Gaspard de la nuit (éd. 1920)/Le Clair de lune

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Livre III
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 103-104).


V

LE CLAIR DE LUNE


Réveillez-vous, gens qui dormez,
Et priez pour les trépassés.

Le cri du crieur de nuit.


Oh ! qu’il est doux, quand l’heure tremble au clocher, de regarder la lune qui a le nez fait comme un carolus d’or !


*


Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien hurlait dans le carrefour, et le grillon de mon foyer vaticinait tout bas.

Mais bientôt mon oreille n’interrogea plus qu’un silence profond. Les lépreux étaient rentrés dans leur chenil, aux coups de Jacquemart qui battait sa femme.

Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise.

Et le grillon s’était endormi, dès que la dernière bluette avait éteint sa dernière lueur dans la cendre de la cheminée.

Et moi, il me semblait, — tant la fièvre est incohérente, — que la lune, grimant sa face, me tirait la langue comme un pendu !