Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/Le rapt de Soubhadrâ

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Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. 250-255).


LE RAPT DE SOUBHADRA



Peu de jours après, les Vrishnides et les Andhakides célébraient une fête sur le mont Raîvata. 7906.

À cette occasion, les héros nés d’Andhaka et de Bhodja-Vrishni distribuèrent par milliers des largesses aux brahmes du mont Mahéndra. 7907.

Sur tous les côtés de la montagne, ce lieu, sire, fut décoré alors d’arbres kalpas et de palais incrustés de pierreries. 7908.

Là, différents musiciens donnèrent une voix aux instruments, les danseurs dansèrent et les chanteurs entonnèrent des chants. 7909.

Là, de toutes parts, s’avancaient sur des chars d’or les jeunes princes Vrishnides, bien parés, à l’immense vigueur ; 7910.

Et les citadins, par centaines et par milliers, accompagnés de leurs épouses et de leurs suivants, les uns marchant à pied, les autres montés sur des chars aux formes variées. 7911.

Là, se promenait dans l’ivresse, enfant de Bharata, l’auguste Haladhara, accompagné de Révatî et suivi par des Gandharvas. 7912.

Ainsi marchait le majestueux roi des Vrishnides, Ougraséna, escorté par un millier de femmes, au concert de ses louanges chantées par les Gandharvas. 7913.

Le fils de Roukmini et Çâmba, tous deux ivres, moins cependant qu’ils ne l’étaient dans les batailles, parés de vêtements et de bouquets, s’amusaient comme deux Immortels. 7914.

Akroura, Sârana, Gada, Babhrou, Vidoûratha, Niçatha, Tchâroudéshna, Prithou, et Viprithou. 7915.

Satyaka et Sâtyaki, doués l’un et l’autre d’une grande voix à faire tout éclater, Hârddikya, Ouddhava et d’autres, qui ne sont pas cités, 7916.

Environnés chacun en particulier de femmes et de Gandharvas, contribuaient de leur présence à embellir cette joyeuse fête sur le mont Raîvata. 7917.

Le Vasoudévide et le fils de Kountî se promenaient de compagnie parmi les diverses et grandes merveilles, que déroulait ce curieux festival. 7918.

Tandis qu’ils erraient çà et là, ils virent Soubhadrâ, la fille de Vasoudéva, resplendissante et parée au milieu de ses compagnes. 7919.

À sa vue, l’amour naquit au cœur d’Arjouna. Krishna vit le fils de Prithâ, l’âme toute absorbée dans cet unique objet. 7920.

Le Dieu fait homme dit en souriant, noble Bharatide, à ce prince voué aux pérégrinations dans les bois : « Qu’est-ce donc ? Ton âme est troublée par l’amour. 7921.

» Cette jeune fille, ma sœur, est aussi la sœur germaine de Sârana ; elle est la fille née de mon père ; son nom, s’il te plaît, est Soubhadrâ. 7922.

» Si tu veux, je parlerai à son père. » Arjouna répondit : « Fille de Vasoudéva et sœur du Vasoudévide, quel être la beauté, dont elle est douée, ne rendrait-elle pas fou d’amour ? 7923.

» Si la fille de Vrishni, ta sœur, devient mon épouse, cette union fera, il est certain, mon bonheur entièrement.

» Quel serait le moyen de l’obtenir ? Dis-le-moi, Djanârddana : je ferai alors pour cela tout ce qu’un homme peut faire. » 7924-7925.

« Le swayamvara est le mariage des kshatryas, taureau du troupeau des hommes, reprit le Vasoudévide. Mais il est douteux ici, fils de Prithâ, car aucun signe ne dénote quel époux elle se propose de choisir. 7926.

» Le rapt de vive force est la gloire des kshatryas : c’est la cause du mariage des héros, disent les hommes, qui savent les devoirs. 7927.

» Enlève, Arjouna, ma noble sœur à force ouverte ; enlève-la dans son swayamvara ; on ne sait pas, en effet, ce qu’elle a envie de faire. » 7928.

Ensuite Arjouna et Krishna ayant décidé qu’il fallait agir de cette manière, différents hommes à la course rapide furent expédiés par eux à Indraprastha, où résidait Youddhishthira ; et le Pândouide aux longs bras, informé de tout, approuva ce dessein. 7929-7930.

Cette ouverture étant agréée, Dhanandjaya apprit, Djanamédjaya, que la jeune fille s’en était allée au mont Raîvata. 7931.

« Voici le moment d’agir ! » dit-il. Krishna fut de cet avis ; et, autorisé de sa permission, le noble rejeton de Bharata se mit en route. 7932.

Monté sur un char aux membres d’or, construit avec art, enguirlandé par des multitudes de clochettes, attelé des chevaux de son divin ami, Sougrîva et Çaîvya ; 7933.

Muni de tous les projectiles, roulant avec le bruit des nuées orageuses, pareil aux flammes du feu et destructeur de la joie des ennemis ; 7934.

Le héros armé, vêtu de la cuirasse, ceint du cimeterre, la manique attachée à la main pour défendre ses doigts, partit sous le prétexte qu’il s’en allait à la chasse. 7935.

En ce temps Soubhadrâ, ayant honoré le Raîvata, roi des montagnes, et toutes les Divinités de ce lieu, fait prononcer aux brahmes les paroles solennelles et salué ce mont d’un pradakshina, s’en revenait à Dwârakâ. Le fils de Kountî, percé des flèches de l’amour, s’élança vers elle et força la vierge toute charmante à monter dans son char. Ensuite le noble ravisseur de la fille au candide sourire de pousser vers sa ville son char aux membres d’or.

Quand elle se vit enlever Soubhadrâ, toute son escorte de guerriers s’enfuit, jetant des cris, vers la cité de Dwârakâ. 7936-7937-7938-7939.

Ils se rendirent tous ensemble au vertueux palms de Sabhâpâla et lui racontèrent, sans rien omettre, l’action audacieuse du fils de Prithâ. 7940.

À ces mots, Sabhâpâla de frapper le tambour aux cercles d’or, dont la grande voix appelle les guerriers aux armes ou aux conseils. 7941.

L’esprit ému à ce bruit, les Bhodja-Vrishnides et les Andhakides, abandonnant leurs festins et leurs coupes, accourent de tous les côtés. 7942.

Là, tels que le feu s’étend sur une contrée, ces éminents héros, petits-neveux d’Andaka et de Bhodja-Vrishni, vont s’asseoir par centaines sur des trônes aux membres d’or, incrustés de corail et de pierreries, semblables aux flammes du feu et couverts des tapis les plus dignes d’envie. 7943-7944.

Là, au milieu de ces princes assis, comme une assemblée de Dieux, Sabhâpâla, environné de sa suite, dénonça l’action du victorieux Arjouna. 7945.

À ce récit, les héros Vrishnides, pleins d’orgueil et les yeux rougis par l’ivresse, se lèvent irrités, impatients de punir le fils de Prithâ. 7946.

« Attelez vîte les chars ! s’écrient-ils. Prenez vîte les flèches barbelées, les arcs de haut prix et les vastes cuirasses ! » 7947.

Les uns de crier à leurs cochers : « Attelez mon char ! » Les autres d’atteler eux-mêmes les coursiers aux ornements d’or. 7948.

Au milieu de ces clameurs, des chars amenés, des étendards et des cuirasses apportées, une immense confusion régnait parmi ces héros des hommes. 7949.

Semblable à une cime du Kaîlâsa, paré d’une guirlande bocagère, ivre et saturé de liqueurs, Baladéva, le prince au vêtement noir, dit alors ces paroles : 7950.

« Que faites-vous, ignorants que vous êtes, irrités et poussant de vaines clameurs, tandis que Djanârdana se tient dans le silence, vous, qui ne savez pas quelles peuvent être ses dispositions ? 7951.

» Que ce prince à la grande sagesse nous dévoile maintenant sa pensée, et faites sans paresse ce qu’il aura jugé convenable de faire. » 7952.

À ce langage, que Haladhara leur avait présenté dans une forme acceptable, tous d’abord ils gardent le silence ; puis, ils s’écrient : « Bien ! c’est bien ! » 7953.

Dès qu’ils eurent goûté d’une oreille unanime ces paroles du prudent Baladéva, ils se rassirent tous sur leurs sièges au milieu de l’assemblée. 7954.

Ensuite Râma, le fléau des ennemis, tint ce langage au Vasoudévide : « Pourquoi demeures-tu en silence, tes yeux fixés sur nous, Djanârdana ? 7955.

» Le fils de Prithâ fut honorablement accueilli par nous tous à cause de toi, Atchyouta ; mais l’insensé, opprobre de sa famille, ne méritait pas cet honneur ; 7956.

» Est-il nulle part un homme, qui dans une famille, où il a pu se croire né, brise le vase, après qu’il en a mangé la nourriture ? 7957.

» Quel homme, à qui la vie est chère, s’il désire une alliance, voudrait nouer par un enlèvement l’union, qu’il a commencée par l’honneur. 7958.

» C’est pourtant ainsi qu’il nous a méprisés et que, sans égard à Kéçava, il a enlevé par la violence aujourd’hui Soubhadrâ, sa mort à lui-même. 7959.

» Comment ! il a mis son pied au milieu de ma tête ! Je le souffrirai, Govinda, comme un serpent qu’on le touche du pied ! 7960.

» Sans autre secours que mon bras, je ne laisserai pas aujourd’hui un seul Kourouide sur la terre ! Certes ! je ne dois pas tolérer cette offense d’Arjouna ! » 7961.

Les Bhodja-Vrishnides et les Andhakides sympathisèrent tous à ces menaces, qu’il jetait d’une voix aussi haute que le son des tambours ou le tonnerre des nuages. 7662.