Le Carnaval de Venise (Jean François Regnard)
ACTE I
Scène I.
J’ai fait l’aveu de l’ardeur qui m’enflamme,
L’Amour a vaincu la fierté ;
Cet aveu, qui m’a tant coûté,
D’un nouveau trouble agite encor mon âme.
Amour, toi qui peux tout charmer,
Pourquoi faut-il, sous ton empire,
Qu’on ait tant de plaisir d’aimer,
Et qu’on souffre tant à le dire ?
Je cherche en vain de toutes parts,
Léandre ne vient point s’offrir à mes regards.
Depuis qu’il connoît ma foiblesse,
Je ne vois plus le même empressement.
Hélas ! Ce qui devroit animer un amant,
Fait bien souvent expirer sa tendresse.
Amour, toi qui peux tout charmer,
Pourquoi faut-il, sous ton empire,
Qu’on ait tant de plaisir d’aimer,
Et qu’on risque tant à le dire ?
Isabelle paroît ; un soudain mouvement
Augmente ma crainte fatale.
Ciel ! N’est-ce point une rivale ?
Ah ! Qu’un cœur amoureux est jaloux aisément !
Scène II.
Dans ces beaux lieux, où tout enchante,
Je viens donner quelques moments
Aux jeux, aux spectacles charmants
Qu’ici la saison nous présente.
Dans ces spectacles, dans les jeux,
Ce n’est point cet éclat pompeux
Qui toujours nous attire ;
Sous ce prétexte, dans ces lieux
L’Amour prend soin de nous conduire,
Pour y voir quelque objet qui nous plaît encor mieux.
Je ne veux point faire un mystère
De l’amour qui peut m’engager :
J’aime un jeune étranger,
Et je cherche en ces lieux l’objet qui m’a su plaire.
À vous faire un pareil aveu
Cette confidence m’engage ;
Et pour un étranger j’ai senti naître un feu
Que son cœur avec moi partage.
De ses tendres regards je me sens enchanter.
À ses discours flatteurs je n’ai pu résister.
Il m’aime d’une ardeur extrême ;
Il m’a juré de m’aimer constamment.
Le tendre amant que j’aime
M’a fait cent fois même serment.
Apprenez-moi le nom de cet amant fidèle.
Nommez-moi cet objet de votre amour nouvelle.
C’est Léandre. Qu’entends-je ? Ô dieux !
Le perfide !
L’ingrat !
Il faut briser nos noeuds ;
Que mon dépit fasse éclater le vôtre ;
Il nous abuse l’une ou l’autre.
Peut-être que l’ingrat nous trompe toutes deux.
Il vient ; pénétrons dans son âme
Le secret de sa flamme.
Scène III.
Puis-je croire que votre cœur
Pour une autre que moi soupire ?
Ingrat, ne m’as-tu pas mille fois osé dire
Que tu brûlois pour moi d’une sincère ardeur ?
Quand je vous vois ensemble,
L’Amour, qui dans vos yeux tous ses charmes rassemble,
Est également triomphant ;
Entre deux beaux objets, qui tons deux savent plaire,
Le choix est difficile à faire,
Et l’un de l’autre me défend.
Explique-toi sans artifice.
Il est temps enfin de parler.
Il ne faut plus dissimuler.
Quelle contrainte ! Quel supplice !
De vos tendres regards j’ai senti les attraits ;
Je vous aimai, charmante Eléonore ;
Mais des yeux plus puissants encore
Ont soumis mon cœur à leurs traits ;
C’est Isabelle que j’adore,
Pour ne changer jamais.
Ciel ! Que viens-je d’entendre ? Et que ma peine est rude
Oses-tu déclarer ton infidélité ?
En amour bien souvent un peu d’incertitude
Flatte plus que la vérité.
Jouis de ta victoire, orgueilleuse rivale ;
Insulte encore à mon malheur :
Et toi, perfide amant, crois-tu voir dans mon cœur
Dissiper en regrets ma tendresse fatale ?
Non, ingrat ! Je prétends que mon courroux égale
Et surpasse encor mon ardeur ;
Je veux qu’à ma vengeance offert en sacrifice,
L’un ou l’autre périsse ;
J’en atteste le ciel, en ce funeste jour
La haine vengera l’amour.
Scène IV.
Que ces vains projets de vengeance
Ne servent qu’à serrer nos noeuds.
De divers étrangers une troupe s’avance ;
Écoutons leurs concerts, prenons part à leurs jeux.
Scène V.
Amor, amor, tel giuiro a fè,
Tuo crudo strale non fa più per me.
Le Choeur, répète ces deux vers, et les reprend à chaque couplet.
Amor, amor, tel giuiro a fè,
Tuo crudo strale non fa più per me.
Lungi da me, vaga Beltà ;
Non mi giova la crudeltà.
Chi vuol sospirar,
Può s’innamorar :
Amor, non la voglio con te ;
Lascia, mio core in libertà.
Amor, amor, tel giuiro a fè,
Tuo crudo strale non fa più per me.
Grata mercè di costante fè
Indarno vien a consolar me :
Col foco non voglio più scherzar ;
Amor per me gioco non è ;
Voglio ridere, non avvampar.
Amor, amor, tel giuiro a fè,
Tuo crudo strale non fa più per me.
Formons, s’il est possible,
Les plus doux concerts ;
Ce séjour est paisible
Dans le sein des mers.
Neptune, plus tranquille,
Pour flatter nos voeux,
Sert, dans ce doux asile,
De théâtre aux jeux.
Formons, s’il est possible etc.
Nous ressentons dans l’onde
Le flambeau d’Amour ;
Il est plus cher au monde
Que celui du jour.
Formons, s’il est possible, etc.
Tout plaît, tout rit dans ce beau séjour ;
Vénus y tient sa brillante cour.
Tout plaît, tout rit dans ce beau séjour ;
Vénus y tient sa brillante cour.
Dans ces beaux lieux remplis d’attraits,
L’Amour, n’a que d’aimables traits ;
Tout vient, jeunes cœurs, flatter vos désirs ;
Si l’hiver chasse les zéphyrs,
Il vous ramène les doux plaisirs.
Tout plaît, tout rit dans ce beau séjour ;
Vénus y tient sa brillante cour.
Malgré la glace et les noirs frimas,
Nous ressentons des feux pleins d’appas,
Et les jeux suivent partout nos pas.
Quel printemps fait de plus beaux jours ?
Au lieu de fleurs il naît des Amours. .
Tout plaît, tout rit dans ce beau séjour ;
Vénus y tient sa brillante cour.
Scène VI.
Vous brillez à mes yeux d’une grâce nouvelle,
Et je brûle pour vous d’une nouvelle ardeur :
La mère des Amours ne fut jamais si belle ;
Tout le feu de vos yeux a passé dans mon cœur.
Je crains une rivale, et mon ardeur fidèle
Me fait sentir de mortelles terreurs.
Ne craignez rien de ses fureurs.
Je crains plus de votre inconstance.
Ah ! Que cette crainte m’offense !
Pourquoi vous offenser de la juste frayeur
Dont je sens les atteintes ?
Les troubles et les craintes
Sont les premiers effets d’une naissante ardeur.
De ce tendre discours que mon âme est ravie !
D’un jaloux odieux je crains la barbarie :
Si notre amour éclatoit à ses yeux,
Rien ne pourroit calmer ses transports furieux.
L’Amour, armé de la constance,
Me craint ni rivaux, ni jaloux ;
Si nos cœurs sont d’intelligence,
Rien n’est à redouter pour nous.
D’un jaloux importun tromper la vigilance,
C’est goûter par avance
Ce que l’amour a de plus doux.
Brûlerez-vous pour moi d’une flamme sincère ?
Pouvez-vous vous connoître, et me le demander ?
La conquête d’un cœur est plus aisée à faire
Qu’elle n’est facile à garder.
Bannissez ces alarmes,
Rendez le calme à votre coeur ;
Vos beaux yeux et vos charmes
Vous répondront de mon ardeur.
Goûtons, sans nous contraindre,
Les plaisirs les plus doux.
Ah ! Que pouvons-nous craindre,
Si l’Amour est pour nous ?
ACTE II
Scène I.
Vous qui ne souffrez point les peines
Qui déchirent les cœurs jaloux,
Quel que soit le poids de vos chaînes,
Amants, que votre sort est doux !
Deux tyrans dans mon cœur exercent leur furie ;
L’amour, le tendre amour
Y fait naître la jalousie ;
Et mes jaloux transports, par un cruel retour,
Y font mourir l’amour qui leur donna la vie.
Vous qui ne souffrez point les peines
Qui déchirent les cœurs jaloux,
Quel que soit le poids de vos chaînes,
Amants, que votre sort est doux !
Scène II.
Malgré toute l’ardeur qui règne dans votre âme,
On vous séduit, on trahit votre flamme.
Ah ! Je m’en doutois bien ; et mes soupçons jaloux
M’en avoient instruit avant vous.
Un autre amant, sans résistance,
Remporte le prix le plus doux
Que méritoit votre constance.
Nommez-moi seulement le rival qui m’offense,
Et laissez agir mon courroux.
L’affront est égal entre nous,
Je veux partager la vengeance.
Un ingrat me juroit de vivre sous mes lois,
Je me flattois de ce bonheur extrême ;
On se laisse aisément tromper par ce qu’on aime,
Lorsque l’on est trompé pour la première fois.
À ce perfide amant Isabelle a su plaire,
Et Léandre à ses yeux…
Ô ciel ! Que dites-vous ?
Que l’amour dans nos cœurs se transforme en colère ;
Vengeons-nous, hâtons nos coups ;
La vengeance qu’on diffère
Perd ce qu’elle a de plus doux.
Et toi, sors de mon cœur, indigne et foible reste
D’une impuissante ardeur ;
Ne me parle plus en faveur
D’un perfide que je déteste.
J’étoufferai la voix d’une pitié funeste
Qui crie en vain dans le fond de mon cœur.
Que l’amour dans nos cœurs se transforme en colère :
Vengeons-nous, hâtons nos coups ;
La vengeance qu’on diffère
Perd ce qu’elle a de plus doux.
Rien ne peut s’opposer à mon impatience ;
Allons, courons à la vengeance.
Scène III.
Suivons tous, d’une ardeur fidèle :
C’est la Fortune ici qui nous appelle ;
Son pouvoir peut combler nos voeux.
Tous les biens volent autour d’elle ;
C’est elle qui nous rend heureux.
Je suis fille du Sort, inconstante et légère,
Tout fléchit sous nia loi.
De tous les dieux que le monde révère,
Quel autre a plus d’encens que moi ?
Je traîne à mon char la victoire ;
Je brise, quand je veux, des trônes éclatants ;
Et je puis, à tous les instants,
Par quelque événement éterniser ma gloire.
Venez implorer mon secours,
Amants qu’un triste sort accable ;
Je fais naître à mon gré le moment favorable
Que, sans moi, l’on attend toujours.
De tes rigueurs,
Ni de tes faveurs,
Fortune inconstante,
Je ne crains rien, rien ne me tente ;
Tout ton pouvoir
Ne fait ni ma crainte ni mon espoir.’
Le bien qui peut enchanter mon âme,
Est de brûler d’une constante flamme,
Et d’allumer de semblables feux.
Deux yeux
Touchants,
Charmants,
Élèvent mon sort aux cieux ;
Sans cesse je les implore,
Je les adore ;
Ce sont mes rois, ma fortune, et mes dieux.
Scène IV.
De ses voiles épais la nuit couvre les cieux.
Je sais que mon rival, dans l’ardeur qui le presse,
Doit ici, par ses chants, exprimer sa tendresse ;
Pour l’observer, cachons-nous en ces lieux.
Scène V.
Doux charme des ennuis et des peines pressantes,
Favorable divinité,
Sommeil, qui, dans ta fausseté
De tes illusions charmantes,
Nous fais goûter la vérité
De cent douceurs des plus touchantes,
Viens verser sur cette beauté
De tes pavots les vapeurs les plus lentes ;
Et fais que son cœur enchanté
Jouisse du repos que ses yeux m’ont ôté.
Luci belle, dormite ;
Deh ! Per pietà, un momento cessate,
Con i dardi
De’ vostri sguardi,
Di rinnovar al cor le mie ferite.
L’Amour me favorise, et je vois dans ces lieux
Une clarté nouvelle ;
N’en doutez point, mes yeux,
C’est l’Aurore, ou c’est Isabelle.
Scène VI.
Mi dice la speranza
Ch’ il tormento
In contento
Si cangerà.
Tra le spine nascosa
Si trova la rosa ;
Frà le pene Amor trionfera.
Dormez, beaux yeux, dormez sans craintes ;
Et cessez un moment, avec vos traits vainqueurs,
De renouveler les atteintes
Dont vous percez les coeurs.
L’espérance me dit que nos peines mortelles
Se changeront en des plaisirs charmants.
Parmi les épines cruelles
On voit les roses les plus belles ;
L’Amour doit triompher au milieu des tourments.
Quelle félicité peut égaler la mienne !
Il faut quitter ce lieu charmant ;
Un jaloux s’endort avec peine,
Mais il se réveille aisément.
Scène VII.
Je me suis fait trop longtemps violence,
Je ne puis plus cacher mes transports furieux.
Où donc est cet audacieux ?
Mais il fuit en vain ma présence ;
Avant que le soleil paraisse dans ces lieux,
Les ministres de ma vengeance
Éteindront dans son sang des feux injurieux.
Scène VIII.
Je cède à mon impatience ;
Et tandis que la nuit triomphe encor du jour,
Cher Léandre, je viens, conduite par l’amour,
Vous dire de mes feux toute la violence.
Quel plaisir de tromper et les soins et les yeux
D’un jaloux importun qui m’obsède en tous lieux !
Que je le hais ! Que son amour me gêne !
Rien n’est comparable à la haine
Que je ressens pour ce jaloux,
Que l’amour violent dont je brûle pour vous.
Ingrate !
Ah, ciel !
Ma voix t’étonne.
Je sais les trahisons où ton cœur s’abandonne.
Si le sort trahit votre espoir,
C’est à vous qu’il faut vous en prendre ;
Pourquoi cherchez-vous à savoir
Ce qu’on ne veut pas vous apprendre ?
Ô dieux !
Me m’aimez plus, rompez, rompez des nœuds
Qui ne sauroient vous rendre heureux.
Puis-je briser la chaîne qui m’accable ?
Mon cœur par vos attraits s’est trop laissé charmer ;
Si vous ne voulez pas m’aimer,
Souffrez du moins que je vous trouve aimable.
Je veux vous adorer malgré moi, malgré vous ;
J’espère que le temps rendra mon sort plus doux.
Dans mes yeux vous avez pu lire
Le sort que vous gardoit mon coeur :
Jamais d’aucun regard flatteur
Ai-je entrepris de vous séduire ?
Ah ! Quand on ressent quelque ardeur,
Les yeux sont-ils si longtemps à le dire ?
Pour rendre le calme à mes sens,
Et pour payer I’amour dont mon âme est atteinte,
Dites que vous m’aimez, trompez-moi, j’y consens ;
Cette fausse pitié, cette cruelle feinte,
Peut-être calmeront les douleurs que je sens.
C’est une peine, quand on aime,
D’avouer un penchant qu’on trouve plein d’appas ;
Ce seroit un supplice extrême
De déclarer des feux que l’on ne ressent pas.
Mon tendre amour, de votre haine
Ne sera-t-il jamais victorieux 3
Vous gardez le silence ; insensible ! Inhumaine !
L’aurore va paroître, il faut quitter ces lieux.
Scène IX.
Pour trouver un amant qu’en vain ton cœur adore,
La nuit n’a point d’horreur pour toi ;
Et tu crains avec moi
Le retour de l’aurore !
Va, cours chercher ce rival odieux
Qui de ton cœur s’est rendu maître ;
Tes mépris trop injurieux
Étouffent tout l’amour que j’ai pris dans tes yeux :
Mais mon juste dépit te fera bien connoître
Que, si je sais aimer, je hais encore mieux.
ACTE III
Scène I.
Transports de vengeance et de haine,
Succédez à l’amour qui régnoit dans mon coeur ;
Mon ingrat va périr, et sa mort est certaine ;
Peut-être en ce moment une main inhumaine…
Je tremble. Je frémis d’horreur.
Barbares… Arrêtez… Votre fureur est vaine ;
L’ingrat que vous percez cause encor ma langueur.
Transports de vengeance et de haine,
Ne chassez point l’amour qui flatte encor mon cœur.
Mais il vit pour une autre ! Une pitié soudaine
Doit-elle s’opposer à mon dépit vengeur ?
Ministres qui servez le courroux qui m’entraîne,
Frappez… et qu’en mourant, cet infidèle apprenne
Que je l’immole à ma fureur.
Transports de vengeance et de haine,
Succédez à l’amour qui régnoit dans mon cœur.
Scène II.
À la fin vous êtes vengée :
J’ai servi le juste transport
De notre tendresse outragée :
Votre ingrat ne vit plus, et mon rival est mort.
Il est mort, justes dieux ! Ma bouche impitoyable
A prononcé l’arrêt de son trépas.
Qu’ai-je fait, malheureuse ? Hélas !
Il ne vit plus ; et le ciel redoutable,
S’il respiroit encor, ne le sauveroit pas.
Tu l’as souffert, ô ciel ! Et ta main équitable
Ne punit point ces attentats !
Que fais-tu ? Qui retient ton bras ?
Lance ta foudre épouvantable ;
Sur ce traître ou sur moi fais voler ses éclats,
Tu ne saurois manquer de frapper un coupable.
C’est toi qui lui perces le cœur.
C’est vous qui lui percez le cœur.
Cruel, dis-moi quel est son crime.
Vous demandiez une victime.
Devais-tu croire mon ardeur ?
Deviez-vous armer ma fureur ?
C’est toi qui lui perces le cœur.
C’est vous qui lui percez le cœur.
Calmez les déplaisirs dont votre âme est saisie.
Pour oublier leur perfidie,
Aimons-nous, unissons nos coeurs ;
Et qu’un amour formé de nos communs malheurs
Soit le fruit de la jalousie.
Que je m’unisse à toi,
Monstre sorti de I’infernal empire !
Va… Fuis… Je frémis d’effroi,
Que le jour que je vois,
Que l’air que je respire
Me soient communs avec toi.
Scène III.
Laissons de ses regrets calmer la violence.
Mais le parti victorieux
Du combat que le peuple a donné dans ces lieux
Vient montrer sa réjouissance.
Allons faire savoir à l’objet qui m’offense
Un trépas dont son cœur sera saisi d’effroi ;
Je perds le prix de ma vengeance,
Si l’ingrate l’apprend d’un autre que de moi.
Scène IV.
Divertissement de Castellans et de Barquerolles, avec le fifre et le tambourin.
Nous triomphons sur les eaux, sur la terre ;
Nous mêlons dans nos jeux l’image de la guerre :
Mêlons aussi dans ce beau jour
Qui nous comble de gloire,
Des chansons d’amour
Aux chants de victoire,
Des chansons d’amour
Au son du tambour.
Nous triomphons sur les eaux, sur la terre ;
Nous mêlons dans nos jeux l’image de la guerre :
Mêlons aussi dans ce beau jour
Qui nous comble de gloire,
Des chansons d’amour
Aux chants de victoire,
Des chansons d’amour
Au son du tambour.
Entre la crainte et l’espérance,
Sur le sein de Neptune, on est à tous moments ;
L’empire de l’Amour n’a pas plus de constance,
Et l’on y voit flotter sans cesse les amants
Entre la crainte et l’espérance.
Embarquez-vous,
Amants, sans faire résistance ;
Embarquez-vous,
L’empire de l’Amour est doux.
C’est une mer toujours sujette à l’inconstance,
Que quelque orage à tout moment vient agiter ;
Malgré ces maux, le calme de l’indifférence
Est encor plus cent fois à redouter.
Tout rit à nos désirs,
Ne songeons qu’aux plaisirs ;
Que le vent gronde,
Que la mer soulève les flots,
Que le ciel en feu leur réponde,
Nous goûtons ici le repos.
Scène V.
Mes yeux, fermez-vous à jamais,
Ou ne vous ouvrez plus que pour verser des larmes.
Le jour est pour moi désormais
Un sujet de peine et d’alarmes.
Mes yeux, fermez-vous à jamais,
Ou ne vous ouvrez plus que pour verser des larmes.
Je suis coupable de vos charmes,
J’ai trop fait briller vos attraits ;
Et je veux, par les mêmes armes,
Me punir des maux que j’ai faits.
Mes yeux, fermez-vous à jamais,
Ou ne vous ouvrez plus que pour verser des larmes.
Mais que servent, hélas ! Ces regrets superflus ?
Cher Léandre, tu ne vis plus.
Quand tu descends pour moi dans la nuit éternelle,
Doit-il m’être permis de voir encor le jour ?
Non, non : pour me rejoindre à cet amant fidèle,
La plus affreuse mort me paroîtra trop belle,
Et ce fer doit ouvrir un chemin à l’amour.
Scène VI.
Ciel ! Que voulez-vous entreprendre ?
Dois-je en croire mes yeux ? Est-ce vous, cher Léandre ?
Quelle aveugle fureur vous arrache le jour ?
Le bruit de votre mort causoit seul mes alarmes ;
Mon sang versé, mieux que mes larmes,
Vous alloit prouver mon amour.
Quoi ! Vous mouriez pour moi ! Dieux ! Quelle barbarie
De votre sort hâtoit le cours ?
Hélas ! Toute ma vie
Ne vaut pas un seul de vos jours.
Un jaloux, que la rage anime,
Vient de faire éclater son barbare courroux ;
Il a porté les mains sur une autre victime,
Et la nuit et l’Amour m’ont sauvé de ses coups.
Je revois enfin ce que j’aime ;
L’excès de mon bonheur se peut-il concevoir ?
Je crains que le plaisir extrême
Que je sens à vous voir
Ne fasse sur mes jours l’effet du désespoir.
Vivons pour nous aimer, vivons, malgré l’envie ;
Nous triomphons des jaloux et du sort.
Que notre crainte soit suivie
Du plus tendre transport.
Aimez-moi, tout vous y convie :
Si vous vouliez donner votre sang à ma mort,
Hélas ! Que pourriez-vous refuser à ma vie ?
Suivons nos doux emportements,
Aimons-nous d’une ardeur nouvelle ;
Quand l’Amour au jour nous rappelle,
Nous lui devons tous nos moments.
Fuyons un lieu funeste à de tendres amants.
Je fais mon bonheur de vous suivre.
Je vous allois chercher dans le sein du trépas ;
Lorsque pour moi l’amour vous fait revivre,
Qui pourroit m’empêcher de voler sur vos pas ?
On doit donner au peuple, en ce jour favorable,
Un spectacle où d’Orphée on retrace la fable ;
Un bal pompeux doit suivre ces plaisirs ;
Le tumulte et la nuit serviront nos désirs.
Je vais en ce lieu vous attendre :
Un vaisseau par mes soins dans le port va se rendre,
Pour nous porter en des climats plus doux,
Où nous pourrons braver la fureur des jaloux,
Et goûter les douceurs de l’hymen le plus tendre.
ORPHEE AUX ENFERS, OPÉRA
Pluton.
Orphée.
Eurydice.
Une ombre.
Troupe de divinités infernales.
Troupe d’Esprits follets.
Scène I.
Dieux des enfers, aux armes !
Aux armes ! Aux armes !
Un mortel insolent, malgré la loi du sort,
Dans les royaumes de la Mort
Descend encor vivant, et cause mes alarmes.
Aux armes ! Aux armes ! ’
Le Tartare frémit,
L’Érèbe gémit,
Cerbère mugit.
Dieux des enfers, aux armes !
Aux armes ! Aux armes !
On entend une symphonie très douce.
Mais quels chants remplis de douceur !
Quelle douce harmonie
Chasse la barbarie
D’un cœur comme le mien, ouvert à la fureur !
Scène II.
Puissant maître des Ombres,
À ton trône enflammé l’Amour conduit mes pas :
La charmante Eurydice, hélas !
A passé les rivages sombres ;
Rends-moi cet objet plein d’appas,
Ou, par pitié, donne-moi le trépas.
Plus loin que ton espoir tu portes ta demande ;
Mais Pluton y consent, si l’Amour le commande.
Pars ; sors du ténébreux séjour :
Mais je prétends qu’une loi s’accomplisse ;
Ne regarde point Eurydice,
Que tu ne sois rendu dans l’empire du jour.
Scène III.
Mon cœur, chantez votre victoire,
L’Amour est couronné de gloire.
Les ris et les chants
À la douleur succèdent,
Les enfers cèdent
Aux charmes de deux yeux touchants.
Scène IV.
Soutienne qui pourra les traits et les éclairs
Q’on voit partir d’un beau visage ;
La beauté dans les cieux trouve un aisé passage,
Et se fait même ouvrir les portes des enfers.
Scène V.
Pour plaire à l’objet qui m’enflamme,
Amours, volez tous dans mon âme ;
Fuyez, peines, soupirs, ne revenez jamais
De mon cœur amoureux interrompre la paix.
Scène VI.
Jette, Orphée, un regard sur celle qui t’adore.
Chère Eurydice, enfin, je vous revois encore !
Scène VII.
Va, fuis loin de mes yeux,
Mortel trop téméraire,
Puisque des dieux
Tu violes l’arrêt sévère ;
Qu’Eurydice reste en ces lieux.
Ô dieux !
Qu’une troupe rapide
De démons empressés
Dans l’empire des airs reporte ce perfide.
Pluton commande, obéissez.
Quelle rigueur impitoyable !
Un crime de l’amour n’est-il point pardonnable ?
Scène VIII.
Esprits infernaux, en ce jour,
Pour chasser le chagrin qui la presse,
Riez, chantez, dansez, montrez votre allégresse ;
Qu’on ne parle plus de tristesse
Où brille le flambeau d’Amour.
Rions, chantons, dansons, montrons notre allégresse :
Qu’on ne parle plus de tristesse
Où brille le flambeau d’Amour.
Scène IX.
Il est temps de partir, l’occasion est belle ;
Tout conspire pour nous, et la mer, et les vents ;
Profitons bien de ces heureux moments,
Allons où l’Amour nous appelle.
LE BAL, DERNIER DIVERTISSEMENT.
L’hiver a beau s’armer d’aquilons furieux,
Et fixer des torrents la course vagabonde ;
En vain ses noirs frimas, pour attrister le monde,
Dérobent le flambeau qui brille dans les cieux ;
Sitôt que je parois, je bannis la tristesse ;
J’ouvre la porte aux jeux, aux festins, à l’amour :
À mon départ le plaisir cesse ;
Et, pour mieux s’y livrer, on attend mon retour.
Vous qui m’accompagnez, montrez votre allégresse ;
Par vos jeux, par vos chants, célébrez ce beau jour.
Je veux joindre à ces jeux une nouvelle danse ;
Venez, aimables enjouements ;
Redoublez en ces lieux notre réjouissance
Par de nouveaux déguisements.
En ce temps de plaisir le plus sage s’oublie,
Et permet un peu de folie.
Chantez, dansez, profitez des beaux jours ;
L’heureux temps des plaisirs ne dure pas toujours.
Chantons, dansons, profitons des beaux jours ;
L’heureux temps des plaisirs ne dure pas toujours.
La raison vainement voudroit vous interdire
Des passe-temps si doux ;
Les moments que l’on passe à rire
Sont les mieux employés de tous.
Les moments que l’on passe à rire
Sont les mieux employés de tous.