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La description géographique des provinces/Livre 3 - 01 à 12

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Edition de E. Groulleau (p. 205-216).


Quelles Navires ſont es Indes.
Chapitre premier.



En ce troiſieſme livre de noſtre deſcription des Indes, nous commencerons à parler de la forme de leurs navires. Les plus grandes naufz dont uſent les Indois ſur mer, ſont communement faictes de bois de Sapin, & n’ont qu’un ſeul plancher, que noz Pilotes appellent tillac, deſſus lequel ſont dreſſées environ quarante petites loges pour retirer les marchans. Chacun navire à ſon gouvernail, quatre maſtz & autant de voiles. Les aiz du navire ſont joinctz & laſſez avec gros cloux de fer, & les joinctures remplies & calfeutrées d’eſtoupes. Et pour autant qu’ilz n’ont la commodité de la poix au lieu d’icelle ilz enduiſent leurs navires d’une huille extraicte de certain arbre, entremeſlée & compoſée avec de la chaulx. En chacun grand navire ſont deſtinez environ deux cens forſatz pour le conduire en pleine mer a force de rames & avirons. Auſsi en chacun d’iceulx peut contenir ſix mille hottées de poyvre. Il y à pluſieurs autres petitz vaiſſeaux qui ſuyvent & ſont attachez a ces grandz navires pour les ſoulager, conduire les ancres, & ſervir a la peſcherie quand beſoing en eſt.


De l’iſle de Zipangri.     Chap.   II.



L’Iſle de Zipangri eſt fort ſpacieuſe, & de grande eſtendue, ſituée en la haulte mer, a diſtance des havres de la province de Mangi de cinq cens lieues ou environ. Les habitans d’icelle ſont blancz & d’aſſez belle ſtature, adonnez au ſervice des idoles : ilz recongnoiſſent un Roy ſeul & particulier en leur pays, & ne ſont a aucun autre tributaires. En ceſte iſle y à de l’or en grande abondance, toutesfois le Roy ne le permet facilement tranſporter hors du pays : ce qui eſt cauſe que bien peu de marchandz frequentent & traffiquent en ceſte province. Le Roy à un palays ſumptueux & magnifique duquel la couverture eſt entierement de lames d’or, tout ainſi que pardeça les grandes maiſons ſeigneurialles ſont couvertes de plomb ou de cuyvre. Semblablement les planchers des ſalles & chambres de ce palays ſont lambriſſez & couvertz de lames d’or (comme lon dict.) On trouve en ceſte iſle grande quantité de perles fort excellentes & ſingulieres, tant en groſſeur que rotondité, & ſont de couleur rouge, qui ſont en plus grand pris, eſtime & valeur ſans comparaiſon, que ne ſont les blanches. Et oultre y à pluſieurs pierres precieuſes, leſquelles avec l’abondance de l’or rendent l’iſle ſur tout riche & opulente.


De l’effort & entreprise que feit le grand Cham pour conquester l’isle de Zypangri.     Chap.   III.



Le grand Cham Cublai estant adverty de l’opulence & grandes richesses qui estoient en l’isle de Zipangri; meist en deliberation de la subjuguer & reduire a sa puissance : & a ceste fin expedia deux de ses capitaines de guerren l’un nommé Abatan, & l’autre Nonsachun, & deux armées bien accoustrées & fournies de toutes choses necessaires pour subjuguer l’isle de Zipangri. Lesquelz desbarquans des portz de Zarten & Quinsay, avec grand nombre de navires bien equippées de gens, tant de pied que de cheval, feirent voille vers l’isle de Zipangri : en laquelle prenans terre a l’improviste, feirent plusieurs ravages, degastz, & depopulations es villages & chasteaux du plat pays. Mais avant que d’entrer plus oultre, & gaigner l’isle, s’esmeut une querelle & discord entre les deux capitaines, qui fut de grand poix & consequence : Car ilz ne vouloient obeyr ne s’accomoder aux desseinctz & entreprinses l’un de l’autre : qui fut cause que rien ne leur pouvoit heureusement succeder : tellement qu’ilz ne peurent prendre & avoir victoire d’aucune cille ou chasteau, fors d’un seul chasteau seulement. Apres la prinse duquel tous ceulx qui furent trouvez dedans y avoir esté commis par le Roy pour la garde d’iceluy furent saccagez & mis au fil de l’espée par le commandement du capitaine. Entre leſquelz toutesfois furent trouvez huict personnes de la garnison de ce chasteau, lesquelz portoient Chose admirable de braceletz.en leurs braceletz certaines pierres precieuses enchassées, qui estoient de telle efficace & vertu (par incantations diaboliques) qu’ilz ne pouvoient aucunement estre blecez ou navrez par ferrement quelconque tandis qu’ilz portoient sur eulx les pierres susdictes : au moyen de quoy fut advisé de les assomer a coups de bastons, ce qui fut faict.


De l’infortune des navires des Tartares qui furent enfondrez & rompuz, & plusieurs submergez.         Chapitre     LVIII.



Or il advint certain jour qu’une grande tempeste s’esleva sur mer de telle impetuosité, que les navires des Tartares par la force des ventz & orages se heurterent si rudement les uns contre les autres, qu’ilz furent jectez contre les havres a demy cassez & rompuz. Lors fut advisé entre les Pilottes & nautonniers d’esloigner le plus qu’on pourroit de terre les navires, esquelz estoient les gens de guerre des deux armées. Ce qui fut faict : mais s’augmentant de plus en plus la furie de la tempeste, plusieurs navires commencerent a s’entrouvrir & enfondrer, dont plusieurs furent Naufrage des Tartares.noyez & submergez, les autres avec l’ayde de certaines tables & planches de boys que selon la fortune ilz rencontrerent en nageant, se saulverent en une petite isle qui est proche & contigue de Zipangry. Et quant aux autres dont la navires estoient encores entieres, ilz se retirerent en leur pays. Or de ceulx qui apres leurs navires brisées & rompues s’estoient peu saulver en ceste petite isle, se trouverent en nombre environ trente mil hommes, lesquelz toutesfois estoient en desespoir de leurs vies, & n’attendoient autre chose que la mort, par ce qu’ilz n’avoient aucuns navires pour se retirer & mettre hors de l’isle, & qu’ilz n’y trouvoient aucuns vivres, d’autant qu’elle estoit inhabitée & deserte.


Comme les Tartares eschapperent le peril de la mort, & retournerent en l’isle de Zipangri.       Chap. V.



Ceste fureur & tempeste de la per rappaisée, les Zipangrois advertiz que les Tartares en grand nombre s’estoient sauvez, en nageant en ceste petite isle, vindrent en armes avec grande quantité de navires & gens de guerre assaillir ses pauvres gens desarmez & presque au desespoir en ceste isle, afin de les saccager & du tout exterminer, sachans qu’ilz estoient abandonnez & destituez de tout secours. Eux arrivez au port, prenent terre & entrent asseurement en pays pour chercher les Tartares qu’ilz estimoient vaguer dedans l’isle confusément & comme gens desesperez. Lesquelz toutesfois ayas aperceu leur venue & se destournans sagement de leur veuë (craignans qu’ilz fussent recongneuz & descouvertz) se cacherent & latirerent le long des rivages de la mer, assez pres du lieu ou les Zipangrois avoient prins port & laissé leurs navires, se tenans coyement en leur embusche, jusque a ce qu’ilz apperceurent les Zipangrois espartz par toute l’isle pour leur recherche, & fort eslongnez de leurs navires. Alors les Tartares s’emparent subitement des navires, entrent dedans, & font voile vers l’isle de Zipangri, joyeux de leur delivrance, delaissez les Zipangriens en leur lieu dedans l’isle. Eulx entrez en l’isle de Zipangri, prennent les enseignes & guidons des Zipangriens qu’ilz trouverent es navires, & prennent leur chemin vers la principale ville de toute l’isle : les habitans de laquelle voyans les enseignes de leurs gens, estimans qu’ilz retourneroient victorieux, sortirent au devant d’eulx & reçoyvent imprudemment leur ennemy, & l’introduysent dedans la ville : de laquelle se voyans les Tartares superieurs, dechasserent tous les habitans fors quelques femmes qu’ilz retindrent.


Les Tartares sont depuis dechassez de la ville par
eulx gaignée.     Chap.   VI.



Estant le Roy de Zipangri adverty de ce discours, & de la ruse dont advoient usé les Tartares, equippe & met sus d’autres navires pour retirer ses gens qui estoient demourez en l'isle, puis vient assieger la ville que les Tartares avoient prinse & occupée, & de telle diligence faict observer les passages, destroictz & entrées de la ville qu’aucun n’en pouvoit sortir ou entrer. Car il advisa que sur tout il convenoit donner ordre & prendre songneusement garde que les Tartares assiegez ne peussent advertir & certiorer le grand Cham leur seigneur de ce qui estoit advenu, autrement que cestoit faict que de luy & de son royaume. A ceste cause les Tartares demeurent encloz, assiegez & enfermez par sept mois entiers : apres lesquelz se voyans estre destituez & sans esperance d’aucun secours, rendent la ville au Roy de Zipangri, a telle condition qu’ilz s’en retourneroient en leur pays leurs vies, & bagues sauves. Ce qui fut faict en l’an de nostre salut mil deux cens quatre vingtz & neuf.


De l’idolatrie & cruaulté des habitans de Zipangri.       Chap.   VII.



Les Zipangrois adorent diverses formes d’idoles : les uns ont teste de beuf : autres de porc, aucuns de chien, & de diverses autres bestes : aucuns y à qui ont quatre visaiges en une mesme teste : autres trois testes, l’une eslevée sur le col, & les deux autres sur les espaules. Oultre y en à qui ont quatre mains, autres vingt, autre cent : & d’autant qu’ilz ont plus de mains sont reputez avoir plus de puissance & vertu. Et quand on s’enquiert des habitans de qui ilz retiennent telles ceremonies & traditions, respondent communement qu’ilz ensuyvent en cela leurs peres : & qu’ilz ne doibvent croire ne avoir foy sinon a ce qu’ilz ont receu & aprins d’eulx. Semblablement y à une coustume detestable en Zipangri, que quand ilz prennent un homme estranger, s’il peut payer rançon & se rachepter par argent, ilz le laissent aller : sinon & qu’il n’ait le moyen de se rachepter ilz le tuent, le font cuire & le mangent en un banquet qu’ilz font pour ceste cause, auquel ilz invitent tous leurs parens & amys.


De diverses Isles de ceste contrée, & des fruictz qui y proviennent.     Chap.   VIII.



Es rivages de la grande mer occeane sur la coste ou se termine vers Orient la province de Mangi, a lentour de l’isle de Zipangri, se trouvent plusieurs autres petites isles, que les pilottes estiment estre en nombre de sept mil quatre cens quarantehuict, la plusgrande part desquelles est habitée & cultivée : & n’y en à aucune ou ne croissent & viennent grandz arbres & petitz bocages fort odoriferens : aussi on y trouve des espiceries en grande abondance : toutesfois les marchandz estrangers n’y frequentent point, sinon les habitans de la province de Mangi, qui en hyver y vont traffiquer, puis s’en retournent en esté : car en ce destroict y à seulement deux ventz lesquelz soufflent a l’opposite l’un de l’ autre, a sçavoir l’un à son cours en esté & l’autre en hyver. Mais pource que je n’ay esté es isles dessusdictes je n’ay deliberé d’en parler plus avant, ains retourneray au port de Zarten, pour de la tirer en autres regions & provinces.


De la province de Ciamba.     Chap.   IX.



Levans les ancres du port de Zarten, & faisans voile sur la coste de Garbin, on parvient en la province appellée Ciamba, qui est eslongnée & distante du port dessusdict de cinq cens lieuës. Ceste province est grande & spacieuse, abondante en richesses, & de laquelle les habitans sont idolatres, ayant langaige particulier. En l’an de l’incarnation de nostre seigneur mil deux cens soixante huict, le grand Cham envoya un de ses capitaines & lieutenant general, nommé Sogatu avec grosse armée, pour subjuguer & reduire a son empire cest province. Mais quand il fut entré quelque peu avant dans le païs, & recongneu les villes & chasteaulx d’icelle avec leurs munitions, forteresses & garnisons, il les jugea imprenables quelque violance ou assault qu’on y peult faire. A ceste cause s’advisa de gaster le plat pays, brusler villages, coupper les bois, & faire si grandes ruines, degastz & demolitions au pays, que le Roy n’osant se mettre en campaigne & advanturer sa fortune se rendit volontairement tributaire au grand Cham, moyennant que ce capitaine Sogatu se departist & retirast de son pays. Et furent les conventions de paix arrestées, a la charge de bailler par chacun an par le Roy de Ciamba au grand Cham le nombre de vingt Elephans beaux & singuliers pour tribut annuel. Et moy Marc Paule ay esté en ceste province, de laquelle le Roy avoit lors si grande quantité de femmes, qu’il en avoit trois cens vingt six enfans que filz que filles, & dont y en avoit desja cent cinquante qui pouvoient porter armes. En ceste contrée on trouve grande quantité d’elephans, grande abondance de bois d’Aloes, & semblablement des foretz de bois d’ebene.


De l’isle de Java.     Chapitre.   X.



Oultre la province de Ciamba tirans encores vers le Garbin par cinq cens lieuës, on parvient a une grande isle, appellée Java, qui contient en circuit environ mille lieuës. Le Roy d’icelle n’est tributaire a aucun. Il y a grande abondance de poyvres, muscades, gingembres & autres espiceries : au moyen de quoy les marchans y frequentent fort pour le gaing & proffit qu’ilz retirent de la traffique des espiceries. Les habitans sont grandz idolatres, & n’ont encores a present peu estre assubjectiz & renduz tributaires au grand Cham.


De la province de Boeach.       Chap.   XI.



Faisant voille oultre l’isle de Java, on trouve a deux cens lieuës de distance deux isles appellées Sondur & Condur : Oultre lesquelles en tirant encores vers le Garbin se descouvre la province de Boeach, a distance de cent cinquante lieuës, qui est grande & opulente en richesses. En icelle y a Roy particulier, & langaige distinct & separé. Ilz sont grandz idolatres. Les ours y sont privez & domestiques, encores qu’ilz soient grans comm lyons. On trouve au pays grande quantité d’elephans, & abondance d’or. Il y a bien peu de gens estrangers qui frequentent en ceste province, au moyen de la cruaulté & inhumanité des habitans d’icelle.


De l’isle de Petan.       Chap.   XII.



De la province de Boeach tirant vers le Midy, a cent cinquante lieuës de distance on descouvre l’isle de Petan, qui se consiste la pluspart en forestz & bocages, dont les arbres sont fort odoriferens, & desquelz on tire grand proffit. Entre Boeach & Petan on trouve vingt lieuës de mer si basse, que les nautonniers sont contrainctz retirer & lever les gouvernaulx : car on y trouve le gué si apparent, que sa profondité n’excede point deux toyses. De la on va au royaume de Maleteur, auquel y a grande abondance d’espiceries & drogues aromatiques, & ont les habitans d’iceluy langage particulier.