Le Journal d’une dame de la cour au temps de George Ier/02

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Le Journal d’une dame de la cour au temps de George Ier
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 83 (p. 292-327).
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LE JOURNAL
D'UNE
DAME DE LA COUR
AU TEMPS DE GEORGE Ier

SECONDE PARTIE[1]


I

Trouvera-t-on indiscret, — avant de passer outre, — que nous répondions par avance à certaines objections prévues sur le plan même de notre travail ? Pourquoi donc, s’est déjà peut-être demandé quelque lecteur, donner une telle importance à des souvenirs individuels ? La substance historique du Journal de lady Cowper était facile à dégager, et n’eût point occupé beaucoup de pages. D’un autre côté, les titres personnels de Mary Clavering à l’attention de la postérité, même la plus indulgente, ne semblaient pas comporter autant de développemens.

Ces deux points, nous les accorderons d’autant plus volontiers qu’une première lecture du Diary nous avait justement laissé sous l’impression qu’un résumé succinct serait tout à fait en rapport avec la valeur de ce document historique. Néanmoins, en y songeant mieux et après une nouvelle lecture, il nous a semblé que le véritable attrait qui nous y avait convié n’était point dans le témoignage, — quelquefois précieux cependant, — ajouté à la somme des mémoires historiques déjà existans, qu’il était au contraire dans le développement graduel, très naïvement, très involontairement exposé, d’un caractère complexe aux prises avec une situation particulière. La grande dame anglaise, la femme de cour chez nos voisins au commencement du siècle dernier, voilà surtout l’objet qui sollicitait notre curiosité et qui peut-être sera jugé digne de quelque intérêt. Les circonstances qui mettent en relief la simplicité, la droiture de cette femme d’élite épousée par amour, ne sont probablement pas assez romanesques pour les esprits blasés auxquels les péripéties d’une intrigue violente peuvent seules communiquer une certaine émotion ; cependant une intelligence amoureuse du vrai pourra sans doute se complaire dans l’analyse des détails qui lui font connaître à fond, en même temps que la personne même de lady Cowper, le milieu brillant où le sort l’avait placée, les difficultés de tout genre quelle rencontra sur son chemin, les périls assez sérieux contre lesquels il lui fallut se tenir en garde. Il demeure évident que sa remarquable beauté avait frappé le roi George Ier, jusqu’alors assez mal partagé sous ce rapport, et à qui l’opinion publique, par un bizarre caprice, faisait en quelque sorte un blâme de tout ce qui manquait à ses favorites allemandes. Le prince de Galles lui-même, fort peu recommandable par sa fidélité conjugale, et qui s’attacha très sérieusement à une femme infiniment moins séduisante que ne devait l’être lady Cowper, avait pour celle-ci, non peut-être un penchant décidé, mais une bonne volonté d’affection qui se traduisait quelquefois par de singulières et très caressantes effusions. La moindre coquetterie, — j’entends de celles que s’interdisent les femmes sérieusement et absolument irréprochables, — eût donc mis le monarque ou l’héritier présomptif de la couronne aux pieds de la femme du lord-chancelier. La faveur déclarée de l’un ou de l’autre, exploitée selon les us et coutumes du temps par une personne aussi au courant des affaires politiques, pouvait devenir une puissance durable, et qui, dans les idées alors reçues, eût trouvé plus de courtisans que de détracteurs. Les « bons conseils » en ce sens, les insinuations tentatrices, ne manquèrent pas à la dame du palais ; ils la trouvèrent sourde et bien résolue à ne pas déchoir dans sa propre estime. Et cependant, — si la tentation n’était pas bien pressante sous certains rapports malgré le prestige du rang et le reflet de la royauté, — de puissantes considérations eussent milité en faveur d’un parti-pris moins sévère, ne fût-ce que l’agrandissement de la famille, l’accroissement d’un crédit déjà fondé, la perspective d’un premier rôle dans la politique du temps. Convenons qu’il y avait là sujet à réflexion et à lutte intérieure, surtout quand une disgrâce imméritée vint atteindre lord Cowper, et quand ses désaccords avec ses collègues semblèrent rendre imminente la résolution qu’il manifestait souvent de renoncer à la vie de cour. Plus jeune et moins désenchantée que son mari, lady Cowper se résignait bien à lui faire le sacrifice du rang où elle avait été élevée, et qu’elle lui devait en partie ; mais on voit que cette vertueuse résolution lui coûtait plus d’un regret, fort concevable après tout, et, pour les gens doués d§ quelque expérience, cette situation délicate, cette lutte du devoir contre les penchans, les intérêts personnels, constitue un drame complet, plus émouvant dans sa réalité que la plupart des combinaisons auxquelles le romancier et l’auteur dramatique demandent leurs succès ordinaires.

Nous indiquons ici un seul des aspects par lesquels nous avons été frappé ; nous pourrions recommander encore, comme étude à suivre d’après le Journal, celle du caractère de l’auteur : un curieux mélange de souplesse et de fierté, de bonhomie et de malice, de droiture et de savoir-faire. Ce caractère ne se livre pas tout d’un coup ; il se révèle peu à peu, note par note, jour par jour, à la façon des traits que le miniaturiste reproduit par mille menus retours de pinceau sur l’ivoire longuement caressé. Cette dame de cour a ses momens de susceptibilité bourgeoise, ses préoccupations du qu’en dira-t-on, ses haut-le-corps révoltés, suivis de concessions réfléchies. Tout cela, mêlé aux détails intimes donnés sur quelques incidens secondaires, mais mal connus, peut, ce nous semble, tenir lieu d’une action suivie et d’un intérêt purement narratif, à la condition cependant qu’on ne se méprenne pas sur les qualités fort diverses du roman et de l’autobiographie, et qu’on ne demande pas à celle-ci l’habile distribution, l’intérêt savamment gradué, qui sont l’apanage de la fiction. Le faux est ce qu’il veut, la vérité ne sera jamais que ce qu’elle peut être. Il faut donc l’aimer pour elle-même. Reprenons maintenant notre tâche, un moment interrompue par des explications que motive la nouveauté de notre entreprise, et rappelons en peu de mots les événemens de l’année 1716, auxquels vont faire allusion les notes du Journal que nous abrégeons.

Ainsi que nous l’avons déjà vu, cette année mémorable fut tristement inaugurée par les supplices qui donnaient le baptême de sang à la dynastie hanovrienne. Elle vit ensuite se produire une des plus graves modifications constitutionnelles qui aient réglé le mouvement de l’organisme parlementaire. Depuis l’année 1694, la durée de chaque législature était restée fixée à trois ans. Sous le coup des pressantes nécessités que lui faisait l’insurrection de 1715, l’administration whig, ayant à redouter le résultat des élections alors imminentes, fit abolir le bill triennal. Ce bill avait été voté en mémoire et en haine du despotisme de Charles II, qui, dix-sept années durant, avait gouverné avec la même représentation des communes, espèce de chambre introuvable qu’aucune élection, — il le savait de reste, — ne lui aurait rendue aussi complaisante et aussi dévouée. Il faut reconnaître que le mandata court terme (on le recommande pourtant de nos jours encore comme une espèce de panacée parlementaire) n’avait point donné les résultats attendus. Les représentans du pays, élus pour trois ans au lieu de l’être pour sept, ne s’étaient montrés ni plus indépendans ni moins corruptibles. Aussi beaucoup d’esprits distingués ont-ils cru voir dans le retour à la septennalité (mesure dont la légalité a d’ailleurs subi plus d’une critique) le point de départ d’une situation nouvelle ; l’émancipation des communes, jusque-là plus subordonnées que de raison soit à l’autorité de la couronne, soit à l’ascendant de la pairie, date pour eux de cette mesure.

Une autre question intérieure fut soulevée par le départ du roi George Ierpour son électorat de Hanovre, départ auquel tous ses ministres s’opposèrent en vain, et que les tories saluèrent d’un long cri de joie. À l’occasion de ce malencontreux voyage éclatèrent les dissidences, jusqu’alors à peu près secrètes, de la famille royale. La jalousie soupçonneuse du père, les aspirations ambitieuses du fils, se manifestèrent publiquement ; leur animosité réciproque se donna carrière. Le roi voulait restreindre et restreignit en effet, autant qu’il était en lui, l’autorité qu’il était contraint de déléguer au prince de Galles. Il ne voulut jamais lui conférer une véritable régence, et alla déterrer dans de vieilles annales un titre gothique pour en affubler ce pouvoir sévèrement limité. Le prince délégué ne fut pas régent ; il reçut le titre de lieutenant-gardien du royaume, titre que personne n’avait porté depuis le Prince Noir. En revanche, dès que son père fut parti, le prince n’épargna rien pour se rendre populaire. Un zèle vindicatif sembla le pousser à tout ce qui pouvait alarmer, irriter la jalousie paternelle, — maladresse dont les conséquences devaient aggraver une situation déjà pénible. Il faudra s’en souvenir quand on lira, vers les dernières pages du Journal de lady Cowper, le triste détail des rigueurs exercées par George Iercontre son fils et sa bru, confondue un moment avec le prince dans une commune disgrâce.

Quant au troisième grand événement de l’année 1716, — le traité qui changea les relations de la France et de la Grande-Bretagne, non sans un immense profit ultérieur pour l’un et l’autre pays, — c’est à coup sûr celui qui toucherait nos lecteurs de plus près ; mais lord Cowper, très mêlé aux affaires intérieures des trois royaumes et aux débats de la famille royale, ne le fut guère aux négociations qui se suivaient, soit à La Haye, soit à Herrenhaus en. Le soin de les mener échut spécialement à Stanhope, aux deux Walpole (Robert et son frère Horace), enfin à Townshend, dont elles amenèrent la disgrâce momentanée. Aussi n’en trouvons-nous presque aucune trace dans l’écrit qui nous occupe ; dès lors nous n’avons sans doute pas à y insister, et maintenant que notre mission de commentateur nous semble remplie, nous reprenons, au point où elle en était restée, la suite de nos extraits.


22 février 1716. — La princesse a lu avec émotion une lettre de lord Carnwath, un des condamnés à mort, qui lui a été remise par sir David Hamilton. — Si ce malheureux veut que je le sauve, disait-elle en pleurant, il faut qu’il avoue plus complètement, qu’il manifeste plus de repentir.

23. — Nous avons la confession détaillée de lord Carnwath, le récit de ses entrevues avec la reine Marie dans un couvent de Paris, puis avec le prétendant en Lorraine, où il obtint trois audiences successives.

D’après Mlle de Schulenburg, la demande de sursis votée par la chambre des lords a vivement contrarié le roi, qui, dit-il, n’osera plus après cela s’exposer aux regards du public. Il est tout spécialement monté contre lord Nottingham, qui, entre lui et les siens, touche bon an mal an quinze mille livres sterling des bontés du roi, et pourrait bien en revanche se montrer plus dévoué.

On m’a remis un spécimen des bâillons trouvés en grand nombre chez un bourgeois de Preston, enragé partisan des Stuarts, et qu’on a pendu après la bataille. Ce sont d’affreux engins armés d’écrous qui s’enfoncent dans les joues, et d’une pointe de fer qui perce la langue pour peu qu’on essaie de parler.

24 février. — Lord Derwentwater s’attendait à être ajourné comme lord Carnwath. Peut-être en effet l’eùt-on sauvé sans la conduite insensée de sa femme et de ses enfans, qui ont voulu faire échec au pouvoir royal par l’intervention du parlement. Puis, devant le conseil, lorsqu’on l’interrogea, beaucoup d’insolence, et des dénégations absurdes en face de témoignages irrécusables. D’ailleurs il avait été le premier à prendre les armes, ce qui l’a fait choisir pour victime parmi les pairs anglais, comme lord Kenmure parmi ceux d’Ecosse. Tous deux sont morts ce matin très courageusement, Derwentwater à moins de trente ans. Ses amis avaient décidé qu’on laisserait le corps exposé le plus longtemps possible, afin de rendre plus vive l’émotion publique. Aucun cercueil n’étant donc à portée de l’échafaud, il a fallu rouler le cadavre dans un méchant morceau de serge noire et l’emporter sur la première voiture venue.

27 février. — Lord Nottingham est destitué, contre l’avis de mon mari, qui voulait faire ajourner cette mesure sévère, et ne punir qu’après un nouveau méfait. 29 février. — J’ai eu pour convives M. et Mme Robethon, lady Powlett et Mme de Gouvernet (la plus aimable sexagénaire du monde). M. Robethon m’a chargée de proposer à mylord d’échanger sa place de chancelier contre celle de président du conseil ; j’ai dû lui communiquer cette proposition ; mylord refuse positivement. Il est prêt à quitter la partie, si ses collègues le désirent, mais ne veut aucunement admettre que ses fonctions actuelles soient changées. M. Robethon me prie d’insister, l’affaire étant ainsi arrangée, à ce qu’il assure, par les puissances du moment.

1er mars. — Je suis allée souhaiter sa fête à la princesse, qui est pour moi la meilleure des maîtresses et la plus charmante amie. Elle m’apprend que M. de Bernstorff est venu pratiquer le prince pour lui faire agréer la nomination de lord Cowper à la présidence du conseil ; le prince a nettement refusé de s’en mêler autrement que sur l’exprès désir de mylord. En remerciant le prince, je n’ai pas manqué de lui répéter la réponse de mon mari aux ouvertures de M. Robethon.

10 mars. — J’ai été retenue à souper chez la princesse, où la duchesse de Monmouth[2] nous a raconté force détails sur la cour de Charles II et sur la mort de ce prince. Il résulte de ces anecdotes que la duchesse de Portsmouth abusait étrangement la princesse en se targuant devant elle, ces jours-ci, de l’amitié que lui portait la reine Catherine, et des soins que cette indulgente personne avait pris en certaine occasion pour conjurer une fausse couche dont sa rivale était menacée. La duchesse de Monmouth traite tout cela de contes, et déclare que sa majesté déguisait à peine, sous les formes voulues, le mépris que lui inspirait la maîtresse donnée par la France. Celle-ci était à ce point dépourvue de toute clairvoyance que l’intrigue du roi Charles et de la duchesse de Mazarin, connue de tous et de chacun, demeura longtemps un secret pour elle. Quand elle eut fini par s’en apercevoir, elle allait partout se plaignant qu’on lui préférât « une femme sans beauté comme sans esprit. » Ainsi lui plaisait-il d’en juger.

Le roi, très las d’elle, la supportait par habitude et aussi à cause du crédit qu’elle trouvait à la cour de France, dont elle était l’instrument. A l’appui de ceci, la duchesse de Monmouth nous citait le langage tenu par ce prince dans la chambre même de sa maîtresse un jour où, les médecins ayant déclaré qu’il lui restait à peine une demi-heure de vie, elle avait envoyé chercher son royal amant pour prendre congé de lui et recommander leur fils à sa protection. Un des seigneurs de la cour s’approcha de la fenêtre, où le roi se tenait assez négligemment accoudé, pour lui offrir quelques complimens de condoléance. — God’s fîsh, mon cher lord, interrompit ce prince avec son juron favori, sachez que je ne crois pas le premier mot de cette prétendue crise. La dame se porte mieux que vous et moi. Seulement il lui est venu quelque fantaisie qu’il faudra trouver moyen de satisfaire. Ce que je vous dis là, je vous le garantis aussi sûrement que si j’étais dans sa peau[3].

La duchesse de Portsmouth est sur le point de retourner en France. Nous sommes redevables de sa visite à l’espoir qu’elle avait conçu de rentrer dans quelques arrérages de ses pensions.

15 et 16 mars. — Procès de lord Wintoun. Mylord Cowper est encore appelé à remplir les fonctions de high stewart, honneurs à grimaces (grinning honours), comme les appelle sir John Falstaff dans le Henry IV de Shakspeare, attendu qu’ils coûtent fort cher et ne rapportent pas un farthing. Lord Nottingham et lord Aylesford, récemment frappés de destitution, se sont conduits en cette nouvelle épreuve d’une manière honteuse. Mylord Wintoun s’était arrangé après sa condamnation pour scier un barreau de sa prison au moyen d’un ressort de montre ; il a été surpris pendant cette opération, et fait maintenant son possible pour donner à penser qu’il ne jouit pas de toute sa raison, bien qu’en somme il soit tout simplement sans éducation, sans la moindre littérature, et d’une brutalité exceptionnelle. Marié de tous côtés, on lui connaît au moins huit femmes, vivantes et grouillantes. Je m’impatiente malgré moi quand je vois un pareil personnage susciter autour de son nom tant de bruit et de propos. Si ce qu’on en dit est vrai, il fallait tout simplement le déclarer incapable de haute trahison.

22 mars. — Mistress Clayton, chez qui nous avons dîné, ne savait assez se louer des bons propos tenus par le prince à l’avantage des Anglais. Ce sont les meilleurs, les plus beaux, les plus dévoués de tous les êtres créés, et on ne peut mieux lui faire sa cour, assure-t-il, qu’en lui trouvant quelque rapport avec eux. Là-dessus grand scandale chez les convives étrangers. Ne pouvant se contenir, les voilà qui déblatèrent de la façon la plus inconvenante contre tout ce qu’ils ont trouvé ici. M. Schutz va jusqu’à prétendre qu’il n’y a pas en Angleterre une seule jolie femme.

1er avril. — Communié avec la princesse dans son salon.

Deux lettres de M. d’Uxelles[4] à M. d’Iberville, qu’on a pu intercepter, montrent la France peu disposée à rompre avec l’Angleterre. Il y a des négociations entamées par M. Devenvorde[5], dont il faut, disent ces lettres, caresser d’abord la vanité, pour en venir après à lui montrer que le succès de l’affaire lui serait personnellement profitable. Les Français ont en aversion notre ambassadeur, le comte de Stairs.

M. Robethon est venu chez le baron de Bernstorff, où nous dînions, et là, soit qu’il fuit légèrement pris de boisson, soit par le fait de son impertinence naturelle, il nous parut à tous littéralement insupportable. La princesse soutient que c’est au fond le meilleur homme du monde et fort acceptable quand il veut bien ne pas trancher du bel esprit. Elle m’a parlé de lui quelquefois en d’autres termes, et certain jour les a traités, lui et Bothmar, de francs coquins.

La comtesse de Buckenburgh prétendait l’autre jour, pendant une visite, que les femmes anglaises n’ont jamais les dehors des dames de qualité, qu’elles ont la mine basse et timide, l’air humble et craintif, tandis que les étrangères, portant haut et la poitrine en avant, se donnent une tournure majestueuse et semblent de meilleure race. — Madame, lui répondit aussitôt lady Deloraine, c’est notre naissance, ce sont nos titres qui nous font de qualité. Pour nous montrer telles, nous n’avons pas, Dieu merci ! à étaler notre gorge.

6 avril. — Le baron de Bernstorff m’a priée d’appeler l’attention de mylord sur cette partie du bill triennal relative à l’Ecosse, et qu’y a introduite lord Islay. — Il s’aperçoit, me dit-il, que le duc d’Argyle et lord Islay manœuvrent pour tirer la couverture à eux, d’abord en provoquant une amnistie générale, et aussi en accaparant la portion du bill triennal qui concerne l’Ecosse.

6 avril. — Je suis allée après le dîner chez sir Godfrey Kneller, afin d’y voir le portrait qu’il fait de mylord. Ce portrait est destiné à orner mon cabinet de toilette. Mylord y est représenté dans la même attitude que ce cher ami prenait si souvent lorsqu’il veillait à mon chevet pendant la grande maladie que j’ai faite.

14 avril. — Les débats sur l’abolition du triennal act ont commencé aujourd’hui. La princesse a voulu y assister. Sa santé est bonne. Je lui ai porté du lait caillé.

Nous avons appris ce matin que mon cousin Tom Forster, l’ex-général des rebelles, s’était échappé de Newgate. Le geôlier a été arrêté. D’après l’interrogatoire qu’il a subi devant le conseil, il paraît avoir été complice de cette heureuse évasion.

16 avril. — La princesse n’est point allée entendre la suite des débats. On m’apprend que lord Nottingham, récapitulant ce que mylord Cowper avait dit samedi dernier, en a fait le sujet des attaques les plus violentes et les moins parlementaires. Son frère et lord Trevor l’aidaient de leur mieux ; mais mylord a mené l’affaire contre tous les trois de manière ; A leur donner regret de l’avoir ainsi pris à partie.

Pendant un dîner chez lady Powlett, Mlle Schutz s’est plainte que nous traitions les étrangers avec trop peu d’égards ; Il faudrait, pour satisfaire ses idées sur les préséances respectives, que l’on fît passer sa femme de chambre avant la duchesse de Somerset. Je me permets néanmoins de penser que nous avons accordé à Mlle Schutz plus de civilités qu’elle n’en mérita, mille fois plus, en tout cas, qu’elle n’en obtient de ses compatriotes, qui la traitent, pour parler français, de haut en bas. Si elle n’était la nièce de son oncle, et si cet oncle ne jouissait d’un immense crédit, personne ne pourrait endurer ses incartades. 19 avril. — Émotion générale causée par la mort de lady Sunderland ![6]. La duchesse de Marlborough paraît fort affectée ; mais chez elle pareils chagrins ne durent guère. En réalité, — non pas en apparence, — elle vivait aussi mal avec cette fille qu’avec ses autres enfans, qui tous la détestent. Lady Sunderland avait mieux que les autres su garder les dehors de l’affection filiale ; mais la duchesse ne se trompait guère sur les mobiles intéressés de sa conduite, et la tenait au fond en médiocre estime.

29 mai. — Anniversaire de la restauration. Rameaux verte[7].

7 juin. — Actions de grâces. Grande foule. Feux de joie.

10 juin. — Anniversaire de la naissance du prétendant. Gardes dans les rues ; roses aux boutonnières[8].

12 juin. — On commence à parler de la régence du prince pendant. le voyage de sa majesté à l’étranger. Mlle de Schulenburg est ici pour faire entériner son brevet comme duchesse de Munster.

19 juin. — Allée à la cour. Lord Townshend, paraît en disgrâce. Mlle de Schulenburg, a prêté serment à la chambre haute. Un assez méchant accueil lui a été fait par leurs seigneuries. Mylord s’est chargé de tout pacifier.

26 juin. — Le baron de Bernstorff promet tous ses efforts ; mais il craint que le roi et son fils ne puissent jamais s’entendre sur les conditions à faire au prince. Provisoirement on évitera de saisir la chambre du débat relatif à la régence. Le baron va chez la princesse, de là chez le prince, puis il revient à moi, se plaignant de ne pas trouver le prince assez facile aux concessions. Le prince donne cependant carte blanche à lord Cowper, qui se rend chez le roi en compagnie de Bernstorff. Lord Sunderland et lord Townshend insistent pour que le prince se soumette à de nouvelles restrictions ; lord Cowper leur résiste avec succès. Le baron de Bernstorff vient me dire que tout s’arrange, puis il court chez la princesse, que le détail des nouvelles comble de joie.

27 juin. — Encore Bernstorff. Il parle de paix, et va chez la princesse. Colère du prince.

28 juin. — D’autres restrictions sont mises sur le tapis. Je vais chez mistress Clayton. On y parle d’une brouille nouvelle. Le roi est décidément irrité. Il insiste sur ce que le prince doit être humilié ; il veut le séparer du duc d’Argyle, de lord Islay, etc. Si son altesse n’accepte pas ces conditions, le roi déclare qu’il enverra chercher le D. E.[9] pour le faire gardien du royaume et duc d’York. Que ne prend-on mon avis sur tout cela ? Ils sont plus insensés les uns que les autres, et, chacun ne songeant qu’à ses vues particulières, ils finiront par tout ruiner.

Je trouve dans l’appartement des petites princesses leur mère absolument déchaînée. De là, chez lady Essex Robartes. Mlle Schutz y prêche à qui veut l’écouter l’obéissance filiale. J’essaie de gagner lord Townshend à nos idées. Le prince déclare qu’il n’abandonnera point Argyle. Je m’efforce de l’apaiser. Il est dans une véritable angoisse, et me serre la main à plusieurs reprises. On va par son ordre chercher lord Townshend, pour qui je lui ai demandé quelques bonnes paroles. Il est question d’un défi porté à lord Cadogan[10] par le duc d’Argyle. A aucun prix, le prince ne veut se séparer de ce dernier. Son altesse a écrit au roi.

3 juillet. — Les lords Townshend et Sunderland sont chez le prince, criant, protestant à qui mieux mieux, déclarant qu’ils se savent à tout jamais perdus, etc. On apporte la réponse du roi, et j’en prends copie[11]. La princesse croit y reconnaître le style de Robethon. En s’y prenant avec adresse, on pourrait certainement acheter un pareil drôle. Je rencontre sa femme le soir même chez lady Powlett. Il paraît qu’une pension a été promise par le prince à M. Robethon, lequel se défend d’avoir en rien trempé dans cette dernière affaire. Mensonges que tout cela ! Je me souviens fort bien de ce qu’il nous disait, à mylord et a moi, relativement à la régence.

4 juillet. — Avant dix heures chez la princesse. Le prince n’est pas levé. La princesse me dit que son altesse veut envoyer chercher M. de Bernstorff, pour lui manifester l’intention de tout sacrifier à son désir de bien vivre avec le roi, et de lui complaire autant que possible. Il se séparera donc du duc d’Argyle. Son altesse veut aussi faire venir M. Robethon et lui accorder la pension promise.

5 juillet. — M. Robethon assure que le roi reviendra, ce que n’eût point fait sa majesté, si les choses n’avaient pu s’arranger[12]. L’absence du roi ne durera pas plus de six mois. Les étrangers prennent congé de la princesse. Je fais mes adieux aux dames de la suite royale.

Au drawing-room, le roi s’est montré d’une humeur charmante. Comme je lui souhaitais bon voyage… et prompt retour, il a semblé me dire par son regard que la seconde partie de ma phrase lui semblait pure formule, et qu’il ne voulait encore songer à rien de pareil.

Lord Lovat[13] est venu le soir au conseil, amenant un individu nommé Barnes. Cet homme a dénoncé sous serment certains propos tenus par deux Sulivant, cousins de cet autre Sulivant exécuté l’année dernière au mois d’octobre, et dont le crâne figure encore sur Temple-Bar. S’il les en faut croire, le frère de ce supplicié a conçu le projet d’assassiner le roi dans une forêt située entre Utrecht et Loo. Il se servirait pour cela du « parti bleu, » à la tête duquel il a été mis. — On appelle ainsi un détachement de quelque croquante hommes habitués à battre l’estrade et à rançonner le pays. — Les deux auteurs de cette sinistre révélation n’ont pas manqué d’être sur-le-champ mis en prison. Ce même lord Lovat fut naguère accusé de rapt. Sa victime était une des sœurs du duc d’Athol. Depuis lors, il n’osait plus se produire dans le monde, et n’y a effectivement reparu que lorsqu’il s’est vu gracié pour prix de ses bons services en Écosse,

7 juillet. — Le roi est parti ce matin, et le prince était dans le même carrosse que son père. Avant le départ, le duc d’Argyle et lord Islay sont venus baiser la main du roi pour l’assurer en même temps que leur conduite future montrerait à quel point ils ont été calomniés auprès de sa majesté.

À la cour dès le matin. La princesse a fait prier lord Cowper de venir trouver le prince, lequel n’a confiance qu’en lui. Elle assure qu’une pension de trois cents livres lui a complètement gagné Robethon (ce dont je doute, car il est de ceux qui se vendent, mais ne se livrent point, et que Stanhope, qui accompagne sa majesté, a promis de mander ici tout ce qui se passerait là-bas (j’en doute au moins autant que du reste).

Pendant la visite qu’il fit à sa bru hier soir, le roi, dit-elle, lui raconta qu’il avait vu dans les dernières vingt-quatre heures au moins cinquante personnes, et que toutes, — à l’unique exception de lord Cowper ; — avaient sollicité de lui quelque faveur ; comme lui trouvant la mine un peu fatiguée », elle lui demandait s’il allait bien : — Ne vous étonnez pas, lui répondit-il en riant, si je vous parais un peu pâle. On n’a fait toute la journée que me saigner à blanc. La princesse se plaint que M. de Torcy[14] ouvre toutes ses lettres.

8 juillet. — La duchesse de Munster a dit à lady Saint-John, de qui je le tiens, qu’elle s’était opposée à l’expulsion du duc d’Argyle, et qu’elle l’attribuait à l’insistance des ministres. J’ai rencontré l’archevêque (de Cantorbéry) ; il m’a parlé d’une sorte de pacte en vertu duquel lord Cowper et lui doivent se maintenir ou tomber ensemble. Mon mari a passé deux, heures chez le prince, qui promet de suivre ses inspirations ; en toute chose. Mylord, pour premier conseil, lui prêche le pardon et l’oubli envers ceux dont il croit avoir à se plaindre, et cela dans l’intérêt des affaires en général. Son altesse Fa franchement promis, ajoutant qua les bons-avis de lord Cowper Lui avaient été fort précieux.

Arrêts de mort contre vingt-quatre rebelles, qui seront tous gracié, à l’exception du juge Hall et du curé Paul[15]. Le duc de Marlborough est fort malade ; il part cette semaine pour son château et de là pour Bath. Mistress Clayton prétend qu’il est demeuré étranger à tout ce qui s’est pratiqué ; les autres agissaient sans lui faire part d’aucune de leurs résolutions. J’aurais pu lui demander, cela étant, de m’expliquer les deux visites que mylord Cadogan a faites le même jour à Saint-AIbans ; mais je n’entends me mêler à tous ces imbroglios que si je ne puis faire autrement. Tout le monde est persuadé que la duchesse de Marlborough a reçu cinq mille livres sterling pour faire obtenir la pairie à lord Saint-John.

La princesse m’a parlé en termes fort durs de lord Townshend, dont les feintes caresses et l’hypocrisie la révoltent. Elle lui préfère lord Sunderland, qui a montré plus de franchise en lui avouant qu’il s’était prononcé contre le prince, qu’il tenait pour les restrictions, et à l’occasion les demanderait encore. Il avoue aussi avoir poussé à la destitution du duc d’Argyle, vis-à-vis duquel il aurait seulement voulu qu’on gardât plus de formes.

Selon moi (et je l’ai dit à ma maîtresse), c’est encore Robethon qui a le mieux expliqué cette destitution. Il dit que lord Townshend et l’autre secrétaire d’état avaient compté gouverner le prince par l’entremise d’Argyle, ce qui les avait poussés à parler de se démettre, s’il était renvoyé ; mais quand ils virent le roi bien décidé, craignant de perdre leurs places, ils se rangèrent avec les ennemis du duc, et le relancèrent avec un extrême acharnement.

Le roi paraît avoir dit à la princesse en M parlant des méfiances que le prince aurait, selon certaines gens, conçues contre lord Cowper : « Ces soupçons seraient bien mal placés, car le chancelier et le duc de Devonshire sont les deux seuls hommes de bien que j’aie encore rencontrés en ce pays. »

On obtiendra de la princesse qu’elle traite les ministres avec la civilité requise, mais je crois qu’elle aura peine à leur pardonner le passé. Je lui ai lu ce matin quelques poèmes de Mlle Deshoulières, entre autres choses, certains passages touchant Brutus, à la hauteur duquel, toute whig que je suis, il m’est impossible d’arriver. J’estime en effet que Brutus aurait dû ou rester fidèle à César ou refuser ses bienfaits. L’ingratitude dont il fit preuve ternit, selon moi, l’éclat de son patriotisme. Là-dessus une grande discussion s’est élevée entre ma maîtresse et moi.

16 juillet. — La duchesse de Roxburgh, tout en affirmant qu’elle n’approuve pas l’expulsion du duc d’Argyle, recommandait à la princesse de ne plus l’admettre auprès d’elle. — Pourquoi cela ? lui a-t-il été répondu. Le roi lui permet de venir à la cour, et je regarderais le prince comme coupable d’ingratitude, s’il manquait aux gens qui ont souffert pour sa cause.

Je pourrais confondre lord Sunderland en rapportant ce qu’il a dit en plein conseil, à propos du duc d’Argyle, quand fut votée la clause qui substituait la guardianship à la régence ; mais je me suis fait une loi de ne rien ébruiter qui puisse contribuer à désunir les membres de l’administration. Peut-être un jour cette humeur pacifique me sera-t-elle imputée à crime.

M. Robethon (il en est formellement convenu avec moi), aurait voulu les restrictions tellement combinées que le prince ne les pût point accepter décemment, et comme je me récriais là-dessus, puisque personne en pareil cas n’aurait osé prendre la moindre initiative durant l’absence du roi : — Vous ne connaissez pas le prince, a repris Robethon. Donnez-lui le pouvoir, et vous le verrez faire place nette de tous les personnages qui agréent à son père ; vous le verrez dissoudre le parlement et en venir aux mesures les plus extrêmes. — Je ne puis attribuer ces extravagances qu’au désappointement de l’honnête secrétaire intime, frustré de sa pension de trois cents livres, laquelle lui a été promise, mais pas encore payée. Dès la matinée suivante, je crus devoir en entretenir la princesse à mots couverts, sans répéter aucun des propos qui m’avaient scandalisée. Deux jours après, le prince manda M. Robethon, lui remit un bon de trois cents livres, et lui promit la continuation régulière de cette faveur aussi longtemps qu’on aurait à se louer de ses bons services.

A peine le roi parti, le prince s’est appliqué à se montrer affable et courtois envers chacun. Il veut être en bons termes avec le cabinet, et se rendre exactement compte de la situation politique. Le duc de Roxburgh, qui avait compté que sa femme et sa cousine lui donneraient la haute main sur les affaires, fut fort déçu dans ses espérances. Le crédit de l’une et de l’autre dame avait considérablement baissé. Le bon archevêque et le chancelier ne songeaient qu’à bien ménager toute chose pendant l’absence du roi, et ne pouvaient atteindre ce but qu’en pacifiant de leur mieux les querelles de leurs collègues. Stanhope était parti en même temps que le roi. En fait d’Anglais, sa majesté n’a voulu que lui, Boscawen et le doyen d’Exetsr, ce dernier comme chapelain[16].

Le duc de Marlborough et ses amis ont un nouveau plan de campagne pour les prochaines sessions. Lord Townshend sera remercié (la duchesse de Munster m’en avait prévenue avant son départ). M. Methuen restera et aura les sceaux en l’absence de Stanhope. Walpole sera mis de côté ; lord Carnarvon le remplacera. (Il se vante d’avoir refusé en disant que ces changemens de personnes font présager quelque immonde besogne, et qu’il n’est point assez pauvre pour s’en charger.) Au chancelier, trop peu accommodant, on devait substituer M. Vernon ; mais, toute réflexion faite, M. Lechmere a paru le seul personnage en état de gouverner Westminster-Hall. Le vrai, c’est que, jaloux de la grande réputation de mylord, ses collègues (sans en prévenir M. de Bernstorff) songeaient à le remplacer par le lord-chief-justice Parker. Pendant que s’agitaient ces diverses combinaisons, je ne bougeais guère du logis, et j’y avais fort à faire pour empêcher mon mari de se démettre. Trois semaines au moins s’écoulèrent avant que je l’eusse décidé à ne pas abandonner la partie.

Ce plan, dont beaucoup de détails m’échappent, mit naturellement la ville en rumeur, et surtout lorsque lord Sunderland obtint congé de se rendre en Hanovre auprès du roi. Ce fut justement à ce moment que le prince alla occuper la résidence royale de Hampton-Court, où il vécut tout l’été dans une splendeur inaccoutumée. Mylord Townshend et sa famille y étaient, pour ainsi dire, à demeure, M. Methuen deux fois la semaine, le chancelier une fois seulement. Le comte Bothmar n’en bougeait pas. Le roi l’avait laissé ici pour maintenir l’ordre en toute chose et rendre le compte le plus minutieux de tout ce qui se faisait. Le prince fort heureusement ne donnait aucune prise aux mauvais rapports.

Après le départ de lord Sunderland, les faiseurs de plans se crurent plus près que jamais d’arriver à leurs fins. L’opinion en revanche pronostiqua l’avènement des tories, résultat inévitable des divisions intestines qui minaient le grand parti whig. On supposait d’ailleurs au duc de Marlborough des combinaisons bien plus compliquées, bien autrement ténébreuses que celles dont il laissait percer quelques vagues desseins. Son état de paralysie, qui allait s’aggravant, fut le plus terrible coup porté à ces obscurs projets. Sa vie était en danger ; on le sauva cependant, mais il ne recouvra tout entières ni la parole, ni l’intelligence. A Bath, où il passa tout l’été, les artisans d’intrigue se pressaient pourtant autour de lui, car, s’il n’avait plus de conseils à leur donner, encore voulaient-ils user de son nom et de sa bourse, que la duchesse administrait pour lui, et avec des visées d’ambition encore plus hautes. Lord Sunderland alla deux ou trois fois prendre les instructions de sa belle-mère avant de partir pour le continent, et il n’était question à Bath que des grandes choses en voie de s’accomplir aussitôt après le retour du roi.

A Hampton-Court, on dormait sur la foi des traités. La maladie du duc rassurait les plus poltrons, et on ne remarquait pas assez que la duchesse, maintenant en possession de la bourse conjugale, en disposait plus largement que son mari ne l’avait jamais fait[17]. On ne tenait pas compte des avantages qu’elle obtenait de son époux affaibli pour leur gendre Sunderland et pour ses enfans, enrichis aux dépens de lady Godolphin, la belle-sœur du ministre. Lord Townshend avait entrepris la conquête du prince, et parvint en effet à s’insinuer fort avant dans ses bonnes grâces ; en revanche, il traitait maintenant la princesse avec une indifférence voisine du mépris. Jamais conduite ne parut si surprenante que la sienne à ce moment-là. Il faisait assidûment sa cour à mistress Howard, à miss Ballandine, à toutes les favorites en herbe ou en gerbe, et, vis-à-vis de la princesse, à peine se montrait-il respectueux. Perspicace comme elle l’est, nul doute qu’elle ne ressentit plus qu’une autre ce manque d’égards. Je priai donc M. Woodford de remontrer à lord Townshend combien il faisait fausse route et combien il était intéressant pour les ministres d’avoir la princesse dans leur jeu. Lord Cowper lui parla dans le même sens, et de fait l’attitude de son collègue se modifia très promptement du tout au tout. La princesse, satisfaite de lui, n’eut plus aucun sujet de trouble ; mais alors recommencèrent les menées de Townshend contre mylord au profit de ce même Parker, que mon mari avait fait lui-même chief-justice, et que son rival était venu en quelque sorte lui souffler sous le nez. Il agissait tout aussi activement contre l’archevêque. Ni le prince ni la princesse ne prêtaient l’oreille à ses malveillantes insinuations.

Lorsque, vers les premiers jours d’août, lord Sunderland vint prendre congé de leurs altesses, il eut avec la princesse, dans la galerie de Hampton-Court, une conversation tellement animée qu’elle dut lui prescrire de parler plus bas, pour ne pas être entendu des gens qui passaient à chaque instant dans le jardin. — Eh bien ! poursuivit-il avec emportement, qu’ils entendent ! — Si c’est votre envie, je le veux bien, repartit la princesse ; mais alors vous garderez le côté des fenêtres, attendu que, de l’humeur où nous sommes tous deux, l’un de nous infailliblement se jettera par l’une d’elles. Or, à vous parler sans détour, je prétends que ce ne soit pas moi. — Par cet échantillon, il est facile de deviner sur quel ton l’entretien était monté.

En prenant congé de lord Townshend, lord Sunderland lui protesta mille fois qu’il ne ferait rien pour desservir aucun des membres de l’administration auprès du monarque, et qu’il avait pour unique visée le prompt retour de sa majesté. Je ne sais si l’autre prit au sérieux ces belles paroles ; mais l’événement prouva combien elles étaient peu sincères. Le premier résultat des secrètes menées du gendre de Marlborough fut la disgrâce de Townshend, disgrâce honorablement déguisée par l’offre qui lui fut faite de la vice-royauté d’Irlande, laquelle tout d’abord il crut devoir refuser malgré les instances de Stanhope. Ce dernier devint alors peu à peu, avec Sunderland, le ministre dirigeant[18].

Le 28 octobre, nous quittâmes Hampton-Court. Les dames d’honneur revinrent par eau, sur la même barge que le prince et la princesse. Il faisait merveilleusement beau, et la traversée fut aussi agréable que possible. Rien ne pouvait donner une meilleure idée de la richesse et de la prospérité du royaume que les tableaux successivement déroulés devant nous. Le dimanche suivant, qui fut le 4 novembre, la princesse ressentit les premières douleurs de l’enfantement, sur quoi le conseil fut aussitôt réuni. On avait appelé une sage-femme de mine assez peu rassurante (car elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’envoyé de France), et sir David Hamilton devait opérer comme médecin assistant. Les dames de la suite insistaient pour qu’il délivrât lui-même la princesse, qui ne voulut jamais en entendre parler. Le conseil tint séance toute la nuit ; mais aucun symptôme décisif ne se manifesta. Le mardi, la princesse eut un accès de frissons très violens et très persistans. Sauf les Allemands, tout le monde prit peur. Le conseil envoya chercher Mme de Buckenburgh, et la chargea de dire au prince qu’on le suppliait de faire accoucher la princesse par sir David Hamilton. Cette requête lui déplut, et je fus stupéfaite, le mercredi matin, de voir le sens dessus dessous que causait cette ; grande affaire. La sage-femme avait formellement refusé ses soins, à moins que leurs altesses ne s’engageassent à la soutenir contre « les grandes dames anglaises, » qui, prétendait-elle, avaient menacé de la faire pendre, si les choses tournaient mal. Ceci mit le prince dans une telle colère qu’il parlait tout uniment de « jeter par les fenêtres » quiconque avait tenu de pareils propos, et prétendrait s’ingérer dans ses affaires privées. Les duchesses de Saint-Albans et de Bolton, que le hasard amenait tout à propos dans la chambre où il tenait ce rude langage, reçurent directement L’apostrophe. À l’instant même, tout changea d’aspect. On ne parla plus que dans les termes les plus rassurans des bons soins, des favorables symptômes qui devaient faire compter sur une heureuse issue. Il n’y eut pas jusqu’à lord Townshend lui-même qui, pour se faire de fête et se montrer bon serviteur, venant à rencontrer la sage-femme dans une antichambre, courut lui prendre la main, la lui secoua cordialement, et, après ce bel exorde, demeura muet vis-à-vis d’elle, car il ne sait pas un mot d’allemand, à lui adresser toute sorte de grimaces plus affectueuses les unes que les autres. Voilà le suprême de la politique et le grand art de faire sa cour !

Notre pauvre princesse ne s’en trouva pas beaucoup plus vaillante. Ses souffrances, ses langueurs, continuèrent jusqu’au vendredi soir, où elle mit au monde un prince défunt…


II

Le Journal de lady Cowper, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, s’interrompt brusquement à cette date de novembre 1716, et reprend seulement le 9 avril 1720. Dans l’intervalle, bien des événemens avaient modifié l’état des choses publiques et la situation personnelle des divers acteurs que nous venons de voir à l’œuvre. Le schisme de l’administration whig avait rejeté dans l’opposition Townshend et Walpole, ce dernier n’ayant pas voulu accepter patiemment la disgrâce qui était venue frapper son beau-frère. Stanhope, créé pair et virtuellement premier ministre, avait victorieusement lutté, d’accord avec la France, contre les ambitieuses tentatives d’Alberoni, qui, secondé par l’aventureux Charles XII, ne rêvait rien moins qu’une seconde restauration des Stuarts. En 1718, peu après qu’Addison se fut volontairement retiré, lord Cowper, renonçant à sa grande position judiciaire et politique, avait reçu le titre de comte, et le duc de Shrewsbury était mort. L’assassinat imprévu de Charles XII, l’avortement de la conspiration ourdie en France par le duc et la duchesse du Maine, la misérable tentative du prétendant en 1719, la disgrâce d’Alberoni, due aux efforts combinés de la diplomatie anglaise et française, nous mènent aux premiers jours de l’année suivante, qui fut inaugurée par le retour de Townshend et de Walpole dans le sein de l’administration whig. Ils lui avaient livré sans le moindre scrupule de terribles assauts. Walpole surtout, vaincu dans sa résistance au bill de tolérance (repeal of the schism act), venait de prendre une éclatante revanche en faisant rejeter une mesure qu’il aurait dû appuyer de toute son éloquence, puisqu’elle tendait à restreindre, en ce qui concernait la création de nouvelles pairies, la prérogative royale. En haine de son fils, George Ier donnait son concours à cette mesure essentiellement libérale que Stanhope et Suhderland opposaient d’avance aux empiétemens prémédités, selon eux, par le futur roi d’Angleterre ; il s’agissait aussi de refréner les ambitions égoïstes des favoris allemands, qui tous, en vue d’un avenir incertain, voulaient abriter leurs rapines sous le titre de lord et les privilèges de la pairie. On se demande comment les whigs opposans purent se croire autorisés en. cette circonstance à marcher d’accord avec les tories, Townshend menant les uns, lord Nottingham à la tête des autres. Il est difficile de ne pas constater ici l’énorme influence que les calculs d’intérêt personnel exerçaient sur la direction politique des diverses fractions parlementaires[19].

Quoi qu’il en soit, le rejet du peerage-bill alarma le gouvernement ; George Ier se hâta de quitter son cher Hanovre, où il était retourné au mois de mai 1719 ; il revint le 14 novembre pour ouvrir le parlement en personne. A l’occasion de ce voyage, les dissentimens de la famille royale s’aggravant toujours malgré la réconciliation de 1716, il n’avait été question de régence ni pour le prince ni pour la princesse de Galles, qui ne furent pas même chargés de tenir les grands levers à la place du monarque absent. Une clause dérisoire, mais significative, attribuait à leurs enfans (trois petites princesses nées en 1709, 1711 et 1713) ces fonctions purement honorifiques.

Ces querelles publiques dataient du baptême d’un des enfans du prince de Galles. Celui-ci ayant choisi pour parrain le duc d’York, son oncle, le roi voulut, sans raison apparente, que le duc de Newcastle fût substitué, à ce prince, non comme chargé de pouvoirs, — ce qui eût paru tout simple, — mais en son propre et privé nom. Le prince, exaspéré par ce qu’il appelait tout simplement une insolence, adressa au duc de Newcastle, immédiatement après la cérémonie, les reproches les plus durs, et son père, irrité à son tour par ce manque de respect, lui envoya d’abord l’injonction de garder les arrêts, puis celle de quitter le palais de Saint-James, sur quoi leurs altesses royales se retirèrent ensemble chez le comte de Grantham, premier chambellan du prince. Une note fut aussitôt publiée d’après laquelle aucune des personnes qui auraient rendu leurs devoirs à l’héritier présomptif ou à la princesse ne devait plus être admise à la cour. On les privait en outre de la garde d’honneur due à leur rang ; plus tard, les enfans de la princesse, enlevés à leur mère, furent placés sous la direction de lady Portland, et le secrétaire d’état aux affaires étrangères eut ordre de rédiger une circulaire diplomatique où toutes ces transactions étaient longuement exposées et justifiées. Le temps, au lieu d’atténuer ce différend si frivole dans son principe, l’aggrava au point que George Ier en vint à concerter un plan d’après lequel le prince de Galles devait être contraint, par acte du parlement, à délaisser, s’il montait jamais sur le trône d’Angleterre, la totalité de ses états en Allemagne. Ce projet, longtemps mûri, fut soumis par le roi au lord-chancelier Parker, qui avait remplacé lord Cowper, et ne fut abandonné définitivement qu’après avoir été déclaré tout à fait impraticable par ce magistrat, dont le dévoûment servile ne pouvait être suspect. Soit dit en passant, la démission de lord Cowper en 1718, — démission qui ne s’explique par aucun autre motif connu, — nous paraît devoir se rattacher à cette mesure extrême dont il aurait eu connaissance, et que ses relations personnelles avec le prince de Galles devaient lui rendre particulièrement odieuse. Placé entre un père et un fils coupables de torts réciproques, il se déroba par une sage retraite aux tristes nécessités que lui créait dans un tel conflit sa position officielle. L’histoire ne le dit pas formellement ; le Journal de lady Cowper, incomplet comme nous l’avons, ne le dit pas davantage ; mais il est permis de le deviner et de s’arrêter à cette hypothèse.

Au commencement de 1720, nous retrouvons donc le prince toujours brouillé avec son père, et réunissant volontiers à Leicester house les divers groupes de l’opposition parlementaire. Malgré l’échec qu’ils ont subi à propos du peerage-bill Stanhope et Sunderland ont conservé toute la confiance de George Ier. Townshend et Walpole, voyant qu’ils n’ont pu ébranler le ministère, se résignent à y rentrer, et répondent aux avances qui leur sont faites par leurs anciens collaborateurs, devenus pour un temps leurs antagonistes. Ceux-ci ne paient point cette réconciliation par de trop grands sacrifices. Walpole, — que vont bientôt grandir les débats relatifs aux affaires de la South sea Company, — accepte en dehors du cabinet le poste de paymaster of the force, Townshend est président du conseil ; mais ce titre, si expressif chez nous, décore dans l’administration britannique une sorte de sinécure et ne représente aucune autorité définie. Leur collègue Methuen enfin s’est contenté d’une charge de cour. Ainsi ralliés, mais boudant encore, ces habiles joueurs ne prêtent qu’un appui précaire et très froid au ministère Stanhope ; ils y sont plutôt à l’état d’observation et de surveillance jalouse, et attendent l’occasion de le renverser par un concours insuffisant ou même par un refus de concours.

Au moment précis où reprend le Journal de lady Cowper, Walpole se met en rapports avec l’ex-chancelier pour travailler à une réconciliation entre le roi et l’héritier présomptif. Le roi n’admet de conditions ni d’une part ni de l’autre. Peut-être rendra-t-on ses enfans à la princesse de Galles. Le prince écrira au roi et reviendra s’établir à Saint-James ; moyennant ce, lord Sunderland se fait fort d’obtenir du parlement six cent mille livres sterling pour éteindre les dettes de la liste civile. Le moment est bon pour le prince de Galles, s’il veut obtenir un marché avantageux et vendre ses rancunes filiales un peu cher. Lord et lady Cowper se préoccupent avant toutes choses de sauvegarder l’honneur de leurs altesses royales. Lady Cowper insiste sans relâche pour que la princesse revendique énergiquement ses droits maternels. Elle ne doit à aucun prix les abdiquer, à aucun prix laisser ses filles dans les mains à qui elles ont été confiées. Si elle cède, elle perdra tout renom de mère tendre et courageuse, elle n’aura plus un ami respectable. La princesse, qui n’aime pas les partis trop décisifs, est dans les angoisses, et, ne sachant que répondre, se fie tantôt aux conseils de lord Cowper, tantôt aux argumens de Walpole. Le prince hésite aussi. Un jour il promet d’écrire au roi, le lendemain il ne veut plus décidément donner ce triomphe à ses ennemis, ni surtout, on le voit, rentrer à Saint-James…


12 avril. — La princesse ne fait que pleurer, et se figure qu’elle est trahie par tout le monde. On la berce de promesses qu’elle croit vaines et de propos à chaque moment contredits ou par l’événement ou par d’autres paroles inconciliables avec les premières. — Je vois bien, me dit-elle, comment va le train des choses. C’est sur moi que tout finira par retomber, et je n’ai aucun moyen de m’y soustraire. Je puis dire que, depuis l’heure de ma naissance, je n’ai pas eu un jour qui ne m’ait apporté quelque douleur… Elle ajoute que le prince entend soumettre à lord Cowper la lettre qu’on exige de lui ; en sa qualité de jurisconsulte, mylord devra veiller à ce que cette lettre ne lie en rien les mains de son altesse. — Jamais, continue-t-elle, le roi ne voudra entendre à la retraite de lady Portland. Walpole m’en a parlé cependant comme d’une chose qui se fera infailliblement d’ici à quelques jours ; mais il y faut de l’adresse, car le roi devient inexorable pour peu qu’on s’avise de lui rompre en visière. J’ai dit à Walpole que ceci n’était point une plaisanterie, et que je les fatiguerais en tout lieu et à toute heure de mes légitimes plaintes, si on ne me rendait pas mes enfans.

Walpole a dit à mylord qu’il n’avait point voulu recourir à la duchesse de Kendal[20] avant que les choses ne fussent plus avancées ; maintenant il se propose d’en venir là, et prétend que l’intervention de cette favorite serait tout à fait décisive. — Elle est, dit-il, aussi reine d’Angleterre que pas une ne l’a été jusqu’ici. Par elle, je puis obtenir bien des choses. — Lord Cowper l’a prémuni contre telle ou telle éclatante duperie, qui les exposerait tous deux à la risée publique. — Prenez garde aussi, lui a-t-il dit, que vous entreprenez indirectement sur les libertés publiques en demandant un vote de subsides pour la liste civile. A quoi sert effectivement d’en établir une, si on peut, en dehors d’elle, contracter des dettes et les faire acquitter par la nation ? — Comme vous dites, a bégayé Walpole, cela n’a rien de régulier. — Certainement non, a repris mon mari ; mais en somme c’est à vous d’y regarder, messieurs des communes, à vous et non pas à la chambre des lords, qui sous ce rapport ne saurait encourir aucun blâme.

Le prince a dit à lord Cowper : — Si mes amis et moi ne trouvons pas bon accueil à Saint-James, on ne m’y verra pas plus d’une fois le mois, et je les laisserai s’arranger entre eux. — Notez qu’ils ne demandent pas autre chose à Saint-James.

Le ministère fait peur au prince en lui donnant pour certain que les tories sont disposés à voter toutes les mesures qui pourraient l’atteindre personnellement, et que le speaker, de concert avec eux, pousserait à l’adoption de toutes les rigueurs que la cour serait disposée à promouvoir. Dans une telle passe, ne vaut-il pas mieux avoir le cabinet pour soi que contre soi ?

Walpole travaille activement à détruire le crédit de M. de Bernstorff. Il a prouvé au roi que ce favori s’était rendu acquéreur à cinquante pour cent de perte des bons délivrés pour le paiement des troupes étrangères. Quant au surplus, il en a été disposé de telle façon que les véritables créanciers, les pauvres soldats allemands, y ont à peine touché. — Maintenant, ajoute mylord, je me ferai fort d’établir que Walpole a trafiqué dans des affaires de même ordre sur une bien autre échelle que Bernstorff ne s’y risquera jamais.

Walpole a si bien accaparé la princesse qu’elle est sourde à tous autres conseils que ceux de cet habile homme. Il a monta la tête au prince contre les spéculations de la Mer du Sud, que son altesse favorisait assez dans le début, et contre lesquelles il tonne maintenant, ainsi que tous ses amis[21]. En revanche, ni Walpole ni Townshend n’osent entamer lord Sunderland, bien qu’ils aient eu plusieurs bonnes occasions d’en venir là. Walpole de plus, parfaitement au courant de ce qui se passait, ainsi du reste que la princesse, a laissé se nouer une intrigue entre sa femme et le prince.[22].

Aux arrangemens bâtards qui ont fini par se conclure, qu’en dehors de mylord Cowper, volontiers étranger à toutes ces cabales, — le prince et la princesse n’auront gagné que le droit de se présenter quelquefois à la cour. En revanche, ils abandonnent leurs enfans, ils se laissent quitter et trahir par ceux qui se disaient leurs amis, lesquels apprendront, là où on les voit se presser d’accourir, à ne plus même garder les dehors de la bienséance envers des gens qu’ils ont indignement abusés. Le roi ne tient aucunement à renouer avec son fils et sa bru. L’important pour lui, c’est que les dettes soient payées. Ainsi plus de vie commune, ni les enfans ni les gardes ne sont rendus. Rien de grand, rien qui sente le rang où ils sont nés, et tout ceci pour procurer à Walpole et à Townshend le moyen de vendre fort cher leurs services à sa majesté, dont les affaires ont plus souffert de leur intervention que de toute autre, de puis qu’elle est de retour ici. Le prince leur a servi à tirer les marbrons du feu, et c’est pour cela qu’ils l’ont induit par degrés à cet infâme accommodement, qui ne lui procure, ni à lui ni à la chose publique, aucune sorte d’avantage.

Pour ce qui me concerne personnellement, ces deux artisans d’intrigues m’ont désignée tout l’hiver aux méfiances de la princesse en me représentant comme acquise au roi et à M. de Bernstorff. Probablement accessible aux mêmes calomnies, le prince daignait à peine accorder un regard à mes amis ou à moi. Il a si rudement maltraité le petit lord Stanhope au sujet de son vote dans l’affaire de la Mer du Sud, que celui-ci a longtemps parlé de donner sa démission[23].

15 avril. — Décidément nos maîtres ne voient plus que par les yeux de Walpole. Sunderland ne se gêne pas pour dire que, si le prétendant était en Angleterre, il aurait bonne chance de tout renverser, tant il y a chez le roi de mauvaise humeur et de méfiances. Sa majesté se plaint que ses conseillers lui aient manqué de parole. — Vous deviez, disiez-vous, me livrer le prince pieds et poings liés, et je ne puis pas même obtenir qu’il se prive des serviteurs qui me déplaisent. Et puis cet argent que vous vous engagiez à me procurer ?… Les six cent mille livres sterling lui tiennent au cœur plus que tout le reste. Walpole et Townshend se font fort, une fois cet argent obtenu, de renvoyer lady Portland, ne fût-ce que sous prétexte d’économies devenues indispensables. Ils promettent qu’on rendra les gardes, qu’on rendra les enfans ; mais ce ne sont là que des promesses. Aucunes conditions ne sont encore faites, aucunes garanties ne sont obtenues que nous serons moins maltraités quand les ministres auront atteint leur but. Je demande à la princesse si on est d’accord sur les gens à remercier. — Oui, me dit-elle, mais non sur ceux qui rentreront. — Exactement comme au temps du triumvirat romain ; on ne s’entend que pour proscrire. Je crois au fond que Sunderland conserve tout l’ascendant réel, et que Townshend et Walpole, en traitant avec lui, ne songent qu’à exploiter dans leur intérêt unique le crédit acquis par eux sur leurs altesses royales. Lord Cowper est profondément dégoûté de tout ce qu’il voit ; de plus sa santé se trouve altérée. Il part demain pour la campagne, et il y a fort à parier que, si on lui donne d’autres sujets de mécontentement, il m’emmènera d’ici. Bernstorff ni aucun des Allemands n’est au courant de ce qui se brasse. Le roi paraissait nier de très mauvaise humeur.

19 avril. — La princesse Anne est malade. Sa mère a fait demander au roi l’autorisation de la voir. Jusqu’à présent, elle n’a été admise auprès de ses enfans que le dimanche soir. Le prince paraît fort inquiet. La petite vérole s’est déclarée.

20 avril. — La princesse est allée deux fois à Saint-James. Notre service devient très pénible. Pas la moindre occasion de rien apprendre. La petite malade semble se rétablir.

22 avril. — Lord Cowper va d’abord chez Walpole, puis chez le prince. Walpole lui a montré la lettre de ce dernier, amendée par les ministres, et qui, définitivement résolue, partira demain. — Je commence à constater chez mylord l’intention très arrêtée de renoncer aux affaires.

Samedi 23 avril. — Fête de saint George, patron de l’Angleterre. La lettre du prince, portée au roi par lord Lumley, a été suivie d’un message du roi au prince, et ce dernier, montant aussitôt en chaise, s’est fait porter à Saint-James, où. sa majesté l’a reçu dans son cabinet. Le compliment du fils a été fort court, mais très respectueux, et promet une obéissance complète. Le père était fort troublé, très pâle, et n’articulait que des phrases entrecoupées au milieu desquelles on ne distinguait que ces mots : votre conduite.. votre conduite… Le prince n’est pas demeuré plus de cinq minutes, au bout desquelles il est allé voir ses filles. On avait prévenu la princesse Anne de la réconciliation, pour qu’elle n’éprouvât aucune surprise trop vive à l’aspect de son père. Elle est d’ailleurs en pleine voie de guérison. La princesse, revenue de Saint-James tout exprès pour attendre le retour de son mari, l’a vu rentrer, sa chaise entourée de beefeaters[24], suivi par une multitude qui poussait de frénétiques hourras. Le grince était fort sérieux. Il avait les yeux rouges et gonflés, symptôme habituel qui dénote chez lui une certaine contrariété. En rentrant, il nous congédia tous, et je reçus ordre de revenir à cinq heures.

A l’heure dite, je trouvai les gardes devant la porte, le square encombré de carrosses, les salons remplis de monde, tout en gaîté, rires et liesse. Dans le cabinet, où la princesse m’appela poux me montrer une lettre de l’archevêque, tout à fait étrangère à ce qui se passe aujourd’hui, je félicitai le prince et lui témoignai l’espoir que tout désormais irait au gré de ses vœux. Il m’entoura de ses bras et m’embrassa cinq ou six fois de suite avec cette cordialité qui lui est naturelle quand il s’épanche en tout abandon. La princesse ne put alors retenir un grand éclat de rire. — Assez, assez ! disait-elle ; vous ne manquez jamais de vous baiser ainsi dans les grandes occasions.

Toute la ville au reste manifestait une satisfaction plus ou moins sincère. Pour moi, quand mon mari rentra, je ne pus m’empêcher de lui sauter au cou. — Eh bien ! lui dis-je, laissez-moi remercier Dieu que votre tête soit encore à vous. C’est plus qu’on ne pouvait vous garantir depuis deux mois[25].

Le roi, pressé par certaines gens de venir le soir même visiter sa belle-fille, n’a pu se résoudre à cette démarche. — L’occasion se trouvera, telle a été sa réponse.

Les dettes royales seront payées au moyen des deux compagnies d’assurance pour lesquelles on sollicite un privilège. Lord Onslow et lord Chetwynd, au nom de ces deux sociétés que l’on désigne déjà sous le nom de bubbles (bulles de savon), offrent trois cent mâle livres sterling chacun. Walpole et Craggs font leur main sur ces nouveaux titres, qu’ils achètent, dit-on, avec un fort rabais.

M Bernstorff, ni Bothmar, n’ont été mis au courant de l’intrigue qui a préparé la réconciliation ; aucun Allemand n’en était, sauf la duchesse de Kendal, que l’argent et les dignités dont l’Angleterre la comble ont rendue fidèle aux ministres anglais…


Une parenthèse est ici nécessaire pour éviter à nos lecteurs la confusion qui se pourrait établir dans leur esprit entre les opérations subalternes des deux compagnies créées par les lords Onslow et Chetwynd et celle de la puissante compagnie de la Mer du Sud. Celle-ci avait été fondée en 1711 par le ministre Harley, et sa charte d’incorporation datait déjà de neuf années lorsqu’elle se précipita dans les folles spéculations qui dans l’espace de quelques mois en amenèrent la ruine. Ces spéculations en provoquèrent de semblables, toujours plus chimériques, toujours plus véreuses, et c’est parmi celles-ci que doivent être rangées les deux entreprises patronnées par George Ier en vue de la liquidation des dettes de sa liste civile. De celles-ci, les historiens ne parlent pas avec détail, et nous avons vainement cherché dans l’ouvrage de lord Mahon quelques faits relatifs à l’anecdote politico-financière dont nous entretient le Journal de lady Cowper. Voici en revanche ce que l’historien nous dit, et ce que ne nous dit pas le Journal : « Presque aussitôt après le départ du monarque, l’héritier présomptif fut amené à se laisser afficher comme directeur d’une compagnie pour l’exploitation des mines de cuivre dans le pays de Galles. Vainement le speaker et Walpole essayèrent de l’en dissuader en lui faisant peur des attaques auxquelles il serait en butte dans le parlement et du bel effet que feraient les crieurs des rues en annonçant au public la bulle du prince de Galles ! Ce fut seulement lorsque la compagnie fut en péril que son altesse royale se retira prudemment avec quarante mille livres sterling de bénéfices réalisés. »


… Voici un dialogue qu’on me donne pour authentique. Stanhope, rencontrant dans une antichambre les deux favoris allemands et les apostrophant de sa voix la plus perçante : — Eh bien ! messieurs, la paix est faite,… la paix est faite. — Bernstorff. Les lettres sont-elles donc arrivées ? — Stanhope. Non, non. C’est ici que nous avons la paix. Nous allons revoir notre prince. — Bothmar, étonné. Notre prince ?… — Stanhope. Oui, notre prince, notre prince de Galles. Nous l’attendons, il va se réconcilier avec le roi. — Bernstorff. Monsieur, vous avez été bien secret dans vos affaires. — Stanhope. Mais, oui nous l’ayons été. Le secret, voyez-vous, est toujours nécessaire pour les bonnes choses[26].

Bothmar, ne pouvant tenir devant ces insultes et surtout à l’idée que son vieux maître l’avait en quelque sorte trahi, s’est laissé aller à fondre en larmes. Le roi du reste n’a cédé qu’à une contrainte morale. Il ne voulait pas voir le prince. — Les whigs ne peuvent-ils donc revenir sans lui ? demandait-il à chaque instant. 24 avril. — Lord Cowper est venu ce matin s’asseoir à mon chevet. — Chère enfant, m’a-t-il dit, vous devez être la première initiée à tous mes secrets. Je m’étais décidé, suivant en ceci votre inspiration, à reprendre un poste officiel, ne fût-ce que pour montrer que cette réconciliation du père et du fils, bien que je n’en aie pas été l’auteur, me parait en elle-même une chose conforme à l’intérêt public. J’aurais donc accepté la place de mon digne ami Kingston[27], et ce n’eût été que la juste récompense de ses honteux procédés à mon égard ; mais, pesant plus mûrement toute chose, il me semble que, sauf une seule (cette brouille de la famille royale), toutes les raisons subsistent qui m’avaient déterminé à la retraite. Je me fais vieux, ma santé devient délicate, je suis assez riche, et je n’entends plus me rendre esclave d’aucun pouvoir ici-bas. A cinquante-cinq ans, il est temps de donner quelque loisir à sa vie. Mes infirmités ne me permettent plus de continuer la lutte avec les sots et les coquins, et je trouverai dans le repos plus de bonheur qu’ils ne m’en pourraient donner, dussent-ils employer toute leur influence en ma faveur.

J’essayai de combattre cette résolution. — Ne va-t-on pas dire que vous boudez parce que vous n’avez pas été l’agent principal de la combinaison qui rapproche le roi de l’héritier présomptif ? — J’y ai songé, m’a-t-il répondu ; mais je supporterai les interprétations les plus malveillantes afin d’assurer ma tranquillité. Telle est ma ferme décision, qui ne comporte plus de conseils à prendre ; je n’en prouverai pas moins que je n’obéis pas à une inspiration de mauvaise humeur, car je compte réclamer la clé qui vous a été promise[28]. De plus j’accepterai, si on me l’offre, de siéger avec les membres du cabinet ; mais je ne veux ni office ni pension. J’entends vivre en citoyen libre de la vieille Angleterre, et ne laisser à personne la moindre prise sur moi…

Suivant un cérémonial arrêté d’avance, les whigs du dernier ministère se sont réunis à Devonshire-house pour aller en corps chez le roi, auquel le duc de Devonshire a lu un petit discours (car le ciel, qui l’a fait galant homme, oublia de lui départir les facultés de l’orateur). Sa majesté a répondu par quelques paroles dont personne n’a pu me donner la moindre nouvelle. On croit qu’il se félicitait de voir unis les membres du parti politique dont le maintien aux affaires lui paraît une condition essentielle de la prospérité nationale.

En tiers avec la princesse et moi, le prince se montre tout fier de n’avoir point abandonné ses amis. — Argyle, dit-il, verra bien que je ne suis pas un croquant… Non, je serais mort de chagrin, s’il m’eût fallu plier sans avoir sauvegardé les intérêts de qui m’a été fidèle. Le moment est venu de payer les bons services, et je compte bien avant peu faire rendre les sceaux à lord Cowper.

Ici grande révérence de ma part, et j’ajoute que, fier des éloges que son altesse accorde à sa conduite, mon mari n’acceptera point une récompense qui lui semblerait onéreuse. — il le faudra pourtant… Je ne veux pas vivre entouré d’ennemis, et c’est lui que je regarde comme mon appui le plus ferme. — Je ne sais, monseigneur, ce que vos exprès commandemens obtiendront de lord Cowper ; mais rien autre chose ne le décidera, je vous en réponds.

Le roi est venu voir ses petites-filles. La princesse l’attendait pour le recevoir. Il l’a emmenée dans un petit cabinet où ils sont restés une heure et dix minutes. Pendant tout ce temps, nous étions, lord Grantham et moi, en conversation réglée avec les deux Turcs dont sa majesté s’était fait accompagner. L’un d’eux, Mahomed, nous a raconté les derniers instans de la feue reine de Prusse, sœur de notre monarque, morte en deux jours d’un mal mystérieux, et empoisonnée, à ce que l’on croit généralement. Mahomed estime qu’on s’est servi pour cela de diamans réduits en poudre, ce qui expliquerait l’état de l’estomac, tellement usé, tellement décomposé qu’au moindre effort les doigts passaient à travers. — J’en ai fait moi-même l’épreuve, nous dit tranquillement notre mamelouck, qui insiste aussi beaucoup sur la douleur manifestée en cette occasion par son maître. — Il passa deux jours entiers à se promener en gémissant. A force de heurter ses pieds aux lambris, ce qu’il fait toujours quand il marche ainsi de long en large, il avait usé ses souliers, et ses pieds passaient au travers !…

La princesse est sortie de son entrevue, manifestant une joie, un ravissement extrêmes des bontés que le roi lui avait témoignées. Walpole a dit en revanche à mylord que sa majesté s’était montrée sévère « .jusqu’à la cruauté » dans les reproches adressés à sa bru.

25 avril. — Grand dîner de réconciliation chez lord Sunderland ; six anciens ministres avec six nouveaux. Lord Cowper était de la fête. Le soir, malgré ma joue enflée, il a fallu aller au drawing-room. Le roi n’a parlé ni au prince, ni à aucun de ceux que ce dernier regarde comme ses amis. La duchesse de Shrewsbury, après une première interpellation laissée sans réponse, n’a pas voulu en avoir le démenti. — Sire, a-t-elle dit d’un ton boudeur, je suis venue pour faire ma cour, et je vous préviens que je la veux faire. — Malgré tout, chacun se tenait sur la réserve, et deux groupes s’étaient formés qui semblaient s’apprêter à quelque combat. Le prince, les yeux baissés, dans une attitude modeste, s’était posé à merveille. Le roi, jetant çà et là quelque regard farouche, semblait fort mal à son aise. Il me rappelait ces chats qui guettent l’attaque d’un chien malappris, et qui, au moindre mouvement de l’ennemi présumé, se rejettent en arrière, tout prêts à jouer des griffes.

Le prince est devenu comme un jouet dans les mains de Walpole, qui lui fait faire, sans que son altesse s’en doute, tout ce que le roi se croit en droit d’exiger.

Mme de Kielmansegge est malade, et n’a été mêlée en rien à ces dernières transactions. Elle n’est plus bien avec les ministres. La princesse, qu’elle était venue voir, se renferme dans la stricte rigueur de l’étiquette, et prétend ne l’admettre qu’après la duchesse de Kendal.

28 avril. — Le roi presse fort sa belle-fille de reprendre auprès d’elle, comme première, la duchesse de Saint-Albans. On a soin de dire devant moi que les appointemens vont être réduits à huit cents livres. Je comprends à demi-mot. « Ne mets pas l’a confiance dans les princes, ni dans les enfans des hommes ! » nous prêche le psalmiste[29].

1er mai. — La princesse ne veut certainement pas me donner la clé. Elle prétend qu’elle désobligerait par là lady D…[30], et que cette dame la quitterait. Notez que cette faveur m’a été spontanément proposée par ma noble maîtresse, et que, le roi l’ayant sollicitée peu après, elle allégua, pour refuser honnêtement, « les grandes obligations qu’elle avait à lady Cowper, » sur quoi sa majesté, répondit aussitôt : — Vous avez raison, madame, il suffit de la moindre réflexion pour s’assurer que c’est là une dette sacrée. Veuillez me pardonner une demande faite à contre-temps…

Pourquoi lady D…, refusée alors, se fâcherait-elle aujourd’hui ? Seraient-ce ses promenades à Richmond en compagnie du prince qui lui ont donné le droit d’être plus susceptible ?

3 mai. — Lord Cowper, invité à un dîner ministériel, n’a pas accepté d’y prendre part. Sa santé ne lui permet plus ce genre de réunions. Il a vu la princesse, et n’attendait qu’une occasion pour lui parler de ma « clé ; » mais la conversation a été menée de manière à lui interdire ce sujet délicat.

Les deux anciens ministres (Stanhope et Sunderland) et les deux nouveaux (Townshend et Walpole) font étalage de leur intimité rétablie. On les voit tous les quatre se promener bras dessus bras dessous ; ils se prennent par la taille, ils s’embrassent… Bien de plus touchant ! Un des grands artifices de Walpole, pour s’assurer l’appui de la princesse, a été de l’engager dans les spéculations de la Mer du Sud. Il fit acheter des actions par leurs altesses le matin même du grand débat, et pesa par ce moyen sur les votes de plusieurs membres. Tout cela finit à la longue par se savoir, et il en résulte des rancunes, des inimitiés, des jalousies.

Un message royal demande aujourd’hui même aux communes l’autorisation nécessaire pour qu’on puisse ériger en compagnies les bubbles d’Onslow et de Chetwynd. Il y est dit formellement que le commerce désire cette organisation, et que les créateurs de ces deux affaires offrent de verser les six cent mille livres sterling devant servir à l’extinction des dettes contractées par le roi.

Le prince dit à ce sujet : — J’espère bien qu’on fera de même lorsque je serai sur le trône. — Mais alors que sert de fixer le chiffre de la liste civile ?

Le duc de Wharton a perdu de grosses sommes à Newmarket. On parle de treize mille livres sterling.

5 mai. — Walpole a été singulièrement malmené par Shippen dans le débat auquel ont donné lieu les expédiens inventés pour se procurer de l’argent. Shippen est connu pour un parfait honnête homme, quoique tory. Son discours était fort éloquent, et de plus il avait raison, ce qui ne gâte jamais rien. Une fois que les ministres auront enlevé le vote financier qui tient si fort au cœur du roi, ils ne garderont plus de ménagemens vis-à-vis de leurs altesses royales, pour peu que celles-ci ne marchent pas absolument dans leurs voies.

Vendredi. — Walpole a présenté aujourd’hui même à la chambre des communes une adresse par laquelle les représentans du pays remercient le roi du soin qu’il a pris relativement aux compagnies d’assurance. En d’autres termes, on lui rend grâce d’avoir inventé une rubrique nouvelle pour nous prendre notre argent. Une flatterie tout à fait digne du règne de Tibère !

Samedi. — Bernstorff est venu. Il couvre comme il peut son ignorance de ce qui se passe, en disant qu’il n’a pas voulu savoir. Il prétend que la plupart des promesses faites ne seront pas tenues, attendu que les ministres n’ont pas osé communiquer au roi les engagemens pris en son nom. Il dit aussi qu’ils sollicitent son assistance, — à lui Bernstorff, — pour empêcher le roi de partir, mais qu’il ne compte pas s’en mêler. Bien qu’il soit tant soit peu rasséréné, on devine tout ce que lui laisse d’amertume sa condition présente, celle d’un homme prudent et sage que toute son habileté n’a pu sauver d’une disgrâce imméritée, et qui se voit abandonné par son vieux maître après de longs et fidèles services ; encore est-ce au profit des hommes les plus indignes et les plus vicieux que le monde ait pu produire.

Dimanche. — Lord Cowper est allé à la chapelle royale. Le roi ne lui a point adressé la parole, et paraissait de fort mauvaise humeur. Même silence entre le père et le fils, qui se contentent de se faire mutuellement bonne mine. Lechmere, ce grand homme qu’on opposait toujours à lord Cowper, est définitivement remercié.

La duchesse de Saint-Albans prétend, plus haut que jamais, à la restitution de sa clé, qu’elle déclare ne lui avoir pas été enlevée officiellement ; mais alors n’est-il pas merveilleux que la princesse, à qui je ne demandais rien, se soit crue en droit de me l’offrir ? Et si elle me l’offrait sans vouloir me la donner, quelle idée faut-il se faire d’une pareille dissimulation, qui est en même temps une si rare maladresse ? Elle a compté sans doute sur ma longanimité, sur la retenue et la discrétion de lord Cowper, qui nous empêcheraient toujours de revendiquer la faveur promise. Les Allemands l’ont traitée plus d’une fois devant moi de grandissime comédienne. Pour mon compte, je ne vois là aucun sujet d’admiration. Des acteurs qui joueraient ainsi leur rôle seraient chassés du théâtre à coups de sifflet, et mourraient inévitablement de faim. Le beau succès de désobliger ainsi les deux meilleurs amis que l’on eût au monde, et la belle victoire que de les tromper, quand c’est uniquement leur loyauté qui les fait tomber dans le piège le plus grossier ! Maintenant il n’est plus question de places ni de récompenses aux bons serviteurs ; chacun a ce qu’il voulait : l’un son argent, l’autre les vains honneurs du drawing-room et le privilège d’être rudoyé par lord Sunderland. Pauvre prince ! il ne voit pas qu’il est trahi ; mais la princesse, qui le mène, est elle-même menée par Walpole. Elle est aux anges d’avoir trompé tout son monde, bien que ce triomphe soit fort au-dessous de l’intelligence et de la capacité que Dieu lui a départies, et que personne ne lui conteste.

10 mai. — L’archevêque (de Cantorbéry) est venu féliciter la princesse à propos de la fameuse réconciliation. De là il s’est étendu ironiquement sur les talens et les vertus qui distinguent nos hommes d’état. La princesse était réellement embarrassée. — Oh ! lui a-t-elle dit, Townshend et Walpole ne sont pas nos seuls conseillers… Mais, à propos, que faites-vous de votre ami, lord Cowper ? — C’est à moi, madame, puisque vous abordez ce chapitre, de vous demander ce que vous en faites. Il n’est pas de taille à se mesurer avec ces grands hommes dont je vous parlais ; son rôle est d’approuver aveuglément ce qu’ils ont résolu entre eux, à portes closes, quand ils veulent bien l’admettre et lui communiquer leurs décrets… Sur ce, on vint gratter à la porte, et la princesse, comme impatientée : — C’est, dit-elle, la duchesse de Saint-Albans qui me vient obséder encore pour sa clé. — Et l’aura-t-elle ? demanda le prélat. — Jamais ! s’est écriée la princesse. — En la lui donnant, reprit l’autre, vous feriez pourtant preuve d’une douceur d’âme que je ne vous supposais point jusqu’à ce jour[31].

14 dimanche. — Lord Cowper à la chapelle. Sa majesté ne parle ni au prince ni à mon mari.

15. — Lord Cowper est allé voir Bernstorff, qu’il a trouvé dans son jardin. Ils ont causé à cœur ouvert et longtemps.

17. — Lord Cowper a passé la matinée chez le prince. Il lui a communiqué son intention de se retirer à la campagne et de ne rien accepter. Le prince lui a simplement répondu que tels étaient aussi les projets de plusieurs de ses amis, entre autres du duc de Devonshire.

Le même jour, nous sommes allés, lord Cowper et moi, chez la duchesse de Kendal, qui l’a très gracieusement accueilli.

Bernstorff est venu nous voir en beaucoup meilleur tram que je ne l’avais trouvé depuis longtemps. Il accuse en plaisantant mon mari de vouloir s’échapper sans dire gare… Je l’ai rassuré en l’invitant à dîner pour dimanche prochain.

19, jeudi. — Lord Cowper est parti pour tout de bon. Il me laisse tout à préparer. J’ai passé la journée à faire des paquets.

Vendredi. — J’étais à peine arrivée, le soir, chez la princesse, que *** se présente, apportant un gros livre de médecine. En même temps elle se penche à l’oreille de la princesse pour l’avertir que M. Walpole sollicita l’honneur de lui parler. — Tenez, copiez-moi ces trois pages, me dit son altesse, à qui je venais précisément d’expliquer que j’avais un affreux mal de tète. Il a fallu se mettre à cette odieuse besogne, qu’on m’imposait uniquement pour me tenir occupée pendant que Walpole aurait son audience. — Que signifient ces projets rustiques de lord Cowper ? m’a-t-on demandé en rentrant. — Qu’il veut vivre paisible, à l’abri des fâcheux, ai-je répliqué aussitôt. — Mais vous, qui vous pousse à partir si tôt ? — Les ordres de mon mari, madame, auxquels je dois me soumettre. La princesse est enivrée de toutes les flatteries auxquelles elle se voit en butte, et M. Walpole s’est si bien impatronisé dans son esprit qu’il n’y a plus moyen d’y faire pénétrer un rayon de vérité.

Dimanche 22. — Visite du baron de Bernstorff, qui sortait de chez le roi. Selon lui, lord Cowper a raison de ne pas vouloir servir en pareille compagnie ; mais on espère que, si le ministère se décomposait, l’ex-chancelier prêterait assistance au roi. — Jamais avec certaines gens, et je ne vois aucun signe d’un changement prochain. — Vous vous trompez, reprend-il. On nous mène en casse-cou, et des plaintes s’élèvent partout contre de si folles allures. Le roi sera bientôt éclairé là-dessus. — Le cas échéant, et si le roi rendait toute son ancienne confiance à M. de Bernstorff, lord Cowper accepterait tel office qui lui serait offert par votre amitié ; mais quelle apparence ? Ils sont si puissans ! — Autre erreur, et vous verrez que nous nous arrangerons pour que dorénavant le secrétaire d’état ne domine pas ceux qu’il doit servir. — Permettez-moi de vous rappeler, repris-je, que lord Cowper a toujours été contraire à l’idée d’une trésorerie mise en commission. Vous voyez s’il avait tort. Toutes ces affaires de la Mer du Sud auraient dès le principe rencontré d’insurmontables obstacles, si nos finances avaient été gérées par un lord-trésorier, car aucun n’aurait osé en prendre la responsabilité directe et personnelle. Ayez pour cette charge un honnête homme, sincère et désintéressé, comme qui dirait M. Clayton, et je mets ma main au feu que tout irait bien. — Ce qui détourne de cette combinaison, répond M. de Bernstorff, c’est l’énorme pouvoir dont dispose chez vous l’homme chargé du budget. — Et que pensez-vous, lui demandai-je, du pouvoir de lord Sunderland ? J’ai vu plus d’un trésorier dans ma vie ; mais pas un n’avait l’autorité illimitée de cet insolent ministre.

Bernstorff, après avoir quelque peu rêvé, m’assura qu’il parviendrait à convaincre son maître des inconvéniens attachés à ces projets de la Mer du Sud. Ses manières., son accent, disaient assez clairement qu’il s’estime revenu sur l’eau. Il m’a tenu toute sorte de propos flatteurs, et promet de me voir à mon retour.

Lundi 23. — Départ pour la campagne.

Samedi 28. — Anniversaire de notre gracieux monarque. Revenue pour accompagner la princesse à la cour. Encombrement inaccoutumé, dans lequel se font remarquer maints nouveau-venus traités avec plus d’égards que personne. Ce sont nos hauts et puissans seigneurs de la Mer du Sud.

Le duc de Newcastle étant un peu pris de vin, les dames du palais n’ont pas eu à se louer des soins qu’on aurait dû prendre pour leur assurer des places réservées. La duchesse de Shrewsbury a fait entendre des plaintes auxquelles il a été fort cavalièrement répondu. Aussi quatre d’entre nous ont-elles pris le parti de se retirer. Seule, lady Dorset a persisté jusqu’au bout.

Lundi 30. — Repris mon service. La cour était plus nombreuse que jamais, et la réception a fini tard. La princesse a la tête tournée par les adulations qui pleuvent sur elle, et paraît du reste en grande faveur auprès de nos gens. Nulle occasion de lui dire un mot en particulier. Elle semble d’ailleurs très disposée à me battre froid. Le roi, tout en causant avec elle, tournait le dos à la table de jeu où j’étais assise ; mais, poussé par je ne sais quelle curiosité soudaine, le voilà qui se met à me regarder, et avec tant de suite, et avec une physionomie si peu hostile, qu’il a été beaucoup parlé de cet incident.

Mardi 31. — La princesse m’a répété quelques-unes des remarques faites sur ce qui s’était passé hier par une personne qu’elle a vue ce matin. Cette personne estime que le roi n’a rien perdu de son penchant pour moi. Son attitude hier soir ne laissait là-dessus aucun doute. Il ne tiendrait donc qu’à moi de tout dominer, et, si je ne gouverne pas l’Angleterre, à coup sûr il y a de ma faute. — J’ai répondu que, quant à la chose en elle-même, je n’y croyais pas le moins du monde ; mais que, cela fût-il vrai, je trouverais acheté beaucoup trop cher le pouvoir qu’il faut payer de sa bonne renommée.

Un assez absurde propos défrayait ce matin la conversation de la cour. On prétendait que l’abbé Dubois, archevêque de Cambrai, s’étant permis quelques observations au roi de France sur des lois qu’il ne goûtait point, la réprimande encourue par cette hardiesse aurait été accompagnée de deux ou trois coups de pied appliqués par derrière. L’anecdote est apocryphe, cela va tout seul ; mais, admettant que les choses se fussent ainsi passées, comment le jeune prince aurait-il paré l’excommunication du prélat ? Dans l’église catholique, les prêtres s’arrogent en effet ce pouvoir exorbitant.

Leurs altesses, cette après-dînée, sont allées voir représenter une pièce française. Quel lugubre divertissement, et comme on comprend bien qu’un peuple demeure asservi lorsqu’il se repaît et s’amuse de pareilles rapsodies !

Le baron de Bernstorff est revenu. Il se plaint des ministres, et me semble mieux disposé qu’avant la réconciliation. Je lui ai répondu, par ordre de mon mari, que ce dernier, si le ministère était changé, ne refuserait pas de rentrer aux affaires, mais seulement avec des collègues whigs, et jamais dans une administration où les tories auraient accès, ceci devant amener la ruine du pouvoir royal et même celle du pays. Mylord désigne comme des hommes avec lesquels il ne pourrait pas s’entendre lord Cadogan, le duc de Chandos, lord Harcourt, lord Trevor, etc.

J’ai demandé à M. de Bernstorff si M. Walpole allait être nommé lord de la trésorerie. — Non, m’a-t-il répondu, lord Sunderland ne lui abandonnera jamais ce poste… Cependant tout va si follement, au dedans comme au dehors, que je ne puis répondre de rien… La dernière note du Journal est du 10 juillet 1720. Mistress Wake, la femme de l’archevêque de Cantorbéry, est venue prendre congé de la princesse, qui lui parle devant lady Cowper des conséquences probables de la réconciliation, — un vrai replâtrage, comme l’événement le prouva, — survenue entre les membres de la famille royale. — Nous aurons certainement nos enfans, dit son altesse, et les ministres nous font entrevoir la régence ; mais, à vous parler franchement, chère mistress Wake, je gagerais mon nez que nous ne l’obtiendrons point. — En ce moment même, continue lady Cowper, j’étais en train de la déganter. — Ah ! certes, madame, no pus-je m’empêcher de lui dire, votre altesse aurait bien trente nez au lieu d’un qu’elle pourrait les mettre tous au jeu sans le moindre péril…


Cette date du 10 juillet 1720 nous reporte au moment où la fièvre de spéculation qui marqua cette mémorable année annonçait par ses redoublemens une crise imminente. Le prince de Galles y était engagé comme les autres. On parlait des pertes considérables de lord Sunderland, tandis que Walpole, joueur plus prudent, réalisait des bénéfices considérables. De fort grands seigneurs (le duc de Portland, lord Lonsdale, etc.) en étaient réduits, pour réparer les désastres de leur mauvaise fortune, à solliciter des gouvernemens aux colonies. Le désordre, la confusion, étaient partout. Partout on commençait à récriminer contre les auteurs de ce plan chimérique, auquel le peuple anglais, malgré le bon sens pratique dont il se targue si volontiers, s’était tout aussi bien laissé prendre que la France du régent et de Law. Sunderland, Aislabie, Craggs, comme agens de la trésorerie et membres actifs de l’administration, sir John Blunt comme promoteur des opérations qui menaçaient de tourner si mal, les maîtresses du roi, soupçonnées d’avoir touché des sommes énormes, allaient devenir les plastrons de l’indignation publique. George Ier, reparti pour son électoral, voyait avec son flegme habituel commencer l’orage qui le rappela soudainement en Angleterre au mois de novembre suivant. Du sein de cet orage sortit la fortune ministérielle de Robert Walpole. Le Journal de lady Cowper nous l’a montré s’insinuant dans la faveur du prince et surtout de la princesse de Galles, amenant entre eux et leur père un vain simulacre de réconciliation auquel ni les uns ni les autres n’avaient confiance, rentrant ainsi par la petite porte des intrigues de cour dans le maniement des affaires publiques, qu’un moment d’humeur lui avait fait abandonner, et où la mort prochaine de lord Stanhope, suivis de près par celle de lord Sunderland, allait lui donner pour bien des années une incontestable suprématie. A un antagoniste de cet ordre, les gens timorés, honnêtes, sincères, les gens comme lord Cowper, ne pouvaient évidemment tenir tête. On se rend aisément compte de l’amertume et du dégoût que devait éprouver un magistrat émanent, un orateur renommé, un ami de la veille, sérieusement, loyalement dévoué à la dynastie hanovrienne, en face d’un homme nouveau, d’une espèce de gentleman-farmer mal policé, sans instruction et sans lettres, cachant un esprit subtil sous de grossiers dehors, et tout prêt à jouer sous jambe sans le moindre égard le parleur disert, le jurisconsulte érudit, le majestueux et consciencieux représentant de la tradition judiciaire et ministérielle, principalement bon pour l’apparat et les grands dehors. On conçoit aussi le profond dépit d’une femme comme lady Cowper, quand, après cinq années de faveur constante et presque tendre qu’elle a voulu prendre pour de l’amitié, le jour vient où sa maîtresse, dominée par une influence nouvelle, lui fait éprouver un à un tous les soucis, tous les dégoûts d’un refroidissement graduel, le jour enfin où la « royale amie » lui apparaît comme une grandissime comédienne.

Dans les cours de tout temps et de tout régime, c’est là, paraît-il, ce qu’on pourrait appeler le pain quotidien. Nous devons en croire sur ce point une des femmes les plus expérimentées et les mieux douées qui aient jamais marqué dans la politique, la virile Sarah, duchesse de Marlborough. En 1716, retenue auprès de son mari presque moribond, elle écrivait de Bath à lady Cowper, et, après lui avoir donné en détail les nouvelles de la santé du duc, après s’être réjouie avec elle des victoires du prince Eugène (Peterwardin et Temesvar), voici ce qu’elle ajoute dans un moment d’intime abandon et de sincère mélancolie : « Votre princesse est certainement de l’humeur la plus commode et la plus obligeante ; néanmoins je comprends l’ennui que vous éprouvez loin de votre mari et de vos enfans. Je pense en effet que toute personne douée d’un peu de bon sens et de quelque honnêteté naturelle doit être nécessairement fatiguée de tout ce qui se rencontre dans les cours. J’en ai beaucoup vu, j’y ai passé bien des années de ma vie, mais je vous assure que mes seuls bons souvenirs datent de mon enfance. A quatorze ans, déjà fille d’honneur depuis quelque temps, j’étais aussi désireuse de quitter ce monde-là que je l’avais été d’y entrer lorsque je ne le connaissais point. Je n’ai guère changé d’avis par la suite. »

N’est-ce point là la conclusion naturelle et comme la morale des souvenirs de lady Cowper, cette dame de la cour du roi George Ier ?


E.-D. Forgues.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.
  2. L’héritière de Buccleugh, qu’on avait mariée à quatorze ans avec le duc de Monmouth, épousa, trois ans après avoir vu périr sur l’échafaud ce premier mari, le troisième lord Cornwallis.
  3. Relire la lettre de Mme de Sévigné du 30 mars 1672, où elle traite avec une gaîté si méprisante « la Kerooal » et les vues intéressées de cette noble aventurière.
  4. Le maréchal d’Uxelles, alore ministre des affaires étrangères.
  5. Ambassadeur des états auprès du gouvernement anglais.
  6. Fille de la duchesse de Marlborough.
  7. Manifestation jacobite. La noix de galle ou pomme de chêne portée sa chapeau était une allusion à l’heureuse fuite de Charles II, que les branches touffues d’un chêne dérobèrent aux recherches des soldats du parlement,
  8. Encore un signe extérieur de jocobitisme,.
  9. Son frère, le duc Ernest-Auguste, qui depuis fut en effet duc d’York, mais qui jusque-là n’avait pas encore quitté le Hanovre.
  10. Diplomate et militaire de premier ordre. Il a sa sépulture, à Westminster-Abbey.
  11. Citons les passages les plus significatifs de cette curieuse semonce. — « La première lettre que je reçois de votre part, mon fils, est sur des sujets aussi peu dignes de vous que de moi. A l’égard du duc d’Argyle, j’ai eu de bonnes raisons pour faire ce que j’ai fait ; mais je ne sais ce qui vous est le moins avantageux, d’avoir été induit par lui ou par d’autres à faire le pas que vous venez de faire, ou d’y avoir été porté par votre propre mouvement. Vous aurez de la peine à redresser cette démarche dans le public. Quand on en risque de pareilles, on n’est pas en droit d’accuser mes ministres de me faire des rapports désavantageux, et c’est le monde renversé quand le fils veut prescrire au père quel pouvoir ce dernier lui doit donner ; ce n’est pas non plus un motif de mettre le destin de mes ministres et autres serviteurs à la merci de votre modération. Il ne parait pas non plus, à la conduite que vous avez tenue pendant les séances du parlement, que vous ayez si peu de friandise, comme vous le dites, pour le gouvernement, vous mêlant de choses qui ne vous regardaient pas, et ne vous empêchaient pas de pouvoir être tranquille. Je voudrais savoir quel droit vous aviez de faire des messages, à la chambre contre mon intention… Est-ce à vous de mettre des clauses aux dons que je fais au public ? Vous dites à cette occasion que vous avez voulu soutenir l’autorité royale ; mais qui vous en avait donné le soin ? Vous conviendrez que, quand on n’est pas responsable ni chargé d’une chose, on ne doit pas s’en mêler.
    « Il s’agit présentement du duc d’Argyle, lequel, malgré ce que j’ai été obligé de faire à son sujet, vous voulez soutenir et garder à votre service, montrant par là votre opposition à mes sentimens. En même temps vous assujettissez à votre caprice le retardement du voyage que j’ai le dessein de faire. Je demande que vous mettiez fin à tout cela, et que vous satisfassiez aux propositions que M. de Bernstorff vous a faites de ma part. Vous empêcherez de cette manière les démarches que je serais indispensablement, et contre ma volonté, nécessité de faire pour soutenir mon autorité.
    « Voilà ce que j’ai à vous dire en réponse à votre lettre. Je souhaite que vous en profitiez, et vous mettiez en état de mériter mon amitié. » « GEORGB R. »
  12. Cette menace indirecte du secrétaire intime, donnant à penser que son maître abdiquerait la couronne d’Angleterre plutôt que de reconnaître les droits de son fils, n’est-elle pas une curiosité historique ?
  13. Le fameux Simon Fraser, lord Lovat, exécuté en 1745 peur avoir pris une grande part à cette dernière tentative des Stuarts exilés.
  14. J.-B. Colbert, marquis de Tony, neveu du grand Colbert ; il était alors membre du conseil de régence.
  15. Le premier était juge de paix dans le Northumberland. Le second, William Paul, appartenait à l’église officielle. Tous deux, traînés sur la claie de Newgate à Tyburn, y furent effectivement exécutés pour haute trahison.
  16. Hugh Boscawen (depuis lord Falmouth) était contrôleur de la liste civile. Lancelot Blackburn, doyen d’Exeter, passait pour avoir été pirate pendant sa jeunesse. C’était un grand ami de Robert Walpole. Il devint archevêque d’York en 1724.
  17. Marlborough, immensément riche, était si avare que, pour se rendre chez lui au sortir des assemblées de Bath, il regardait à la dépense d’un fiacre, même par une soirée humide et froide.
  18. Il était resté, de tous ces revirement ministériels, de toutes ces intrigues menées à la fois en Hanovre et en Angleterre, quelques soupçons sur la sincérité de Stanhope. Lord Mahon, héritier du nom, a voulu justifier son ancêtre, et cette apologie, pour laquelle il lui a fallu entrer dans les détails les plus compliqués, est un des morceaux les plus curieux de son très remarquable ouvrage sur l’histoire de ce temps-là. — Voyez le chapitre VII de l’History of England, etc.
  19. Ajoutons que ni les whigs opposans ni les tories ne contestaient ouvertement le principe du bill, la limitation des pairs a créer ; mais ils le minaient en détail, insistant sur les vices de chaque clause. Addison écrivit son dernier pamphlet en faveur du bill. Steele se chargea de lui répondre au nom de l’opposition whig.
  20. Nouveau titre conféré à Mlle de Schulenburg, déjà duchesse de Munster.
  21. On verra plus bas Walpole engager le prince 4c Galles dans ces mêmes spéculations, d’abord honnies, puis patronnées par le versatile et audacieux ministre.
  22. La femme de Walpole était fille de John Shorter, esq ; nous ne nous rappelons aucune allusion contemporaine à l’intrigue dont parle ici lady Cowper.
  23. Le petit lord Stanhope dont il est ici question n’est autre que le célèbre comte de Chesterfield, qui à cette époque remplissait l’office de gentilhomme de la chambre auprès du prince de Galles.
  24. Ce nom bizarre désigne les hallebardiers attachés au service personnel du monarque et de l’héritier présomptif. Ce sont les soldats aux gardes de la tour de Londres.
  25. Si les craintes de lady Cowper n’étaient pas exagérées, — ce que nous inclinerions à croire, — il faudrait admettre que l’ex-chancelier, dans son zèle pour le prince royal, était allé jusqu’à se compromettre dans quelques menées fort aventureuses.
  26. Tout ce dialogue est en français dans le Journal de lady Cowper ;
  27. Evelyn Pierpoint, créé duc de Kingston, était à ce moment lord du sceau privé.
  28. La clé était l’insigne des fonctions de première dame du palais, regardée comme une sorte de grande-maîtresse.
  29. La duchesse de Saint-Albans devait être « reprise » comme première dame du palais au détriment de lady Cowper, à qui cette charge était promise.
  30. On croit que cette initiale désigne lady Deloraine.
  31. Peut-être remarquera-t-on le rôle du prélat, prêchant à l’ouaille royale le ressentiment des injures, car il y a ici une allusion a des torts qui avaient motivé là disgrâce de la duchesse de Baint-Albans.