Poésies de Schiller/Le Chasseur des Alpes
LE CHASSEUR DES ALPES.
« Ne veux-tu pas garder les agneaux ? Les agneaux sont si paisibles et si doux ! ils se nourrissent des fleurs de gazon et jouent au bord du ruisseau. ― Ma mère ! ma mère ! laisse-moi m’en aller chasser sur les cimes de la montagne.
― Ne veux-tu pas appeler les troupeaux par les sons joyeux de la corne rustique ? Écoute comme le son des cloches se mêle harmonieusement aux chants de la forêt ! ― Ma mère ! ma mère ! laisse-moi m’en aller sur les montagnes sauvages.
― Veux-tu prendre soin des fleurs qu’il est si beau de voir éclore ? Là-bas, tu n’auras nul frais jardin : sur les montagnes, tout est d’un aspect sinistre.
― Ma mère ! ma mère ! ne parle pas des fleurs ! laisse-moi m’en aller. »
Et le jeune homme part pour la chasse : emporté par son aveugle ardeur, il monte, il monte sans cesse, jusqu’aux cimes effrayantes de la montagne. Devant lui la tremblante gazelle s’enfuit avec la rapidité du vent.
Elle s’élance d’un pied léger sur les pointes escarpées des rocs, et, d’un saut hardi, franchit les abîmes. Le jeune homme audacieux la suit avec le dard meurtrier.
La voilà à la sommité d’un pic aigu au bord du précipice ; toute trace de sentier a disparu : devant elle est l’abîme, derrière elle est l’ennemi. Elle invoque le rude chasseur avec un regard muet et plein de douleur ; elle l’invoque en vain, car déjà il s’apprête à lâcher la corde de son arc, quand soudain le vieux Génie de la montagne sort d’une fente de rocher.
De ses mains puissantes il protège la pauvre petite bête inquiète, et s’écrie en regardant le chasseur : « Faut-il donc que tu apportes jusqu’ici le malheur et la mort ? La terre a assez de place pour tous, respecte mon troupeau ! »