La défense de mon maître/Édition Garnier

La bibliothèque libre.


LA DÉFENSE
DE MON MAÎTRE[1]
(15 décembre 1767)

Mon maître, outre plusieurs lettres anonymes, a reçu deux lettres outrageantes et calomnieuses, signées Cogé, licencié en théologie, et professeur de rhétorique au collége Mazarin. Mon maître, âgé de soixante et quatorze ans, et achevant ses jours dans la plus profonde retraite, ne savait pas, il y a quelques mois, s’il y avait un tel homme au monde. Il peut être licencié ; et ses procédés son assurément d’une grande licence. Il écrit des injures à mon maître ; il dit que mon maître est l’auteur d’une Honnêteté théologique[2]. Mon maître sait quelles malhonnêtetés théologiques on a faites à M. Marmontel, qui est son ami depuis vingt ans[3] ; mais il n’a jamais fait d’Honnêteté théologique. Il ne conçoit pas même comment ces deux mots peuvent se trouver ensemble. Quiconque dit que mon maître a fait une pareille honnêteté est un malhonnête homme et en a menti. On est accoutumé à de pareilles impostures. Mon maître n’a pas même lu cet ouvrage, et n’en a jamais entendu parler. Il a lu Bélisaire, et il l’a admiré avec toute l’Europe. Il a lu les plats libelles du sieur Cogé contre Bélisaire, et, ne sachant pas de qui ils étaient, il a écrit à M. Marmontel qu’ils ne pouvaient être que d’un maraud[4].

Si l’on a imprimé à Paris la lettre de mon maître, si l’on y a mis le nom de Cogé, on a eu tort ; mais le sieur Cogé a eu cent fois plus de tort d’oser insulter M. Marmontel, dont il n’est pas digne de lire les ouvrages. Un régent de collége qui fait des libelles mérite d’être renfermé dans une maison qui ne s’appelle pas un collége.

[5]Un régent de collége qui, dans ce libelle, compromet M. le président Hénault et M. Capperonnier, qui reçoit un démenti public de ces deux messieurs, qui ose profaner le nom du roi et le faire parler, qui pousse ainsi l’impudence et l’imposture à son comble, mérite d’être mené, non pas dans une maison publique, mais dans la place publique.

C’est à ces indignes excès que l’esprit de parti, le pédantisme et la jalousie, conduisent. Si tous ces faiseurs de libelles savaient combien ils sont méprisables et méprisés, ils se garderaient bien d’exercer un métier aussi infâme.

Voilà tout ce que mon maître m’ordonne de répondre.

Signé : Valentin.
FIN DE LA DÉFENSE DE MON MAÎTRE.
  1. Cet écrit, recueilli par Grimm dans sa Correspondance, en janvier 1768 est probablement la réponse dont Voltaire parle dans sa lettre à Damilaville du 14 décembre 1767. C’est M. Clogenson qui, en 1823, l’a le premier admis dans les Œuvres de Voltaire, Grimm l’a imprimé sous ce titre : la Défense de mon maître ; Clogenson et Beuchot sous celui de : Réponse catégorique au sieur Cogé.
  2. L’abbé Morellet croyait que l’Honnêteté théologique était de Voltaire. Mais Grimm (Correspondance, décembre 1768) dit que Damilaville, qui en est l’auteur l’attribua à Voltaire, qui paraît l’avoir rebouisée. (B.)
  3. C’est à la fin de 1745 que Voltaire avait personnellement connu Marmontel, qui, depuis 1743, était en correspondance avec lui ; mais le billet le plus ancien de Voltaire qui soit conservé est de novembre ou décembre 1745.
  4. Voyez la lettre du 7 auguste 1767, de Voltaire à Marmontel.
  5. Les trois paragraphes qui suivent ont été publiés pour la première fois dans l’édition de la Correspondance de Grimm publiée, chez Garnier frères, par M. Maurice Tourneux, tome VIII, page 29.