Le Bœuf gras (Antignac)

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Antoine Antignac
A. Eymery ; G. Delaunay (2p. 57-59).

LE BŒUF GRAS.

COMPLAINTE.
Air : Mon père était pot.


Voulez-vous savoir au juste où
Le destin m’a fait naître ?
Mes ancêtres dans le Poitou
Se sont bien fait connaître.
De moi l’on fait cas,
Et, foi de bœuf gras,
Ma famille est sans tache :
Mon frère était veau,
Mon père taureau,
Et ma mère était vache.


Sur mon volume et sur mon poids,
C’est en vain que l’on glose ;
Comme un autre ici bas, je dois
Compter pour quelque chose.
J’ai plus d’un attrait ;
Sur moi l’on pourrait
Peut-être faire une ode :
Car, vu ma grosseur,
J’ai l’insigne honneur
D’être un bœuf à la mode.

Au bruit des fifres, des tambours,
Toute la capitale
Peut admirer, pendant trois jours,
Ma pompe triomphale.
Sans être bien fin,
Sur ma triste fin
Je ne puis me méprendre ;
Car on dit : hélas !
Plus il sera las,
Plus le bœuf sera tendre.

Mon maître, ne négligeant point
Son utile système,
Doit me faire arriver à point
À la fin du carême ;
Et si mon filet,
Bien mariné, plaît

À quelque maître Jacques
Je vois l’inhumain,
Qui, le verre en main,
Avec moi fait ses pâques.


INVOCATION.


Jadis les hommes, moins gourmands,
Fuyant toute castille,
Avec nous d’herbage et de glands
Vivaient bien en famille.
Pour les pauvres bœufs,
Ramenez, grands dieux !
Ces humaines coutumes :
De tous les échecs,
Sauvez nos biftecks,
Et vivent les légumes !

Écrit sous la dictée de l’animal,


par M. Antignac.