La Terre pendant l’épreuve - La vocation paysanne

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La Terre pendant l’épreuve - La vocation paysanne
Revue des Deux Mondes6e période, tome 46 (p. 426-450).
LA
TERRE PENDANT L’ÉPREUVE

LA VOCATION PAYSANNE

Nous avons déjà parlé dans la Revue de la vocation paysanne[1]. Nous y revenons aujourd’hui parce que, du fait de la guerre, qui prépare à nos campagnes une crise effrayante de main-d’œuvre, la question prend un intérêt immédiat, comme aussi sur certains points une véritable nouveauté. Et, si cette dernière a besoin qu’on la montre et l’explique pour devenir profitable, n’est-ce pas un devoir de le faire ?

Les événements actuels sont d’une telle ampleur qu’ils amèneront forcément de nombreux et profonds changements : on s’applique à les prévoir, non sans en être ému ; la pensée se hausse pour les comprendre, le langage pour les exprimer on évoque les plus grands moments de l’histoire, et ceux que nous vivons n’en sont pas dépassés. L’humanité franchit un passage : on parle d’un « ordre nouveau des choses » qui va naître, on l’annonce plus lumineux et plus beau. Il y a de l’anxiété dans les âmes, peut-être quelque chose du solennel frisson, noté, dit-on, par Virgile, dont se sentit tressaillir l’univers aux paroles nouvelles et étranges qui parlaient des bourgades de la Judée :

Magnus ab integro sæctorum nascitur ordo.

Les réflexions qu’on va lire nous sont inspirées par le souci de la terre, et même, si l’on veut, un souci paysan ; mais, en dépit des apparences, il n’en est pas de moins égoïste. Tout le monde doit rester attentif à nos inquiétudes, Elles sont grandes. Le commerçant et l’industriel, n’en ont pas de semblables. Ils pensent, et on est généralement de cet avis, qu’au lendemain de la guerre le commerce et l’industrie prendront un essor merveilleux. Personne n’en dit autant de la terre. Son avenir apparaît incertain et sombre ; plus d’un envisage secrètement l’éventualité possible de son partiel abandon. Or, de l’inculture du champ son possesseur ne serait pas seul à souffrir ; le beurre et la côtelette mouleraient à des prix que nous commençons présentement à connaître, et de cela personne que je sache ne se désintéresse.

Vers la fin de l’Empire, les citoyens romains, oublieux de Cincinnatus, se refusèrent à cultiver les terres fertiles de l’Italie. La vie matérielle y devint impossible. Ce fut une des raisons, au dire de Ferrero, qui firent sortir les Barbares de la Germanie. Certes, les choses du présent ne sont jamais exactement superposables à celles du passé, mais tout de même restons sensibles aux leçons de l’histoire.

En définitive, le danger pour la terre est tout entier dans une seule difficulté celle de la main-d’œuvre, qui n’est pas nouvelle. Déjà, depuis longtemps, avant la guerre, une crise intense sévissait, liée au phénomène capital de l’hyponatalité, comme elle générale, et de gravité variable selon les régions.

Déficiente avant la guerre, la main-d’œuvre agricole le sera beaucoup plus après : tant de laboureurs sont morts en défendant la terre qu’ils aimaient, tant d’autres reviendront mutilés, et ne faut-il pas-songer à ceux qui, sortis indemnes de la bataille, renieront au retour leur ancienne amie ? Quatre ans sont une longue absence, et l’absence est funeste aux amours. La terre, maîtresse ensorcelante, mais dure, ne garde l’homme que s’il reste ignorant de certaines douceurs qu’enseignent les voyages.

À ce déficit de la main-d’œuvre on nous annonce des remèdes : organisation nouvelle du travail, méthodes scientifiques, machinisme. Nous les accueillerons avec joie. Mais il faudra toujours des paysans, de vrais paysans. C’est une nécessité dont on ne peut sortir, ni rien retrancher, qu’un peu plus loin nous mettons hors de doute, en pleine lumière.

Pour avoir des paysans, il faut sauver la vocation paysanne des jeunes. Tout est là. C’est le point vif de notre avenir agricole, par conséquent une affaire de première importance, d’ailleurs toute morale, de pure psychologie, et qui regarde l’éducateur. Le rôle de ce dernier grandit singulièrement, puisqu’il tient un peu dans ses mains le sort de bien des choses : notre fortune nationale, nos budgets privés, nos menus, nos estomacs. D’autres biens précieux, d’un ordre tout différent, sont encore attachés au salut des vocations paysannes.


I

Elle n’est pas rare, cette vocation : tout enfant qui naît dans une métairie l’apporte en venant au monde. Il la précise insensiblement en essayant ses premiers pas dans la tiède chaleur des étables ou sur la bordure du champ que son père laboure. La vie agricole déroule chaque jour devant lui l’admirable variété de ses tableaux : les grands bœufs qui docilement se vont mettre sous le joug et d’un pas grave s’avancent au moindre geste du bouvier ; les semences d’automne sous les nuages bas, qui rendent la colline plus haute et sur sa crête amplifient jusqu’au ciel le geste large du semeur ; le miracle d’avril en fleurs au lendemain d’un jour de neige, celui de la Saint-Jean d’été, le triomphe doré des moissons. Ses yeux sont émerveillés, et que d’émois dans cette âme naissante, trempée de vie nationale comme un bourgeon de rosée ! Chaque soir l’enfant dit à son âme : oui, je serai laboureur ! Voilà la vocation dans son origine et vérité psychologiques, une ferveur d’admiration.

L’admiration est tout dans le principe ; plus tard l’imitation s’y joint pour alourdir, matérialiser et aussi consolider la vocation. L’imitation, — il s’agit ici de l’imitation consciente ou demi-consciente, — est une grande force dans notre vie psychique, mais toujours seconde à partir de l’admiration, d’ailleurs grossière, et où l’on sent le mécanisme. L’admiration reste très haute et très pure, non par son objet, qui peut être bas, mais par son essence, noble privilège du cœur humain.

L’admiration est une des choses les plus extraordinaires qu’il y ait en nous : par elle nous sortons de notre égoïsme, nous nous plaisons à un sentiment, très voisin de la fierté, auquel pourtant le moi reste étranger, ce qui est presque une antinomie, et nous recevons en échange un accroissement de nous-mêmes, une vraie richesse. L’admiration commande notre éducabilité. Le maître augure mal du disciple qui craint d’admirer, refusant d’ouvrir ses ailes. Elle est dans l’homme à la racine de deux choses, la plus douce qu’il puisse ressentir, la plus belle qu’il puisse faire : l’amour et le sacrifice.

Pour le moment, cette même analyse nous montre la vocation du jeune paysan tout entière dans une simple et touchante candeur d’enthousiasme débordant, par cela même délicate et fragile, exposée a mille dangers, dont le premier est la rencontre d’une admiration nouvelle qui chassera l’autre pour prendre sa place.

Chaque matin cette vocation passe devant ma porte, fraîche, rieuse, charmante, un sac de toile bleue en bandoulière, où le déjeuner dispute la place aux livres, sautant à cloche-pied les gondoles de l’accotement, guignant les nids sur les arbres. On tremble pour elle. Elle va droit au pays des dangers. L’école est ce pays parce qu’il est celui des merveilles. L’école découvre à l’enfant le spectacle merveilleux de l’univers. L’imagination s’élance et voici de nouveaux rivages. Chacun d’eux peut retenir le voyageur sous son charme. Adieu les bœufs, les champs et les moissons ! De fait, la jeune vocation paysanne se ruine chaque jour à l’école, malgré les soins dont elle y est entourée. Le dévouement de l’école n’est pas douteux. Les directions venues d’en haut ne manquent pas, ni les circulaires bien pensées et bien écrites, ni les ressources et moyens techniques, ni l’application et le zèle des maîtres. Le succès ne répond pas à l’effort. C’est donc que la méthode doit être défectueuse. Elle l’est en effet, faute de bien connaître la nature intime et profonde de l’âme paysanne.

C’est une très vieille chose que l’âme paysanne et qui très lentement évolue : une évolution rapide risquerait de la dissoudre. Sa vieillesse s’entretient dans les régions subconscientes de notre pensée, qu’on appelle encore subliminales, où se conserve ce qu’il y a de plus primitif et de plus permanent en nous. Elle y plonge par trois racines principales sur lesquelles il importe d’arrêter notre attention.


On ne comprend pas l’âme paysanne si l’on ne connaît le rôle et l’importance de la subconscience dans notre activité psychique. Le moment est bien choisi pour en parler, puisque la guerre, comme tous les grands chocs, nous la découvre. C’est la partie du moi, qui se dérobe à notre connaissance directe et cependant nous conduit : l’oracle de Delphes n’en détachait pas ses yeux, quand il donnait aux pèlerins son invariable réponse. Quelques-uns, il est vrai, prétendent qu’elle n’existe pas ; ils sont rares. L’opinion commune ne doute pas de sa riche réalité. Mais pour les uns tout y est bon, pour les autres tout mauvais. En vérité, les deux s’y rencontrent et s’y mêlent, le bien l’emportant sur le mal. Cette supériorité des forces positives dans la subconscience nous est attestée par le succès quotidien de notre vie morale individuelle et collective, qui plus qu’on ne pense repose sur elle. Nous tenons le coup chaque jour dans une partie, dont la moitié seulement se joue sur la table, au grand jour, l’autre se poursuivant dessous et dans l’ombre. Il n’est pas rare que la partie visible nous montre perdants, et nous le serions en effet, si nous n’étions relevés par ailleurs. Les Allemands n’ont vu de nous que la partie qui se jouait sur la table, attentifs aux incidents extérieurs du jeu, livres, journaux, théâtres, intrigues politiques, scandales mondains et financiers, procès célèbres. Ils nous ont crus perdus, et ce fut leur plus grande erreur psychologique. Ils comptaient sans les réserves cachées de l’âme profonde. Bien d’autres parmi nous n’y croyaient pas davantage, et plus d’une fois ont souri quand on leur en parlait. Pourtant nous leur devons le salut.

La bataille de la Marne restera comme un des événements les plus solennels de l’histoire et peut-être la victoire la plus surprenante qu’on ait jamais vue : militaires, historiens, philosophes s’efforceront à l’expliquer et ont déjà commencé. Toutes les explications, quelle qu’en soit la valeur, se devront ordonner sur celle-ci, générale et irrécusable que la victoire a été rendue possible par l’extraordinaire richesse du potentiel moral que chaque soldat avait emporté dans son cœur en courant à la frontière. Quinze jours d’une retraite précipitée et sanglante ne purent sérieusement l’entamer.

Du 28 août au 10 septembre 1914, notre hôpital lointain du Midi recul presque chaque jour des blessés qui venaient de ces durs combats. Ils nous arrivaient exténués par 90, 95 et même 102 heures de chemin de fer. A peine déshabillés, lavés, couchés, pansés, les hommes avaient de belles paroles. Sur le carnet du médecin, à chaque page, on peut lire ces mots : « blessés de retraite, non de défaite. » Ah ! ces premiers blessés, dont plusieurs, hélas ! ne nous quittèrent que pour mourir dans des batailles nouvelles, qui de nous, médecins ou infirmières, perdra jamais leur souvenir ? Aux jours d’angoisse ils furent notre réconfort.

Et pourtant un mois avant ces hommes, — c’est là que nous en voulons venir, — gens de tous les pays de France, de toute origine, de toute condition, étaient à leur travail, à leurs soucis, à leurs espoirs, leurs rêves, leurs passions, la plupart alourdis, accablés par la dureté des tâches quotidiennes, de tout occupés, sauf de guerre et de gloire, quelques-uns sur ce point fascinés par des mirages dangereux. D’où leur est subitement venu cet extraordinaire moral de la bataille ? D’où, sinon d’une invisible mobilisation de forces plus invisibles encore. Pour celle-là point d’appareil extérieur, aucune matérialité comme recrutement, livrets, gendarmes, chemin de fer et horaires. Nous sommes à un moment de spiritualité pure, où l’âme de la France révèle sa présence réelle à chaque âme individuelle et semble lui dire : « J’étais en toi, cachée, sans que tu t’en doutes, j’attendais, et maintenant me voilà dans ma splendeur tragique qui t’éblouit et te transfigure. » Une minute a suffi, celle de l’indicible émoi dont la France a tressailli le soir du 2 août 1914. Elle a suffi pour faire surgir des profondeurs de la subconscience et précipiter au combat toutes les réserves morales de la race…


Mais comment l’âme paysanne sort-elle de ces réserves profondes et cachées ? Nous touchons à un point délicat, mais essentiel, dans l’histoire de la subconscience. Il n’est pas possible de saisir directement ce qui s’y passe, puisqu’elle ne commence qu’au point exact où s’arrête notre clair regard. Il la faut atteindre de biais, par voie détournée, par un travail d’approche, patient et souterrain, qui permet, dans le silence intérieur, une fine auscultation de nous-même, tel l’écouteur des tranchées, au fond de la sape, muni de son microphone. Ce n’est d’abord qu’un vaste et confus bouillonnement ; mais peu à peu les échos se distinguent, les résonances se précisent, aussitôt saisies dans de brèves notations. Sur certains points les bouillons sont plus forts et retiennent l’attention ; on sent de la pensée qui s’y dépose ; peu à peu, couche par couche, un îlot se forme, s’accroît, monte et finalement émerge dans la zone balayée par les faisceaux lumineux de la conscience. A peine repérées, ces émergences sont saisies et livrées aux catégories de la pensée et du discours. Les voilà dénommées, étiquetées. Nous voyons apparaître ainsi les modalités diverses de notre âme profonde, sous figures et noms distincts : âmes paysanne, guerrière, démocratique, religieuse. Il y en a bien d’autres. On n’entreprend pas ici le dénombrement de toutes nos richesses. Ces prolongements extérieurs de notre moi subconscient ne se différencient que dans le bain de lumière qui les enveloppe, et par l’objet auquel chacun d’eux s’applique ; immédiatement, au-dessous, ils se rejoignent et se confondent. Or, ce fond commun a pour triple caractère d’être héréditaire, traditionaliste et mystique, marquant des mêmes traits toutes les formes de la pensée qui en sortent, l’âme démocratique comme les autres. Elle est psychologiquement, et tout à fait, de cette compagnie.

Pourquoi ce triple caractère dans les dépôts importants que garde la subconscience ? Parce qu’elle est le domaine réservé de l’instinct de vie. Par lui tout s’explique et ne le pourrait autrement. Il veut assurer à tout prix le succès de son entreprise, qui est la vie, aussi bien morale que physique, et ne néglige aucune précaution. Il apprécie le jeu brillant de l’intelligence et largement l’utilise, mais il en connaît les hardiesses et les imprudences : il se tient donc prêt à nous tirer d’affaire, si par elle « nous tombons en panne » et restons en détresse. Il veut des moyens sûrs et les prend. Il veut des forces d’action et sait où les trouver. Il dédaigne le pur phénomène intellectuel, incapable de mouvoir un grain de poussière et va droit à l’autre extrémité de l’âme, où traditionalisme, hérédités, mysticisme travaillent ensemble. Ce sont de grandes forces ; il s’en empare, les porte et les applique aux points par lui choisis. Il met tous ses soins à certaines choses qu’il arme et fortifie. Il aime ces choses, qui sont fonction de vie, la terre qui nous nourrit, l’épée qui nous défend, l’esprit de solidarité, si puissant dans l’âme populaire, sans lequel l’homme ne peut vivre, enfin pour les jours difficiles l’Impératif qui, nous élevant au-dessus de nous-même, nous permet de faire ce qui doit être fait sur les champs de bataille, dans les hôpitaux et ailleurs, dans tant de vies silencieuses où le simple devoir est parfois si dur qu’il semble impossible.

Les philosophes nous enseignent cet Impératif sous différents noms et l’humanité, depuis ses premiers bégaiements, l’a toujours adoré sous le vocable de Dieu. La pensée du philosophe nous peut donner un Impératif, dépouillé de tout mysticisme, mais cette pensée reste alors solitaire, ne dépasse pas quelques initiés : l’essentiel lui manque, précisément le mystique, pour devenir l’âme innombrable des paysans, des guerriers, l’âme populaire, l’âme religieuse.


Voilà donc l’âme paysanne dont l’instinct fait dans la subconscience une fonction de vie avec les trois caractères communs aux grandes forces qu’il emploie.

Elle est héréditaire avant tout. Il n’est pas de jour où l’on n’entende dans les champs ce cri du cœur exaspéré par l’ingrate dureté du travail : « Faut-il qu’on ait cette sale terre dans le sang pour rester avec elle acoquiné ! » Rien de plus vrai. Celui que la seule nécessité conduit à labourer n’attend que l’occasion pour quitter la charrue. Il n’est pas un vrai paysan. On ne le devient pas par raison et souvent par elle on cesse de l’être. L’expérience agricole dans un laboratoire, où vous déterminez toutes les conditions de l’expérience, satisfait pleinement la raison, non sur votre champ, où ces mêmes conditions en partie vous échappent, et, comme vous en attendez le pain de la maison, l’insuccès est irritant, douloureux. A qui se pique de raisonner, le métier ne paraît guère rationnel, et celui-là l’est au contraire, où de son effort on est payé chaque mois, à jour fixe. Que de fois nous avons pu suivre cette crise morale ! La terre ne se défend dans le cœur du paysan que par le travail obscur des hérédités qui maintiennent le charme.


L’hérédité de l’âme paysanne explique son traditionalisme. Le passé la tient. Elle s’attache à tout ce qui le représente. Elle s’y fixe comme si elle en tirait forme et consistance. Si on l’en sépare, elle s’anémie jusqu’à s’éteindre. Dans les vieux usages, dictons et proverbes, contes et légendes elle se retrouve et se reconnaît. Elle adore les vieilles chansons dont la vertu d’évocation fixatrice est si grande. En les chantant, on croit entendre et voir les ancêtres : intonation, timbre, accent, jeu du visage et gestes, rien n’y manque. Que de fois l’esprit du passé tous fut porté sur les ailes de la chanson ! Dans un village franco-canadien un voyageur s’étonne de la fidélité des cœurs au souvenir de la mère patrie et en demande le secret. « Allez dans la rue, » lui dit-on. Elle était grouillante d’enfants qui du matin au soir chantaient les vieux refrains de Saintonge et de Normandie.

Sur la sensibilité des paysans à la chanson voici deux faits qui ne laissent pas d’être intéressants. On sait l’histoire de ces admirables écoles à l’aide desquelles le Danemark a fixé l’âme de son peuple à la terre et élevé son agriculture à un degré de prospérité merveilleux : les vieilles chansons y furent beaucoup employées comme méthode éducative. En Gascogne, les jeunes paysans ont un répertoire assez varié de chansons modernes, quelques-unes peu recommandables. Ils se les interdisent sur les labours et ne chantent à leurs bœufs que de vieilles mélopées patoises, ou mi-patoises, dont la lenteur s’accorde à celle des attelages.

Le patois tient une grande place dans l’âme paysanne et la guerre nous le prouve chaque jour. Ce n’est pas que l’on en trouve dans les lettres du front ; les paysans n’écrivent guère en patois et pour deux raisons : d’abord l’orthographe, d’ailleurs difficile, leur fait défaut et puis, comme à l’école ils ont appris à écrire en français, celui-ci reste à leurs yeux la langue noble, seule digne de la plume. Mais quand des profondeurs l’âme monte aux lèvres, c’est en patois qu’elle éclate. Toutes les choses inoubliables m’ont été dites en patois, par des gens qui parlent facilement le français, celles du début et celles d’aujourd’hui, trop souvent mouillées de larmes. Un permissionnaire, après vingt mois de front, embrasse en repartant sa mère et sa jeune femme : « Per qué plouratz ? Nous aut, lu jouens, bézéts bé quén pas meyt gens d’aci. » Ceux qui savent la langue sentiront dans l’arrangement et la résonance de la phrase le prolongement de la pensée. « Pourquoi pleurez-vous ? Nous autres, les jeunes, vous le voyez bien, nous ne sommes plus gens d’ici… » mais d’un autre pays… lointain.

Une mère vient d’apprendre la mort de son fils. Elle reste un instant immobile, hébétée, comme si elle avait reçu un coup de massue sur la tête. Puis les sanglots arrivent, se précipitent, se prolongent, suivis d’une sombre vocifération, qui se déroule et se rythme en phrases et pauses alternées, chaque phrase se terminant par ces mots : « Machanto guerro ! Guerro machanto ! Méchante guerre ! Guerre méchante ! » Le mot patois est plus sévère que le français ; on y sent le cri suraigu de la douleur maternelle, celui que les poètes latins, malgré la dureté romaine, recueillirent dans leurs vers : bella, horrida bella… Matribus detestata !


Cette âme patoise est mystique et l’origine de son mysticisme nous est donnée par une très vieille histoire. Quand l’homme ouvrit pour la première fois ses yeux au spectacle de l’univers, la virginité de son regard tomba sur la splendeur d’une matinée printanière et son cœur ébloui fut pénétré d’une tendre allégresse. Le soir, la tempête déchaînait ses fureurs : la forêt fut fracassée, les rivières sortirent de leur lit, la mer ébranla ses rivages. L’homme glacé de terreur décida de ne pas rester seul. Il donna figure et âme aux forces de la nature, et, comme elles le dépassaient infiniment, dans un bel élan d’anthropomorphisme, il les divinisa. Ainsi naquirent les Dieux, les uns bons qu’on craint et conjure, les autres favorables qu’on aime et implore.

Primus in orbe Deos fecit terror
Et gratia

L’émoi solennel, que le poète place à l’aurore des temps, se renouvelle chaque jour et marque chez le petit paysan l’éveil de son âme. Le sentiment évolue à mesure que l’enfant grandit comme il a évolué dans l’humanité au cours de son histoire. Notre vie morale inscrit en raccourci sur sa courbe toute celle des générations qui nous ont précédés. Ne nous dit-on pas que notre développement physique dans les entrailles maternelles répond jour par jour aux étapes successives du règne animal ?

Mais, malgré l’évolution, le sentiment mystique de la terre persiste toujours. Il se confond avec la forme dominante de la pensée religieuse et parfois ne fut pas étranger à sa détermination. Il en suit les fluctuations et partage les destinées. Très puissant aux époques de foi vive, il se traduit alors par une foule de pratiques qui portent la marque des dogmes acceptés. Sous la couche épaisse du christianisme, qui le recouvre chez nous, on distingue la trace des imprégnations antérieures. Le curé, qui bénit le feu de la Saint-Jean, bénit un feu païen, et, le soir du solstice d’été, devient grand prêtre du soleil. Joignez à cela que la vie de la terre est une source jaillissante d’émotions poétiques et il n’y a pas de vraie poésie sans mysticisme : le poète est un inspiré, que le souffle intérieur emporte au-delà du plan visible des choses, si bien que pour exprimer son âme il a recours à certains artifices, où le choix, la richesse, l’arrangement sonore des mots forcent le verbe à dépasser son sens clair. Quand la religion perd de son empire, l’âme paysanne, dont une des racines se nourrit mal, s’appauvrit visiblement et du même coup la vocation des jeunes devient languissante et incertaine. Une population agricole, qui cesse d’être religieuse, est ébranlée sur ses sillons, et, au moindre incident, prête à les quitter. La religion est l’amie de la terre. La raison doit prendre les faits tels qu’ils sont et non pas tels que parfois elle voudrait qu’ils fussent. L’observation rigoureuse des faits est une servitude étroite de l’esprit, qui se rachète par une vraie grandeur, celle de la vérité.

Mais notre servitude à l’égard des faits ne doit pas nous ôter l’ambition de les expliquer. Dans le coin rural, où nous vivons, trois phénomènes sociaux sont très apparents, qu’on retrouve un peu partout, en France et ailleurs, à des degrés divers : la diminution du sentiment religieux, l’abaissement de la natalité, l’abandon de la terre. Ils sont concomitants d’un autre, plus général, universel, de première grandeur, le progrès de la civilisation. Ce dernier fait peut-il se relier aux trois autres ? Le rapport existe en effet, précis, direct ; mais il faut le chercher où il est, c’est-à-dire dans la démarche intime de l’âme.

Le progrès de la civilisation n’est-il pas le progrès des lumières, celui de l’intelligence claire, représentée par la science ? Il semble bien que la science, avec ses prodigieux succès, soit l’indice lumineux de la civilisation. Celle-ci dans un peuple ne se mesure-t-elle pas à son degré de culture scientifique ? Cette opinion, très allemande et très fausse, renferme tout de même une part de vérité. On ne peut nier que la science ne soit facteur important dans l’œuvre civilisatrice… Or l’homme, à mesure que la science le civilise et que devant lui les ténèbres se dissipent, apprécie la certitude ; il en prend le goût et l’habitude. Une affaire se présente : il ne l’entreprendra que par une confiance fondée sur la précision des calculs, c’est-à-dire à base de science. Il dédaigne une autre confiance, celle de l’optimisme, à base de foi.

L’homme, dont l’âme est cultivée par la science, répugne à l’aventure, à cause de l’incertitude qui la domine. Pour la tenter, il faut la foi, et la foi chaque jour s’exclut du jeu de sa pensée. Or, la religion, qui nous impose de si durs sacrifices en vue des récompenses éternelles dont personne n’est jamais venu rendre un scientifique témoignage, est-elle autre chose qu’une aventure ? Aventure aussi l’hypernatalité, qui remplit la maison de berceaux, avec les incommodités, les fatigues, les charges pour le présent et tant d’incertitudes pour l’avenir. Aventure encore la terre, qu’on recommande à notre amour, qui nous demande un travail épuisant pour le morceau de pain qu’elle nous promet, si la gelée, la chaleur et la grêle y veulent consentir. Décidément l’homme, dont l’œil s’est ouvert aux clartés nouvelles, se refuse à courir tant de risques. De ce refus on donne bien des raisons, plus ou moins valables, et on oublie la première de toutes, qui dispense des autres, et c’est que l’aventurier se meurt. Les succès de l’intelligence, le refoulement de l’instinct de vie, le dédain de la foi dans le mécanisme psychologique et de l’optimisme qui en sort ont tué le superbe aventurier, il manque maintenant au village et voilà comment l’église est désertée, la mairie inscrit peu de naissances et les champs sont menacés d’abandon.


II

Nous avions donc raison de dire que l’âme paysanne est une très vieille chose. Quelques-uns la trouvent si vieille, si finissante, qu’ils enregistrent déjà sa mort et s’en montrent d’ailleurs consolés. Ils semblent nous dire : il n’y aura plus de paysans et la terre n’en sera que mieux cultivée. Chaque région aura sa culture unique, distribuée en vastes ateliers, munis d’un machinisme puissant. Le charbon, le pétrole, la houille blanche animeront les machines. Il y aura des ingénieurs, des techniciens, des contremaîtres, des équipes d’ouvriers. Mais l’être étrange, que La Bruyère distinguait à peine d’un animal, qui depuis longtemps a pris figure d’homme, âme de citoyen, qui tout de même retarde un peu sur l’humanité moderne, le paysan que vous aimez, ne sera plus qu’un mythe. Faut-il regretter la routine, la grossièreté, la superstition, l’avarice qu’il représentait ? L’air sera traversé de souffles nouveaux. Sur les champs et les bois, les vignes et les prés, la science régnera, noble et bienfaisante souveraine. Tout sera mieux dans un monde meilleur.

Que le rêve soit beau, nul n’y peut contredire. Mais, hélas ! la beauté d’un rêve n’implique pas sa facile réalisation. Et d’abord, combien faudra-t-il de temps pour que celui-là se réalise ? Il y a des obstacles économiques, financiers, juridiques, sociaux, politiques et bien d’autres. En attendant, il faut vivre et chaque jour se mettre à table. Restons provisoirement fidèles au vieux paysan qui, jusqu’ici, nous a nourris.

On voit bien d’ailleurs ces vastes ateliers dans les plaines du Nord pour les céréales, dans celles du Midi pour la vigne ; mais, au sortir de la plaine, notre terre se ride, se soulève et s’affaisse, se hérisse, se crevasse, se tourmente en mille accidents divers, où ne peuvent s’abriter que de modestes métairies. En voici une de trente hectares, qui se baigne dans la rivière par ses molles prairies, se relève en pentes assez vives avec des terres franches et saines, prend des cailloux vers la crête et s’amaigrit au point que le sillon y double à peine la semence. Le paysan, que je connais, en bas met le troupeau, qui mugit autour des abreuvoirs, au flanc du coteau la nappe ondulante des épis, plus haut les grappes vermeilles où s’emmagasine l’énergie du soleil, qui passe avec, le vin dans nos veines pour s’y transformer intégralement, — les savants nous le disent avec chiffres à l’appui, — en chaleur, mouvement, pensée… oui pensée, gaie ou sévère, couplets à Madelon ou Marseillaise, courage physique et moral, héroïsme, car là-bas, dans la boue de la tranchée, en attendant l’attaque, salut et gloire au pinard divin ! La métairie porte d’ailleurs d’autres cultures très prospères, dont quelques-unes demandent des soins minutieux, délicats, presque tendres. Que deviendrait tout cela dans la vaste simplicité de l’organisation nouvelle ?

Mais allons droit au cœur de la question pour dissiper certaines illusions sur le machinisme agricole. La métairie n’est pas, ne peut pas être une usine.

A l’usine, la machine fait tout sans le secours des animaux. Ils sont indispensables aux champs pour certains travaux, auxquels la machine ne s’adapte pas, et pour fournir le fumier. Grave question que celle du fumier. J’en sais qui rêvent de s’en passer, grâce aux engrais chimiques et à l’exaltation des forces nitrifiantes, dont on aperçoit la promesse dans certains procédés nouveaux de culture par l’émiettement continu du sol. Il ne faut jurer de rien avec la science : en attendant, conservons le troupeau, qui nous donne chaque jour un triple profit par le travail, le fumier et la chair qu’il met sur ses os.

A l’usine, on travaille tout le temps, au besoin la nuit comme le jour. Ici nous ne travaillons que le jour et si le temps le permet. Le paysan change souvent le programme de sa journée. Quatre attelages besognaient à pleine charrue qu’il faut vite ramener sous l’orage et les gens aussitôt de se mettre à botteler du foin ou laver des topinambours.

A l’usine, autour de la machine, les ouvriers qui la servent divisent leur tâche de telle manière que chacun d’eux fait tous les jours, du matin au soir, le même geste, invariable. La machine imprime à ses serviteurs l’automatisme dont elle est trépidante. Elle les transforme en matériel humain. La machine agricole s’emploie surtout au travail grossier, pénible, et laisse à l’ouvrier toutes les parties fines de ce travail, qui sont nombreuses. Pas de machines pour tailler un pied de vigne, éclaircir un semis, œilletonner les artichauts, pincer les tomates, ni pour choisir dans le troupeau les élèves qui promettent, ni pour calmer la nervosité d’une jeune mère, qui refuse la mamelle à son premier-né, ni pour juger, après la pluie, si le sol est au point de siccité qui permet la charrue, point délicat et dont la décision, selon qu’elle est bonne ou mauvaise, donne un labour bienfaisant ou franchement nuisible. L’empirisme paysan connaît bien ce problème, qui varie selon la nature du sol, son tassement, son exposition, l’époque de l’année, la culture immédiatement précédente. La science moderne nous en précise les curieuses données sans nous apprendre à le résoudre : c’est toujours affaire d’habitude, d’observation, de coup d’œil, de maîtrise dans le métier.


Il y a donc une différence psychologique entre l’ouvrier d’usine et le paysan, et qui tient à une autre, celle-ci fondamentale, dans le travail lui-même, et d’une certaine portée philosophique.

L’usine travaille sur la matière. A sa porte un fragment de matière se présente, qui tout à l’heure sortira, définitivement ouvré, prêt à l’usage. A la métairie on ne travaille pas sur la matière. Le grain de blé que nous confions au sol n’est pas un fragment de matière, mais un échantillon de vie ; également, la tige presque desséchée que l’on plante pour en faire sortir une vigne ; également, le couple de jeunes bêtes qu’on lâche dans les prairies pour que les souffles du printemps les invitent à l’amour. Le paysan prend une tranche de vie, l’entoure de conditions qu’il choisit afin qu’elle évolue dans le sens qu’il veut, à son profit. En écrasant les raisins dans la cuve, le vigneron force les microbes, qui tout à l’heure sur la peau dorée des grappes puisaient dans l’air l’oxygène dont ils sont avides, à chercher cet oxygène dans le sucre du moût : ils l’y trouvent, et le sucre décomposé donne de l’acide carbonique, qui s’échappe, et de l’alcool, qui transforme le moût en vin. Le vigneron n’attendait que ce dernier. Voilà plusieurs années que, plantant sa vigne, il a ouvert une expérience de vie, qu’il suit et surveille avec des soins de tous les jours : l’automne venu, il provoque l’incident de la cuvaison, incident vital s’il en fut, tumultueux et bouillonnant qui tombe vite, faute d’aliments et se résout en déchets, dont l’un, recueilli précieusement au robinet, était l’unique ambition du descendant de Noé, l’unique raison de son effort.

Quelle que soit l’expérience agricole, comme elle porte sur la vie, le paysan est obligé d’accepter certains collaborateurs, partout et toujours les mêmes, qui sont les grands agents de la vie, chaleur solaire, pluie, lumière, électricité, forces radioactives, les activités microbiennes du sol, cet extraordinaire bouillon de culture. Ce sont, à tout prendre, les conditions de son expérience, qu’il ne maîtrise pas à sa guise : il doit patiemment, ingénieusement s’adapter à elles pour en tirer parti, les incliner à ses fins. Il faut donc qu’il se montre très souple, toujours prêt au changement de manœuvre, souvent improvisateur. Or, ces qualités, par leur degré rare et extrême, touchent à la distinction la plus élevée de l’esprit. Qu’est-ce à dire, sinon que le paysan est à sa manière un artiste ? Et il l’est pleinement, car il adore son œuvre et plus qu’on ne pense en sent la grandeur, la beauté, la poésie.

Le machinisme sera sans doute notre salut dans la crise terrible qui nous attend : c’est dire les espoirs que nous mettons en lui. Mais autour de la machine l’homme doit rester paysan. Il le faut pour cette partie du travail, que la machine ne peut atteindre, encore très étendue, un métier, un vrai métier où l’ouvrier donne sa mesure. Il nous faut aussi des paysans pour résoudre une grave question, qui demain va se poser, très pressante.


Beaucoup de régions comptent sur une main-d’œuvre nouvelle, française ou étrangère, pour maintenir leurs cultures : j’en sais qui ne pourront s’en passer. Mais pour encadrer, conduire, initier, éduquer cette main-d’œuvre, les chefs de chantiers nécessaires et de choix seront les paysans, les vrais paysans, à qui le travail, ses procédés, ses secrets et tours de main sont familiers, comme aussi le climat, le sol, ses exigences, ses traîtrises, car chaque terroir a son individualité, une sorte de susceptibilité, que la tradition apprend à connaître, et telle pratique, bonne en Vendée, peut être détestable en Gascogne. Pour fixer ces nouveaux venus dans le métier, et c’est par-là que les apports nouveaux seront surtout profitables, il faut des éducateurs au vrai sens du mot, des fixateurs de vocation, et nul ne peut l’être si dans le métier il n’excelle. Sur ce point l’expérience a prononcé et chaque jour prononce : qu’un jeune homme, ouvrier agricole, encore imprécis, tombe chez un laboureur habile et de tous admiré, il sera souvent gagné par la charrue, jamais si le patron travaille sans goût et mal. L’appel à notre âme (vocare, vocation) est une admiration qui Considère au début le métier, non dans sa forme abstraite, mais sous les traits de celui qui le représente supérieurement à nos yeux.

Il y a parmi les paysans d’admirables éducateurs, qui prennent une main-d’œuvre quelconque, l’utilisent, l’améliorent, l’attachent à la terre : nous les avions signalés pour qu’on les recherche et les récompense. Mais qui s’occupe d’eux ? La terre, depuis longtemps grande malade, et maintenant grande blessée, voit les médecins s’empresser autour d’elle avec des remèdes économiques, financiers, juridiques, sociaux, dont la valeur est grande et l’indication certaine. Mais il y en a d’autres auxquels on ne pense guère. Le médecin est pourtant au-dessous de sa tâche, s’il n’a cure de son malade tout entier, l’âme aussi bien que le corps.

L’âme tient sa place dans la question de la terre. Si demain le paysan disparaissait, une partie de l’effrayant dommage échapperait aux calculs de la statistique. Il y a des choses qui ne se pèsent pas comme l’or au trébuchet, ni ne s’inscrivent dans un chiffre. Avec le paysan s’en irait notre paysannerie, non seulement la classe la plus nombreuse de la nation, mais une forme définie, très profonde et très belle de l’âme française. La paysannerie est une des grandes forces qui ont façonné la France : sans elle on ne comprend ni notre histoire, ni notre caractère national, qui lui doit son courage, sa patience, sa ténacité, son robuste bon sens, sa modération et sa douceur, l’intelligence pratique de la nature et le sens délicat de sa poésie. Elle a donné au charme du génie français la variété du paysage où elle baigne son regard : les herbages de Normandie, parsemés de ces grandes vaches couchées que Flaubert fait lever au passage de M. Bovary, une olivaie de Provence derrière un arc romain, bruissante du chant des cigales comme une page de Mistral, la forêt bretonne de Chateaubriand et de Lamennais, où la rivière, à marée haute, fait glisser les voiles blanches sous les grands bras noueux des chênes druidiques, et les labourages du Berry si chers au génie de George Sand, et la verte pâleur des peupliers sur la Dordogne, où, dans l’ile de Beaulieu, Fénelon rêva peut-être de celle de Calypso, et la « doulce » Loire de Ronsard, et la grâce de l’Ile-de-France, légère et achevée comme les vers de Racine et de La Fontaine.


III

La paysannerie française ne disparaîtra pas si nous savons défendre la vocation paysanne, et d’y manquer nous serions inexcusables puisque la guerre, au lieu de contrarier notre effort, le vient favoriser. On pouvait tout craindre de la guerre pour la famille agricole, le découragement des femmes, l’abandon des chantiers : la vocation des jeunes n’y aurait pas résisté. Elle n’est encore qu’un charme, celui de la nature et des grands travaux qui marquent chaque saison, celui des journalières musardises entre le tas de fumier et la mare aux canards, où il se passe toujours quelque chose : la glousse hérissée et en bataille contre le chat qui s’en va piteux, le cochon qui se vautre et qu’on insulte, la vieille vache qui boit et se laisse voler les crins de la queue dont on fera des collets. Si l’on s’éloigne de ces choses exquises, le charme est rompu. Un rien suffit à tout gâter et les preuves abondent. Le village étant loin et les chemins mauvais, le petit paysan est confié au maître d’école du lundi matin au samedi soir : la vocation en souffre, dépérit, et plus d’une fois fut compromise.

Grâce au courage des femmes, le charme n’est pas rompu et la guerre le rend plus fort. Voici la nouveauté, vraiment inattendue, qu’il faut expliquer. Les enfants, employés aux travaux agricoles, à huit ans pour garder les oies, à dix les vaches, plus tard pour tenir la charrue, sont des apprentis de la terre. C’est le nom que nous leur avons donné et qui leur convient. La gravité de l’heure présente les a touchés : ils ont connu toutes les émotions de la maison, et, selon leur sensibilité, l’émotivité de l’ambiance, la gravité de l’épreuve familiale, les ont atteints différemment. Mais une émotion leur est à tous commune, bien différente, toute de joie et de fierté, et telle que la peut donner une soudaine promotion, qui de deux ans et plus vous met en avance sur votre âge.

Entrons bien dans l’âme d’un enfant de la terre. Bien qu’il soit encore à sa première culotte, son cerveau a déjà beaucoup travaillé, et, — chose précieuse, — bien travaillé : le petit Parisien de son âge, même comblé des faveurs de la fortune, doit se résigner à l’infériorité. C’est que le hasard, qui nous fait naître aux champs, si misérable que soit le logis, est un hasard heureux : du même coup il nous met dans le plus admirable « jardin d’éducation, » qu’on puisse imaginer. L’horizon et le ciel sont les limites de ce jardin ; il renferme toutes les richesses de la nature et les merveilleuses inventions de l’homme pour forcer la terre à le nourrir. L’enfant se projette dans la réalité qui l’entoure avec toutes les forces de son être physique et moral : il voit, touche, tourne, retourne, manie, pratique familièrement cette réalité. Il y gagne des images psychiques, des idées, chargées de concrète vérité. Le petit Parisien, qui mange un poulet, ne sait rien de son histoire ; le petit paysan la sait toute, depuis le matin ensoleillé, où, sur le bord du nid, la poule, ayant fait son œuf, joyeusement chanta.

Ces idées sont directes, passant de la réalité dans le cerveau, sans le secours de personne, sans maîtres, livres, images ou jouets. Elles s’y rangent dans un ordre naturel et logique. Ce n’est pas par le bouquet dans le vase de fine porcelaine qu’on commence à s’instruire sur les fleurs ; mais par la petite graine qu’on a vu mettre en terre, d’où sort le brin d’herbe qui monte pour se couronner de boutons épanouis. On va du premier au second, du simple au composé, comme a fait l’humanité au cours de son histoire. Pendant que le petit citadin lance son élégante automobile qu’un ressort fait courir sur le parquet, le petit paysan du matin au soir est aux prises avec la brouette de son père sous le hangar : la brouette fait plus d’honneur au génie de l’homme primitif que l’automobile à celui du savant contemporain. Et, comme l’enfant sans aucun guide acquiert ses idées de haute lutte, par ses seuls moyens, par l’emploi de tous ses sens, de toutes ses facultés, par l’action intégrale de son être, il les trouve nettes, valables, motrices, prêtes, quand il veut les réaliser, et n’a pas d’autre ambition ; sur la citrouille abandonnée il découpe la roue et le bâti de la brouette ; une broche sert d’essieu ; voilà l’outil monté. Il ne fabrique pas des jouets, mais des outils. Il s’est donné sans réserve au métier paternel et très sérieusement il l’exerce. Il ne joue pas, il travaille.

Contre le mur de la maison, il a rangé quatre pierres et auprès de chacune d’elles il met un caillou. Il se promène autour, recule et avance les cailloux avec des paroles de douceur et d’impatience. Je ne comprends pas : la mère m’explique que c’est la tétée des veaux. Par une belle journée d’hiver, il a saisi la famille au bois, où l’on travaille à la coupe, et il a vu le vieux chêne condamné s’abattre avec fracas. Il revient dans une sorte d’ivresse. Le lendemain, armé d’un court bâton, il va droit au chardon épineux, qui dresse sur le bord du chemin sa tige desséchée. Il le mesure du regard, prend sa distance, s’arc-boute sur les jarrets, crache dans ses mains, et, saisissant le bâton, détache de grands coups, chacun suivi d’un han étouffé, qui bientôt se précipitent. Meurtri, le chardon à la fin succombe, et le bûcheron, les deux mains appuyées sur sa cognée, contemple sa victoire, anhélant et glorieux. La scène s’est déroulée gravement, avec une sincérité parfaite.

L’ambition du jeune travailleur se précise d’ailleurs dans un seul rêve, celui du labour. Depuis « qu’il s’en va seul, » comme on dit, il cherche à le réaliser avec les pauvres moyens dont il dispose. A chaque instant, il fouaille de sa gaule et de ses jurons deux morceaux de bois placés côte à côte : c’est son attelage. Plus tard Bergère et son fils Médor, entourés de ficelles, sont reliés à un bâton : encore son attelage. Vers l’âge de dix ans, il met sa main sur le mancheron de la charrue en marche à côté de celle de son père : celle-ci discrètement se retire et l’enfant du geste reste maître d’un quart de sillon.

Son impatience s’enflamme. Il doit pourtant attendre la fin de son temps scolaire, le certificat d’études, et aussi d’être plus fort, deux, trois, quatre ans peut-être. Et voici que soudain, au lendemain d’un jour où tout le monde a pleuré, on est venu lui dire : Prends la place de ton père, son aiguillon, sa charrue, ses grands bœufs, vieillards pacifiques et habiles au travail. Il croit rêver. Le rêve est réalité. Il part et les bœufs le suivent, — ah ! les nobles bêtes, bonnes comme le pain ! — il arrive au village, s’engage dans la rue, où tout le monde le regarde, et les bœufs le suivent toujours, — ah ! les nobles bêtes, franches comme l’or, fortes comme des chênes ! — de temps en temps il se retourne, de l’aiguillon dessine un appel pour marquer sa maîtrise, et il repart, la terre claquant sous ses talons, très droit, très grand, très beau, tel un jeune demi-dieu. Jamais cœur humain ne fut à plus belle fête.

Hier j’ai rencontré le jeune demi-dieu, qui conduisait trois barriques de vin à la gare. « J’ai chargé tout seul avec ma mère, » m’a-t-il dit, en mettant la charrette en contre-bas. Il n’aura quatorze ans qu’aux cerises prochaines. La terre peut se flatter d’avoir en ce moment de fiers apprentis !


Les plus grands seront sans doute définitivement conquis par le métier : ils se sentent aux yeux de tous laboureurs confirmés, chefs de chantier, d’ailleurs des hommes, des soldats attendant leur tour, prêts à partir. Parfois sur la route ils cambrent leur taille et cadencent leur pas, comme à la vigne ils prennent mesure du sac en portant la sulfateuse. Le sort des jeunes est, plus inquiétant : sans doute ils ont reçu le choc comme leurs aînés, mais il y a toujours pour eux le danger de l’école. Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. L’abandon de la terre est un phénomène très complexe, dont l’école n’est pas seule responsable ; mais, comme c’est avant tout un phénomène moral, nous pouvons agir sur lui, dans l’âme de l’enfant par la force morale de l’école. Cette force morale est-elle vraiment, sans réserve, au service de la terre ? C’est toute la question. On doit à ses amis la vérité. L’école, du fait de sa méthode, malgré ses intentions et ses efforts, est franchement nuisible à la vocation paysanne.

C’est un grand malheur, et qui doit cesser, si nous voulons sauver la terre. Il ne cessera que par une réforme profonde de l’école du village. Cette école doit être paysanne, tenue par un maître paysan. Que personne ne se récrie : c’est une très haute ambition que nous avons pour l’un et pour l’autre. L’âme paysanne n’exclut aucune distinction intellectuelle ou morale, et même, dans l’application que nous en voulons faire à l’école, ne saurait s’en passer. Dans cette petite école, à l’orée des prairies ou des bois, on enseignera des choses très scientifiques et d’autres qui seront exquises. Le maître ne laissera pas d’être un savant ou un poète parce que chaque matin, en ouvrant sa fenêtre, il souffrira dans les plantes de la pluie qui n’est pas venue, ou qui, trop abondante, les noie. Mais il aura son cœur à l’unisson de tous les cœurs qui l’entourent, écoliers, parents, voisins. L’école sera vraiment accordée avec sa fin, la fin paysanne que nous lui voulons, sans exclusion des autres fins que l’école doit avoir.

Aussi, quelles que soient leur origine, fortune et condition, tous les enfants de la commune y pourront venir avec confiance, qui plus tard ne seront pas paysans, mais maçons, avocats, charpentiers, écrivains, épiciers, artistes, parlementaires, ministres. Un bain de paysannerie, réalité concrète et riche, est nettement salutaire au départ de l’intelligence. Plus d’un, pour l’avoir pris, en porte toujours la marque heureuse.

On n’attend pas de nous que nous exposions aujourd’hui le programme de cette réforme. Le moment viendra quand, la bataille ayant cessé de découdre, il faudra recoudre. Des gens qualifiés interviendront alors, qui mieux que nous à ces affaires s’entendent : si quelques idées, sorties non des livres, mais de l’observation minutieuse des faits, dans leur grossièreté et leur finesse, sans crainte du patois, ni des jurons, ni de l’odeur des étables, en sympathie profonde avec la spiritualité cachée des choses, peuvent intéresser les réformateurs, nous ne leur refuserons pas les nôtres…

En ce moment, et pour terminer, nous voudrions simplement montrer que rien d’utile ne sera fait, si l’on n’apporte à l’entreprise une pensée très libre, très large, très souple, infiniment de bonne volonté, de sincérité. Si l’éducateur veut être décidément l’ami de la terre, il lui faut un clair regard et un ferme courage, celui d’accepter un ordre nouveau des valeurs de l’âme.


Il y a cinq ans, nous avons posé devant l’école la question de la vocation paysanne. Nous la posons de nouveau avec plus de force et de précision que jamais, à cause de la détresse dont la terre est menacée, et aussi plus d’espoir. On a vu que la guerre a mis du nouveau dans l’âme des jeunes paysans : pourquoi n’en aurait-elle pas mis dans celle de l’école ? L’un a été visible tout de suite ; l’autre ne sera sensible que peu à peu. Au fond le véritable obstacle à la réforme souhaitée est moins dans certaines difficultés secondaires, qu’on aperçoit nombreuses, que dans l’esprit général dont est animé tout notre effort d’éducation nationale, un intellectualisme sévère, par cela même exclusif et ombrageux. Or, avant la guerre, cet intellectualisme perdait déjà du terrain : loin de le regagner, depuis qu’elle est déchaînée, il en aura perdu davantage. Le mode purement intellectuel de la pensée s’accommode mal de certains événements qui le dépassent. Une terrible réalité comme la guerre a tôt fait de renverser les ingénieuses constructions de l’esprit, et cela seul résiste, qui vient du cœur autant que du cerveau, de tout notre être moral.

S’il est difficile de prévoir avec précision les courants nouveaux de la pensée, déterminés par la guerre, on peut être sûr qu’ils différeront de ceux qui dominaient avant, ne serait-ce que par cette loi d’alternance, — action et réaction, — qui semble régler le rythme de tant de choses, comme aussi leur nouveauté, si grande qu’elle paraisse, ne sera que relative. Il n’y a pas de nouveau possible en philosophie, et tout a été pensé depuis si longtemps qu’il y a des philosophes. Mais une vieille idée, qu’on reprend, s’étend et s’enrichit du fait des circonstances qui la remettent en faveur, des aspirations auxquelles elle répond, des succès qu’elle obtient, du bien qu’elle fait, et surtout par la qualité de ceux qui la reprennent. La même idée ne saurait se retrouver identique à elle-même dans deux cerveaux, non plus qu’un arbre porter deux feuilles absolument semblables. La différence est plus inévitable encore, si tout distingue et sépare les deux penseurs.

Les jeunes penseurs d’aujourd’hui, philosophes de demain, ne ressemblent pas à leurs devanciers. D’azur vêtus, du casque coiffés, le fusil à la main, ils trépignent depuis quatre ans dans la boue des tranchées. Comment vouloir que dans cet accoutrement ils pensent les idées de Descartes ou de M. Bergson comme l’un dans son poêle et l’autre dans son cabinet ?

Ils nous diront que la vérité sort de l’expérience, et nous le savions déjà, mais ils le savent avec plus de chaleur et d’efficace que nous. Ils auront fait de leur âme une expérience incomparable et y auront appris que la pensée claire, par ses succès si grande et de gloire si riche, ne nous donne pas tout, ni même le nécessaire, dans les moments difficiles, qui nous forcent de choisir entre la vie très haute ou la défaite. Quand on se propose la suprême élégance morale, on va d’abord vers elle avec la lumière de la raison et à son allure : mais, au point où le chemin montant devient tout à fait malaisé, un autre guide nous prend pour gravir le sommet. C’est à tort que nous enfermons tout le mysticisme dans sa forme religieuse : libéré de celle-ci, nous croyons l’être de celui-là. Profonde illusion : le mysticisme ne lâche pas sa prise au gré de nos désirs ; il nous tient plus profondément, puisqu’il remplit notre subconscience, où il a, comme nous l’avons vu, partie liée avec l’instinct de vie, son inséparable compagnon. Notre âme en est pétrie et par lui seul atteint le sublime. Ceux qui pour le Devoir, l’Honneur, la Patrie, la Vérité, la Justice, la Paix et le Bonheur futurs de l’Humanité, délibérément donnent leur vie, sont des mystiques, qui confessent une idée mystique, hors de la pensée claire. De la plus nuageuse des abstractions ils font une réalité concrète, visible et tangible dans le sang qui s’échappe de leurs blessures, ils réalisent l’Esprit, et, par l’essentiel de leur acte, tout comme les martyrs voués aux bêtes du cirque, ils rendent Dieu présent parmi nous.

Cette vérité n’est pas nouvelle ; mais nos philosophes l’auront sentie, pratiquée, éprouvée, vécue, au prix d’indicibles souffrances ; elle aura pour eux une force d’action qu’elle n’a pas pour nous. Ils seront par elle préservés d’une erreur générale, qui sans cesse nous guette et chaque jour nous prend au piège. L’erreur varie de nom et de forme et selon le point où l’on achoppe, mais non dans son principe, toujours le même, qui est de s’attaquer avec l’intelligence aux choses que l’on peut seulement atteindre par un certain jeu, très direct et très cognitif, de l’âme tout entière. C’est l’erreur intellectualiste. Nous ne faisons aucune découverte.

L’erreur intellectualiste est fréquente, et nous en voyons un bel exemple à l’école du village quand elle veut fixer et exalter la vocation du petit paysan en lui donnant des notions de science agricole. Rien d’excellent comme ces notions, et plût au ciel qu’on en donnât davantage ! Mais, de grâce, ne comptez pas sur la géologie et la météorologie, ni sur la physique et la chimie, si bien enseignées qu’elles soient et adaptées aux travaux des champs, pour sauver la vocation paysanne. Celle du prêtre ne s’entretient pas par l’exégèse, ni celle du marin par l’hydrographie, ni celle du philanthrope par la démographie, mais toutes par d’autres voies et moyens, par d’autres forces.

L’intellectualisme est un jardin de délices, où les haies odorantes et les bosquets en fleurs cachent des murs qui en font une prison. Dans certaines questions, on touche vite les murs, qu’on presse au point de les rompre, comme par exemple dans l’enseignement de la morale, si l’on a l’ambition qu’il soit déterminant et décisif pour l’écolier, devenu disciple. L’école, dans les soins qu’elle veut donner à la vocation paysanne, est arrêtée par les murs de sa prison. Rompons avec son intellectualisme abusif pour cultiver cette vocation dans ses trois racines profondes. La vocation et la science ne se connaissent pas, étant aux deux extrêmes de l’âme. L’une a besoin de chaude amitié et l’autre n’en a pas ni n’en saurait avoir. La vocation est à part de la science, d’un autre ordre. C’est le mot de Pascal qui vient sous ma plume : je ne l’écarte pas et lui veux même laisser ici toute sa plénitude.

La terre, notre terre nourricière, a toujours fait son devoir : en temps de paix par ses moissons, et aux jours de péril extrême, comme depuis quatre ans, par la force vive et profonde de sa paysannerie, musculature robuste et endurante de la nation en armes, dont le sang a si généreusement coulé sur les champs de bataille. Dans mon voisinage immédiat, sur neuf jeunes hommes qui, chaque année, venaient en amis m’aider à vendanger ma vigne, sept sont morts et un autre est mutilé. Notre coin a été particulièrement frappé. Mais voici un document d’une précise et douloureuse signification : à l’heure où j’écris ces lignes, il y a deux mille cinq cents aveugles de guerre dont dix-huit cents étaient des laboureurs. O race paysanne, mère des hommes durs au travail et à la bataille, comme tu as fait ton devoir ! Saurons-nous envers toi faire le nôtre ? L’heure est grave pour la terre, ravagée dans dix départements et dans tous désolée par la mort de ses fils, sans compter que d’autres formes de l’effort national ne manqueront pas de lui disputer les survivants. Son avenir dépend du courage et de la liberté d’esprit avec lesquels nous aborderons certaines questions, notamment celle de l’école paysanne.

Notre devoir envers la terre est multiple, et il s’en faut qu’il soit tout à l’école. Mais il y est et cela suffit. Saurons-nous le voir et le faire ? L’école saura-t-elle aimer d’une tendresse sincère, profonde et clairvoyante le petit apprenti qui chaque jour laboure avec Bergère et Médor ?


Dr EMMANUEL LABAT.

  1. La Vocation paysanne et l’École, — Revue du 1er juillet 1912.