fond du nord pour détruire Rome enivrée du sang chrétien, et former une Rome nouvelle, dont la grandeur qu’elle conserve jusqu’aujourd’hui, sert encore de preuve à une religion déja prouvée par tant de faits.

Mais quelque admirable qu’elle soit par son histoire, elle semble par ses mystéres et par sa morale révolter l’esprit et le cœur : il me reste à parler à l’un et à l’autre.


Chant V.

Je tâche dans le cinquiéme chant d’humilier cet esprit si fier. Les mystéres, il est vrai, paroissent contredire la raison ; mais la raison ne doit point être notre seule lumiere : par elle seule nous ne sommes qu’ignorance : comment pourrions-nous lire dans le grand livre des secrets du ciel, puisque nous ne lisons presque rien dans le livre de la nature, qui semble ouvert à nos pieds ? Qu’avons-nous appris depuis que nous l’étudions ? Quelques faits : jamais les causes. La nature même ne nous laisse jamais entrer dans son sanctuaire. Une histoire abregée de nos progrès dans la physique, en est la preuve. Le hasard qui nous a procuré quelques découvertes, nous a peu à peu guéris de nos anciennes erreurs. La raison a semblé établir son régne depuis Descartes et Newthon : mais tous deux, en nous montrant la grandeur de l’esprit humain, en ont aussi montré la foiblesse ; puisqu’ils se sont égarés comme les autres, quand ils ont voulu passer les bornes que Dieu a prescrites à notre curiosité. L’homme peut-il seulement sçavoir la cause de la pesanteur ? Sçait-il comment se fait la digestion ? Connoît-il la cause de la fiévre, et la vertu du quinquina ? Tout est voilé pour lui dans la nature ; mais il y met encore un nouveau voile, s’il éteint le flambeau de la religion. Pourra-t’il m’expliquer pourquoi il n’est qu’ignorance ? Pourquoi la terre est pleine de désordres et d’imperfections ? Ou Dieu n’a pas voulu rendre son ouvrage plus parfait, ou il ne l’a pû. Des deux côtés le déiste trouve un abîme, tandis que moi pour qui la foi leve un coin du voile, j’en vois assez pour n’être plus dans les ténébres. La religion, en m’apprenant les causes de tous les désordres et de nos malheurs, m’apprend à mettre ces malheurs à profit, et me montre que notre ignorance, peine du péché, doit nous engager à ne pas perdre un tems si court dans les recherches inutiles. Une religion qui me répond plus clairement que la philosophie, et qui se suit avec tant d’ordre, ne peut être une invention humaine. Je n’ai plus de doute, et ma raison n’en trouve point la lumiere contraire à la sienne : mais ces deux flambeaux se réunissent, et ne font qu’une clarté pour moi.


Chant VI.

Après avoir combattu les athées dans le premier chant, et les déistes dans les quatre suivans ; j’attaque dans le dernier ceux qui ne sont incrédules que par lâcheté. Leur opposition à croire ne vient que de leur opposition à pratiquer : ils feroient à la religion le sacrifice de leurs lumieres, si elle n’exigeoit pas encore le sacrifice des passions. Quand le cœur n’est point touché, l’esprit qui en est toûjours la dupe, cherche des prétextes pour excuser sa révolte. C’est aussi le cœur que j’attaque, en montrant la conformité de la morale de la raison avec celle de la religion. La premiere a été connue des poëtes même les plus voluptueux, mais elle n’a point été pratiquée par les philosophes, même les plus sévéres ; au lieu que la morale de la religion a changé l’univers, parce qu’elle est fondée sur l’amour, qui rend tous les préceptes faciles. Cet amour qui a allumé la ferveur des premiers siécles, va toûjours en s’affoiblissant, ainsi qu’il a été prédit : quand il sera prêt à s’éteindre, Dieu viendra juger les hommes, et au dernier jour du monde, sera consommé le grand ouvrage de la religion, qui commença le premier jour du monde.

Un sujet si vaste, si intéressant et si riche, n’a pas besoin pour se soutenir d’autres ornemens, que de ceux qu’il fournit de son propre fonds. Je perdrois le respect que je dois à mon sujet, si je m’égarois en quelques fictions. Dans tout autre poëme didactique, elles pourroient trouver place de tems en tems pour délasser de la froideur des préceptes et des raisonnemens : mais elles n’en peuvent trouver dans celui-ci. La religion est si grave, que la fiction la plus sage prend auprès d’elle un air de sable, qui ne peut s’allier avec la vérité.

C’est ce mélange monstrueux qu’on condamne avec raison dans le poëme de Sannasar ; on se rebute d’entendre les merveilles saintes dans la bouche de Protée, le catalogue des Néréides qui environnent J C lorsqu’il marche sur les eaux ; et l’on méprise les hommages que lui rend Neptune, lorsqu’à son aspect il baisse son trident. Cependant ce poëme qui coûta vingt ans de travail à l’auteur, lui attira des brefs honorables de deux souverains pontifes, dans l’un desquels Léon X remercie la providence, qui a permis que l’église trouvât un si grand défenseur que Sannasar, dans un tems où elle étoit attaquée par tant d’ennemis. divinâ… etc. non qu’un pape si éclairé pût approuver l’abus que le poëte avoit fait des ornemens de la fable, ni penser que le Jourdain parlant de J C à ses nymphes, pût convertir les hérétiques et les incrédules ; mais parce qu’on a toûjours senti combien il étoit louable à un poëte de consacrer son travail à des sujets utiles, et sur-tout à la gloire de la religion.

J’avoue qu’en renonçant aux beautés brillantes de la fiction, il faut peut-être renoncer aussi au titre de poëte, et se contenter du rang de versificateur ; mais comme l’utilité des hommes doit être le principal objet d’un écrivain sage, je serois assez récompensé de mon travail, si ma versification contribuoit à imprimer plus facilement dans la mémoire, des vérités qui intéressent tous les hommes. Quelquefois même la versification est gênée par la matiere, qui ne permet pas qu’on se livre à toute son imagination, et dans laquelle on doit même sacrifier, quand il le faut, les ornemens, à la justesse du raisonnement.

Ce fut le seul amour de l’utilité publique, et non l’ambition de passer pour poëte, qui engagea le c élébre Grotius à mettre d’abord en vers hollandois, quoique dans un style simple et à la portée du vulgaire, son excellent traité de la vérité de la religion chrétienne, qu’il donna depuis en prose latine, et qui a été traduit en tant de langues. Il voulut fournir à ses compatriotes, que le commerce conduit parmi tant de nations, et par conséquent parmi tant d’opinions, un ouvrage dont la lecture servît à les affermir dans la foi, en même-tems qu’elle les délasseroit pendant ces momens d’oisiveté que laisse une longue navigation. Et lorsqu’il osa mettre en vers un sujet pareil, il s’attendit à cette indulgence qu’on doit avoir pour les auteurs, qui, suivant les paroles d’un ancien, dans une entreprise, dont la difficulté ne les a point rebutés, ont préféré le desir d’être utiles, à l’ambition de plaire.

C’est encore à l’exemple de cet homme illustre, que j’ai ajouté des notes, dont la plûpart sont absolument nécessaires, ou pour dévélopper les raisonnemens, ou pour autoriser les faits. J’établis presque toûjours ces faits sur le témoignage des écrivains payens, parce que les aveux de nos ennemis sont des preuves pour nous. Si je cite quelquefois les poëtes et les philosophes profanes, c’est pour faire voir que sur des vérités si importantes, les plus grands génies de l’antiquité ont pensé comme nous, parce que la raison a tenu le même langage à tous ceux qui l’ont écoutée attentivement : que loin d’être contraire à la religion, comme le croient ceux qui ne l’ont pas bien consultée ; c’est elle au contraire, qui nous en fait sentir la nécessité, et qui nous y conduit comme par la main.