La Vie du Bouddha (Herold)/Partie I/Chapitre 1

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L’Édition d’art (p. 7-11).


LA VIE DU BOUDDHA



PREMIÈRE PARTIE



I


La ville où jadis avait vécu le grand ascète Kapila était d’une sereine magnificence. Ses murailles semblaient des nuages de lumière, et, de ses maisons comme de ses jardins, émanait une splendeur divine : on l’eût dite bâtie sur un morceau du ciel. Partout des pierreries y brillaient. Aussi n’y connaissait-on point l’obscurité, non plus que la pauvreté. La nuit, les rayons de la lune tombaient sur les demeures d’argent, et la ville était un étang de lys ; le jour, les rayons du soleil tombaient sur les terrasses d’or, et la ville était une rivière de lotus.

Le roi Çouddhodana régnait sur Kapilavastou, et il en était la plus noble parure. Il était bienveillant et libéral ; il ignorait l’orgueil et il pratiquait la justice. Il courait aux ennemis les plus braves, qui tombaient dans les batailles comme des éléphants frappés par Indra. À l’éclat de sa gloire disparaissaient les méchants, comme les grandes ténèbres aux rayons aigus du soleil. Il éclairait le monde, et à ses familiers il montrait les voies qu’il fallait suivre. Son illustre sagesse lui avait gagné d’innombrables amis, des amis pleins de vaillance et de raison ; et, comme la lueur des étoiles fait valoir la lumière de la lune, leur clarté rehaussait sa splendeur.

Çouddhodana, roi issu de la race des Çâkyas, avait épousé plusieurs reines. De ces reines, la première était Mâyâ.

Elle était très belle. À la voir, on eût cru que Lakshmî même s’était isolée de la troupe divine. Elle avait la voix des oiseaux printaniers, et elle ne disait que des paroles agréables et douces. Ses cheveux avaient la couleur de l’abeille noire ; ses yeux étaient aussi frais que la feuille nouvelle du lotus bleu, et ses sourcils bien arqués n’étaient jamais froncés. Son front était pur comme le diamant.

Elle était très vertueuse. Elle voulait le bonheur de ses sujets, et elle était docile aux pieux enseignements des maîtres. Sa conduite n’était point ténébreuse ; elle ne savait pas mentir.

Le roi Çouddhodana et la reine Mâyâ vivaient heureux et calmes dans Kapilavastou.

Un jour, la reine, après s’être baignée, se parfuma le corps, puis se vêtit des tissus les plus fins et les plus brillants et se couvrit les bras de bijoux précieux. Des anneaux d’or sonnaient à ses chevilles. La joie au visage, elle alla trouver le roi.

Il était assis dans une grande salle, où des musiciens charmaient d’aimables chansons sa rêverie tranquille. Mâyâ s’assit à la droite de Çouddhodana, et elle lui parla :

« Seigneur, daigne m’écouter, ô protecteur de la terre. Daigne m’accorder la grâce que je vais te demander.

— Parle, reine, répondit Çouddhodana. Que veux-tu de moi ?

— Seigneur, il est autour de nous des êtres qui souffrent. J’ai pitié des souffrances du monde. Je ne veux pas nuire à ceux-là qui vivent ; je veux défendre ma pensée de toute impureté ; et puisque j’évite ce qui pour moi est un mal, puisque je suis bonne envers moi-même, je veux prendre soin des autres, je veux être bonne envers les autres. Je renoncerai à tout orgueil, ô roi, et je n’obéirai pas aux mauvais désirs. Je ne dirai jamais de parole vaine, ni de parole sans honneur. Désormais, seigneur, ma vie sera austère ; je jeûnerai, et je n’aurai malveillance ni méchanceté, inquiétude ni haine, fureur ni convoitise ; je serai heureuse de ma fortune, je ne mentirai pas, j’ignorerai l’envie ; je serai pure ; j’irai dans le droit chemin, et j’aimerai les œuvres vertueuses. Voilà pourquoi j’ai les yeux souriants, voilà pourquoi j’ai les lèvres joyeuses. »

Elle se tut un instant. Le roi la regardait avec une tendre admiration. Elle reprit :

« Seigneur, respecte l’austérité de ma vie, n’entre pas dans la forêt confuse du désir ; permets-moi d’observer longtemps la pieuse loi du jeûne. J’irai dans les salles qui sont au plus haut du palais, là où perchent les cygnes ; qu’on m’y prépare un lit semé de fleurs, un lit doux, un lit parfumé. Mes amies seront autour de moi, mais qu’on éloigne les eunuques, les gardes et les servantes grossières. Je ne veux voir figure laide, ni entendre chanson vulgaire, ni sentir odeur méprisable. »

Elle ne parlait plus. Le roi lui répondit :

« Que cela soit ! La grâce que tu demandes, je te l’accorde. »

Et il ordonna :

« Qu’au plus haut du palais, là où chante la voix des cygnes, on dresse pour la reine un lit de fleurs précieuses, et qu’au son des cordes sonores elle s’y étende, parée d’or et de pierres rares. Et ses femmes, autour d’elle, croiront voir une fille des Dieux dans les jardins du ciel ! »

La reine se leva.

« C’est bien, seigneur, dit-elle. Écoute-moi encore. Délivre les prisonniers. Fais aux pauvres de larges aumônes. Que les hommes, les femmes et les enfants soient heureux ! N’inflige aucun châtiment, et, pour la joie du monde, ô roi, regarde en père toutes les créatures ! »

Puis elle sortit de la salle, et monta vers le sommet de la royale demeure.

On était aux approches du printemps. Les oiseaux volaient autour des terrasses ; ils chantaient dans les arbres. Les jardins étaient fleuris, et, aux étangs, s’épanouissaient largement les lotus. Et, tandis que montait la reine vers son heureuse retraite, des cordes harmonieuses et des flûtes résonnèrent d’elles-mêmes, et, sur le palais, une grande lumière brilla, une lumière parfaite, qui rendait sombre la clarté du soleil.