Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Le Mary Confesseur

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Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 35-36).


IV. — LE MARY CONFESSEUR.


Conte tiré des Cent Nouvelles Nouvelles.

 

Messire Artus, sous le grand Roy François,
Alla servir aux guerres d’Italie[1] ;
Tant qu’il se vid, aprés maints beaux exploits,
Fait Chevalier en grand’ceremonie.
Son general luy chaussa l’éperon ;
Dont il croyoit que le plus haut Baron
Ne luy deust plus contester le passage.
Si s’en revient tout fier en son Village,
Où ne surprit sa femme en Oraison.
Seule il l’avoit laissée à la maison ;
Il la retrouve en bonne compagnie,
Dansant, sautant, menant joyeuse vie,
Et des Muguets avec elle à foison.
Messire Artus ne prit goust à l’affaire,
Et, ruminant sur ce qu’il devoit faire :
Depuis que j’ay mon Village quitté,
Si j’estois crû, dit-il, en dignité
De cocüage et de chevalerie ?
C’est moitié trop : sçachons la verité.
Pour ce s’avise, un jour de Confrairie,
De se vestir en Prestre, et Confesser.
Sa femme vient à ses pieds se placer.
De prime abord sont par la bonne Dame
Expediez tous les pechez menus ;
Puis à leur tour les gros estant venus,
Force luy fur qu’elle changeast de game.

Pere, dit-elle, en mon lit sont receus
Un Gentil-homme, un Chevalier, un Prêtre.
Si le Mary ne se fust fait connoistre,
Elle en alloit enfiler beaucoup plus ;
Courte n’estoit, pour seur, la Kyrielle.
Son Mary donc l’interrompt là-dessus,
Dont bien luy prit. Ah, dit-il, infidelle !
Un Prestre mesme ! A qui crois-tu parler ?
A mon mary, dit la fausse femelle,
Qui d’un tel pas se sceut bien démesler.
Je vous ay veu dans ce lieu vous couler,
Ce qui m’a fait douter du badinage.
C’est un grand cas qu’estant homme si sage
Vous n’ayez sceu l’énigme débroüiller.
On vous a fait, dites-vous, Chevalier :
Auparavant vous estiez Gentil-homme ;
Vous estes Prestre avecque ces habits.
Benist soit Dieu, dit alors le bon-homme :
Je suis un sot de l’avoir si mal pris.


  1. Manuscrits de Conrart :
    S’en fut…..