Le Gamin de Paris (Millet)
LE GAMIN DE PARIS
Je suis le gamin de Paris,
Enfant de la sainte canaille ;
Bravant le fer et la mitraille,
Des tyrans je me ris.
Lorsque de Février
Brilla le jour magique,
Sur la place publique
On me vit le premier ;
Je n’avais à la main
Sabre ni carabine,
Et j’offrais ma poitrine
Au soldat incertain.
Je suis, etc…
Criant : Ne tirez pas !
Devant vous sont des frères,
Déposez vos colères
Et venez dans leurs bras ;
Marions en ce jour
L’uniforme et la blouse,
Que la haine jalouse
Fasse place à l’amour !
Je suis, etc…
On entendit ma voix,
On releva les armes ;
Point de sang, ni de larmes
Du moins pour cette fois.
Mais les municipaux,
À mes cris de « Réforme ! »
Fondent en masse énorme
Au galop des chevaux.
Je suis, etc…
Ces lâches, sans péril,
Nous ont livré bataille !
Ah, pour la représaille
Armons-nous du fusil.
Et que, de toutes parts,
Les grandes barricades
Contre leurs cavalcades
Nous servent de remparts !
Je suis, etc…
Alors l’arbre géant
Succombe sous la hache,
Ce pavé qu’on arrache
Se dresse triomphant.
Mais sur le boulevard
La fusillade éclate ;
Nous accourons en hâte,
Hélas, c’était trop tard !
Je suis, etc…
Aux marches du palais
Où Guizot se prélasse,
jusqu’au seuil de l’exil
Des cadavres en masse
Gisent amoncelés…
Promenons aux flambeaux
Cette horrible hécatombe ;
Que tout ce sang retombe
Sur les lâches bourreaux !
Je suis, etc…
À tous les carrefours
Où le convoi s’avance,
L’écho redit : Vengeance !
De la ville aux faubourgs.
Du peuple et des bourgeois
La formidable armée,
En un clin d’œil formée,
Marche au palais des rois.
Je suis, etc…
En vain le vieux renard
Qui gouverne la France
Proclame la régence,
On répond : C’est trop tard !
À bas les endormeurs
Du parti monarchique,
Vive la République !
Fut le cri des vainqueurs.
Je suis le gamin de Paris,
Enfant de la sainte canaille ;
Bravant le fer et la mitraille,
Des tyrans je me ris.