La Sylviculture à l’Exposition universelle
Le succès de l’exposition est complet ; l’Europe entière l’a consacré. Personne aujourd’hui ne peut méconnaître la grandeur de cet imposant spectacle ou contester l’importance civilisatrice de ce concours de tous les peuples ; mais au point de vue pratique et industriel l’exposition donnera-t-elle tous les fruits qu’on pouvait s’en promettre ? Nous en doutons, car la réunion de tant d’objets divers disperse l’attention, et rend les études spéciales extrêmement difficiles. Il nous semble que, pour obtenir de ces solennités tous les résultats désirables, on devrait renoncer à en faire un divertissement d’oisifs, et qu’au lieu d’entasser dans des palais toujours trop étroits les produits du monde entier, il vaudrait mieux procéder par catégories particulières. On partagerait en quatre branches par exemple toutes les productions de l’activité humaine : — beaux-arts, machines, produits manufacturés, agriculture et produits bruts, — et chacune de ces branches fournirait à des intervalles périodiques les élémens d’une exposition spéciale, quoiqu’universelle. Il serait possible de cette façon de trouver des emplacemens convenables et d’étudier successivement à fond et en détail chacune de ces séries. L’exposition d’agriculture de 1860 était un modèle dans ce genre.
Ces réflexions s’imposaient à nous lorsque nous parcourions les galeries des différens pays, à la recherche des produits des exploitations forestières. Il y a à l’exposition de très belles collections de bois ; mais combien de visiteurs iront examiner celles qui ne présentent pas le coup d’œil pittoresque des collections françaises ou canadiennes ? Que leur diraient ces rangées de morceaux de bois bruts ou polis, de nuances diverses, que des noms barbares désignent seuls à leur attention ? Et cependant quoi de plus intéressant à connaître que ces matériaux dont sont faits nos meubles, nos maisons et nos vaisseaux ? Quoi de plus important que de savoir quelles contrées sont à même de nous les fournir et à quel prix nous pouvons nous les procurer ? Il ne faudrait pas s’imaginer que parce qu’un pays a exposé des échantillons de tous les bois qu’il possède, sans y joindre d’ailleurs aucune autre indication, il ait par cela même fait connaître les ressources qu’il peut offrir. Cela suffit en général pour les objets de consommation courante, dont la valeur principale est empruntée à la main-d’œuvre, et dont la fabrication au jour le jour est subordonnée à la demande, car alors on sait qu’on pourra, quand on le voudra, se procurer des marchandises conformes aux spécimens exposés ; mais pour les produits ligneux il n’en est pas de même, soit à cause du temps qu’ils exigent pour acquérir les qualités qui les font rechercher, soit à cause des difficultés locales qui en rendent souvent l’exploitation impossible. Si en effet l’on jette un coup d’œil sur les différens pays du globe, on voit que dans les uns des forêts sans limites couvrent le sol, et que, loin d’y être l’objet d’aucun soin, elles sont souvent un obstacle aux progrès de l’agriculture, tandis que dans les autres les forêts sont cantonnées, aménagées, exploitées régulièrement, et même au besoin artificiellement repeuplées. Il semblerait au premier abord que les contrées les plus boisées doivent fournir des produits innombrables et approvisionner le monde entier. Eh bien ! non, faute de main-d’œuvre ou de moyens de transport, la moindre partie de ces bois seulement est utilisée, et ce sont surtout les forêts cultivées qui approvisionnent le marché et pourvoient à nos besoins.
On conçoit donc combien il serait nécessaire, pour apprécier l’exposition des produits ligneux, d’avoir sous les yeux quelques renseignemens sur les lieux de production, et quelles idées fausses on est exposé à se faire, si l’on s’en tient au seul examen des collections. Malheureusement bien peu d’états ont compris cette nécessité, car, sauf pour la France et pour les colonies anglaises et françaises, tous les catalogues sont très incomplets. Nous essaierons d’y suppléer autant que nous pourrons dans l’étude que nous allons entreprendre.
Comme pour rendre hommage à la matière sans laquelle il n’y a pas d’industrie possible, toutes les parties du monde ont tenu à montrer les échantillons de leurs bois. L’Amérique du Nord est représentée par le Canada ; celle du sud par la Guyane, la confédération argentine, le Brésil, l’Equateur ; l’Afrique par le Cap, le Sénégal, l’Algérie ; l’Asie et l’Australie par les colonies anglaises. Quant à l’Europe, tous les pays ou à peu près ont envoyé des échantillons de leur production ligneuse.
C’est de l’Amérique du Sud que nous vient la plus grande partie de nos bois d’ébénisterie, et les collections exposées par le Brésil, la confédération argentine, la Guyane, nous donnent une idée des richesses ligneuses à peu près perdues que renferment ces immenses régions, où la difficulté des transports rend l’exploitation des forêts très coûteuse et souvent impossible. Beaucoup de ces bois n’ont pas même de nom scientifique ; ils sont connus dans le pays par des noms locaux, et quand ils arrivent en Europe, on les baptise de noms de fantaisie : bois de rose, de violette, de jasmin, etc. Aussi doit-on savoir bon gré à ceux qui se sont donné la mission de débrouiller ce chaos et qui, au prix de grandes fatigues, ont essayé de faire connaître au public la famille naturelle, les usages, l’importance commerciale des arbres de ces contrées encore si peu connues. C’est un service de ce genre que vient de nous rendre M. Martin de Moussy qui, après avoir habité pendant dix-huit ans la confédération-argentine et l’avoir parcourue dans tous les sens, nous en a donné une description des plus complètes et des plus détaillées. C’est son ouvrage à la main qu’il faut étudier les collections de l’Amérique du Sud[1].
Dans la Mésopotamie argentine, le long des rives du Parana et de l’Uruguay et dans les vallées des Andes se rencontrent de vastes forêts, mais c’est vers le nord de la confédération, dans la région équatoriale, qu’elles acquièrent une puissance de végétation et une variété extraordinaires. Parmi les arbres qui les peuplent, il faut mentionner l’algarrobo ou caroubier, dont le fruit est une gousse un peu sucrée et comestible, et dont le bois est propre au chauffage et à la menuiserie ; — le quebracho, de la famille des apocynées, grand arbre très rameux dont les feuilles ovales, acuminées et d’un vert éclatant tombent pareilles à celles du saule pleureur. Le bois du quebracho est très dur, on l’emploie pour le charronnage et la menuiserie, et comme il renferme une grande quantité de tannin, on s’en sert également, après l’avoir réduit en sciure, pour le tannage des peaux, ressource bien précieuse dans un pays où l’élève du bétail est la base de l’économie rurale. L’exposition renferme des peaux ainsi préparées qui ne le cèdent en rien à celles des autres pays. Le lapacho, de la famille des bignoniacées, est un arbre magnifique qui atteint une hauteur de 30 mètres et, se couvre de fleurs violettes ; le bois en est compacte, très lourd, un peu rougeâtre, et peut être employé à l’ébénisterie comme aux constructions. Il en est de même de l’unindey, du timbo, etc.
Le cedro (cedrela odorata), qui n’a rien de commun avec le cèdre que nous connaissons, puisqu’il n’est même pas un conifère, croît très promptement et atteint une hauteur de 50 mètres et un diamètre de 1m50. Il fournit un bois compacte, facile à travailler et qui passe pour incorruptible. L’araucaria brasiliensis, variété de celui du Chili, dont les plantations parisiennes nous offrent de nombreux échantillons, est un arbre très élevé : les premières branches partent du tronc en se recourbant comme les bras d’un candélabre, et sont couvertes de feuilles sessiles d’un vert métallique et munies d’un piquant au sommet. D’un port élégant et majestueux, cet arbre peut passer pour un des plus beaux ornemens des forêts sous cette latitude. Le fruit est un cône arrondi à écailles peu marquées qui renferment des graines allongées de la grosseur d’une châtaigne ; il sert de nourriture aux Indiens. Il serait très utile de multiplier l’araucaria, dont le bois, plus compacte que celui du sapin, est facile à travailler et dure longtemps. Le Brésil en importe une assez grande quantité à Montevideo et à Buenos-Ayres sous le nom de pino da Brazil. Ces contrées renferment encore une foule d’autres arbres qui donnent les produits les plus divers : ce sont l’aguaraybay, de la famille des térébinthacées, qui, coupé en morceaux et suffisamment bouilli, fournit le fameux baume des missions, employé dans toutes les maladies ; l’oranger, le quina-quina (myroxylon peruanum), arbre d’un port élégant, dont le tronc, couvert d’une écorce lisse, épaisse et résineuse, sécrète un suc qui en se solidifiant donne le baume du Pérou ou baume de Tolu ; le maté (ilex paraguayensis), qu’on cultive d’une manière spéciale parce que les feuilles, qui renferment un principe amer d’un arôme particulier assez agréable, servent à fabriquer une espèce de thé très en usage dans la Plata, le Chili, le Pérou, le Brésil, etc.
Les bois de la Guyane se rapprochent de ceux du Brésil et de la confédération argentine, et les collections qu’on en voit au Champ de Mars ne sont pas inférieures à celles de ces derniers pays. Ce qui rend l’exploitation forestière fort difficile dans la Guyane, c’est la configuration du sol, qui parait avoir été couvert autrefois d’une série de lacs aujourd’hui desséchés. L’intérieur présente d’immenses savanes et des chaînes de montagnes qui s’abaissent à mesure qu’on s’approche de la côte, et qui à 40 milles environ de la mer ne sont plus que des collines de sable. Ces chaînes courent parallèlement au rivage en coupant à angle droit les cours d’eau qui se dirigent vers l’océan. Il en résulte des cataractes à l’aspect grandiose, mais qui entravent la navigation, et empêchent toute communication entre la région de la plaine et celle des montagnes. La première est habitée par les Européens et livrée à la culture, du moins le long des côtes ; l’autre est couverte d’immenses forêts toujours vertes où se réfugient les tribus indiennes qui fuient devant la civilisation.
Parmi les bois dont la Guyane nous montre des échantillons, le plus précieux est le mora excelsa. Ce géant végétal, qui atteint jusqu’à 60 mètres de haut, et qui, au dire du naturaliste Schomburgk, ressemble de loin à une colline de verdure, croît également sur le sable et sur l’argile, et s’accommode des terrains les plus rebelles à la culture. Le bois du mora est dur, serré, à fibre entrecroisée, très difficile à fendre, mais par cela même très résistant et très propre aux constructions navales. L’écorce peut servir à la tannerie, et dans les temps de disette les Indiens en mangent la graine, qui est considérée comme un remède contre la dyssenterie. Vient ensuite le green heart, qui dans les arsenaux d’Angleterre ne jouit pas d’une moindre réputation que le mora, et qui, dit-on, résiste aux attaques des insectes terrestres et des mollusques marins. Il en est de même du cedrela odorata, que nous avons déjà rencontré, dans les collections du Brésil, et dont le bois sert à faire les caisses pour les cigares de la Havane. Schomburgk prétend qu’après s’être servi pendant quatre années, dans l’eau douce et l’eau de mer, d’une pirogue construite en cedrela odorata, elle n’offrait aucune trace d’usure ni de pourriture.
La Guyane française, est également très bien partagée sous le rapport forestier, On y rencontre notamment l’angélique (dicorenia paraensis), de la famille des légumineuses, qui fournit un bois de première qualité pour les constructions navales, inattaquable par les insectes et les tarets, et qui produit des pièces de 20 mètres de long sur 50 centimètres d’équarrissage. Il en est de même du copaïfera bracteala (purple heart des Anglais), qui ne le cède en rien au précédent, et qui est si tenace qu’on l’emploie de préférence à la confection des plates-formes et des crapaudines des mortiers, comme résistant mieux que tout autre bois aux chocs des décharges de l’artillerie. Dès 1748, le gouvernement français avait songé à l’exploitation des forêts de la Guyane, et un chantier de construction avait été élevé sur l’un des affluens de l’Amazone ; mais l’établissement fut abandonné sans avoir donné de grands résultats. Dans ces dernières années, le ministère de la marine revint à cette idée, et fit installer sur le Maroni des chantiers où travaillent les transportés. L’emploi des premiers chargemens adressés en France par les pénitenciers confirma pleinement les espérances précédemment conçues, car d’après les expériences faites par les soins de M. de Lapparent, directeur des constructions navales, la plupart de ces bois sont, sous le rapport de l’élasticité et de la résistance à la rupture, supérieurs même au teck de l’Inde, qui jouit cependant sous ce rapport d’une réputation méritée. Dans la Guyane, on rencontre également l’acajou et un grand nombre d’arbres qui seraient recherchés pour l’ébénisterie ou pour les produits spéciaux qu’ils peuvent fournir, fruits, écorce, matière tinctoriale, résine, etc., si l’exploitation en était plus facile. Il y a donc là des trésors encore enfouis ; mais le jour ne peut tarder où ils entreront dans la circulation générale.’
L’Amérique du Nord n’est représentée que par le Canada, dont les produits ligneux avaient déjà été remarqués aux expositions de 1855 et de 1862. L’exploitation des forêts est la principale ressource de ce pays, dont tous les fleuves sont canalisés de manière à permettre le flottage des bois jusqu’à Québec, d’où on les expédie par le Saint-Laurent sur tous les points du monde. On y trouve différentes espèces de chênes plus grands que ceux d’Europe, mais d’un bois plus gras et plus poreux, l’épinette rouge ou tamarac (laryx americana) dont le bois dur et facile à travailler est employé aux constructions navales. Viennent ensuite un grand nombre d’essences utiles à divers titres, le pin rouge, le pin jaune le hemlock ou sapin du Canada, le cèdre rouge, l’orme, le bouleau, le noyer noir (black walnut), dont le bois est d’un beau violet, enfin l’érable, qui est l’arbre national par excellence et l’emblème du Canada. On en compte plusieurs espèces, l’érable blanc, l’érable rouge, l’érable ondé, l’érable œil d’oiseau (birds’ eye maple) et l’érable à sucre, le plus remarquable de tous. Propre aux constructions comme à la menuiserie, il a en outre la propriété de fournir une sève qui, par la distillation, donne un sucre très estimé. Le Canada en produit annuellement environ 20 millions de kilogrammes.
Les collections australiennes ne sont pas moins complètes que celles des autres colonies anglaises ; elles renferment des échantillons d’un grand nombre d’essences, dont les unes sont précieuses par leur bois, les autres par les gommes qu’elles sécrètent. Dans les colonies de Queensland et de la Nouvelle-Galles du sud, les forêts ont un caractère équatorial, tandis que dans la Tasmanie et dans Victoria elles ont jusqu’à un certain point un aspect européen. C’est dans les premières que se rencontrent la fougère arborescente, l’ortie géante, qui atteint jusqu’à 12 mètres de tour et 40 mètres de hauteur ; le cèdre rouge (cedrela australis), qui forme d’immenses et magnifiques forêts dont les arbres, hauts de 50 mètres, laissent à peine distinguer leur feuillage au milieu des lianes et des plantes parasites qui s’attachent aux troncs et pendent dans les branches ; le figuier géant, l’un des végétaux les plus curieux et les plus pittoresques de la flore australienne. Il est difficile de donner une idée du caractère de grandeur et de majesté de ce singulier végétal. Une semence déposée par un oiseau sur la cime d’un des plus grands arbres commence par pousser des racines qui tombent jusqu’au sol, où elles s’implantent ; elles embrassent peu à peu l’arbre qui les supporte jusqu’à le faire disparaître sous leurs étreintes, en donnant naissance à des arcs-boutans qui s’étendent au loin. Les branches de leur côté s’élèvent dans les airs, formant une immense coupole de verdure qui domine les arbres voisins. À cette région appartiennent encore deux espèces d’araucarias connus dans le pays l’un sous le nom de bunya-bunya, l’autre sous celui de pin de la baie de Moreton (Moreton bay pine) ; ce sont des arbres gigantesques de 75 à 80 mètres de haut sur 3 mètres de diamètre qui peuplent de vastes étendues le long des côtes ; ils donnent un bois excellent pour l’ébénisterie et laissent couler une résine pure comme du cristal.
Les colonies méridionales de la Tasmanie, de Victoria et de l’Australie du sud ont la végétation des pays tempérés ; on y rencontré l’acacia melanoxylon (black wood), dont le bois noir d’une grande beauté a quelque analogie avec le noyer, les eucalyptus, dont les nombreuses variétés ont souvent été prises pour des espèces particulières ; à ce genre appartiennent le gommier rouge (red gum), le gommier bleu (blue gum), l’écorce de fer (iron bark) et une foule d’autres qui donnent des bois très précieux. Les eucalyotus sont si recherchés qu’on essaie de les acclimater partout où l’on peut ; des plantations ont été faites avec succès dans l’Inde et l’Algérie. On a également expédié d’Australie dans ce dernier pays des semences d’une espèce d’acacia qui a la propriété de végéter sur les sols les plus stériles, afin d’en essayer la culture dans le Sahara. Il n’est pas impossible que la tentative réussisse, mais il ne faut pas se dissimuler que, si le désert était quelque jour reboisé, il en résulterait une profonde perturbation dans les conditions climatériques de la France et de l’Angleterre. La chaleur, absorbée par la végétation, ne serait plus entraînée par les vents du sud vers l’Europe, dont la température baisserait sensiblement ; mais c’est une crainte dont avant longtemps il n’y aura pas lieu de se préoccuper[2].
Les bois de l’Asie sont représentés par les collections de l’Inde et des colonies hollandaises ; nous en avons récemment donné une description assez détaillée pour qu’il soit inutile d’y revenir aujourd’hui[3].
Nous arrivons à l’Afrique, qui a pour nous un intérêt particulier. La contenance totale des forêts de l’Algérie est évaluée à 1,444,076 hectares. Il faut toutefois en déduire les bois d’oliviers, destinés à une culture industrielle, les broussailles à abandonner aux indigènes et les portions de forêts destinées au rachat des droits d’usage, en sorte qu’il reste environ 1 million d’hectares aux exploitations forestières. Les produits qu’on en tire sont le liège, les bois de construction, les bois d’ébénisterie, les résines et les écorces à tan.
Le liège est, on le sait, la couche subéreuse qui dans le chêne-liège (quercus suber) se développe entre l’écorce et le liber. Cet arbre, qui appartient à la région méditerranéenne, ne produit jusqu’à l’âge de douze ans qu’un liège dur, coriace, dont on se sert seulement pour faire des bouées et du noir d’Espagne. Cette écorce enlevée au moyen d’une opération appelée démasclage, il se forme de nouvelles couches qui, n’étant plus comprimées par l’épiderme, se développent régulièrement. — Lorsque cette écorce est assez épaisse, c’est-à-dire au bout de dix ans, on l’enlève en pratiquant au sommet et au bas de la tige deux incisions circulaires qu’on réunit par une incision verticale. On obtient ainsi des planches de liège qui sont livrées au commerce. La même opération peut se répéter tous les dix ans, en sorte que, arrivé à l’âge de cent cinquante ans, un arbre a fourni douze ou quatorze récoltes. Le produit par hectare et par an est d’environ 3 quintaux métriques d’une valeur de 150 francs ; déduction faite des frais et de l’intérêt du capital engagé, il reste un bénéfice net de 100 francs environ.
Jusque dans ces derniers temps, l’Espagne et le Portugal étaient les principaux centres de production du liège ; mais l’Algérie depuis quelques années paraît prendre les devans. On évalue à 320,000 hectares l’étendue des forêts de chêne-liège, — çà et là mélangées D’autres essences, — que possède ce territoire ; 181,000 hectares ont été concédés pour quatre-vingt-dix ans à des particuliers ou à des compagnies qui les exploitent et en tirent annuellement 1,200,000 kilogrammes de liège en planches. On a bien fait de donner des concessions d’une telle durée, parce que les frais de premier établissement étant considérables, il est juste que les concessionnaires aient le temps de rentrer dans leurs avances ; mais rien ne saurait justifier le projet qu’on attribue au gouvernement de vendre ces forêts, dont le revenu ne peut que s’accroître.
En fait de bois de construction, l’Algérie possède le cèdre et le chêne zéen, que sa densité et sa vigueur feront rechercher dans les chantiers de la marine. Parmi les arbres d’ébénisterie, il faut mentionner le thuya, dont le bois, d’un grain fin, serré, bien nuancé, est d’une grande beauté, le pistachier, l’olivier, qui servent à faire de grands meubles. Le genévrier de Phénicie, employé dans l’industrie des coffrets, le jujubier, le citronnier, etc. Les résines, qui dans le département des Landes sont produites par le gemmage du pin maritime, sont en Algérie extraites du pin d’Alep, aussi riche que son congénère, et qui couvre dans la zone sud du Tell une étendue de 200,000 hectares. Les concessions faites pour l’exploitation des résines s’étendent sur 15,560 hectares. Les écorces des diverses espèces de chêne renferment du tannin, et pourraient être exploitées avec avantage ; mais jusqu’ici on n’en a pas encore tiré parti.
L’Algérie, doit à sa situation géographique et à l’étendue de ses côtes de très grandes facilités d’exportation. Aujourd’hui les lièges et les bois de chêne zéen, réunis sur le littoral, s’écoulent aisément. Il en est de même des loupes de thuya et des résines, qui, grâce à une valeur intrinsèque plus élevée, peuvent supporter les frais d’un plus long transport. Les bois de cèdre, de genévrier, de pin, etc., plus éloignés des ports, ne sont pas encore devenus des articles d’exportation ; mais, on peut espérer que le développement des routes, et des canaux leur ouvrira de nouveaux débouchés. Il y a dans les forêts d’Algérie d’immenses richesses qui peuvent être pour le pays une source de prospérité ; afin d’en tirer parti, il serait indispensable d’adopter pour l’Algérie un régime définitif, de donner à la propriété des bases stables, au lieu de l’inquiéter sans cesse par des règlemens arbitraires et de jeter ainsi le trouble dans les conditions économiques du pays ; il faudrait aussi conserver à l’état les massifs de forêts dont l’exploitation est profitable et les mettre à l’abri des dévastations du pâturage et des incendies.
Nous ne parlerons pas des collections envoyées par les autres colonies françaises parce que jusqu’ici, sauf dans la Guyane, l’exploitation du bois y est sans importance. L’ensemble des exportations ne s’y est élevé en 1865 pour cette marchandise qu’à 363,545 fr. en y comprenant les bois de teinture et d’ébénisterie ; dans ce chiffre, la Guyane seule figure pour 169,051 francs. Cependant le sandal et l’ébène commencent à devenir au Gabon l’objet d’un commerce régulier, qui pendant cette même année s’est élevé à 40,000 tonneaux et qui vraisemblablement continuera de s’accroître.
Si les collections des pays lointains nous montrent les produits des forêts abandonnées à elles-mêmes, les collections européennes nous permettent d’apprécier dans une certaine mesure l’influence de la culture sur la production du bois. Il s’en faut cependant que tous les pays de l’Europe soient également avancés sous ce rapport, bien qu’on ne puisse les juger par les exhibitions du Champ de Mars. Il ne suffit pas en effet de grouper ensemble de beaux échantillons ; si l’on n’a pas eu soin d’indiquer en même temps et l’étendue des forêts et l’importance de la production annuelle, on n’aura donné aucune idée des ressources que peut offrir un pays. Ainsi, à voir leurs expositions, l’Espagne et l’Italie seraient plus boisées que l’Allemagne du nord, qui est très incomplètement représentée. Il est bon de se mettre en garde contre de semblables illusions. Tout le monde connaît les principales essences de nos contrées et les usages auxquels elles sont propres. Nous n’insisterons pas sur ce point, et nous nous bornerons à indiquer pour chaque pays ce qu’il peut offrir de particulier, en nous en tenant, bien entendu, à ceux qui valent la peine d’être mentionnés.
Placées dans des maisons isolées, les collections de la Suède et de la Norvège nous offrent à peu près les mêmes essences que celles de nos pays ; mais les bois des régions Scandinaves se distinguent par la régularité de la croissance et la finesse du grain. Les sapins de Norvège, très remarquables sous ce rapport, sont extrêmement recherchés. En 1865, ce royaume en a exporté 860,000 tonneaux d’une valeur de 45,600,000 fr. La moitié environ est sciée en madriers, l’autre moitié se vend à l’état brut, spécialement en Angleterre et en Hollande. Le débit de ces bois n’occupe pas moins de 3,300 scieries et de 8,000 ouvriers. La Suède est beaucoup moins boisée que la Norvège, et l’on peut voyager pendant plusieurs jours sans apercevoir la moindre forêt. Il serait temps que le gouvernement se préoccupât de conserver celles qui subsistent encore, et qu’il prît des mesures pour régulariser les exploitations et empêcher les dévastations.
La Russie a voulu figurer à ce concours, et la collection rassemblée par l’institut impérial de Saint-Pétersbourg est assez complète ; il n’en est pas de même du catalogue destiné à en faciliter l’étude, et où les renseignemens généraux, qui sont si nécessaires, manquent presque entièrement. On remarque dans l’étalage russe une certaine quantité d’objets fabriqués avec l’écorce de tilleul ; cette industrie est assez importante pour que nous entrions à ce sujet dans quelques détails.
L’écorce de tilleul (tille) est employée à la fabrication de nattes qui sont l’objet d’un commerce très considérable, et il n’est pas rare de voir dans les ports d’Arkangel, de Riga et de Saint-Pétersbourg des navires a destination de l’Angleterre ou de l’Allemagne en composer toute leur cargaison. La consommation intérieure en réclame également une prodigieuse quantité. Il faut avoir parcouru la Russie, il faut avoir vu les habitations des paysans, les bazars des petites villes, la foire de Nijni-Novgorod, pour se faire une idée de la variété d’usages auxquels on emploie l’écorce de tilleul et les nattes dont elle fournit la matière. On en fait des sacs pour la farine et les grains, des enveloppes pour les caisses où sont emballées les marchandises de toute nature, des doublures pour les charrettes des paysans, des tapis pour les planchers et les ponts des bateaux, des cribles à vanner le blé, des filets dans lesquels les rouliers mettent leur provision de foin. Sur les barques qui sillonnent les rivières et les canaux, les câbles, les cordes et les voiles même sont fabriqués avec la tille. Dans une grande partie de la Russie, cette écorce sert à confectionner des chaussures pour le peuple et des couvertures pour les maisons ; autrefois même on l’employait en guise de parchemin, et l’on cite des documens écrits et des tableaux peints sur des toiles de tille préparée à cet effet.
C’est surtout dans les gouvernemens de Viatka, Kostroma, de Kasan et de Nijni-Novgorod que la population s’occupe de la fabrication de ces divers objets. Aux mois de mai et de juin, au moment où la sève ascendante facilite la décortication, les paysans abandonnent en masse leurs villages, et se rendent tous ensemble, hommes, femmes et enfans, dans les profondeurs des forêts pour s’y livrer à leur industrie. Malgré la chaleur, qui est étouffante, malgré les insectes, qui pullulent, ils y restent néanmoins jusqu’à ce qu’ils aient fait leur provision de tille ; encore l’opération échoue-t-elle parfois, lorsque des variations de température arrêtent l’ascension de la sève et rendent l’écorcement impraticable. Pour dépouiller l’arbre, ils ne l’abattent pas ; ils y font une entaille et le cassent en le renversant de façon à laisser la tige adhérer à la souche. La partie inférieure de l’écorce est ordinairement employée pour les toitures ; on la fait chauffer, puis on la presse pour l’empêcher de s’enrouler. On obtient ainsi des plaques qui ont 1 mètre 60 centimètres de long sur 1 mètre de large et qui valent 40 centimes pièce. L’écorce de la partie supérieure et des branches est réunie en bottes, puis plongée dans l’eau, où on la fait rouir. On l’y laisse jusqu’en septembre, et après l’avoir fait sécher à une température élevée on la divise en rubans minces et déliés qu’on tisse ensuite au métier. Les nattes sont plus ou moins fortes suivant l’usage auquel on les destine, et le poids en varie de 1 à 3 kilogrammes. Les plus lourdes, qui sont aussi les plus solides, se vendent à la foire de Nijni-Novgorod 120 francs le cent. On évalue à 14 millions le nombre de nattes fabriquées annuellement, ce qui représente une valeur d’environ 8 millions de francs ; en ajoutant à ce dernier chiffre le produit des autres objets fabriqués avec la tille, on arriverait à un total de 12 millions de francs, ce qui permet d’apprécier l’importance de ce genre d’industrie. Le nombre des tilleuls annuellement abattus pour cet objet n’est guère inférieur à 1 million, et l’on conçoit qu’une si active consommation compromette dans une certaine mesure l’existence même des forêts de la Russie. En effet elles disparaissent avec une rapidité dont M. de Haxthausen en 1846 et M. Jourdier. En 1860 ont signalé les dangers.
Cette curieuse industrie n’est pas tout à fait inconnue en France ; on la retrouve aux environs de Paris, dans ce petit village de Coye, qu’on aperçoit du haut du viaduc de la Reine-Blanche, auprès de Chantilly. La population de ce village est exclusivement occupée de travaux forestiers. Pendant l’hiver, c’est l’exploitation des coupes qui réclame tous les bras ; pendant l’été, c’est la fabrication de ces petits fagots appelés margotins qu’on vend à Paris pour allumer les feux, et la manipulation de l’écorce de tilleul. Cette essence est si abondante en ces cantons, qu’elle a donné son nom à la forêt de Chantilly ; elle s’y rencontre ordinairement mélangée avec le chêne, le charme et le bouleau, et forme avec ceux-ci des taillis qui sont exploités à l’âge de vingt-cinq ans. Les tilleuls sont laissés sur pied jusqu’au moment où la sève commence à se mettre en mouvement, on les abat alors, et on en détache l’écorce avec la plus grande facilité dans toute la longueur du brin. Après un séjour plus ou moins prolongé dans l’eau, cette écorce est découpée en petites lanières de l’épaisseur d’un doigt et de 1m30 de longueur, qui servent de liens pour les gerbes de blé. Ces liens, réunis en bottes, sont expédiés par millions dans les contrées agricoles de la France, où on les préfère, pour la solidité et la souplesse, aux liens de paille. La collection de bois envoyée par l’Autriche à l’exposition est très belle et bien faite pour donner une idée des ressources de ce genre que possède cet empire. En effet, bien qu’une partie de ses forêts soit encore inexploitée, on estime à 75 millions de francs la valeur annuelle des bois qu’il exporte. La Croatie, l’Esclavonie, les provinces illyriennes, la Carinthie, renferment de magnifiques massifs de chêne, hêtre et sapin ; le Tyrol a de belles forêts de mélèze dont la contenance n’est pas moindre de 6 millions d’hectares et dont les produits peuvent, par de nombreux cours d’eau, être dirigés vers les différens ports de l’Adriatique. Dans les provinces du nord-est, la Galicie et la Bukowine, les forêts occupent les hauts Carpathes le long des frontières de la Hongrie et de la Transylvanie, où elles couvrent une étendue de plus de 800,000 hectares. Le pin croît dans les plaines, le sapin et l’épicéa se plaisent sur les sommets et sont remarquables par la hauteur des tiges : on en rencontre qui ont jusqu’à 66 mètres de haut. Ces bois trouvent un débouché dans la Russie et dans les ports de la Baltique. Les provinces du nord-ouest, le Tyrol septentrional, l’archiduché d’Autriche, la Bohême, sont moins boisées, quoiqu’elles soient cependant abondamment pourvues.
De toutes les collections de bois qui figurent au Champ de Mars, la plus belle et la plus complète est certainement celle qui a été exposée par l’administration forestière française, et qui est due aux soins de M. Mathieu, professeur d’histoire naturelle à l’école de Nancy. Elle renferme, rangés dans un ordre scientifique, tous les échantillons de bois de service, de constructions civiles ou navales, d’industrie, de fente, de chauffage, que produit la France. On peut, en l’examinant en détail, se convaincre de la merveilleuse souplesse de la culture forestière qui s’accommode de tous les sols et de tous les terrains, apprécier les diverses qualités des bois de même espèce, et se rendre compte des circonstances de végétation et de culture qui influent sur ces qualités.
Le bois est d’autant meilleur qu’il renferme moins d’aubier, c’est-à-dire de cette partie de l’arbre qui contient sous forme de fécule les matériaux destinés à le transformer plus tard en bois parfait. Ces corps étant très fermentescibles, il faut, pour empêcher une prompte détérioration, enlever l’aubier dès qu’on met les bois en œuvre. Cette opération, surtout nécessaire pour le chêne, les pins sylvestre et maritime, occasionne toujours un déchet considérable.
La densité est également une qualité importante. L’opinion générale qu’un bois est d’autant plus dense, d’autant plus nerveux que les couches sont plus rapprochées, c’est-à-dire que la végétation a été plus lente, n’est pas absolument exacte. Pour les chênes, par Exemple, où chaque couche ligneuse annuelle est accompagnée d’une zone de gros vaisseaux très poreux ; il est clair que plus les couches annuelles seront étroites et plus ces gros vaisseaux seront multipliés, plus par conséquent la résistance du bois se trouvera diminuée : des accroissemens annuels très épais, dus à une végétation vigoureuse, augmentent au contraire la force et la densité. C’est cette rapidité de végétation qui fait que les chênes pédoncules de la Normandie et des environs de Bayonne sont si appréciés pour les constructions maritimes. Dans les bois résineux, c’est l’inverse qui se produit, car ici une croissance rapide augmente la zone molle qui se forme au printemps et non la zone plus résistante due à la sève d’automne, en sorte que la densité, la richesse en résine, sont en raison inverse de l’épaisseur des couches ; c’est à la lenteur et surtout à l’égalité de la croissance que les pins du Nord doivent cette élasticité et cette force qui les font rechercher pour la mâture des vaisseaux. Le bois à fibre ondulée ou entrelacée est d’un travail difficile ; c’est quelquefois une qualité, mais le plus souvent c’est un défaut. L’orme tortillard, par exemple, est excellent pour le charronnage ; certains chênes à fibre contournée donnent des courbes de marine très estimées, parce qu’en se desséchant ils ne peuvent se gercer.
Les circonstances qui influent sur les qualités des bois tiennent soit à des causes naturelles, telles que la constitution géologique ou minéralogique du sol, l’altitude et la latitude, soit aux systèmes de culture employés, systèmes qu’on peut améliorer à son gré : ainsi le régime de la futaie, l’usage des éclaircies périodiques, l’adoption de longues révolutions, sont autant de circonstances qui permettent aux arbres de prendre tout leur développement et par conséquent de fournir des bois de bonne qualité.
Un catalogue très détaillé indique la densité respective des bois exposés et les usages auxquels ils sont employés. C’est ainsi que nous voyons mentionnés comme propres à la marine les diverses espèces de chênes, les ormes, dont on fait des membrures ; et les bois résineux qui servent aux bordages et aux mâtures ; dans les constructions civiles, nous retrouvons le chêne, cette essence si précieuse et utilisée de tant de façons, le châtaignier, le hêtre, qui depuis l’invention des procédés de conservation, fournit des traverses de chemins de fer, l’aune dont on se sert dans les travaux hydrauliques, le peuplier, dont on fait des charpentes légères ; puis viennent les résineux ; sapins, épicéas, mélèzes, qui tous donnent des bois de charpente de premier ordre. Les bois de menuiserie comprennent les mêmes essences, auxquelles il faut ajouter l’orme, qui sert aussi au charronnage, le charme, recherché pour les pièces qui ont à supporter une forte pression, l’érable, dont l’ébénisterie fait un usage si fréquent. La collection se complète par une série d’échantillons de bois de chauffage, de charbons, de résines, etc. Enfin un magnifique herbier forestier, exposé par M. de Gayffier, sous-chef de l’administration centrale des forêts, renferme les spécimens photographiés des feuilles, fleurs et fruits de toutes les essences croissant en France. Comment ces essences sont-elles distribuées sur le sol ? C’est ce que nous examinerons plus loin, quand nous parlerons de la carte forestière dressée par M. Mathieu. Nous allons d’abord dire un mot des instrumens et des procédés d’exploitation que renferme l’exposition.
Si les collections nous donnent une idée de la végétation des différentes contrées et des richesses qu’on y rencontre, les instrumens, les procédés de culture, nous montrent le degré d’importance qu’on attache à la production ligneuse et les moyens de la perfectionner. Il importe peu qu’un pays soit, comme le Brésil, couvert des essences les plus précieuses, si l’on ne peut les utiliser, et s’il faut brûler les forêts pour mettre le sol en valeur ; mieux vaut encore n’avoir, comme la France, que des bois communs et savoir par la culture en faire une source de revenus et un des élémens de la richesse publique. Nous pouvons, en parcourant la galerie des machines et l’exposition de Billancourt, juger jusqu’à un certain point des progrès réalisés dans cette direction. Parmi ces engins et ces procédés, les uns nous indiquent les moyens d’obtenir des arbres plus droits et mieux conformés, les autres nous révèlent des modes d’exploitation plus expéditifs et plus parfaits. Mentionnons en première ligne le système d’élagage de MM. de Courval et des Cars.
Lorsque les arbres sont abandonnés à eux-mêmes, on sait qu’il se développe le long du tronc une série de branches adventives qui absorbent la sève au détriment de la cime et empêchent par conséquent la plante de croître en hauteur. Dans les futaies, où les arbres sont en massif serré, cet inconvénient n’est pas à craindre, aucune branche latérale ne trouvant l’espace suffisant pour se développer ; mais il n’en est pas de même dans les plantations urbaines et dans les taillis sous futaie, où les arbres, isolés, sont livrés à eux-mêmes. On a donc de tout temps cherché à supprimer par l’élagage ces branches latérales, de façon à donner aux arbres un port convenable et bien proportionné. Dans le principe, l’élagage se faisait rez tronc et laissait à découvert une plaie qui ne se refermait pas et qui devenait souvent le siège d’un écoulement de sève, d’où résultait le dépérissement de l’arbre. Pour remédier à cet inconvénient, on imagina un système d’élagage dit élagage belge, qui consiste à couper les rejetons parasites à une certaine distance du tronc, en laissant un chicot de quelques centimètres, de façon que le tronc lui-même ne soit pas affecté. Ce procédé ne valait pas mieux que l’ancien, car il arrivait bientôt que ce chicot, n’étant plus alimenté par la sève, se desséchait et devenait une nouvelle cause de détérioration. M. de Courval eut alors l’idée de revenir à l’élagage rez tronc, mais d’enduire la plaie d’une couche de coaltar, substance peu coûteuse produite par la distillation de la houille. Cet enduit s’oppose aux écoulemens séveux, met la plaie à l’abri des intempéries et des attaques des insectes et permet à l’écorce de la recouvrir complètement après quelques années. M. de Courval applique cette méthode depuis quarante ans dans sa propriété de Pinon, et en a déjà obtenu des bénéfices considérables. M. des Cars l’a également adoptée pour son compte tout en y apportant quelques modifications de détail, et il s’est appliqué à la vulgariser par la publication d’un petit ouvrage pour lequel la société centrale d’agriculture lui a récemment décerné une médaille d’or[4]. On voit au palais du Champ de Mars, par des échantillons, les résultats des différentes méthodes d’élagage.
Nous pouvons encore étudier à l’exposition les différens procédés en usage pour la conservation des bois, procédés qui consistent tous à injecter dans le tissu ligneux un liquide antiseptique tel que la créosote où le sulfate de cuivre, mais qui diffèrent par la manière dont l’injection est pratiquée. Les uns ont recours à une simple pression qui expulse la sève, les autres font le vide dans un récipient où se trouve le bois à préparer, et y font alors pénétrer le liquide, qui est instantanément absorbé.
Un instrument que nous ne saurions passer sous silence parce qu’il est peut-être appelé à rendre de grands services et à augmenter la valeur des coupes, c’est la machine à écorcer. Personne n’ignore que l’écorce de chêne est employée au tannage des peaux, comme celle du tilleul à la fabrication des cordes ; malheureusement l’écorçage ne peut se faire qu’en temps de sève, au moment où ce liquide rend presque nulle l’adhérence de l’écorce au bois. Or il arrive souvent, surtout dans le nord, que la sève ne se met en mouvement que dans le mois de juin, et parfois même plus tard. Il faut alors retarder les exploitations jusqu’au milieu de l’été, et comme le moment où l’écorçage est possible est très court, les ouvriers en profitent pour exiger des salaires très élevés. Ces difficultés, jointes au tort que le passage des voitures dans les coupes fait aux jeunes bois, empêchent souvent les propriétaires d’écorcer leurs taillis et les font renoncer à un bénéfice qui pourrait s’élever à 200 francs par hectare, si cette opération était rendue moins onéreuse. L’administration forestière ne l’autorise qu’exceptionnellement dans les forêts de l’état, dont la gestion lui est confiée. Cependant les tanneurs n’ont cessé de se plaindre de l’insuffisance des écorces mises à leur disposition. A une certaine époque, ils avaient même demandé qu’on usât de contrainte envers les propriétaires ; plus tard ils ont réclamé et obtenu la prohibition partielle de l’exportation des écorces, afin d’accaparer toute la production nationale. Ils ne s’en trouvèrent pas mieux, car l’avilissement des prix, résultat inévitable de cette mesure, éloigna du marché les vendeurs ; aussi a-t-on pu, en 1860, décréter la libre sortie de cette marchandise sans nuire à la consommation intérieure. On évalue à 101 millions de kilogrammes la quantité de peaux qui entrent annuellement dans les tanneries françaises ; il faut donc, à raison de 3 kilogrammes de tan par kilogramme de peau, environ 303 millions de kilogrammes d’écorce. Notre exportation annuelle étant de 10 millions de kilogrammes, on arrive à un total de 313 millions de kilogrammes d’écorce, qui représente la production de près de 90,000 hectares de forêts : grand commerce, on le voit, et cependant assez peu profitable à la propriété dans les conditions où se pratique actuellement l’écorçage. C’est pour parer aux inconvéniens jusqu’ici inhérens à cette opération que M. Maître a imaginé une machine au moyen de laquelle on pourrait l’effectuer en tout temps. C’est une simple chaudière d’où s’échappent des tubes qui conduisent la vapeur dans des récipiens en forme de tonneaux ou de caisses hermétiquement fermées contenant les bûches à écorcer. Au bout d’une demi-heure environ, l’écorce de ces bûches se gonfle sous l’action de la vapeur, et se détache du bois avec la plus grande facilité. Si ce procédé confirme les espérances de l’inventeur, il deviendra possible d’exploiter les coupes à l’époque normale, c’est-à-dire pendant l’hiver, de conduire les bois abattus soit sur les ports, soit dans les chantiers et de les écorcer ensuite quand on voudra. C’est même de cette façon que la machine est appelée à rendre le plus de services, car elle nous paraît d’un maniement trop difficile pour être employée en forêt et mise en œuvre dans les coupes.
Les scieries forestières, dont l’administration a exposé des modèles réduits, peuvent également être rangées parmi les procédés d’exploitation. Ces scieries, qui transforment les bois en marchandises propres à être livrées immédiatement au commerce, produisent une grande économie dans les frais de transport. Dans les Vosges, l’arbre se débite généralement en planches, et c’est sur la planche marchande de 3m57 de longueur sur 0m27 de largeur que se calcule le rendement total. L’usine, placée au milieu des forêts, mise en mouvement par un cours d’eau, doit avoir un organisme très simple, de façon que l’ouvrier qui la dirige puisse y faire les réparations principales sans être obligé de recourir à un mécanicien. Les plus anciennes sont les scieries à cammes, dans lesquelles la scie, glissant entre deux coulisses et munie à la partie inférieure d’un poids assez lourd, est soulevée par les cammes d’une roue motrice et retombe en mordant le bois. Elles ne coûtent pas plus de 3,000 francs à établir, mais elles ne peuvent produire que 15,000 planches par an environ. Les scieries à manivelles, dont le prix est double, ont un mouvement plus rapide, donnent moins de déchet, et peuvent débiter jusqu’à 30,000 planches par an. Il n’est pas de vallée dans les Vosges où l’on ne rencontre une ou plusieurs de ces scieries, dont le bruit lointain anime ces solitudes et dont la situation pittoresque donne un grand charme au paysage[5].
Pour se rendre un compte exact de l’importance de la culture forestière et pour savoir dans quels cas il convient de lui subordonner les autres, il importe de connaître les causes très diverses qui ont déterminé la distribution actuelle de nos bois. L’examen de la carte exposée par M. Mathieu, montrant la relation qui existe entre la répartition des forêts et la nature géologique du sol, donne à cet égard les renseignemens les plus concluans. Les forêts de la France sont les débris d’immenses massifs qui s’étendaient uniformément sur presque toute la surface du pays et qui se sont peu à peu éclaircis sous des influences que l’étude va nous révéler. Il semblerait tout d’abord que les régions montagneuses, celles surtout qui, formées de roches éruptives ou de dépôts sédimentaires anciens, sont les plus rebelles à la charrue, auraient dû rester boisées. Les forêts, peu exigeantes, végètent sur les sols les plus maigres, et l’on se demande pourquoi elles ont disparu dans les contrées réfractaires aux autres cultures. L’inspection de la carte de M. Mathieu répond à cette question. Les contrées riches, agricoles, industrielles, sont en même temps restées forestières ; tel est le bassin de Paris depuis les Vosges jusqu’aux collines du Bocage, depuis le Morvan jusqu’à l’Ardenne ; telle est l’Alsace, tel est aussi le bassin de Bordeaux. Les contrées pauvres, sans agriculture ni industrie, ont aussi perdu leurs forêts. Le plateau occidental, le plateau central, tous deux essentiellement granitiques, sont dans ce cas. Ainsi la carte forestière peut jusqu’à un certain point nous indiquer le degré de prospérité de chaque région : contrée boisée, contrée prospère ; contrée déboisée, contrée pauvre ; il est peu d’exceptions à cette règle, qui d’ailleurs s’explique d’elle-même. La culture forestière n’est pas l’ennemie de la culture agricole, loin de là. Outre l’influence météorologique qu’exercent les bois au grand profit de la santé de l’homme et de la fécondité de la terre, ils fournissent des produits non moins indispensables à l’agriculture qu’à l’industrie, mais qui, d’un transport encombrant et onéreux, demandent à être employés ou consommés dans le voisinage des lieux de production. C’est donc principalement à des considérations économiques plutôt qu’à des circonstances géologiques qu’il faut attribuer la répartition des forêts sur le territoire de la France.
Voilà le point de vue d’ensemble. Si l’on entre dans le détail, c’est-à-dire si l’on examine à part chaque région, la géologie reprend ses droits, et l’on remarque alors que les parties restées boisées sont précisément celles qui n’offraient au blé, à la vigne ou aux autres cultures qu’un sol ingrat. Si nous étudions d’abord les plaines et les bassins, nous voyons que le bassin de Paris renferme de nombreuses et vastes forêts qui s’étendent sur les terrains triasiques formant à l’est une longue bande entre la Moselle et la Haute-Saône, puis sur les plateaux calcaires du terrain jurassique, depuis Mézières jusqu’à Poitiers, à travers la Lorraine, la Bourgogne et le Morvan, enfin sur les terrains crétacés inférieurs et sur les parties sablonneuses du terrain tertiaire ; c’est là que repose la large zone forestière qui de Montereau remonte la rive droite de la Seine et se dirige, par Sésanne, Épernay, vers les montagnes de Reims, de Laon. Telle est aussi l’assiette des forêts de Blois, d’Orléans, de Fontainebleau, de Saint-Germain, de Chantilly, de Compiègne, etc., qui entourent Paris de tous côtés, et dont les essences principales sont le chêne, le hêtre et le charme. Dans cette vaste région boisée, toutes les parties arables ont été défrichées et sont très avancées au point de vue agricole. Le sol de l’Alsace, formé de grès bigarré, de keuper et de muschelkalk, est en général fertile ; aussi les forêts n’y occupent-elles que les parties les moins productives, les terrains sablonneux du diluvium vosgien (forêt de Haguenau) et les alluvions caillouteuses du Rhin (forêt de la Harth, près de Mulhouse) : Les essences qui y prospèrent sont également le chêne, le hêtre et le charme, qui dans les parties humides se trouvent mélangées avec l’orme, le frêne, le saule, le peuplier, et dans les sables avec le pin sylvestre. Le bassin de Bordeaux, limité par l’Océan, le plateau central et les Pyrénées, est formé comme celui de Paris de terrains tertiaires qu’entoure une bande de terrains jurassiques crétacés. La plus grande partie de ce territoire est livrée à l’agriculture, mais on y rencontre une première zone forestière assez bien caractérisée sur les terrains jurassiques entre Niort et Montauban, une autre dans le triangle compris entre l’embouchure de la Gironde, celle de l’Adour et la ville de Nérac sur la Garonne, contrée siliceuse à sous-sol d’alios (grès), très marécageuse en hiver, aride et brûlante en été, et que la culture forestière est appelée à transformer complètement. L’essence qui lui convient le mieux est le pin maritime, qui par le gemmage donne des produits considérables et constitue pour ce pays une véritable richesse.
Dans les régions montagneuses, la distribution des forêts n’est pas moins remarquable. L’Ardenne, formée de terrains schisteux et froids, est peu propre à l’agriculture ; elle est restée boisée à cause de la facilité qu’elle a de déverser ses produits dans le bassin de Paris ; le chêne y domine, il est exploité en taillis et fournit des écorces très renommées. Le plateau occidental, qui comprend la Bretagne et la Normandie, est une des régions les plus déboisées de la France, Bien que granitique, le terrain donne d’excellens pâturages, grâce à l’humidité et à la douceur du climat. Sauf en quelques parties qui ne sont plus que des landes, la disparition des forêts n’a pas causé à ces provinces un préjudice sensible. Les Vosges, séparent le bassin parisien de l’Alsace ; aux roches granitiques qui en constituent la partie méridionale succèdent vers le nord le grès rouge et le grès vosgien ; la chaîne principale, dirigée du sud au nord, est coupée par de nombreuses vallées perpendiculaires qui viennent déboucher d’un côté dans la plaine d’Alsace, de l’autre dans celle de la Lorraine. Cette heureuse disposition, facilitant refoulement des produits ligneux, contribue à conserver boisée toute cette région, qui ne forme en quelque sorte qu’une seule et immense forêt, peuplée dans les parties basses de chênes et de hêtres, et dans les parties élevées de pins, de sapins et d’épicéas. Le plateau central, qui est compris entre la vallée de la Saône et le bassin de Paris d’une part, d’autre part entre les vallées du Rhône et le bassin de Bordeaux, est surtout granitique, quoique les roches volcaniques s’y rencontrent aussi en abondance. Hors en quelques grandes vallées privilégiées comme la Limagne, toute couverte de terrain tertiaire, l’agriculture est très pauvre dans cette région, la culture forestière y est plus pauvre encore. Les vraies forêts ont presque toutes disparu, sauf dans le Morvan et dans quelques vallées de l’Allier, de la Loire et de la Saône. Le Jura, qui a donné son nom aux terrains dont il est formé, s’étend du nord au sud, depuis les Vosges jusqu’à Chambéry, en présentant des couches alternativement calcaires et argileuses ; les premières, qu’on rencontre surtout sur les plateaux, sont couvertes de bois, tandis que les autres sont livrés à l’agriculture et au pâturage. Les Pyrénées, comme les Alpes, ne sont que très incomplètement boisées, quoique les terrains dont ces montagnes sont formées soient particulièrement propres à la culture forestière ; mais le peu de valeur des bois, résultant de la difficulté des transports, n’a pu arrêter le déboisement, que les abus du pâturage occasionnaient sans cesse. Dans les Alpes surtout, le mal a fait de tels progrès que la dépopulation s’en est suivie ; l’homme y disparaît avec les arbres, et aujourd’hui la reconstitution des forêts est devenue pour les départemens du sud-est une question de vie ou de mort.
On peut conclure de ce qui précède que le déboisement s’est propagé d’une façon très inégale dans les diverses régions naturelles de la France. Dans les bassins et sur les montagnes qui les entourent, il a fait beaucoup moins de progrès que sur les hautes chaînes éloignées des grands centres où se développe en tous sens l’activité humaine ; mais dans chaque région prise isolément l’agriculture s’est emparée des terres les plus fertiles, laissant aux forêts celles dont elle n’eût pu elle-même tirer parti. Il en résulte qu’aujourd’hui il n’y aurait plus aucun intérêt à poursuivre, même dans les plaines, le déboisement, puisqu’on n’aurait désormais à défricher que des forêts qui sont parfaitement à leur place et qu’aucune autre culture ne pourrait remplacer plus avantageusement. Au contraire le seul moyen de rendre aux pays élevés et pauvres quelques élémens de richesses, c’est d’y reconstituer les forêts qu’on y a détruites. Les progrès de la viabilité en rendront l’exploitation plus avantageuse qu’elle ne l’était autrefois, car les chemins de fer, les canaux, les routes départementales et communales ont transformé les conditions économiques des provinces les plus reculées, et ouvrent chaque jour des débouchés à des produits jusqu’ici sans emploi ; mais ce n’est là encore qu’un des petits côtés de la question, et dans les régions dont nous parlons la présence des forêts est nécessaire, bien moins comme ressource commerciale que comme garantie de sécurité en raison de l’influence qu’elles exercent sur le régime des eaux et de la résistance qu’elles opposent aux ravages des torrens. On peut au Champ de Mars se faire une idée de cette action par l’examen comparatif des plans en relief d’une partie des montagnes du Hohwald dans les Vosges et du bassin du Labouret près de Digne. Dans les Vosges, les montagnes arrondies et couvertes de bois laissent lentement filtrer les eaux pluviales, qui forment au fond des vallées des ruisseaux limpides et abondans. Aménagées avec soin, ces eaux arrosent de vertes prairies et mettent en mouvement des scieries, des moulins et des filatures qui répandent l’aisance et la richesse aux alentours. Dans les Alpes, le tableau est bien différent. Le bassin du Labouret est absolument dépourvu de végétation, et le torrent qui en occupe le fond forme un ravin central vers lequel se dirigent tous les sillons secondaires creusés par les pluies dans les montagnes voisines, dont l’élévation varie de 1,000 à 2,300 mètres. Comme la plupart des torrens de cette région, le Labouret est ordinairement à sec ; mais qu’un orage survienne, aussitôt les eaux, que rien ne retient sur ces pentes dénudées, se précipitent avec fureur dans la vallée en laissant aux flancs des montagnes de profondes déchirures, puis, continuant leur course dévastatrice, elles vont répandre dans la plaine les terres et les rochers qu’elles ont enlevés sur leur route.
Nous n’insisterons pas sur la description de ce phénomène aujourd’hui généralement connu ; qu’il suffise de savoir que le reboisement de ces montagnes a été considéré comme le remède le plus efficace contre les dévastations des torrens, et qu’une loi a été votée dans cette intention le 28 juillet 1860. Depuis cette époque, l’administration forestière s’occupe avec activité de cette œuvre réparatrice. Les difficultés à surmonter sont extrêmes, car elles tiennent moins aux obstacles matériels qu’au mauvais vouloir des populations. Celles-ci, n’ayant depuis longtemps d’autre moyen d’existence que l’éducation des troupeaux, se montrent hostiles à toute mesure qui restreint même momentanément l’étendue des pâturages ; or on sait qu’avec la vaine pâture il n’y a pas de reboisement possible.
Dans cette opération, le premier soin de l’administration est de choisir et déterminer les terrains à boiser dans chaque bassin. Si ces terrains appartiennent à l’état, point d’obstacles ; mais s’ils appartiennent à des communes ou à des particuliers, il faut obtenir le consentement des propriétaires. A défaut de ce consentement, un décret rendu en conseil d’état déclare le reboisement d’utilité publique et en prescrit l’exécution. On interdit alors absolument le pâturage dans la zone prescrite ; puis l’on construit sur les différens ravins, soit en pierres, soit en clayonnages, des barrages destinés à ralentir le cours des eaux et à empêcher la dévastation des terres. Sous l’influence d’une végétation que ne détruisent plus les troupeaux et des atterrissemens que produisent les barrages, le sol ne tarde pas à se fixer et à devenir propre à la culture forestière. Le reboisement, qui s’effectue soit par plantations, soit par semis, n’embrasse généralement que les parties moyennes et inférieures des pentes, les sommets étant réservés pour recevoir du gazon et être livrés de nouveau au pâturage après le raffermissement des terres. Les essences à choisir de préférence dépendent du climat et de la nature du sol. On a employé avec succès et suivant les lieux le chêne, le châtaignier, le caroubier, le robinier, l’ailanthe, le sapin, le mélèze et les différentes espèces de pins.
On peut dire que cette gigantesque opération est à peine commencée, car la création des pépinières et des sécheries de graines, les reconnaissances de terrains, les travaux préparatoires de toute nature ont absorbé jusqu’ici une grande partie des fonds alloués pour cet objet, et cependant les résultats obtenus sont déjà concluans. L’année 1866, a marqué par des inondations désastreuses ; les départemens du sud-est n’ont pas été épargnés, et des crues violentes et soudaines s’y sont manifestées. Partout où les travaux de consolidation n’ont pas encore été entrepris, ces crues ont causé les dégâts habituels ; partout ailleurs elles ont été inoffensives ou à peu près. Dans la Savoie, un vent du midi très chaud et très violent a soufflé du 21 au 23 septembre dernier et a fait fondre une partie des glaciers et des neiges tombées les jours précédens ; du 23 au 25, des pluies torrentielles n’ont cessé de tomber dans la Haute-Maurienne et ont occasionné une crue extraordinaire de tous les cours d’eau. Ceux dont les rives étaient boisées ou gazonnées n’ont pu affouiller les terres et sont restés inoffensifs, tels sont les torrens de la Grande-Avalanche, du Doron et de Sallanches ; mais les torrens de Sellières, de l’Envers et tous ceux qui coulent à travers une contrée dénudée ont occasionné des éboulemens, enlevé des troncs d’arbres derrière lesquels les eaux s’accumulaient jusqu’à ce que, triomphant de cette résistance passagère, elles se précipitassent dans la vallée, entraînant avec elles tous ces matériaux qui formèrent dans l’Arc un nouveau barrage. Arrêtées dans leur course, les eaux de cette rivière débordèrent à leur tour et emportèrent une partie de la route impériale du Mont-Cenis, du chemin de fer et un certain nombre de propriétés particulières.
Dans les Basses-Alpes, les barrages ont produit d’excellens résultats. Ainsi dans le bassin de Combovin, arrondissement de Sisteron, il en a été construit trente-cinq dont quelques-uns ont près de 3 mètres de hauteur. Deux orages ont suffi pour les atterrir ; aujourd’hui les eaux ne se précipitent plus sur la pente que présente le lit du torrent, mais sur une série de plans horizontaux qui produisent autant de cascades, ralentissent la vitesse et favorisent le dépôt des matériaux. Il en est de même des bassins de Barrême, de Saint-André, etc. Le 29 juillet 1865, un violent orage, désastreux pour l’arrondissement de Barcelonnette, provoqua une crue de presque tous les torrens ; un seul grand barrage, récemment construit dans la partie basse du torrent des Sanières, a suffi pour atterrir ce jour-là 1,800 mètres cubes de matériaux de transport. — Le Riou-Chanal, dont les crues entraînaient autrefois des blocs de 10 à 15 mètres cubes, n’a pu, depuis quatre ans que les barrages sont effectués, enlever seulement la planche qui, placée à 1 mètre au-dessus du lit, sert de passage aux piétons près de l’embouchure du torrent. Nous pourrions multiplier les exemples, ceux-ci suffisent pour montrer l’utilité de l’œuvre entreprise. Cette œuvre, peu coûteuse et peu faite pour frapper les yeux, demande beaucoup d’énergie et d’esprit de suite ; mais elle ramènera la prospérité dans une contrée déshéritée : c’est ce qui la distingue de ces ouvrages fastueux qui flattent le peuple et l’appauvrissent.
L’exposition forestière est une des plus complètes du palais, et cependant, si l’on s’en tient à ce qui frappe les regards, elle ne nous apprend que bien peu de chose ; il faudrait, pour mieux goûter le spectacle et le mettre à profit, des documens et des renseignemens qui manquent à la plupart des visiteurs. Une exposition spéciale, comme nous le disions en commençant, eût été peut-être plus instructive, car chaque pays, en y envoyant les échantillons de ses bois indigènes, eût pu, à l’exemple de la France, faire connaître l’ensemble de ses ressources et les travaux entrepris par lui pour les développer.
J. CLAVE.
- ↑ Description géographique et statistique de la confédération argentine, par M. V. Martin de Moussy ; 3 vol. in-8o, 1864.
- ↑ Nous ne pouvons passer sous silence l’exposition du capitaine Fowke, qui comprend des échantillons de bois de toutes les colonies anglaises, tous de même dimension, et portant l’indication des poids qui ont été nécessaires pour les rompre. On peut apprécier ainsi la force comparative des diverses essences.
- ↑ Voyez dans la Revue du 15 avril, l’Exploitation des forêts de l’Inde.
- ↑ L’Élagage des Arbres, par M, le comte des Cars, 1 vol. in-32.
- ↑ MM. Irroy ont envoyé de nombreux spécimens des fabrications des diverses scieries qu’ils ont installées à la Hutte (Vosges). Leur exposition comprend des sciages de toutes dimensions : planches à parquets, feuillets, moulures et jusqu’à des bois de chaise dégrossis au tour et qui sont ensuite envoyés à Paris pour être terminés. Mentionnons également la belle exposition d’outils et d’instrumens forestiers de toute nature de Mme veuve Chavane à Bains (Vosges).