Le Géranium ovipare/Triolets en l’honneur de quelques romanciers vivants ou trépassés

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TRIOLETS
EN L’HONNEUR
DE QUELQUES ROMANCIERS VIVANTS
OU TRÉPASSÉS


PRÉLUDE


Je veux chanter sur mon rebec
nos chers romanciers à la mode.
Gens de Lubeck et de Québec,
je veux chanter sur mon rebec !
Ouvrez l’oreille et non le bec
pour écouter ma sublime ode :
je veux chanter sur mon rebec
nos chers romanciers à la mode.


I

D’ABORD QUELQUES TRÉPASSÉS
D’HIER OU D’AVANT-HIER


Pour les romanciers de jadis
tout d’abord j’accorde ma lyre.
Entonnons un de profundis
pour les romanciers de jadis.
Voici l’heure (midi moins dix),
où j’entre en un sacré délire :
pour les romanciers de jadis
tout d’abord j’accorde ma lyre.

La nuit, je lis au lit Zola
qui de Mercier fouettait la bile.
En cette chambre où m’isola
la nuit je lis au lit Zola.
Dieu quel talent, cet oiseau-là !
Oh ! le grand homme ! Oh ! l’homme habile !
La nuit je lis au lit Zola
qui de Mercier fouettait la bile.


Pour jouer au loto Loti
estimait surtout le frère Yves.
Morbleu ! comme il fut bien loti
pour jouer au loto, Loti !
En vain les filles de Loth i-
raient le chatouiller sur les rives ;
pour jouer au loto Loti
estimait surtout le frère Yves.

En homme de bon sens Ohnet
contemnait rondeaux et ballades :
pantoum, éblouissant sonnet
en homme de bon sens Ohnet
dit : « Ce sont jeux de sansonnet,
« vrais propos de cerveaux malades ! »
En homme de bon sens Ohnet
contemnait rondeaux et ballades.

Vous souvient-il de Theuriet
qui fut maire de Bourg-la-Reine ?
Placidement il souriait :
vous souvient-il de Theuriet ?
Theuriet, Feuillet, Aubryet,
où sont-ils, vierge souveraine ?
Vous souvient-il de Theuriet
qui fut maire de Bourg-la-Reine ?


Mais où sont Adolphe Belot
et madame Giraud, sa femme ?
Hop ! Hop ! les morts vont au galop !
Mais où sont Adolphe Belot,
Albert Delpit, Hector Malot,
Edmond About qui fit l’Infâme
Mais où sont Adolphe Belot
et madame Giraud, sa femme ?

« Cher Buloz », disait Cherbuliez,
« nous écrivons pour les deux mondes !
« Oncques n’allez par les Bulliers,
« cher Buloz », disait Cherbuliez,
« les bois fuyez et les halliers
« où gîtent les Gitons immondes.
« Cher Buloz », disait Cherbuliez,
« nous écrivons pour les deux mondes ! »

C’était le beau temps du Nabab
que nous contait Daudet (Alphonse)
— Ô Tartarin, ton baobab ! —
c’était le beau temps du Nabab !
Péladan trônant tel le Bab
vaticinait en prose absconse
c’était le beau temps du Nabab
que nous contait Daudet (Alphonse).


Eh ! Eh ! c’est monsieur Bergeret
présenté par notre Anatole !
Quel est ce monsieur guilleret ?
Eh ! Eh ! c’est monsieur Bergeret
Cocu discret il monterait
allègrement au Capitole.
Eh ! Eh ! c’est monsieur Bergeret
présenté par notre Anatole !

Voici venir monsieur Maindron
dans un cliquetis de ferraille !
Prenez garde à son éperon !
Voici venir monsieur Maindron !
Par delà même l’Achéron
il vitupère et braille et raille :
voici venir monsieur Maindron
dans un cliquetis de ferraille !

Boylesve naquit Tardivaux
puis Tardivaux se fit Boylesve.
Comme on voit les bœufs naître veaux
Boylesve naquit Tardivaux.
Tardivaux sur tous ses rivaux
prévaut et Boylesve s’élève :
Boylesve naquit Tardivaux
puis Tardivaux se fit Boylesve.


Que les à-peu-près de Willy
mon Dieu ! sont hilarantes choses !
Savez-vous rien de plus joli
que les à-peu-près de Willy ?
Qui lit Willy voit aboli
sur-le-champ tous soucis moroses
que les à-peu-près de Willy
mon Dieu ! sont hilarantes choses !

Barrès, rime riche d’Arès,
de Lorraine est la forteresse.
Jusqu’au bout il combat, Barrès,
Barrès, rime riche d’Arès.
Que Prévost, marchand de londrès
aux demi-vierges s’intéresse !
Barrès, rime riche d’Arès,
de Lorraine est la forteresse.

Muse en fleurs, ah ! ton favori
c’était l’exquis Charles Derennes.
Apollon toujours a souri,
Muse en fleurs, à ton favori.
Onc son esprit ne fut tari,
source claire aux ondes sereines !
Muse en fleurs, ah ! ton favori
c’était l’exquis Charles Derennes.


Assez ! Assez !! Assez !!! Assez !!!!
Arrêtez la danse macabre !
Assez ! Assez !! Assez !!! Assez !!!!
Passez, passez ! spectres glacés :
Droz, Maupassant, Ferdinand Fabre !
Assez ! Assez !! Assez !!! Assez !!!!
Arrêtez la danse macabre !


II

QUELQUES CHERS MAÎTRES


Maintenant je les prends vivants,
admirez mon lot de chers maîtres ;
voyez, touchez, lecteurs fervents :
maintenant je les prends vivants !
Par des procédés très-savants
je vais les mettre en tétramètres ;[1]
maintenant je les prends vivants,
admirez mon lot de chers maîtres.

De Péronne au Rhône Rosny
manie en héros l’ironie,
on voit de l’Escobar honni
de Péronne au Rhône Rosny.
Mais, subtil comme Alberoni,
de l’Art il fait sa baronnie :
de Péronne au Rhône Rosny
manie en héros l’ironie.


Qui ne t’admire, ô Duvernois
est sur ma foi ! digne de braire !
Est-il Samoyède ou Chinois
qui ne t’admire, ô Duvernois !
Tes livres sont livres tournois
four le trop fortuné libraire :
qui ne t’admire, ô Duvernois,
est sur ma foi ! digne de braire !

Vautel fait pipi sur l’autel
du dieu Stendhal, scandale immense !
A-t-il bu de l’eau de Vittel ?
Vautel fait pipi sur l’autel !
« Raca ! » rugit monsieur Huntel,
« pour ce Clément pas de clémence ! »
Vautel fait pipi sur l’autel
du dieu Stendhal, scandale immense !

Bazin[2], Bordeaux et Des Gachons
sont fort goûtés chez ma grand’mère.
Oh ! pas folichons, folichons,
Bazin, Bordeaux et Des Gâchons !
Du moins ils ne sont pas cochons
et fuient toute ironie amère

Bazin, Bordeaux et des Gachons
sont fort goûtés chez ma grand’mère !

Binet-Valmer ? Valmer-Binet ?
Binet devant ? Binet derrière ?
Bien malin qui s’y reconnaît !
Binet-Valmer ? Valmer-Binet ?
C’est bonnet blanc ou blanc bonnet,
comme dit la gent roturière :
Binet-Valmer ? Valmer-Binet ?
Binet devant ? Binet derrière ?

On doit respecter le « Sous-off »,
sachez cela, monsieur Descaves !
De se disant en anglais of,
on doit respecter le « Sous-off ».
Crions d’Apt à la mer d’Azof
et des greniers au fond des caves :
— « On doit respecter le « Sous-off »,
« sachez cela, monsieur Descaves ! »

Mac-Orlan comme Dekohra
mêle l’humour à l’aventure.
Que de chefs-d’œuvre élucubra
Mac-Orlan comme Dekobra !

C’est le double Abracadabra
de tout cabinet de lecture :
Mac-Orlan comme Dekobra
mêle l’humour à l’aventure.

— « Carco ! Carco ! » répond l’écho
« Carco ! Carco ! » voici Mon homme
L’Homme qu’on traque oh ! quès aco ?
Carco ! Carco ! répond l’écho.
À Mexico, chez l’Arbico
Carco, Carco, l’écho te nomme.
— « Carco ! Carco ! » répond l’écho
« Carco ! Carco ! » voici Mon homme !

Il décrocha le prix Balzac,
Giraudoux (de la Haute-Vienne).
Tirant Siegfried de son bissac
il décrocha le prix Balzac.
Vint-il de Bellac ? d’Ambazac ?
Je ne sais mais — qu’on s’en souvienne ! —
il décrocha le prix Balzac,
Giraudoux (de la Haute-Vienne) !

J’ai lu, Gabriel de Lautrec,
et relu ton Marin reptile.

Sur la grève à Perros-Guirec
j’ai lu Gabriel de Lautrec
parmi l’embrun et le varech
quel parfum son style distille !
J’ai lu, Gabriel de Lautrec,
et relu ton Marin reptile.

Trioliser monsieur Bourget ?
Morbleu ! souffrez que j’y renonce !
Ai-je pu former ce projet :
trioliser monsieur Bourget ?
Mais pour traiter un tel sujet
il faudrait être au moins le nonce !
Trioliser monsieur Bourget ?
Morbleu ! souffrez que j’y renonce !

Ah ! quel étincelant talent
ont Gide et Drieu la Rochelle !
Ah ! quel talent mirobolant !
ah ! quel étincelant talent !
Et Paul Morand ! et Montherlant !
Après ceux-là tirons l’échelle !
Ah ! quel étincelant talent
ont Gide et Drieu la Rochelle !


Je supprimerai le roman,
dit Grasset « le roman m’emmerde !
« Demain par un simple firman
« je supprimerai le roman !
« Ah ! le roman, vraiment je m’en
« fous autant que d’une saperde !
Je supprimerai le roman, »
dit Grasset, « le roman m’emmerde ! »


III

QUELQUES PRIX GONCOURT


Qui concourt pour le prix Goncourt
à l’académie où l’on dîne ?[3]
Malherbe vint par le plus court :
qui concourt pour le prix Goncourt ?
Châteaubriant lui-même accourt :
(Atala ? Non ! mais « de Lourdine » ! )
Qui concourt pour le prix Goncourt
à l’académie où l’on dîne ?

Mais à toi la langouste, ô Proust,
Marcel Proust à toi la langouste !
Dorgelés ? on va lui dire : « Oust ! »[4]
Mais à toi la langouste, ô Proust !
Pour trouver une rime en roust
j’irais bien jusqu’à Famagouste :

mais à toi la langouste, ô Proust,
Marcel Proust, à toi la langouste !

Il est badin, ce Benjamin
qu’anti-sorbonagre on surnomme !
Petit lutin ! petit gamin !
Il est badin, ce Benjamin !
Et comme il fait bien de chemin,
le malin, son petit bonhomme !
Il est badin, ce Benjamin
qu’anti-sorbonagre on surnomme !

Le président prépondérant,
ô Maran pour toi prépondère ;
Chardonne laisse indifférent
le président prépondérant.
Siki du roman qu’il est grand,
ce Maran sur son dromadaire !
Le président prépondérant,
ô Maran, pour toi prépondère.

Pérochon et non Perrichon :
rabâchons ce nom jusqu’à Londre !
Non pas « Perrichon » ! Pérochon !
Pérochon et non Perrichon :

Pour peu que la langue fourche on
pourrait facilement confondre.
Pérochon et non Perrichon
rabâchons ce nom jusqu’à Londre !

Los à ton Obèse, ô Béraud,
et los à messieurs Tharaud frères !
Los à Béraud, los aux Tharaud !
los à ton Obèse, ô Béraud !
Clamez bien-haut ! clamez, héraut,
le los de ces preux littéraires !
Los à ton Obèse, ô Béraud,
et los à messieurs Tharaud frères !

Lûtes-vous oncques Savignon
qui chantait la pluie et ses filles ?[5]
Gens de Béthune et d’Avignon,
lûtes-vous oncques Savignon ?
Voyons, pédants porte-lorgnon,
écoliers qui jouez aux billes,
lûtes-vous oncques Savignon
qui chantait la pluie et ses filles ?


J’aime ce doux nom de « Francis »
pour accompagner « Miomandre ».
Plus que Narcisse et que Tircis
J’aime ce doux nom de « Francis ».
Bien que féminin Salmacis
est moins flou, moins rêveur moins tendre :
j’aime ce doux nom de « Francis »
pour accompagner Miomandre…

J’aperçois près de Marc Elder
Constantin-Weyer, le cher homme !
Prenons bien garde aux courants d’air :
j’aperçois près de Marc Elder,
venu du pays de l’eider
Bedel tout fier de son Jérôme.
J’aperçois près de Marc Elder
Constantin-Weyer, le cher homme !

Marcel Arland, bon an mal an
pond trois romans, ne vous déplaise.
Trois romans, vlan ! c’est ton bilan,
Marcel Arland, bon an mal an.
Ah ! quel mirobolant brelan !
Monsieur Cendrars en est tout… Blaise.
Marcel Arland, bon an mal an
pond trois romans ne vous déplaise.


C’est Jean Fayard qui triompha,
l’an qui suivit mil neuf cent trente :
En vain son concurrent bluffa
c’est Jean Fayard qui triompha !
Chantons en sol chantons en fa,
le front ceint d’ache et de centhrante :
« C’est Jean Fayard qui triompha,
« l’an qui suivit mil neuf cent trente ! »

Mazeline, l’auteur des Loups,
chez les Dix a battu Céline.
Je loue en dépit de Falloux
Mazeline, l’auteur des Loups.
Très-doux et pas du tout jaloux
Céline galamment s’incline :
Mazeline, l’auteur des Loups,
chez les Dix a battu Céline…

Il est bien d’autres Prix Goncourt
mais hélas ! je n’ai pas la liste
sous la main : je m’arrête court,
il est bien d’autres Prix Goncourt !
Nul souvenir ne me secourt :
c’est pourquoi mon âme est si triste !
Il est bien d’autres Prix Goncourt
mais hélas ! je n’ai pas la liste.


Ah ! du moins, n’oublions pas Nau,
ne l’oublions pas, camarade !
Ne donnons pas dans ce panneau :
ah ! du moins n’oublions pas Nau !
Mieux vaudrait rester en panne au
milieu d’une belle tirade :
ah ! du moins, n’oublions pas Nau,
ne l’oublions pas, camarade !


AUTRES CHERS MAÎTRES


Attendez ! ce n’est pas fini
voici des chers maîtres encore !
Ne t’en va pas, lecteur béni !
Attendez ! ce n’est pas fini !
Sur un air de Paganini
valsez, enfants de Terpsichore !
Attendez ! ce n’est pas fini !
Voici des chers maîtres encore !…

Pépète par Louis le Grand ?
saint Augustin avec Pépète ?
Cet amalgame vous surprend ?
Pépète ! avec Louis le Grand !
Et cependant M. Bertrand
d’un air indifférent complète
Pépète par Louis le Grand
et Louis le Grand par Pépète !


Ta Négresse est au Sacré-Cœur,
ô Salmon si la mienne est blonde ;
conteur persifleur et moqueur,
ta Négresse est au Sacré-Cœur !
La place Constantin-Pecqueur
la voit passer noire et gironde !
ta Négresse est au Sacré-Cœur,
O Salmon si la mienne est blonde !

Picard nous la montra sans fard
sa Mauve, et sans feuille de vigne !
En dépit du censeur cafard
Picard nous la montra sans fard.
Balandard s’effare, blafard
et la Putiphar s’en indigne.
Picard nous la montra sans fard,
sa Mauve, et sans feuille de vigne.

Achetez le Choix d’un amant
d’Henri Mazel, mademoiselle.
Ouvrage instructif et charmant !
Achetez, le Choix d’un amant.
Mazel vous apprendra comment
fleuretait sa belle Gisèle :
achetez le Choix d’un amant
d’Henri Mazel, mademoiselle.


Rois ou Riac, Riac ou Rois
de ces deux Mau quel est le pire ?
Riac et Rois tous deux sont rois !
Rois ou Riac, Riac ou Rois ?
Sur le pavois tous deux, je crois,
donnent des lois à notre empire !
Rois ou Riac, Riac ou Rois
de ces deux Mau quel est le pire ?

Ce très-hilare monsieur Rouff
connaît les endroits où l’on bouffe.
Puis drapé dans son Waterproof
ce très-hilare monsieur Rouff
a porté sans même dire : « Ouf ! »
à l’Hydrargyre un roman bouffe,
ce très-hilare monsieur Rouff
connaît les endroits où l’on bouffe !

Équivoquer sur Jolinon
et joli nom c’est trop facile !
Et puis est-ce bien joli ? Non !
Équivoquer sur Jolinon
et puis aller chercher « linon »
non ! non ! c’est par trop imbécile !
Équivoquer sur Jolinon
et joli non c’est trop facile !


Arnoux fut l’auteur d’Abisag
et sa foi transportait l’Église.
Topffer voyageait en zig-zag,
Arnoux fut l’auteur d’Abisag.
Pour aller à Jérimasag[6]
je l’ai fourré dans ma valise.
Arnoux fut l’auteur d’Abisag
et sa foi transportait l’Église.

Saluons Fernand Vanderem,
Tristan Bernard, idem Derême,
Farrère qu’on aime au harem !
Saluons Fernand Vanderem,
Marcel Mitron snob au cold-cream !
Rossignol qui prêche en carême[7]
Saluons Fernand Vanderem
Tristan Bernard idem Derême !


POSTLUDE


Cætera desiderantur :
c’est assez de littérature !
Rimbaud, Meyer, mes deux Arthur
cætera desiderantur !
Tout bas-bleu présent ou futur
sans hésiter je le rature !
cætera desiderantur
c’est assez de littérature.

  1. Puisqu’on appelle hexamètre le vers de douze pieds, pourquoi n’appeler tétramètre celui de huit ?
    (Note de l’Auteur).
  2. Un mort parmi les vivants ? Et puis après ?
    (Note de l’Auteur).
  3. On déjeune plutôt.
    (Note de l’Auteur).
  4. Depuis lors on lui a dit : « Prenez donc un fauteuil. »
    (Note de l’Auteur).
  5. Filles de la pluie et non pas de Savignon : ejus et non suas !
    (Note de l’Auteur).
  6. Jérimasag, ville de Chaldée voisine de Jérimadeth découverte par V. H.
    (Note de l’Auteur).
  7. Polygraphe plus connu sous le nom plus aristocratique mais moins mélodieux d’Henri de Koussanne.
    (Note de l’Auteur).