Le Collège Saint-Raymond

La bibliothèque libre.
éditions de L’Auta (p. 3-20).

RAYMOND CORRAZE

Le Collège Saint-Raymond



1944

Aux éditions de “L’Auta”

6, rue Saint-Jean, 6

TOULOUSE


Le Collège Saint-Raymond
sa reconstruction au XVIe siècle[1]


Au cours de mes prospections patientes et minutieuses dans la poussière des archives notariales, une déesse capricieuse, inconstante et infidèle, de temps et temps daigne me sourire, c’est la chance. C’est ainsi que j’ai eu la bonne fortune de mettre la main sur un nid, un véritable nid de documents précieux, les documents qui vont éclairer d’une manière à peu près complète et définitive la genèse d’un beau monument toulousain : notre Musée Saint-Raymond.

Mon premier devoir, je l’ai tout de suite pensé, était de communiquer cette découverte, non sans importance, aux « Amis du Musée Saint-Raymond » qui y étaient les premiers intéressés. Mais cette obligation de justice une fois remplie, ma pensée fidèle s’est tournée vers nos amis les « Toulousains de Toulouse ». Aussi bien est-ce avec une vraie joie, une joie redoublée que j’ai redit devant eux, dans une réunion familiale et devant le bureau renouvelé de la Société, l’essentiel de ma communication ; pour la plupart d’entre eux, c’était encore de l’inédit.

Mais avant d’aborder les phases de la reconstruction du collège Saint-Raymond au XVIe siècle, je vais raconter en quelques mots l’histoire des deux institutions dont ce monument fut le siège : l’hôpital Saint-Raymond tout d’abord, le collège Saint-Raymond ensuite, et je garde pour la fin les précieux baux à besogne que j’ai découverts au cours de mes recherches.

N’attendez pas de moi une conférence de piété sur la dévotion à saint Raymond. Certes, le sujet serait tentant ; ce n’est pas celui que je dois traiter. Peut-être m’arrivera-t-il de relater devant vous, en historien sincère, des faits peu édifiants. Vous n’en serez ni surpris, ni scandalisés. Tout ce qui est humain est faillible. L’homme porte en lui-même l’éternelle tentation d’abuser des choses les meilleures et il se laisse aller à y succomber. Les collégiats de Saint-Raymond, qui étaient de pauvres jeunes gens, n’ont pu échapper à ce destin. J’ai déjà écrit l’histoire du collège de l’Esquile et puis celle du collège de Papillon. Ils se blottissaient, comme le nôtre, à l’ombre du clocher abbatial de Saint-Sernin. Ayons le courage de le dire : ces collèges n’étaient pas toujours des écoles de vertu. Le roi Henri II, par son édit de juillet 1551, en supprimait huit d’un trait de sa plume royale : ne le blâmons pas ; il avait, pour ce faire des raisons excellentes. Petits collèges, grands abus !

Sources. — Io manuscrites : Archives département. Fonds de Saint-Sernin, liasses 641 à 643 ; ibidem, série D. Collèges, le collège Saint-Raymond. Archives notariales, Reg. 2509.

2o Imprimées : Histoire générale de Languedoc, édition Privat, tome III, fo 338 à 450 ; Cartulaire de Saint-Sernin, abbé Douais, fo 380, 383, 389. L’art à Toulouse, du même auteur, fo 90 à 124. Nicolas Bachelier, Henri Graillot. Histoire de Saint-Sernin, de l’abbé Salvan.


L’hôpital Saint-Raymond


Le cartulaire de Saint-Sernin mentionne la fondation de cet hôpital et contient quarante-trois documents relatifs à cet établissement : « incipiunt cartule hospitalis sancti Raymundi » ; c’est, en effet, une succession de petites chartes, « cartule », très brèves, mais très authentiques, contenant des alinéas de six à huit lignes et écrites en ce latin décadent et pauvre des siècles du haut moyen âge qui devait faire appel à la langue romane pour achever la complète expression de sa pensée. Malheureusement elles ne sont datées que par la mention du règne : « regnante Philippo rege » : il s’agit de Philippe Ier, qui monta sur le trône en 1060.

Nous y voyons apparaître le comte Guillaume IV, la comtesse Matels ou Mathilde, sa femme ; l’évêque Izarn qui s’intitule évêque prévôt, et le chanoine capiscol, de Saint-Sernin, Raymond Gayrard, vénéré comme un saint, à cause de son amour des pauvres et de son dévouement à l’œuvre de l’église abbatiale dont il poussa la construction jusqu’à la naissance des voûtes.

Le comte Guillaume IV était le fils aîné du comte Pons et le petit-fils de ce comte Guillaume, qui portait le sobriquet héroïque de Taillefer, parce que, dit sa légende, d’un coup de sa terrible épée, il pourfendait la tête casquée, de son adversaire jusqu’au menton inclusivement. Ce dernier repose tout près de nous, dans cet enfeu mystérieux qui s’ouvre au transept méridional de Saint-Sernin et devant lequel le vrai Toulousain s’arrête d’instinct, saisi soudain par l’emprise de tout un passé de gloire. C’est vers l’an 1066 ou 1067 que Guillaume IV épousa la comtesse Matels ; il fit le pèlerinage de Rome en 1079. Ces dates nous permettront de fixer le moment de sa vie où le comte Guillaume fonda l’hôpital Saint-Raymond.

Quant à l’évêque Izarn, il appartenait à la famille des seigneurs de Lavaur et nous le trouvons installé sur le siège épiscopal de Toulouse à partir du 6 décembre 1071.

Mgr Douais porte l’établissement de l’hôpital à l’année 1080 ; c’est une hypothèse, mais elle paraît vraisemblable. Le premier bienfaiteur de l’hôpital était un certain Pierre Benoît, juge et probablement juge-mage de Toulouse ; il donna une maison et une petite église voisine, instituée sous le vocable de saint Jean ; elle deviendra la chapelle Saint-Raymond, annexe de l’hôpital et puis du collège : « Ce don que tu fais, lui dit le comte, je le reçois à l’honneur de Notre-Dame, de Notre-Seigneur Jésus-Christ et du saint Sépulcre où je veux aller en pèlerinage, et parce que tu as eu pitié des pauvres du Christ, par amour de Dieu et par amitié pour moi, je te promets que ni toi ni ton fils n’irez jamais en ost ni en cavalcade, c’est-à-dire à la guerre, et vous ne paierez Jamais ni quête ni taille. »

Le comte, l’évêque et le chanoine sacristain de Saint-Sernin Raymond-Guillaume de Marquefave, le prieur Pierre Puncti, s’engagent à fournir le pain, le vin et le sel, c’est-à-dire tout le nécessaire, et proclament que lorsque cet hôpital aura trouvé dans le cloître de l’abbaye un four, il le possédera sans avoir à payer aucun impôt.

Pour compléter la dotation de cet hôpital, le comte donnait les revenus, « lo logar », le loyer d’un moulin qu’il possédait près du Bazacle ; l’évêque et les religieux de Saint-Sernin y ajoutaient la dîme de tous leurs revenus et les draps qui provenaient du droit de dépouille sur les morts qui étaient ensevelis au cimetière de l’abbaye.

Parmi les témoins qui figurent dans ces différentes chartes, nommons un Saturnin du Peyrou (ce qui prouverait que le nom de la place, et de la rue du Peyrou est très ancien dans Toulouse), le chanoine Bernard Auger et certains membres de grandes familles exclusivement toulousaines, Guillaume-Bernard de Bruguières et son beau-fils Charles de Bruguières, Arnaud-Raymond de Castelnau, Aymar de Villemur et Rayrnond-Amiel de Saint-Théodard.

Et le comte termine en appelant les malédictions du ciel sur les démolisseurs de son œuvre ; « et si quelqu’un de nos successeurs allait à l’encontre de ce que nous avons établi, qu’il soit maudit dans la géhenne du feu, lui et tous ses biens ».

Quant au chef qu’il fallait donner à cette maison de charité, la charte le désigne clairement avec toutes ses vertus ; écoutez : « iste qui vult esse dux domus istius sit conversus ad Deum imprimis et ad sanctam Mariam et ad pauperes domus istius. Postea ducat seipsum et omnes pauperes et illos qui sunt moraturi in istum hospitalium ». Le latin du notaire est barbare et de qualité inférieure, mais quelle richesse de pensée ! « Que celui qui veut être le chef de cette maison soit avant tout tourné vers Dieu, vers la sainte Vierge Marie et ensuite vers les pauvres ; qu’il se gouverne lui-même pour mieux diriger les pauvres et tous ceux qui demeureront dans cet hôpital. »

À ces traits, vous avez reconnu Raymond Gayrard et c’est à lui en effet que le comte et l’évêque confièrent la direction de l’hôpital nouveau ; « et hoc totum est in bajulia de Deo, de sancta Maria et de Raymundo Guiraldo : et le tout est sous la garde de Dieu, de la Vierge Marie et de Raymond Gayrard. »

Lorsqu’il vint à mourir, le 3 juillet 1118, « V. non. julii, anno MCX VIII (nécrologe de Saint-Sernin), Raymond Gayrard demanda, comme une faveur, la grâce d’être enseveli, non dans le superbe monument dont il avait activé la construction avec tant de succès, mais dans l’humble chapelle Saint-Jean du modeste hôpital qu’il avait dirigé avec tant de charité. Ses restes y furent vite vénérés comme une pieuse relique et, dès ce moment-là hôpital et chapelle portèrent le nom du saint religieux.


Le collège Saint-Raymond


À quel moment cet hôpital est-il devenu le collège Saint-Raymond ?

Transportons-nous par la pensée au commencement du treizième siècle ; nous sommes en plein drame, en pleine croisade albigeoise. Une hérésie formidable s’est dressée dans l’Église contre l’Église ; elle menace, non seulement son unité, mais son existence même ; elle sape, jusque dans leurs bases les plus solides et les plus profondes, les assises du mariage, de la famille et de la société.

Pour faire face au danger terrible qu’elle doit affronter, l’Église fait appel à deux moyens très dissemblables : l’Inquisition et l’Université.

Laissez-moi proclamer tout de suite que mes préférences vont au second de ces moyens et au plus évangélique. Par l’Inquisition, l’Église applique le fer rouge de la répression à la plaie purulente de l’hérésie.

Par l’établissement de l’Université, elle endigue et elle contient, dans les bornes de l’inflexible orthodoxie, ces grands courants intellectuels qui emportent et enfièvrent les esprits à cette heure où les trop séduisants échos de la voix d’Abailard retentissent encore et donnent une force singulière aux arguments redoutables de la philosophie rationaliste d’Aristote.

Or, et c’est là que je me hâte d’en venir, ce sont l’Inquisition et l’Université que je rencontre au berceau du collège Saint-Raymond.

Voici les faits : le 14 février 1249, l’évêque d’Agen, inquisiteur de la foi dans le comté de Toulouse, avait acheté une maison en face de l’église abbatiale de Saint-Sernin et son confrère, le célèbre inquisiteur Raymond de Caux, en avait fait une prison où étaient enfermés les hérétiques en attendant leur condamnation.

Pour remercier l’abbé de Saint-Sernin des services qu’il en avait reçus, l’évêque inquisiteur fit donation de cette maison à l’hôpital Saint-Raymond, — écoutez bien, — « in quo scolares pauperes morantur ». Déjà en 1249, l’hôpital donnait asile à de pauvres écoliers.

Situons cette maison ; elle confrontait du Levant avec la rue qui est entre cette maison et la porte de l’église abbatiale ; du Couchant, avec la rue qui conduit à la porte Arnaud-Bernard ; du Midi, avec la rue qui sépare l’hôpital de cette maison.

Cet acte fut signé à Agen, en présence de l’inquisiteur frère Raymond de Caux, de l’official du diocèse, d’Arnaud de Cassanels, citoyen d’Agen. Le notaire qui rédigea l’acte s’appelait Aymeric de Casals.

Au mois de mai 1256, les nouveaux inquisiteurs, les frères Réginald de Chartres et Jean de Saint-Pierre approuvent, renouvellent et confirment cette donation ; ils demandent que cette maison avec sa cour intérieure ne fasse plus qu’un avec l’hôpital qui est en face, et pour faciliter cette union, ils exigent que l’on construise, sur la rue qui les sépare, un pont de pierre ou de brique porté sur des arceaux voûtés, « per pontem arcuatum lapideum seu latericium, super carreriam publicam ». La porte de cette maison sera donc murée et la communication avec l’hôpital se fera uniquement par ce pont jeté sur la rue. Des chambres pour les pauvres écoliers y seront préparées et toutes réparations nécessaires le feront aux frais de l’abbé de Saint-Sernin.

Tout le monastère était présent, l’abbé Bernard de Gensac A. Auriol, prieur claustral ; B. Bégon, camérier ; B. de Suc, aumônier ; Vital, prieur de Grisolles ; Guillaume-Raymond Simon, prieur de Calmont ; P. de Laroche, célérier-infirmier ; B. de Prignac, ouvrier ; Guillaume Beulier, prieur de Blagnac ; B. de Maresis, sacristain, et d’autres religieux réunis pour accepter cette donation et promettre d’en remplir les clauses.

Les témoins pour l’inquisiteur étaient Raymond de Foix, prieur des Frères-Prêcheurs ; frère Guillaume Goti, gardien du couvent des Mineurs, et le chanoine Roger de Comminges, grand-chantre du Chapitre cathédral.

Avais-je raison de le dire ? L’Inquisition était au berceau du collège Saint-Raymond, et j’ai ajouté : l’Université.

Par le traité du 12 avril 1229, aussi désastreux qu’humiliant, le comte de Toulouse, vaincu et dépouillé, s’engageait, entre autres choses, à payer quatre mille marcs d’argent pour entretenir, pendant dix ans, quatre maîtres de théologie, deux en droit canonique, six maîtres ès arts et deux régents de grammaire. La célèbre Université de Toulouse était fondée : elle fut au début un instrument de combat contre l’hérésie et les différentes chaires en furent confiées aux Ordres Mendiants, Dominicains et Franciscains, dont la fidélité au Saint-Siège et l’orthodoxie étaient au-dessus de tout soupçon.

Mais autour de ces chaires, il fallait créer un mouvement et attirer des auditeurs. Or, la guerre avait tout bouleversé : de « la Conquête albigeoise » était sortie une véritable révolution sociale. L’aristocratie languedocienne était anéantie, emmurée et dépossédée. Une nouvelle noblesse, celle du commerce et de l’argent, était en train de monter au premier rang. C’est dans ce monde nouveau que la jeune Université allait trouver ses premières recrues.

Mais le mot d’ordre de l’Église et de la Papauté était de favoriser l’accession du peuple et des pauvres au bénéfice d’une instruction plus haute, jusque là réservée aux classes souveraines ou bourgeoises. Tous les ordres religieux furent sollicités par le pape de se prêter à la réalisation de ce noble dessein.

Les premiers à répondre à cet appel furent l’abbaye de Saint Sernin et le monastère de Grandselve, près de Grenade, au diocèse de Toulouse. La première, par une transformation heureuse, changea l’affectation de l’Hôpital Saint-Raymond et elle en fit un collège. Quelques années plus tard, Grandselve fondait le collège Saint Bernard. Et c’est ainsi que là où la vieille abbaye toulousaine distribuait le pain quotidien et les soins matériels aux pauvres de la Cité, elle dispensa désormais à d’autres mendiants une nourriture plus noble et non moins nécessaire.

Cette priorité dans la création du premier collège boursier de Toulouse ne saurait être refusée à la vieille abbaye et demeure une de ses gloires les plus pures. L’élan qu’elle a donné va se perpétuer pendant deux siècles et, dans cet espace restreint que son clocher illumine de tout l’éclat de ses briques et qui va du Capitole aux Jacobins et aux Cordeliers, vingt collèges viendront se grouper, frères puinés du vénérable collège Saint-Raymond.

LA VIE COLLEGIALE

1o La Vie Matérielle.

C’était l’abbaye de Saint-Sernin qui avait la charge de faire vivre l’Hôpital Saint-Raymond et de lui fournir le pain, le vin et le sel, comme le voulait la charte de fondation. C’est elle qui assuma aussi la responsabilité de nourrir et d’entretenir les pauvres écoliers du nouveau collège, « ut pueri alimentarii », dit un document. Ces écoliers furent, au début, au nombre de trente ; mais ce chiffre ne fut pas maintenu : il fut réduit de siècle en siècle. En 1428, ils étaient au nombre de seize. Ce chiffre fut augmenté de deux unités par le testament d’un ami et ancien élève du collège devenu recteur de Saint-Michel de Lanés, au diocèse de Mirepoix, et de Fornex, au diocèse de Rieux : par ce testament, daté du 17 avril 1518, Jean Bonhomme fondait deux nouvelles places collégiales, réservées à deux prêtres perpétuels ; ils devaient assurer le service religieux du collège dont jusqu’ici l’abbaye de Saint-Sernin avait la charge. À cet effet, il laissait au collège sa métairie de Pibrac, un uchau du moulin du Bazacle et une rente en nature sur la métairie de Bartha-agassa, situé à Pechbonieu ; il désignait comme ses exécuteur testamentaire le premier président Pierre de Saint-André, l’abbé de Saint-Sernin et le licencié en droit, Arnaud du Faur.

Une transaction du 8 août 1675 réduisit ce chiffre de dix-huit à dix, huit places collégiales et deux places presbytérales ; mais quatre des places collégiales devaient être occupées par des prêtres ou des clercs dans les ordres sacrés et elles étaient affectées au service du chœur de Saint-Sernin où ces collégiats devaient venir au titre de prébendés et sans aucune autre rétribution que celle qu’ils recevaient du collège.

La pension annuelle payée par les abbés de Saint-Sernin aux collégiats consistait en 72 setiers de blé, 16 pipes de vin et huit livres d’argent ; le paiement de cette pension donna lieu à de nombreuses contestations. (Arch. dép. B.. XXXIX, fo 522, arrêt du 14 août 1546).

2o L’Administration du Collège.

Il m’est aisé de vous renseigner sur ce point d’histoire, puisque j’ai eu la bonne fortune de retrouver les statuts du collège Saint-Raymond ; je me réserve de les publier un jour, car ils sont instructifs, amusants et datés de la belle époque, 1403. Notre collège, comme tous les autres collèges boursiers, avait une existence fort curieuse ; c’était une petite république qui se gouvernait et s’administrait elle-même, sous la surveillance un peu lointaine du religieux de l’abbaye voisine, celui qui portait le titre d’aumônier ; et lorsque l’abbaye fut sécularisée au seizième siècle, ce fut le chanoine de tour ou chanoine chevillier qui fut chargé d’exercer cette surveillance.

Le prieur du collège était l’administrateur délégué de cette république minuscule ; il était responsable de l’ordre et des deniers ; il était nommé tous les ans, la veille de la Noël, par voie d’élection. Cette intervention du suffrage universel, qui vous apparaît comme le triomphe de la raison et de la liberté, était surtout une faiblesse ; il ne faut pas tabler sur la perfection de l’être humain, surtout du jeune homme ; il demeure toujours accessible à l’orgueil, à la cupidité et à tous les mauvais instincts : s’en remettre uniquement à lui du soin de gouverner, c’était ouvrir, toutes grandes, les portes à tous les abus.

Pour seconder le prieur et l’alléger dans sa besogne matérielle, un prévôt ou semainier était désigné ; c’était lui qui faisait la distribution quotidienne de pain, de vin, de viande et d’argent aux collégiats ; il dirigeait également la cuisine et faisait tous achats.

3o Le Patron du Collège et les abus.

Quel était celui qui avait le droit de désigner les collégiats de Saint-Raymond ? C’était évidemment l’abbé de Saint-Sernin. Mais ce haut personnage n’avait pas le temps de s’occuper de ces détails d’administration ; c’était le religieux qui portait le titre d’aumônier, tant que l’abbaye fut régulière : ce fut le chanoine de tour, quand elle fut sécularisée. Le cartulaire de 1422 est formel : « Hospicium sancti Ramundi pertinet elecmosinario ratione elecmosinarie et monasterii predicti ». (Arch. départ. Saint-Sernin, 641 : cf. Série B. XII. fo 102).

Mais cette désignation se faisait, hélas ! sous la pression de hauts personnages qui recommandaient des écoliers n’ayant aucun droit à cette faveur ; au lieu de pauvres jeunes gens, c’étaient des riches qui profitaient de ces places collégiales : « qui quidem clerici studentes recipientur ad preces et instantiam prelatorum, magnatum, officialium Regis, archiepiscopi et aliarum bonarum personarum… ». C’était un premier et très grave abus.

Il y avait, pour desservir la chapelle Saint-Raymond, deux prêtres perpétuels ; il y eut aussi des étudiants perpétuels. Le 30 juillet 1574, à 10 heures du matin, Jacques Vedelly, « estudiant en l’Université », s’acheminait vers le vénérable collège Saint-Raymond et s’adressant au prieur et aux collégiats présents, il leur faisait remarquer qu’un certain Arnaud Guitard, l’un d’entre eux, était absent depuis 25 ans, que sa place était vacante, et il demandait à être admis dans le collège pour le remplacer… Le prieur se dressa contre cet importun et refusa de le recevoir, et cela, malgré un règlement du 23 janvier 1562 qui défendait aux collégiats de passer plus de sept ans dans le collège.

D’autres fois, c’étaient des étudiants inaptes que la faveur installait dans le collège. En 1447, le sindic de Saint-Raymond se plaignait qu’on envoyait des écoliers « qui nec legere, nec construere, nec quidquam intelligere sciebant… qui nunquam viderit Donatum[2] nec regulas grammaticales aut logicales perlegerit… ils étaient incapables de suivre les cours des facultés de droit.

Au XVIIe siècle, ce sont des abus autrement redoutables. En 1626, les collégiats s’appropriaient l’argent des oblations que les fidèles offraient à la chapelle Saint-Raymond et les appliquaient à leurs débauches. La Cour du Parlement dut sévir contre les prêtres perpétuels qui dilapidaient l’argent des messes et avaient dérobé les joyaux de la sacristie.

Le désordre était tel que, le 13 mars 1665, Louis XIV prit le soin de désigner lui-même « notre amé Jean-Georges de Cambolas, docteur en théologie et chanoine de Saint-Sernin » pour gouverner et régir le collège ; il devait assister à l’élection du prieur, à la reddition des comptes, avec droit d’inspection et de correction, jusqu’à priver les étudiants de leurs places collégiales. Ce Jean-Georges de Cambolas était un homme de très haute vertu ; il ne réussit pas à changer le cours des choses et le collège continua à aller à la dérive.

En 1702, le chanoine célerier de Saint-Sernin exposait cette situation lamentable en séance capitulaire : pas un des collégiats n’habitait dans le collège ; ils ne suivaient plus les cours de la Faculté, n’y prenaient plus leurs inscriptions, encore moins leurs grades ; quelques-uns étaient précepteurs d’enfants dans certaines grandes familles. Les prêtres perpétuels avaient déserté leur maison et leur devoir et l’un d’eux desservait, comme vicaire, la chapelle Saint-Michel-hors-les-Murs, et à leurs places, « horresco referens », des femmes s’étaient installées dans le vénérable collège.

Pour remédier à ces intolérables désordres le chanoine avait fait convoquer le prieur et les collégiats pour une assemblée générale. À l’heure marquée, revêtu de son surplis et de son aumusse, il s’était rendu au collège, escorté du secrétaire du Chapitre et il n’y avait rencontré âme qui vive. Concluons avec un mémoire imprimé vers cette même époque : « Ce collège, fondé par saint Raymond pour être l’asile de pauvres écoliers qui veulent parvenir dans la science, n’est plus aujourd’hui que le refuge des libertins ; on n’y voit plus pratiquer la vertu ; les jeux et la débauche font toute l’affection des collégiats ».

4o Etat des Lieux.

Je n’ai pas rencontré, au cours de mes patientes investigations, un document ancien me permettant de vous faire la description de ce qu’était le collège Saint-Raymond, il y a deux siècles. La maison donnée par l’inquisiteur-évêque d’Agen existait-elle encore ? Et le four dans le cloître, prévu par la donation du comte Guillaume IV ? Et la bibliothèque située aussi dans le périmètre du cloître, avec la série de ses livres attachés à la chaîne « incatenandi », maison et livres offerts au collège, vers 1430, par Jean Fardit, un Limousin, docteur en décrets, auditeur du sacré Palais et recteur de Saint-Orens de Gameville ? Nous l’ignorons. Le seul document que m’aient fourni les archives, c’est une visite faite par deux spécialistes, un architecte, Jean Cromaria, et un maître-maçon, Jean Flaugniac, en vue d’une réparation urgente à effectuer au collège, le 11 mai 1719.

L’enclos du collège paraît avoir été assez vaste ; il renfermait un jardin fermé de murs et s’encombrait de bâtiments divers servant, l’un de grange, un autre d’écurie, un troisième de cuisine annexe ; il y avait aussi un chai avec un escalier pour y descendre. Une tour à vis faisait partie d’un immeuble disparu et renfermait l’escalier principal pour monter aux étages. Le musée actuel semble n’avoir constitué qu’une petite partie, mais la plus belle de tout ce qui existait à ce moment-là.

La chapelle Saint-Raymond se trouvait dans l’enclos du collège et communiquait par un corridor ou couloir avec la place Saint-Sernin, sur laquelle s’ouvrait un puits et se dressait une grande croix de mission.

Cette chapelle Saint-Raymond nous est connue par une visite canonique qui lui fut faite, le 28 juin 1602, sur l’ordre du cardinal de Joyeuse, par Ferdinand Alvarus, doyen du Chapitre de Lille-Jourdain et docteur-régent à la Faculté de théologie ; elle ne nous donne aucun renseignement sur l’architecture du monument qui conservait les précieuses reliques de saint Raymond Gayrard.

Mais nous possédons un inventaire assez curieux des ornements de la chapelle ; il fut rédigé au moment où le chanoine Jean-Georges de Cambolas fut chargé par le roi Louis XIV de la réformation et de la surveillance de notre collège.

Cet inventaire signale le reliquaire d’argent, porté par deux anges, qui renfermait, comme relique, un doigt de la main de saint Raymond. Le nombre considérable d’ex-votos, réunis autour de cette châsse, nous montre la grande dévotion qu’avaient les Toulousains pour le saint patron du collège : trois têtes d’argent, dont deux couronnées ; 35 cœurs d’argent ; un tétin, une joue, un doigt et un nez, le tout d’argent ; 48 paires d’yeux ou d’oreilles en argent, une dent avec une belle perle enchassée au milieu.

Neuf pièces de tapisserie de Bergame tendues dans la chapelle ;

Cinq grands tableaux à l’huile, représentant, l’un, saint Roch, l’autre, saint Sébastien, et les trois autres, les miracles de saint Raymond ;

Quatre petits tableaux peints à l’huile ;

Six tableaux peints sur cuivre, et servant de Te-igitur ;

Une pierre précieuse appelée améthyste ;

Une croix d’argent ornée de trois péries ;

Une bague en or enrichie de cinq diamants fins :

Une pierre précieuse émaillée d’or et d’argent ;

Un livre rouge à tranchés dorées où étaient inscrits les noms des confrères de saint Raymond, car la chapelle était le siège d’une confrérie, établie en l’honneur du saint.

Regrettons que tous ces objets soient perdus. Nombre d’entre eux auraient pu recevoir une généreuse et toute naturelle hospitalité dans notre musée, successeur du collège Saint-Raymond.

QUI A RÉÉDIFIÉ LE COLLÈGE SAINT-RAYMOND ?

Avez-vous remarqué que notre collège a un aspect bien toulousain : deux autres monuments que nous admirons volontiers ont avec lui un air de parenté qui nous frappe ; ce sont le Donjon du Capitole, beaucoup trop restauré, et cette masse de briques, si chaudement patinée par les siècles, de l’ancien collège de Foix : tous trois se ressemblent par les quatre tours en encorbellement qui flanquent les angles de leur façade et les croisées gothiques qui les éclairent.

Or, ceux qui ont payé de leurs deniers la reconstruction du collège Saint-Raymond, au XVIe siècle, ont inscrit leurs noms sur la façade lumineuse du Midi.

Mon excellent collègue, M. Damien Garrigues, avec la rare qualité de sa documentation et la sagacité de son interprétation, vous a lu très correctement ces noms, je veux dire ces blasons.

Il y en a deux, le premier odieusement martelé, se trouve encastré au centre de la façade et sous la belle ligne de faux mâchicoulis qui couronne notre édifice d’une dentelle de pourpre ; le deuxième est fixé au-dessus de la porte d’entrée.

Ces deux blasons se répètent ensuite deux à deux, mais sous un format plus petit, au montant extérieur des croisées gothiques du rez-de-chaussée.

Le premier, celui du haut, trop martelé pour être lu, paraissait vouloir garder son secret. Mais un soir de ce dernier mois de janvier, par un froid soleil d’hiver, et grâce à je ne sais quel jeu de lumière, ou d’ombre, M. Guitard et moi, placés sans doute à l’endroit propice, nous avons vu tout à coup se dessiner très nettement sous nos yeux le château sommé de trois tours des de Saint-André qui blasonnent : « d’azur à un château sommé de trois tours d’argent maçonné de sable et surmonté de trois étoiles d’or ».

L’autre blason, celui qui se voit sur la porte d’entrée, est celui des d’Auxillon : « de gueules à trois roues de huit rayons d’argent accompagnées au point du chef d’une colombe volante d’or ». Pour devise, un jeu de mots amusant : « auxilium menm a domino ».

Que font ici, allez-vous me demander, les armes des de Saint-André et des Auxillon ?

Notons tout d’abord qu’une étroite parenté unissait les deux familles.


Bertrand de SAINT-ANDRÉ avait épousé Marthe D’AUXILLON elle avait un frère

Raymond-Pierre D’AUXILLON collégiat de St-Raymond év. d’ Alet (1483) év. de Carcasonne (1497-1512)


Pierre DE SAINT-ANDRÉ Chancelier de Milan Premier Président (1509-1525) Gouverneur de Gênes

Claire DE PUYMISSON.


MARTIN, évêque de Carcassonne (1522-1545)

MATHIEU, prieur de Saint-Raymond le reconstructeur du collège.

FRANÇOIS 2e Président au Parlt de Paris.


Nous savons d’une manière sûre que Pierre d’Auxillon, évèque de Carcassonne, et son petit neveu, Mathieu de Saint-André, ont été élevés au collège Saint-Raymond. Pourquoi ne ferions-nous pas l’hypothèse que le premier président et ses deux fils aînés, François et Martin, ont été à leur tour les élèves de notre collège ? Les libéralités de Pierre et de Mathieu nous autorisent à la faire ; car enfin, c’était indûment et sans y avoir aucun droit que ces fils de famille étaient hospitalisés dans le collège. Les d’Auxillon et les de Saint-André n’étaient pas dans des conditions de pauvreté telles qu’elles leur permettaient de briguer des places collégiales réservées aux indigents. Aussi bien quand je vous montrerai tout à l’heure le premier président et son fils le prieur relever le collège de ses ruines, vous penserez, comme je l’ai fait, que c’est en esprit de réparation pour le tort qu’ils avaient causé à des écoliers malheureux.

Quoi qu’il en soit, la mention de l’Histoire générale de Languedoc concernant Martin de Saint-André est à corriger : la voici : « Il fit rebâtir à Toulouse, sur un autre emplacement, le collège Saint-Raymond consumé par un incendie et il ajouta trois bourses aux treize de la première fondation ».

Or, ce n’est pas Martin de Saint-André qui a rebâti notre collège ; c’est son frère Mathieu, aidé, en cette noble entreprise, par son père le premier président.

LE MAITRE D’ŒUVRES DU COLLÈGE

Les de Saint-André auraient pu s’adresser à Nicolas Bachelier ; ils ne l’ont pas fait. Mais après lui, ils avaient le choix heureux et facile, car les maîtres d’œuvres habiles et expérimentés ne manquaient pas à Toulouse sous le beau soleil de la Renaissance : j’en cite quelques-uns : Michel Colin, le constructeur du portail de la Dalbade ; Sébastien Bouguereau, dont le chef-d’œuvre était ce fameux escalier de l’Hôtel de Ville, dont les savantes révolutions reliaient plusieurs immeubles parmi lesquels le Donjon, et tant d’autres noms célèbres !

Quel fut donc l’architecte et le maître d’œuvres du collège Saint-Raymond ? Il est bien connu et il occupe une place de choix parmi ces incomparables bâtisseurs à qui nous devons cette splendide floraison d’églises et d’hôtels particuliers, dont quelques-uns sont des demeures vraiment princières.

C’est Louis Privat, dont le nom demeure attaché à ce bijou d’architecture qu’est l’hôtel de Bernuy. Louis Privat a beaucoup travaillé. Prenez l’étude magistrale consacrée à Nicolas Bachelier par M. Graillot. À cinquante reprises, vous y verrez apparaître, à côté du grand artiste, le nom de Louis Privat, soit comme expert, soit comme maître d’œuvres. Bien mieux, Louis Privat semble avoir été l’homme de confiance et l’ami de Bachelier : quand ce dernier voudra faire reconstruire sa maison, c’est à Louis Privat qu’il s’adressera avant tout autre. Quelle magnifique référence pour notre maître d’œuvres (Graillot, opus. cit. 65). Nous connaissons un peu sa biographie intime ; il avait uni sa vie à une Toulousaine qui s’appelle Isabeau Dufert, fille du boucher Duron Dufert, le 3, décembre 1516. (Arch. not. 2540, ad annum). Il en avait eu deux filles ; il maria l’une d’entre elles, Jeanne, le 24 janvier 1536, avec le notaire Vital Jamhefort et lui donna 200 livres de dot (Arch. not. 2504, fo343). Il habitait la rue Méjane ou du Taur, tout près d’ici, et sa maison était voisine du collège de Périgord : c’était un fustier du nom de Poncet Pugnet qui lui reconstruisit cette maison vers 1528 (Arch. not. 3027, fo°244).

Il possédait à Saint-Jory une belle métairie qu’il affermait soigneusement à moitié fruits, « una borda sive mayso que lodit Privat ha en la parroquia de San-Jory, loqual Privat s’es reservat que cant anara ny vendra a la dita borda, y poyra lotgear et son chaval que menara, et casu quo lodit Privat et sa molhè e enfans calques que se mandessen de Thla per infirmitat, s’a reservadas las doas cambras autas de la dita borda sive mayso et la sala per son calfatge et per adobar son manjar…»(Arch. not. 2540, fo1413 et 144).

Mais son activité professionnelle nous intéresse plus que sa vie privée et cette activité fut considérable. Nous le voyons travailler, à plusieurs reprises, aux remparts qui défendent la Cité ; il bâtit le portail du Grand Consistoire à l’Hôtel de Ville ; il en élève un autre à l’entrée du pont Couvert de la Daurade ; il est le maître d’œuvres attitré des deux Bernuy ; de Jean, le richissime marchand de la rue Peyrolières, et de Guillaume, le greffier aux Présentations, à la rue Tolosane ; il reconstruit, pour le compte du collège de Foix, l’église de Rieumes, et pour le compte des chevaliers de Saint-Jean, celle de Garidech ; elles sont encore debout ; il exécute divers travaux à l’église abbatiale de Saint-Sernin. On ne savait pas encore que nous lui devions la reconstruction du collège Saint-Raymond. C’est cette reconstruction qu’il me reste à vous faire connaître avec quelques détails. En historien consciencieux, je vais laisser la parole aux documents.

Voici tout d’abord les achats de matière première, les fournisseurs et les fournitures de briques, cette brique aux tons chauds qui réjouit nos yeux.

Le 7 février 1523, Jean Faure, tailleur de pierre et briquetier de Toulouse vend à noble Mathieu de Saint-André, bachelier eu droit et prieur du collège Saint-Raymond, 6.000 briques « planes », portées dans le collège, dans la quinzaine, au prix de 4 livres le millier. Le prieur se réservait toutes les briques qui étaient en chantier et prêtes à entrer dans le four, au nombre d’environ 20.000, à condition qu’elles fussent bonnes et marchande ; « mercabilis », « totum tegulum paratum pro quoquende » (Arch. not. 2509, fo121).

Bertrand Gaffart, protonotaire du Saint Siège apostolique, et Louis Privat, « lapicida », se portaient garants de l’honnêteté du vendeur. Cet acte fut signé dans la cuisine du collège. Le 16 février, huit jours plus tard, Bertrand et Guillaume Cou derc fournissent, à leur tour, 10.00 briques « planes », bonnes et « de recepta », portées au collège dans trois semaines et au même prix : étaient témoins noble Louis de Gausserand, collégiat de Saint-Raymond, et Louis Privat. Deux jours après, le 18 février, c’est le briquetier Jean Bar bazan qui porte au collège une nouvelle quantité de 10.000 briques au prix de 3 livres et 15 sols le millier (Arch. not. ibidem, fo123). Le 4 mai, Guillaume Cazassus, briquetier, vend au prieur 30.000 briques au prix de 4 livres le millier et reçoit la somme de 30 livres : l’acheteur promettait de lui verser la somme restante quand la marchandise serait arrivée dans le collège. Étaient témoins : Jacques du Dalphi ou du Dauphin, recteur de Mourvilles-Hautes et Manaud Guigonet, collégial de Saint-Raymond (Arch. not. ibidem, fo141).

Louis Privat pouvait se mettre au travail, il avait à pied d’œuvre 76.000 briques. Voici maintenant les curieuses conventions passées avec le charpentier qui était aussi un maçon, connaissant à fond le maniement et l’emploi de la brique, sous la surveillance du maître d’œuvres. C’est ici qu’apparaît pour la première fois la grande figure du premier président Pierre de Saint-André.

Le 21 juin 1523, Jean David, fustier ou charpentier de Saint Jory. — c’était à Saint-Jory que Louis Privat possédait sa belle métairie, — confessait avoir reçu de « très honoré et redoublé seigneur messire Pierre de Saint-André, premier président du Roy nostre Sire en sa court du Parlement séant en Tohlose », et par les mains de son fils, prieur au collège, la somme de 207 livres 10 sols et 11 deniers tourn. et ce, « pour et à cause de faire la fuste qui est nécessaire au bastiment noveau que mondit seigneur le premier président faict au collège de Saint-Raymond :…de la quelle somme ledict David a achapté, ainsi qu’il a dict, deux pères de bœufs et un carre (une charrette) que luy ont cousté la somme de 45 livres et 9 doblas tourn., et ce pour charrier et haster la dicte fuste de la forest de Arbas ont il a prins et prend la dicte fuste… de laquelle somme promect de rendre bon compte et reliqua à mond. seigneur le premier président où à son dict fils… et est pacte que, charriée ladicte fuste, led. David sera tenu de rendre les bœufs aud. Mgr le premier président à qui ils appartiennent ou aud. monsieur le prieur son fils… »

Cet acte fut passé dans la salle basse du collège, en présence de noble Antoine Dacz, chanoine de Carcassonne, de Guilhem de Lescure, étudiant, et de Louis Privat (Arch. not. ibidem, fo 151).

Les deux actes qui vont suivre sont les plus importants ; ils définissent clairement la besogne qu’on attendait de Jean David et de Louis Privat ; ils sont datés, tous les deux, du 12 octobre 1523.

Le maître fustier Jean David s’engageait à édifier, pour le compte du prieur Mathieu de Saint-André, six chambres « sex cameras » ou appartements dans le collège : « premièrament es pacte que lodict David sera tengut de far lasd. sieys cambras, lascalas sont de present comensadas, de doas travesons et la cuberta a sos despens, et lod. de Sancto-Andrea fornira las fustas, fers, cavilhas et fulho necessarias :

« Item es pacte que lod. David fara menar, de la montanha de Arbas fins al port de Bido, a sos despens, la quantitat de dos cens et dex hoeyt piessas de fusta, compresas aquelas que a fayct venir de present per bastir lod. collège ;

« Item es pacte que, finit lod. bastiment, las cordas que son aldict collège per montar les teules, et autres affaires et una cabra seran deldid David, pro precio ducentarum librarum turon… » et l’acte continue en latin.

Le charpentier recevait 80 livres, s’en tenait pour content ; 11 devait toucher la somme qui restait de jour en jour, à mesure que le travail avancerait ; étaient témoins : Blaise Cistet, chanoine de Clermont en Auvergne et Louis Privat.

Nous sommes prévenus, par une note marginale du registre que cet acte fut rayé — on disait alors cancellé — le 19 avril 1524 ; à cette date, la besogne de Jean David était terminée et l’ouvrier était intégralement payé (Arch. not. 2509, fo 176).

A la même date du 12 octobre 1523, Louis Privat, « massonerius » promettait à noble et discrète personne Mathieu de Saint-André, prieur du collège, de lui faire six grandes fenêtres de pierre ; elles étaient destinées à éclairer « le tinel » du collège. Le « tinel » était un grand appartement que nous trouvons dans tous les monastères comme dans les collèges, espèce de salle des pas-perdus ou de parloir qui, primitivement servait de cellier, comme l’indique le mot tinel, du mot tine ou cuve. Ces croisées devaient lui être payées 18 écus petits, l’écu valant 27 sous et 6 deniers tourn. ; dans les chambres qui étaient en train de se bâtir, il devait placer huit croisées à remplages et à revêtements et en tout semblables à celles qui étaient déjà ouvertes dans la partie avant du collège. Leur prix était évalué à six écus petits et dix sous tourn. Les premières, celles du tinel, étaient prévues à trois jours ; les dernières à deux jours seulement. Toutes devaient être en bonne pierre de taille.

Louis Privat devait également fournir huit gargouilles de pierre pour rejeter les eaux pluviales loin du collège et tous chéneaux de pierre qui seraient nécessaires : chaque gargouille devait lui être payée trois livres et dix sous tourn. ; chaque cheneau, vingt sous tourn. ; le maître d’œuvres s’engageait à finir son travail avant les fêtes de la Noël ; le prieur promettait de lui payer la besogne de jour en jour, à mesure qu’elle avancerait.

Étaient témoins : Blaise Cistel, chanoine de Clermont, étudiant à Toulouse ; Gilbert Duchié et Antoine Malras, aussi étudiants ; le dernier devait monter au sommet de la hiérarchie parlementaire.

Le lendemain, Louis Privat recevait des mains du prieur une avance de soixante livres, savoir dix livres en testons et demi testons, et le reste en monnaie blanche.

Le 4 février de l’année suivante, il recevait encore de noble Mathieu de Saint-André 56 livres tourn. ; mais l’instrument notarial ne fut pas annulé, ce qui semble signifier que le maître maçon n’était pas encore complètement payé (Arch. not. 2509, fo177).

Telles sont les précisions vraiment intéressantes fournies par le registre notarial 2509, conservé au Dépôt des archives notariales.

Par lui, vous n’ignorez plus ce maître d’œuvres et ce charpentier qui, de concert, ont édifié le collège Saint-Raymond ; et ces briques dont la couleur chaude vous émerveille encore, vous en connaissez la provenance toulousaine et vous pouvez appeler par leurs noms les briquetiers de chez nous qui les ont façonnées.

Ces armoiries qui vous intriguaient, ces croisées gothiques et ces gargouilles de pierre si bien venues sous le ciseau du grand artiste qui les sculpta, demeureront évocatrices de Louis Privat à qui nous devions déjà la somptueuse décoration de l’hôtel de Bernuy.

Et je trouve dans ces certitudes historiques et archéologiques les raisons nouvelles et meilleures que « les Amis du Musée Saint-Raymond », les « Toulousains de Toulouse » et tous les Toulousains sans distinction auront d’aimer leur antique monument. Car à quoi doit aboutir pratiquement la connaissance de l’Histoire et de ces baux à besogne que vous avez peut-être jugés par trop minutieux ?

Laissez-moi vous le redire en y insistant : à nous attacher plus étroitement à notre Musée, aux noms glorieux qu’il nous rappelle, aux grandes familles qui le relevèrent de ses ruines, aux ouvriers de chez nous qui le reconstruisirent, aux trésors d’art qu’il abrite aujourd’hui.

Le Musée Saint-Raymond est un écrin magnifique, plein de belles choses, à travers lesquelles nous sentons frémir et palpiter l’histoire de notre passé. Nous en avons la garde ; qu’elle ne cesse pas d’être fidèle et fervente. Mais ne l’oubliez pas : les souvenirs historiques que je viens d’évoquer devant vous ne sont pas le moins précieux de ses joyaux.

Et c’est ainsi que peu à peu, jour par jour, l’histoire monumentale de notre belle cité sort de l’ombre qui la dérobait encore en partie, à nos yeux, et c’est ainsi qu’elle s’éclaire. Grâce à ces clartés nouvelles, l’esprit et le cœur de nos compatriotes pourront s’attacher avec plus de force à ces vénérables monuments de notre passé dont nous avons tant de raisons d’être fiers. « Ignoti nulla cupido ! ». « Impossible d’aimer ce qu’on ne connaît pas ». On n’aime bien que ce que l’on connaît bien. Mieux connaître nos monuments pour mieux les aimer, et surtout pour les défendre contre les Barbares et les Béotiens, n’est-ce pas là, mesdames et messieurs, toute la devise de nos sociétés ?

Raymond Corraze.



  1. Conférence donnée aux « Amis du Musée Saint-Raymond » et aux « Toulousains de Toulouse ».
  2. Ælias Donat, célèbre grammairien qui avait été le précepteur de saint Jérôme.