Le Parnasse contemporain/1876/La Pensée

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 212-213).
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LA PENSÉE


Plus prompte que la vague aux perfides caresses,
Plus prompte que l’aurore aux menteuses promesses,
Plus prompte que la nuit aux brûlantes ivresses,
Tu vins et t’en allas !

Comme une terre nue et par l’hiver mouillée,
Comme une nuit sans rêve et d’astres dépouillée,
Comme un cœur dont la joie au vent s’est effeuillée,
Je suis seul, seul, hélas !

L’été revient avec son oiseau l’hirondelle ;
La nuit retrouve au bois le rossignol fidèle ;
Mais ton emblème à toi, c’est le cygne : ouvrant l’aile,
Tu m’as fui sans retour !


Mon cœur porte en secret le deuil de ma jeunesse ;
Je meurs d’un rêve éteint sans vouloir qu’il renaisse !
Ainsi que mon printemps ta fragile tendresse
N’aura duré qu’un jour !

A toi, le lis sans tache, ô blanche fiancée !
A toi, femme, la rose entre tes doigts bercée !
A toi, la violette, ô vierge trépassée !
La pensée est ma fleur :

Symbole sans parfum d’une amour décevante,
Après m’avoir souri dans sa candeur fervente,
Je la vois s’effeuiller sur la tombe vivante
Qui pour toi fut mon cœur.