Le Phylloxéra et la nouvelle maladie de la vigne/03

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LE PHYLLOXÉRA
ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.

V


Les moyens proposés pour le traitement de la maladie du phylloxéra sont excessivement nombreux ; nous n’examinerons ici que ceux sur lesquels se fonde un espoir sérieux.

I. Moyens préservateurs ou préventifs. — Il est inutile d’insister sur la nécessité de l’arrachage et du brûlis des ceps malades pour prévenir l’augmentation en étendue d’un nouveau centre d’attaque. Cette brutale suppression des individus atteints, analogue à celle qu’il est malheureusement encore aujourd’hui impossible d’éviter pour la rage ou la peste bovine, ne peut être évidemment appliquée avec compensation qu’au début de la maladie ; elle n’enraye sûrement la contagion qu’autant qu’on prend le soin d’extirper jusqu’aux dernières ramifications des racines, et qu’on éloigne les chances de transport et de dissémination de germes de destruction en brûlant les souches sur le lieu même où elles ont été arrachées. La cueillette des galles phylloxériennes doit aussi être immédiatement suivie de l’incinération sur place.

La création de tranchées, destinées à jouer le rôle de cordons sanitaires autour des points infestés, se présente naturellement à l’esprit dès qu’il est prouvé que le phylloxéra aptère, de beaucoup le plus abondant, étend peu à peu ses ravages autour d’un centre, par un envahissement de proche en proche.

M. de Lavergne, membre de la Société d’agriculture de la Gironde, a le premier émis l’idée que la maladie nouvelle céderait à l’inoculation d’un liquide capable de modifier la sève des vignes, de façon à la rendre impropre à la nourriture du phylloxéra, sans toutefois nuire en rien à la végétation. L’essence de térébenthine, l’acide picrique, la fuchsine, la carmine, le sulfate de cuivre étendus sont cités par divers auteurs comme les substances les plus aptes à opérer cette sorte de vaccination. M. Laliman, se basant sur les données de la physiologie végétale, conseille de profiter du courant descendant qui ramène la sève aux racines par les canaux les plus extérieurs pour faire arriver à celles-ci le précieux remède : une simple ligature de laine, insérée dans une légère incision de l’écorce, et imbibée de temps à autre, pourrait, selon cet habile viticulteur, favoriser l’introduction de la substance préservatrice.

Le badigeonnage du pied des ceps, l’emploi d’anneaux agglutinants, le déversement, sur le sol, de poussières nuisibles, sont autant de moyens préventifs rationnels dont nous parlerons plus loin lorsque nous signalerons les moyens de défense fondés sur l’observation des mœurs du phylloxéra.

II. Moyens dérivatifs. — M. Lichtenstein a proposé de placer, entre les rangs de ceps, des sarments formant boutures, dont les jeunes racines, renouvelables pour ainsi dire à volonté, attireraient les parasites par l’abondance de leurs sucs, et pourraient ainsi leur servir de piége. Ces appâts seraient enlevés et incinérés toutes les fois que les pucerons s’y seraient rendus des racines sous-jacentes. Plusieurs propriétaires ont pu ainsi détourner les phylloxéras et obtenir une récolte en dépit de leur présence.

M. Laliman est le premier qui ait insisté sur le parti avantageux que nous pourrions tirer de l’importation des cépages américains, exempts des attaques du phylloxéra, ou même de ceux qui sont simplement attaqués par les feuilles : le parasite des galles produisant des effets incomparablement moins désastreux, et se montrant en outre beaucoup moins difficile à combattre que le parasite des racines. Dans sa propriété de la Tourette, située aux environs de Bordeaux, et où ces cépages privilégiés sont cultivés en grand, les variétés américaines cordifolia, rotundifolia, mustang du Texas, bland-madeira, york, ainsi que le summer-grap ont bravé l’épidémie depuis cinq ou six ans, et ont conservé jusqu’ici belle apparence au milieu de vignes souffrantes ou complétement détruites.

Devant des résultats aussi encourageants, M. Bazille, président de la Société d’agriculture de l’Hérault, n’a pas hésité à donner le conseil de greffer nos variétés européennes sur des sujets des États-Unis. L’opération, tentée par ce savant agronome, en collaboration avec M. Laliman, a pleinement réussi : les pieds obtenus ont échappé jusqu’ici aux atteintes du suceur des racines, bien qu’entourés de vignes phylloxérées, agonisantes ou tuées dès l’année précédente. Des expériences analogues sont actuellement en voie d’exécution sur plusieurs des points les plus maltraités des départements de Vaucluse et de l’Hérault.

Il y a d’ailleurs d’autant plus intérêt à importer et à propager ces vignes américaines que les mêmes variétés qui résistent au phylloxéra jouissent en même temps d’une immunité des plus complètes à l’égard de l’oïdium.

III. Moyens curatifs directs. — 1o Propagation des ennemis naturels du phylloxéra. — Le phylloxéra est heureusement, comme tous les insectes nuisibles, exposé aux attaques d’un certain nombre de ces insectes carnassiers qui sont les meilleurs auxiliaires de l’agriculteur, et qui, par leur chasse acharnée, réussissent à restreindre la multiplication de l’espèce dévastatrice, et souvent même à délivrer à tout jamais la contrée envahie. Les destructeurs du phylloxéra appartiennent aux groupes les plus variés. MM. Signoret et Laliman ont découvert dans les galles des feuilles de la vigne la larve d’une sorte de punaise, connue sous le nom d’anthocoris insidieuse, et qu’ils considèrent comme se nourrissant aux dépens des habitants de ces galles. L’anthocoris partage sa proie avec une petite coccinelle noire qui, d’après MM. Planchon et Lichtenstein, aurait dévoré le contenu de neuf galles sur dix.

Quelques hyménoptères de taille exiguë portent également atteinte à la multiplication du phylloxéra : ces insectes, aussi remarquables par leurs mœurs que par l’élégance de leurs formes et leur extrême agilité, appartiennent au vaste groupe des ichneumonides, si riche en espèces protectrices des récoltes : ils partagent avec tous leurs congénères le curieux instinct de pondre à l’aide de leur tarière, dans le corps même de leur victime, condamnée ainsi à servir de proie vivante à leurs larves. Certaines larves d’hémerobes et de syrphes, avides de toutes espèces de pucerons, paraissent seconder ces précieux hyménoptères dans leur œuvre bienfaisante.

Plusieurs espèces d’insectes carnassiers, citées par M. Riley, entomologiste de l’État du Missouri, comme vivant de phylloxéras américains, beaucoup moins dangereux d’ailleurs que les phylloxéras des vignes françaises, devraient, selon le conseil de M. Lichtenstein, être au plus tôt introduites et acclimatées en France. Ce dernier auteur propose en outre de jeter au pied des ceps malades les galles vésiculaires qu’on rencontre habituellement sur les feuilles du peuplier : ces galles, produites par le puceron à bourse, ont souvent en effet leur cavité occupée par des anthocoris et d’autres insectes carnassiers que l’on suppose capables de nuire également au destructeur de nos vignes.

M. Maximilien Cornu, un des délégués les plus actifs de la commission du phylloxéra, a découvert récemment que les pucerons de la vesce cultivée ainsi que ceux du sureau périssaient parfois sous l’action de certains champignons du genre Empusa, de la même façon que le ver à soie sous celle de la muscardine : cet habile observateur propose d’essayer d’acclimater ces parasites végétaux sur le puceron de la vigne, dans l’espoir que leur multiplication, très-rapide comme chez tous les cryptogames inférieurs, ferait bientôt équilibre à celle du phylloxéra.

2o Insecticides. — Le fort tempérament du nouvel ennemi de la vigne et sa difficile accessibilité sont deux faits qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’application des remèdes destinés à agir directement sur lui.

M. le Dr Forel, de Lausanne, ayant placé dans un petit tube hermétiquement fermé une racine de vigne couverte de phylloxéras, a vu ceux-ci se reproduire et vivre plus de cinq semaines dans l’air confiné de cet étroit espace. Une longue exposition à un fort soleil ne semble pas davantage altérer leur vitalité. Mais c’est surtout lorsqu’ils sont dans leur état de torpeur hibernale que ces dangereux parasites se montrent capables de réagir contre les causes de destruction ; un séjour de deux semaines sous l’eau est alors insuffisant pour déterminer leur asphyxie ; mais ce qui n’est pas moins digne d’attention, c’est l’indifférence que manifestent les phylloxéras engourdis à l’égard de certaines substances toxiques parmi lesquelles se font surtout remarquer les décoctions d’aloës, de coriaria, de quassia, de staphysaigre, de tabac et même de noix vomique. Une innocuité aussi inattendue doit prévenir contre la surprise que pourrait causer l’inefficacité de certains traitements appliqués en temps inopportun.

Ce n’est certes pas par le manque d’insecticides qu’on a pu échouer dans certains cas, mais bien plutôt par la difficulté d’atteindre l’insecte dans les profondeurs du sol ; le point d’application de la substance médicatrice étant d’ordinaire à une trop grande distance des parties où le phylloxéra se tient de préférence et où il pullule le plus. Des groupes nombreux de phylloxéras s’observant en effet quelquefois jusqu’à une profondeur de 1m,75, il est indispensable que le réactif mis en usage puisse pénétrer assez facilement le sol pour atteindre les dernières ramifications des racines. Aussi, pour assurer l’effet de l’agent destructeur, faut-il prendre toutes les dispositions capables de le faire parvenir jusqu’aux points les plus reculés de l’habitat souterrain, car vu l’extrême fécondité des phylloxéras, on ne pourra prévenir le retour de la maladie qu’à la condition d’exterminer tous ces pucerons jusqu’au dernier. Cette pénétration si essentielle peut être favorisée soit par le déchaussage, soit par des trous de sonde, soit encore par l’action dissolvante et infiltrante de l’eau.

Les substances qui, ainsi appliquées, ont donné les résultats les plus encourageants sont l’eau phéniquée, la suie, les eaux ammoniacales du gaz, et les mélanges de fumier ou d’autres engrais soit avec du soufre, soit avec du plâtre ou du sulfate de fer. Le sulfure de carbone, l’huile de pétrole, le coaltar et la naphtaline ne paraissent pas agir avec une énergie suffisante. Quant à la chaux vive, elle doit être rejetée comme nuisible aux racines. Il ne suffit pas que les substances médicatrices, susceptibles d’une application générale et économique, exercent une action sûrement destructrice sur le parasite, il faut encore qu’elles soient choisies de telle sorte qu’elles ne puissent faire le moindre tort aux organes délicats sur lesquels il abonde : les meilleures sont évidemment celles qui, à l’exemple des engrais ou des mélanges que nous venons de citer, sont en état de jouer le double rôle de fertilisant et d’insecticide.

E. Vignes.

La fin prochainement. —