Nouvelles Chansons du Chat noir/Le Cheveu de Charlemagne

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Heugel & Cie (p. 101-108).


No 10

LE CHEVEU DE CHARLEMAGNE


APOLOGUE


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LE CHEVEU DE CHARLEMAGNE



Sur la grand’place du village,
Après l’office du matin,
Vint s’arrêter un équipage
D’or, de velours et de satin.
Coiffé d’un casque et d’un panache,
Chamarré d’or, un charlatan
Était debout dans la patache
Pour crier son orviétan !


Aussitôt, d’un quart de lieue,
Séduit par le bruit du tambour,
Un auditoire en blouse bleue
Courut se ranger tout autour :
« Approchez, j’arrive d’Espagne
Pour vous montrer, bons villageois,
Un cheveu du grand Charlemagne
Que je tiens au bout de mes doigts ! »



Les paysans, bouche béante,
Écarquillaient en vain les yeux ;
Ils étaient là plus de cinquante
Attentifs et silencieux.
Plus il passait sa main vermeille
Devant chacun des assistants,
Et moins on voyait la merveille
Dont parlait l’arracheur de dents.

Tout à coup une bonne femme
S’avance et crie à pleine voix :
« C’est un cheveu, oui, sur mon âme !
Je vous jure que je le vois ! »

— « Oh ! fait l’homme, étrange rencontre !
De quels yeux suis-je donc pourvu ?
Voilà quinze ans que je le montre,
Eh bien, je ne l’ai jamais vu. »


MORALE


Les candidats que l’on acclame
Font de semblables boniments,
En promettant sur leur programme
Le meilleur des gouvernements :

Progrès, bonnes lois de cocagne,
Grands mots de mystificateurs !
C’est le cheveu de Charlemagne
Qu’on fait voir aux bons électeurs !