Le Massacre des Amazones/La Veillée d’armes

La bibliothèque libre.
Chamuel, éditeur (p. 1-5).

LE MASSACRE DES AMAZONES

La première punition de ces jalouses du génie des hommes a été de perdre le leur… La seconde a été de n’avoir plus le moindre droit aux ménagements respectueux qu’on doit à la femme. Vous entendez, Mesdames ? Quand on a osé se faire amazone, on ne doit pas craindre les massacres sur le Thermodon.
J. Barbey d’Aurevilly.

I

LA VEILLÉE D’ARMES

Qu’est exactement l’ennemi que je vais combattre ? Qu’est-ce qui constitue le bas-bleu, amazone de la littérature ? Je le saurai mieux après la guerre. J’aurai cherché souvent le point où il faut frapper pour tuer et je constaterai sans doute que l’endroit vulnérable est toujours le même. Aux soirs de bataille, je me reposerai à disséquer quelques cadavres. Parfois, — je l’espère, du moins, — je rencontrerai, perdue dans l’armée des amazones, telle douce femme qui ne méritera point la mort littéraire ; je la saluerai respectueusement, et, dans un charme attentif, je l’écouterai causer : les différences constatées entre elle et le bas-bleu m’aideront à définir cette chose.

Mais, dès maintenant, je dois déterminer le sens du mot. Il me faut, avant d’engager les hostilités, un moyen grossier, mais certain et bien visible, de reconnaître l’ennemi. Peu à peu j’apprendrai mieux sa tactique et ses mœurs. J’ai besoin de distinguer dès aujourd’hui son uniforme et son allure ordinaire.

Barbey d’Aurevilly a massacré les amazones de son temps. C’est une besogne d’assainissement que la vanité de la femme, son psittacisme naturel et le nombre inondant des brevets supérieurs rend de nouveau urgente. Elle devra être recommencée souvent. Après le passage d’Hercule, il fallut nettoyer régulièrement les écuries d’Augias rebâties et repeuplées.

Comment Barbey d’Aurevilly définit-il le bas-bleu ?

« C’est la femme qui fait métier et marchandise de littérature. C’est la femme qui se croit cerveau d’homme et demande sa part dans la publicité et dans la gloire… Les femmes peuvent être et ont été des poètes, des écrivains et des artistes dans toutes les civilisations, mais elles ont été des poètes femmes, des écrivains femmes, des artistes femmes… Quand elles ont le plus de talent, les facultés mâles leur manquent aussi radicalement que l’organisme d’Hercule à la Vénus de Milo. » Le bas-bleu méconnaît cette nécessité d’histoire naturelle.

Dans un livre récent de Mme Alphonse Daudet, je trouve une tentative de définition : « Ce que nous appelons le bas-bleu, la femme se servant d’un art comme d’une originalité très voulue, en faisant un moyen d’effet ou de séduction, ou de satisfaction vaniteuse. » Et Mme Daudet prétend qu’il n’y a pas de bas-bleus en Angleterre, parce que les femmes écrivains y sont travailleuses et pratiques. Elle ajoute qu’elles y « restent femmes et très femmes ».

Interrogeons un dictionnaire. Littré dit : « Bas-bleu, nom que l’on donne par dénigrement aux femmes qui, s’occupant de littérature, y portent quelque pédantisme. »

La définition de Littré manque de précision. Certes, le bas-bleu est pédant, mais il faut déterminer la nature de son pédantisme et de sa prétention.

Mme Daudet semble sur un point contredire Barbey d’Aurevilly. Pour elle, le bas-bleu est un amateur. D’après d’Aurevilly, au contraire, il « fait métier et marchandise de littérature ». Ils se trompent l’un et l’autre : il y a des bas-bleus amateurs et des bas-bleus professionnels.

Hommes ou femmes, ceux qui « font métier et marchandise de littérature » sont des prostitués : je les méprise également. Mais le bas-bleu, qui peut être méprisable de cette façon, l’est toujours d’une autre. Qu’il se donne ou qu’il se vende, ce qui lui vaut un nom spécial, c’est qu’il donne ou vend des apparences et des déceptions. Il n’écrit pas des livres de femme. Amante ou catin, il s’y refuse. Il est l’orgueilleuse amazone à qui il faut des victoires et des maîtresses. Apparente androgyne qui repousse son rôle naturel et, naïvement ou perversement, fait l’homme. Ange inepte qui se trompe, ou succube inquiet qui veut à son tour être l’incube.

Ce qui constitue le bas-bleu ou amazone, c’est qu’un léger développement de ce qui semble viril en elle lui fait croire qu’intellectuellement elle est un homme. Son ridicule crime cérébral mérite d’être sifflé comme la ridicule perversité sensuelle de telles névrosées, muses de ce pauvre Mendès. Balzac définirait le bas-bleu : « la fille aux yeux d’or de la littérature ».

Il y a des hommes, — on les appelle parfois féministes, — qui, pour s’attirer une clientèle de lectrices, essaient d’écrire en femmes. Ces déguisés ne sont pas moins grotesques que les bas-bleus. En citerai-je quelques-uns ? Nommerai-je ces hermaphrodites : les Henri Fouquier, les Catulle Mendès, les Marcel Prévost, les Jules Bois, les René Maizeroy ? Je ne puis m’attarder en ce moment à la revue des chaussettes-roses. Mais elles sont les alliées des bas-bleus, et il faudra bien les massacrer à leur tour.

Eunuques et amazones, bas-bleus et chaussettes-roses, je les hais également, parce qu’ils contribuent également à tuer une moitié des lettres françaises, à empêcher l’expression de tout un sexe, à priver notre époque d’une vraie littérature féminine.