Nouvelles Chansons du Chat noir/Le Mastroquet de Suresnes
No 12
LE MASTROQUET DE SURESNES
LE MASTROQUET DE SURESNES
À Suresnes, tout près du quai,
Vint s’établir un mastroquet
Avec l’aîné de ses enfants
Pour servir les clients.
On en vit d’abord sept ou huit,
Puis il en vint une enfilade ;
Car il n’y a plus qu’la limonade
Qui travaille au jour d’aujourd’hui.
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr’ dit au fils : « Animal,
Y a bientôt plus d’vin dans l’tonneau,
Faut y mettre un peu d’eau ! »
Le lendemain, d’un air plaintif.
Un client dit : « J’ai la colique. »
— « Mon bon, pour pas que ça s’complique,
Prenez un p’tit apéritif ! »
Le soir, en lisant son journal.
Le pèr’ dit au fils : « Animal,
Le rhum est comm’ du jus d’pruneaux,
Mets-y du tord-boyau. ! »
« C’est drôl’ dit un client, plus j’bois,
Patron, plus j’ai l’feu dans la tête. »
— « Mon bon, faut pas qu’ça vous inquiète
C’est qu’ vous avez la gueul’ de bois ! »
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr’ dit au fils : « Animal,
Le cognac manque un peu d’alcool,
Mets-y du vitriol ! »
Le lendemain, spectacle affreux,
Un des clients fut pris d’un’ crise :
« Ça, fit l’patron, faut que j’vous dise,
C’est c’qu’on appell’ le mal aux ch’veux ! »
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr’ dit au fils : « Animal,
Notre absinth’ n’a pas d’coloris,
Mets-y du vert-de-gris ! »
Un des clients, le lendemain,
Dit : « J’sens mon bras qui s’ankylose ! »
— « Non, fit l’patron, j’connais la chose,
Vous avez un poil dans la main ! »
Le soir, en lisant son journal,
Le pèr’ dit au fils : « Animal,
En tirant la bièr’ de Munich,
Mets-y donc d’l’arsenic. »
Le lend’main, l’patron, tranquill’ment,
Avec son fils ouvrant l’échoppe,
Trouva par terre un’ grand’ enveloppe :
« Papa, de qui l’enterrement ? »
— « Ça, mon fils, dit le mastroquet,
C’est un client qui vient d’claquer,
Et ça nous porte un rude coup,
Car il buvait beaucoup ! »