Le Procès de sorcellerie du maréchal de Luxembourg (1680)/01

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Le Procès de sorcellerie du maréchal de Luxembourg (1680)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 15 (p. 349-389).
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LE PROCÈS DE SORCELLERIE
DU
MARÉCHAL DE LUXEMBOURG[1]
(1680)

I
L’ARRESTATION

Dans la soirée du mercredi 24 janvier 1680, une nouvelle extraordinaire éclatait brusquement à Paris et à Saint-Germain, plongeant dans la stupeur bourgeois et gens de Cour. Le maréchal de Luxembourg, le vainqueur de Woerden, de Valenciennes, de Saint-Denis, l’une des gloires de la France, le premier de ses capitaines depuis la mort de Turenne et la retraite du grand Condé, venait d’entrer à la Bastille, inculpé d’actes infamans, menacé, disait-on, de la peine capitale. Rien ne préparait les esprits à cette chute foudroyante. La veille encore, le maréchal, capitaine des gardes du corps, exerçait tranquillement sa charge auprès du Roi, qui lui faisait « bonne mine, » ainsi qu’à l’ordinaire. Un échange de cadeaux avait même, ce jour-là, attesté leur parfait accord : le duc ayant cédé à Louis XIV un magnifique cheval de guerre, le souverain avait riposté par le don d’une épée de prix. À cette heure-là pourtant, l’ordre d’arrestation avait déjà reçu la signature royale. Luxembourg, disons-le, n’était pas seul en cause ; d’autres, — d’un rang égal, bien que de moindre illustration, — étaient impliqués dans l’affaire, et leurs noms, le lendemain, couraient de bouche en bouche. Sur ces derniers toutefois ne se referma pas la porte redoutable de la vieille forteresse : les uns, comme on verra, se mirent à l’abri par la fuite ; les autres, plus nombreux, furent soumis à une simple enquête que ne suivit aucun effet. Seul, en toute cette classe d’accusés, le procès fait à Luxembourg eut un cours régulier, fut instruit dans les formes et poussé jusqu’au terme ; plus que tout autre donc, il peut donner matière à une étude approfondie. Peut-être une telle recherche ne paraîtra-t-elle pas superflue. Cette affaire, en effet, aussi étrange que mal connue, n’offre pas seulement l’intérêt d’une cause célèbre à évoquer et d’une énigme à éclaircir ; mais, surgie brusquement au point culminant du grand règne, au début de la paix glorieuse obtenue par tant de victoires, elle jette sur cette splendeur un sinistre reflet, illumine d’un jour singulier certains dessous d’un monde qui fixe les regards de l’Europe éblouie, comme si, par une crevasse subitement entr’ouverte, apparaissaient les assises vermoulues du vaste et somptueux édifice.

Ce n’est, sans doute, qu’une rapide échappée. Le rideau, un moment soulevé, retombe vite sur la scène, et le silence se fait. Louis XIV a compris le danger de trop de lumière, et sa main vigoureuse a tôt fait de couvrir d’un voile impénétrable la plaie révélée par mégarde. D’ailleurs, ses conseillers, — notre récit en fournira la preuve — dans leur désir de frapper fort, n’avaient point, cette fois, frappé juste. La haine de quelques-uns, l’excès de zèle des autres, en dirigeant à faux l’action de la justice, ne pouvaient aboutir qu’à un avortement ; et cet échec retentissant allait décourager le Roi d’entamer de nouvelles et plus justes poursuites. Malgré tout, l’aventure du duc de Luxembourg, dans ses péripéties diverses, reste assez instructive pour que je me tienne excusé d’y solliciter un moment l’attention du lecteur, dussé-je parfois, pour débrouiller les fils compliqués de l’intrigue, entrer dans le détail de certains faits intimes qui relèvent de la vie privée plutôt que du domaine habituel de l’histoire.


I

Ce que fut « l’affaire des Poisons, » le succès d’un livre récent[2]me dispense d’en reprendre ici l’exposé général. Au lendemain de l’exécution de la marquise de Brinvilliers, la recherche qu’on fit de ses complices, de ses émules, de ses imitateurs, avait répandu dans Paris un effroi indicible. « Chacun, dit un témoin du temps[3], a l’œil sur son voisin, et les gens d’une même famille se défient les uns des autres. Le père soupçonne le fils et observe exactement tous ses mouvemens, et la mère se méfie de la fille qui faisait sa joie ; les enfans prennent des précautions contre leurs parens ; le frère ou la sœur n’osent manger ou boire ce qui a été apprêté par un autre frère ou une autre sœur. » Dans les sphères plus élevées, l’inquiétude n’est guère moindre : « On ne parle que de gens pris pour poison, écrit à Bussy-Rabutin Mme de Scudéry[4] ; cela fait peur à tout le monde… Grâce à Dieu, ajoute-t-elle, je n’ai jamais acheté de fards, ni fait dire ma bonne aventure ! » C’est qu’en effet, dans cette nouvelle série de crimes, l’empoisonnement se compliquait de sorcellerie, de pratiques ténébreuses et de rites démoniaques, sur l’efficacité desquels nul n’eût osé émettre un doute. Une tourbe obscure de devins et de charlatans s’était multipliée depuis quelques années dans les bas-fonds de la capitale, attirant dans leurs bouges une nombreuse et parfois une brillante clientèle. « Les alchimistes, observe un étranger de passage à Paris[5], sont ici en aussi grand nombre que les cuisiniers… On en compte cinq à six mille ! »

Les devineresses surtout faisaient promptement fortune. Logées, pour la plupart, en de lointains faubourgs ou dans des masures isolées, à l’abri des indiscrétions dangereuses du voisinage, elles exerçaient des industries variées. « Si l’on punit tous ceux qui ont été aux devineresses, écrit Bourdelot à Condé[6], tous les valets et servantes de Paris sont, bien en risque. Ils vont toujours trouver ces espèces-là, pour découvrir des nippes qu’on leur a prises. » Peu à peu ces diseuses de bonne aventure avaient étendu leur commerce ; leur public s’était augmenté dans la même proportion. Le matin, avant l’aube, ou le soir, à la nuit tombante, un carrosse ou une « chaise » s’arrêtait à quelque distance du logis de la magicienne ; un homme ou une femme en sortait, le visage quelquefois masqué, faisait à pied le reste du chemin ; et la porte s’ouvrait sur un signal convenu[7]. Ce qui se perpétrait dans ces conciliabules dépendait du client et des motifs de sa visite. Prédictions d’avenir aux curieux, secrets de beauté pour les femmes, philtres d’amour pour les deux sexes, talismans pour gagner au jeu ou devenir invulnérable, moyens discrets de se venger ou de se défaire d’un rival, aide opportune aux héritiers lassés d’attendre l’héritage, la sorcière tenait tout, parait à tous les accidens, pourvoyait à tous les besoins. Elle exigeait, en certains cas, qu’on précisât ses désirs par écrit, avec promesse de renvoyer plus tard la demande avec la réponse. Si la requête était compromettante, au prix fixé s’ajoutait par surcroît le fructueux profit du chantage.

Tel était l’excellent métier que vint entraver un beau jour l’intervention des « gens du Roi. » Le mal, dès les premières enquêtes, apparut si profond, si effrayant, si général, qu’on crut devoir créer une procédure et une juridiction spéciales. Ce fut cette fameuse Chambre ardente[8]que nous verrons prochainement en besogne. Elle comprenait quatorze membres, — huit conseillers d’Etat et six maîtres des requêtes, — presque tous réputés pour leur savoir, leur expérience et leur intégrité. Le président en était Louis Boucherat[9], qu’on vit chancelier de France en l’an 1685. MM. De Bezons et de La Reynie furent les commissaires-rapporteurs ; j’aurai l’occasion de parler de ces deux derniers personnages. La Chambre se réunissait dans une des salles de l’Arsenal, non loin de la Bastille. Elle commença de fonctionner le 10 avril 1679. Le mystère dont elle s’entoura, le silence gardé strictement sur les informations et interrogatoires, ne pouvaient manquer d’aviver l’émotion populaire. Dès lors, on pensa voir partout des magiciens, des suppôts de Satan et des empoisonneurs. Une pluie pressée de délations s’abattit journellement sur la table des magistrats, qui commencèrent à s’affoler parmi ces pistes innombrables. Bien que, les premiers mois, l’on n’eût guère mis la main que sur de vulgaires criminels, aventuriers sans feu ni lieu, gibier de bagne et de potence, les soupçons atteignaient les plus hauts personnages, sans toutefois qu’aucun fait précis eût jusqu’à présent donné corps aux rumeurs vagues et incertaines, aux hasardeuses suppositions que l’on murmurait à voix basse.

Luxembourg eut le triste honneur d’être l’un des premiers à susciter les méfiances du public. Il semble trop certain que, dès le début des poursuites, on ait, un peu partout, mêlé son nom glorieux à cette sinistre affaire. « L’on m’a dit, — écrit, en mai 1679, Caillet de Chanlot à Condé[10], — que M. Boucherat, qui est le président de la Chambre royale, n’avait interrogé pas un des criminels qui ont été exécutés, qu’il ne leur eût demandé s’ils n’avaient point eu de commerce avec M. De Luxembourg. » — « La voix du peuple, — constate l’un des correspondans de Bussy-Rabutin[11], — avait accusé M. De Luxembourg il y a plus de huit mois ; et vous savez bien que, dans ce pays-ci (la Bourgogne), il en a couru de fort vilains bruits. » De cette méfiance et de ces bruits, il n’est pas malaisé de discerner les causes. Sa célébrité d’homme de guerre et le génie qu’on lui reconnaissait n’avaient pu lui valoir ni l’estime ni la sympathie de ses contemporains. A la Cour, on le redoutait pour son esprit railleur, dédaigneux, dénigrant, pour cette ambition sans scrupule qui marchait vers le but en renversant tout sur sa route. Le bourgeois s’offusquait du cynisme de ses propos, de l’audacieuse liberté de langage qui ne respectait rien et n’épargnait personne. Les cruautés naguère exercées en Hollande et la malédiction des peuples ravagés attachaient, même en France, une sanglante légende à son nom. Ses mœurs, il faut l’avouer, n’étaient guère celles que l’on eût pu attendre de son âge, de ses cheveux gris. On en parlait avec scandale, dans un temps et dans un milieu dont la vertu farouche n’était point le trait dominant. Le maréchal, à cette époque, avait depuis deux ans passé la cinquantaine ; son physique n’était pas pour racheter le tort des années. Avec sa bosse proéminente, son corps si contrefait que, disait Mme de Grignan, « s’il perdait un bras ou une jambe à la guerre, on ne s’en apercevrait même pas, » avec son visage sarcastique, ses sourcils broussailleux, parmi lesquels luisait la braise de ses yeux étincelans, sa bouche caustique aux lèvres minces, sa voix mordante qui semblait aiguiser les flèches de sa perpétuelle ironie, il lui fallait, malgré la splendeur de son rang, payer cher les bonnes grâces de celles qu’il n’eût pas autrement conquises ; et ces amours vénales l’engageaient trop souvent en des démarches et des sociétés suspectes. Une petite troupe de familiers et de compagnons de plaisir, complaisans de ses galanteries, composaient sa cour habituelle ; le juste discrédit qui pesait sur certains d’entre eux rejaillissait sur lui et achevait de ternir l’éclat de sa réputation.

Outre ces raisons générales, des circonstances particulières désignaient Luxembourg à la suspicion populaire. Il n’est pas douteux, en effet, que son imagination hardie, sa soif ardente de tout connaître, son esprit d’aventures, ne l’entraînassent vers les sciences défendues dont se repaissait avidement la curiosité de son siècle. Tout jeune, avec Chavagnac et d’Harcourt, il s’était adonné à des recherches d’alchimie, avait entrepris le Grand œuvre, sans autre résultat que d’y laisser une part de sa fortune[12]. Ce premier insuccès n’avait pu le décourager. Il continua plus tard, dans les loisirs de ses campagnes, à fréquenter en de certains milieux, dont les habitués se livraient à de peu catholiques besognes. Même un jour, — au rapport de Mme Desnoyers, — chez une pythonisse en renom qui s’était engagée à « lui faire voir le Diable, » il traita si rudement Satan, apparu soudain à ses yeux, que le prince des Enfers, à la surprise extrême de l’assemblée, tomba à ses genoux en implorant humblement sa merci[13].

Il y a mieux. Luxembourg, de longue date, entretenait à ses frais et menait partout avec soi un étrange compagnon, moitié bouffon, moitié savant, astrologue à ses heures et diseur de bonne aventure, dont, au cours du procès, le rôle inexpliqué sera l’un des griefs invoqués par l’accusation. Le nom de cet aventurier se retrouve à chaque page dans les cahiers de l’instruction. Il se disait « gentilhomme franc-comtois » et se faisait appeler le vicomte de Montemayor[14] ; dans la réalité, il était fils d’un simple apothicaire de Lyon, et se nommait François Bouchard. Le prétendu vicomte avait, dans sa jeunesse, exercé ses talens en plusieurs métiers successifs, dont l’un au moins lui attira quelques désagrémens : en l’an 1660, un arrêt de la Cour des Aides le condamnait au bannissement à vie pour crime de fausse monnaie. Il revint cependant en France, on ne sait trop comment, fut repris par la suite et mis à la Bastille, où il passa huit mois ; un peu plus tard encore, on le retrouve, par ordre de justice, relégué en Basse-Normandie. C’est au cours de cette existence agitée et nomade, qu’un soir, dans un souper chez le comte de Gramont, — qui l’avait fait venir pour « dresser des figures, » c’est-à-dire tirer l’horoscope des membres de la société, — il rencontra le duc de Luxembourg[15], Il amusa par sa faconde la fantaisie du grand seigneur et l’éblouit par sa science supposée. Si bien que, peu après, par l’intermédiaire de Louvois, Luxembourg obtenait la grâce entière du personnage, et l’attachait à sa maison, où il le conserva douze ans, sans titre et sans emploi bien nettement définis.

A vrai dire, les fonctions essentielles du vicomte étaient de celles dont on ne se vante pas. Elles consistaient surtout à écouter aux portes dans les salons et dans les ministères, à rapporter au maréchal les propos qu’il avait surpris, et à servir sous-main les desseins de son maître en mille intrigues galantes, mondaines ou politiques. On trouva parmi ses papiers un chiffre dont il se servait pour correspondre avec le duc ; ce n’était, assure ce dernier, que pour pouvoir narrer plus librement la menue chronique de la Cour ; mais certaines bribes de phrases que l’on parvint à déchiffrer donnèrent à supposer que ces rapports confidentiels avaient une portée plus sérieuse. À ce métier d’espion privé et d’agent clandestin, Montemayor, comme on a vu, joignait l’art de prédire l’avenir et la pratique des sciences occultes. Il se piquait, ainsi qu’il dit lui-même, de « deviner par les nombres, » et de « travailler les métaux, » c’est-à-dire de chercher la pierre philosophale. Il avait retrouvé, de plus, le « secret du baume merveilleux[16]. » Enfin il observait les astres, et tirait de leurs conjonctions des pronostics qu’il disait infaillibles. Tant de qualités réunies en faisaient pour le maréchal un précieux auxiliaire.

Disons pourtant que Luxembourg, sans nier son long commerce avec Montemayor, se défend avec énergie d’avoir ajouté foi à ses talens de prophétie, et proteste ne « l’avoir fait travailler que par plaisanterie. » Mais, comme on sait d’ailleurs qu’il s’enfermait parfois « des journées entières » avec lui, qu’il soumettait à ses « calculs » les plus importantes entreprises, il est permis de supposer qu’il était plus croyant à toute cette diablerie qu’il ne prétendit par la suite. Et qu’on ne s’étonne point de cette crédulité chez un sceptique invétéré, un notoire « libertin, » pour me servir de l’expression du temps. Le « libertinage » au grand siècle, — est-on sûr qu’il en soit autrement de nos jours ? — faisait fort bon ménage, fût-ce chez les gens les plus instruits, de l’esprit le plus éclairé, avec la plus grossière et la plus basse superstition. « Ces messieurs et ces dames, disait à ce propos le maréchal de Villeroy, ils croient au diable, et ne croient pas en Dieu ! » Libertins ou dévots, personne au reste, à cette époque, ne doutait de l’astrologie, encore si répandue et si fort en honneur qu’à la naissance de l’héritier du trône, Anne d’Autriche avait fait tirer son horoscope. Et l’on ne voit pas sans surprise, dans la correspondance secrète que certains de nos diplomates entretenaient avec Louis XIV, de quelles fables extraordinaires, de quelles enfantines balivernes, ils régalaient pieusement les oreilles du Roi Très Chrétien.


Ce n’était pas assez du vicomte de Montemayor. Un autre intime du maréchal, d’un rang beaucoup plus relevé, le poussait également dans une voie périlleuse.

J’ai mentionné, au cours d’une précédente étude, l’étroite liaison de Luxembourg avec son jeune parent, Antoine de Pas, marquis de Feuquières[17], dont il avait protégé les débuts dans la carrière des armes : « Il est mon cousin issu de germain, mandait-il à Louvois[18], fils d’une mère avec qui j’ai vécu toute ma vie comme si elle avait été ma sœur. Dès qu’il fut entré dans le monde, il ne m’a presque point quitté, soit en paix ou en guerre… Il s’est toujours extrêmement distingué. » Sans contredire à ce dernier éloge, Saint-Simon trace du personnage un portrait fort poussé au noir : « C’était, dit-il[19], un homme de qualité, d’infiniment d’esprit et fort orné, d’une grande valeur, et à qui personne ne disputait les plus grands talens pour la guerre[20], mais le plus méchant homme qui fût sous le Ciel, et à perdre d’honneur qui il pouvait, même sans aucun profit. » En d’autres passages des Mémoires, Saint-Simon parle encore de « son cœur corrompu, » de « sa perversité » et de « sa méchante âme. » Le tableau est chargé ; malgré des défauts trop certains, le relâchement de ses principes et le désordre de sa vie, Feuquières n’était pas incapable de générosité, d’amitié vraie et de reconnaissance ; et il le prouva notamment lors du procès de Luxembourg, en épousant avec ardeur et courage la cause de son parent et de son protecteur. Mais il est vrai que, sans intention, il avait contribué gravement à le jeter dans le guêpier dont il voulut le tirer par la suite : nul en effet, plus que Feuquières ; ne donnait dans le merveilleux, ne s’enfonçait avec plus de passion dans les arcanes de l’occultisme, admirable sujet pour les devins, les charlatans, tous les exploiteurs patentés de la crédulité humaine, et si vraiment incorrigible que, malgré la sévère leçon de l’année 1680, on le retrouve, vingt ans plus tard, dans une autre affaire analogue[21], toujours dupe et toujours confiant.

Les premiers rapports du marquis avec cette triste engeance s’étaient établis fortuitement, par une voie assez basse. Il avait reçu un matin, dans son hôtel de la rue du Petit-Reposoir[22], la visite d’une femme inconnue, tenant un enfant par la main. Elle avait été jadis, lui dit-elle, « au service de Madame sa mère, » que son mari, « tailleur pour femmes, » avait, de plus, eu l’honneur d’habiller. Le jeune garçon qu’elle menait avec elle était filleul de la défunte marquise ; elle suppliait que, « par grande charité, » Feuquières le prît dans sa maison pour en faire « un petit laquais. » — « Heureusement pour moi, assure-t-il, je le trouvai trop petit, et n’en voulus point[23]. » Que ne rompit-il du même coup toutes relations avec la visiteuse ! Mais, malgré ses dénégations, il est bien démontré qu’il n’en resta pas là. L’ancienne soubrette de Mme de Feuquières n’était autre, en effet, que la femme Vigoureux[24], amie intime de la Voisin et chiromancienne en renom, hardie empoisonneuse, et l’une des grandes criminelles de son temps. Feuquières, hâtons-nous de le dire, ne la connaissait pas sous ce dernier aspect ; il n’eut affaire qu’à la sorcière ; mais il devint bientôt l’un des habitués du logis. C’est là qu’il connut également une autre fameuse héroïne du procès des poisons, Marie Bosse, la tireuse de cartes[25], grosse femme réjouie, haute en couleur, qui, dans son bouge de la rue Saint-Huleu, exerçait, en famille, l’état, comme elle disait, de « donneuse de consolations. » Elle sortait depuis peu des prisons du Châtelet, où elle avait fait un séjour comme complice de faux monnayeurs. Les deux commères reconnurent en Feuquières une proie aisée à prendre et bonne à exploiter : elles s’associèrent pour en tirer profit. Lorsque, plus tard, elles furent sous les verrous, elles s’égayaient encore, au cours des interrogatoires, à se rappeler tous les bons tours dont elles avaient berné Feuquières[26]. Tantôt c’est quelque « talisman » qu’elles lui vendent à haut prix, pour le préserver à jamais d’être « blessé par les armes ; » tantôt il s’agit d’assurer la réussite d’un riche mariage, qui rétablira sa fortune. Une autre fois, elles lui promettent, moyennant « une grosse récompense, » de le faire aller au Sabbat ; toute une longue négociation s’engage à ce sujet avec Belzébuth en personne. La Vigoureux tenait la plume dans cette étrange correspondance et, au dire d’un témoin, « se pâmait de rire en écrivant. »

Il n’est guère douteux que Feuquières ne mît son ami Luxembourg au courant de ces maléfices et qu’il ne l’attirât vers ces curiosités malsaines. Peut-être même, par aventure, le maréchal, une fois qu’deux, assista-t-il à des évocations, à des conjurations magiques. La femme Bosse déclare, en effet, dans les tortures de la question, que « MM. De Luxembourg et de Feuquières eurent envie de parler au Diable, » et qu’une femme Poulain fut chargée de satisfaire cette fantaisie[27]. Dans tous les cas, le fait certain est que les deux amis prirent une part égare à la scène qui se passa chez Mme du Fontet, scène qui, grossie, dénaturée, dans un dessein facile à comprendre, fut le plus grave des chefs d’accusation dressés contre le maréchal, le plus perfidement exploité, le plus difficile à détruire. Il est indispensable à l’intelligence du récit d’en reconstituer les détails dans leur puérilité navrante, non tels qu’ils furent produits plus tard devant les commissaires du Roi, mais tels que nous les représentent les témoignages les plus sérieux et les plus concordans.


II

Parmi les lieux de réunion où fréquentaient Luxembourg et Feuquières, était l’hôtel de Mme du Fontet, « rue Montmartre, en face Saint-Joseph, » où s’assemblait régulièrement une nombreuse compagnie. C’était, autant qu’il y paraît, l’un de ces salons mélangés comme il en existe en tous temps, un salon d’un accès facile, situé sur la frontière qui sépare le vrai monde de la société plus douteuse. Les femmes y étaient assez rares ; les hommes, au contraire, affluaient. On y voyait nombre de gens titrés, quelques grands seigneurs authentiques, et beaucoup plus d’aventuriers. Luxembourg, pour sa part, s’y divertissait fort ; il y était si assidu, que fréquemment, assure Bourdelot à Condé[28], c’était dans cette maison qu’il recevait et écrivait ses lettres. La maîtresse du logis, née Marie de la Mark et veuve en premières noces d’un sieur de Gayonnet, avait pris pour second époux le marquis du Fontet, mestre de camp de cavalerie[29]. Elle avait été dans son temps « fort à la mode pour sa beauté ; » c’était maintenant une femme de quarante et quelques années, gardant quelque fraîcheur et plus encore de coquetterie, assez légère, un peu extravagante, bonne créature au fond et parfaitement inoffensive. Extrêmement « curieuse de toutes choses, » comme écrit Ricous à Condé[30], elle était fort éprise « des choses surnaturelles. » Une femme à son service, qui connaissait la Vigoureux, l’avait mise en rapport avec cette devineresse ; et la Vigoureux, à son tour, lui avait proposé de lui amener un homme qu’elle disait « bien plus savant qu’elle, » et qui l’initierait aux secrets les plus surprenans. Alléchée comme on pense, la marquise accepta, vit le magicien en question, et fut émerveillée des tours qu’il lui fit voir. Cet homme était le célèbre Lesage, l’âme du procès de Luxembourg, premier protagoniste et grand metteur en scène du drame qui va se dérouler, et personnage trop important pour que le puisse me dispenser de le présenter dans les formes.

Adam Cœuret, — c’était son véritable nom, — était originaire du village de Venoix, près Caen. Il avait près de quarante ans, quand, au début de l’année 1667, il vint s’établir à Paris, pour y créer, dit-il, « une manufacture de poils, » c’est-à-dire une fabrique de laine[31]. Il prit alors le nom de Dubuisson, qu’il quitta peu après pour celui de Lesage. C’est sous ce dernier nom qu’il se rendit fameux ; c’est celui que nous lui donnerons dans tout le cours de cette histoire. Il entra presque immédiatement en commerce avec la Voisin, habita sous son toit, et fut quelque temps son amant. La chronique dit qu’il la battait, sans que ce tort nuisît à leur parfaite entente. Ils étaient au surplus bien faits pour se comprendre, et s’assistaient réciproquement par un touchant échange de services et de complaisances. Lesage possédait pour sa part des « connaissances astronomiques, » ayant reçu, dit-il, les principes de cette science d’un certain curé de Mirecourt[32]. Il en communiqua quelque chose à son associée, qui, en retour, lui montra des secrets d’une utilité plus directe. Leurs affaires prospéraient, quand la Fortune jalouse faillit briser en son essor une carrière si bien commencée. En août 1668, dix-huit mois après sa venue à Paris, Lesage fut arrêté pour crime « de sorcellerie et de pratiques dangereuses[33] ; » après une courte enquête, il fut condamné aux galères, où il passa quelques années. Il ramait sur les côtes de Gênes lorsqu’un ordre du Roi, daté du siège de Maastricht[34], lui apporta sa grâce et lui donna licence de regagner la capitale. Qui lui rendit ce bon office ? Lesage prétend ne l’avoir jamais su ; mais il est fort à présumer que le crédit de la Voisin, ses relations dans le beau monde, ne furent pas étrangers à cette clémence inattendue. De retour à Paris, il s’établit rue Montorgueil, chez un nommé Landart, « maître verrier-faïencier, » et reprit de plus belle sa profession de magicien, où il acquit promptement un renom extraordinaire.

Ce grand succès ne devait rien aux séductions de son physique. Il avait près de cinquante ans, et paraissait bien davantage. « Mal bâti, » le visage sournois, le chef couvert d’une grosse « perruque roussâtre, » ordinairement vêtu de gris, « avec un manteau de bourracan, » Lesage ne payait guère de mine. Mais c’était un coquin rusé, hardi, fertile en inventions, doué d’une faconde de charlatan, d’une ingéniosité subtile, d’un aplomb effronté que rien ne démontait. Il y faut joindre un « art d’escamoteur » assez rare de son temps, une preste légèreté de doigts, une habileté dans « les tours de souplesse, » qui stupéfiaient ses dupes et en imposaient même à quelques-uns de ses confrères. La Voisin, comme on pense, faisait souvent appel à de si précieuses facultés. Elle employait aussi Lesage dans les parodies sacrilèges auxquelles se complaisait la magie du XVIIe siècle. Pour ces cérémonies, il avait un costume spécial, une « longue jupe noire, » recouverte d’une chemise blanche ; puis il se ceignait d’une ceinture « de la même manière que font les prêtres. » Accoutré de la sorte, il récitait les formules de la messe ; une table lui servait d’autel, un gobelet à boire de calice. Les fidèles de ce culte, à la fois grotesque et impie, recevaient dévotement le pain consacré par ses mains, et buvaient l’eau bénite par lui « transformée en liqueur, » à laquelle ils trouvaient « un goût extrêmement agréable[35]. »

Il va sans dire que les seuls initiés étaient admis à ces mystères. Pour le vulgaire public, Lesage se contentait de « lever des trésors, » et de prédire les événemens futurs par « l’étude de la main et de la physionomie. » Ce fut par ce dernier talent qu’il charma Mme du Fontet ; c’est comme chiromancien qu’elle le prôna auprès de Luxembourg. La rencontre fatale eut lieu le 31 janvier 1676. Le mutin de ce jour, le maréchal eut un billet de l’un de ses meilleurs amis, le marquis de La Vallière[36], où ce dernier lui demandait « s’ils ne feraient rien ensemble dans l’après-dînée. » Luxembourg proposa que le marquis vînt le quérir chez Mme du Fontet, où il devait se rendre avec Feuquières. La Vallière, à l’heure dite, s’en fut au lieu du rendez-vous, vit le carrosse du maréchal dans la cour de l’hôtel, et s’y installa pour l’attendre jusqu’à l’issue de sa visite. Celle-ci pourtant se prolongeait. En effet, Luxembourg, en arrivant chez Mme du Fontet, avait trouvé la dame tout émue et tout excitée, avec un visage de mystère. Lesage, lui confia-t-elle, à cette heure même, se trouvait sous son toit, occupé à lire dans la main d’une demoiselle de ses amies[37]. Curieux de voir un personnage dont on disait « tant de merveilles, » le maréchal voulut en juger par ses yeux. Laissant donc Mme du Fontet dans les « appartenons d’en bas, » où elle jouait avec quelques dames, il monta, ainsi que Feuquières, dans une espèce de cabinet, où se tenait Lesage. La Vallière, qu’on alla chercher, les rejoignit presque aussitôt, et fut présent à ce qui suit.

Le duc, à peine entré, interpella Lesage, lui demanda, de son ton ironique, « si c’était lui qui prétendait dire aux gens la bonne aventure ; » à quoi le magicien repartit avec suffisance qu’il savait faire des choses plus difficiles et que, pour peu qu’on l’en priât, il en fournirait sur-le-champ des preuves indubitables. L’offre fut acceptée ; sur de courtes explications, il fut convenu que Luxembourg consignerait sur une feuille de papier, sans que Lesage en eût pris connaissance, toutes demandes ou questions qu’il lui plairait de soumettre à l’Esprit ; après quoi, le billet, par lui dûment cacheté, brûlé ensuite en sa présence, devrait deux jours plus tard, se retrouver dans sa cassette, avec les réponses de l’Esprit. Les choses ainsi réglées, on procéda sur l’heure à la cérémonie. Un laquais apporta du papier et une écritoire, du soufre et un réchaud. Luxembourg, Feuquières, La Vallière, « se tirèrent un peu à l’écart, » hors de la vue du magicien ; et La Vallière, sous la dictée des autres écrivit, « d’une main contrefaite, » ce que leur suggéra leur imagination.

Sur la teneur de cet écrit, nous verrons quelles furent, par la suite, les allégations de Lesage ; ce sera le nœud du procès. Quant à Luxembourg et Feuquières, ils ne se contredirent ni ne varièrent jamais. Le maréchal, dans son récit comme dans ses interrogatoires, affirma constamment n’avoir dicté à La Vallière que « des questions badines » sur des sujets galans. Feuquières, de son côté, dans une lettre confidentielle adressée à son père : « La Vallière, écrit-il, emplit une grande feuille de sottises. » Mêmes assurances, lorsqu’il dépose devant les commissaires : d’un bout à l’autre, leur dit-il, le billet n’avait trait qu’à des affaires de femmes ; il entre même à ce sujet en des détails trop crus pour que je puisse les reproduire. Un témoignage plus désintéressé vient confirmer ces assertions : l’amie, la complice de Lesage, celle-là même qui l’introduisit chez Mme du Fontet et qui était dans la maison pendant la scène qu’on vient de lire, la Vigoureux enfin, dans les souffrances de la question et peu d’instans avant sa mort, déclarera sous serment que Luxembourg s’était adressé à Lesage « pour ce qui regardait l’amour, » et ne fera nulle allusion à des demandes d’un autre genre[38]. Quant au dernier des assistans, le marquis de La Vallière, nous n’avons pas son témoignage, car il mourut six mois après l’histoire, sans en avoir pu soupçonner les suites extraordinaires. Sa présence en cette occasion n’en est pas moins, comme on verra, la démonstration évidente de la perfidie de Lesage.

Quoi qu’il en soit, le billet écrit et cacheté fut déposé aux mains du magicien, qui l’enveloppa dans une « boule de cire jaune ; » mais il eut soin, d’après son propre aveu, de substituer à ladite boule une autre, de même apparence, « où il avait mis auparavant un papier de la même forme, avec une composition de salpêtre qu’il sait faire. » Puis, ayant adroitement escamoté la cire où se trouvait l’écrit, il alluma le soufre du réchaud, y jeta la boulette de sa composition, tandis que les trois assistans récitaient près de lui les paroles qu’il leur indiquait, paroles tirées d’un vieil Enchiridion[39]. Au cours de cette incantation, le salpêtre fit son effet ; une explosion se produisit, qui surprit fort la compagnie. L’émotion dissipée, on s’assura que tout était consumé et détruit, qu’il ne restait nul fragment du billet ; et Lesage annonça que, dans deux jours au plus, le maréchal trouverait dans sa cassette le papier brûlé sous ses yeux, et les réponses à ses questions. Une heure, ou peu s’en faut, s’était écoulée de la sorte : chacun se retira, Luxembourg et Feuquières riant sous cape de ces simagrées, Lesage emportant dans sa poche l’écrit escamoté, et pestant à part soi contre la lésinerie du duc de Luxembourg, qui, pour prix de sa peine, ne lui avait remis que « deux pistoles d’Espagne, » en l’invitant « à boire à sa santé. »

Quarante-huit heures après, le délai expiré, le maréchal, par acquit de conscience, vérifia sa cassette. Est-il besoin de dire qu’il n’y trouva point le papier ? En revanche, le lendemain, « qui était le jour de la Chandeleur[40], » un sieur Daverdy, avocat, envoyé par Lesage, vint lui rapporter le billet sous une enveloppe cachetée. Le commissionnaire du sorcier, en s’acquittant de son mandat, réclama un salaire, qu’on lui refusa net, la condition essentielle du marché n’étant pas accomplie. Il s’en alla fort mécontent. Feuquières, de son côté, reçut à quelques jours de là la visite de Lesage. Le marquis était dans son lit, fort souffrant de la goutte : « Eh bien ! lui demanda-t-il, m’apportes-tu de bonnes nouvelles ? — Oui, Monsieur, répondit Lesage, et je puis vous assurer que M. De Luxembourg sera heureux dans toutes ses entreprises, qu’il sera aimé des dames, qu’il aura des succès à la guerre, qu’il sera invulnérable… » Bref, cent extravagances qui n’étaient point dans le billet. — Tu es bien impudent, cria violemment Feuquières, et bien heureux que je ne te fasse pas jeter par la fenêtre ! » Tels furent, si l’on en croit Mme de Ville-Evrard[41], les propres termes de cet entretien ; Feuquières, dans sa déposition, le résume plus laconiquement : « Lesage, lit-on dans le procès-verbal, étant venu lui dire que leurs desseins réussiraient, et voyant que c’étaient de grosses menteries qu’il lui disait, il le chassa de sa chambre à cause de cela. »

La marquise du Fontet, ultérieurement interrogée[42], rapporte ainsi qu’il suit l’épilogue de l’histoire. « Au bout de sept à huit jours, Dubuisson (Lesage) vint la voir, et lui demanda si elle n’avait point vu ces messieurs ; à quoi elle lui dit que non, ce dont il parut étonné. Et, lui ayant demandé ce qu’ils avaient fait chez elle, Dubuisson lui dit que les femmes avaient la langue trop longue, et parut mécontent de ce que M. De Luxembourg ne lui avait donné que deux pistoles… Et depuis M. De Luxembourg étant venu chez elle, et étant tombé à parler de Dubuisson, il lui dit que c’était un fripon qui ne savait rien. » Luxembourg, en effet, atteste formellement qu’à la suite de cette expérience Feuquières et lui furent édifiés sur « l’habileté du personnage, » et détrompèrent nombre de gens sur le magicien à la mode, notamment le duc de Vendôme, auquel Lesage, « par ses tours de souplesse, » avait récemment « escroqué plus de soixante pistoles. »


III

Cinq ans avaient coulé depuis cette équipée. Le maréchal, pressé de soins plus importans, ne songeait guère à cette histoire ni à son grotesque héros, quand des circonstances singulières vinrent tout à coup lui remettre en mémoire et Lesage et ses diableries[43]. Pour suivre l’enchaînement des faits, il nous faut faire ici un bref retour vers le passé et nous transporter un moment au pays de Lorraine, à Ligny-en-Barrois, domaine immense et magnifique qui constituait le plus riche apanage de la duchesse de Luxembourg. Il s’y trouvait une forêt d’une vaste étendue, indivise entre la duchesse et sa sœur utérine, la princesse de Tingry. En 1665, on en fit une coupe générale, qui fut achetée d’avance, au prix de 400 000 livres, par une « société de marchands de bois. » Un sieur du Pin, « maître de la chambre des deniers[44], » servit d’intermédiaire et signa le marché au nom des acquéreurs. Mais, lorsqu’il s’agit de régler, une vive contestation s’éleva. Les associés se crurent lésés par la fraude de du Pin, gagné, prétendirent-ils, par un certain Moreau[45], intendant des biens de Luxembourg. Un procès s’engagea, obscur, enchevêtré, dont je me garderai de narrer les péripéties. Huit ans passèrent de la sorte, huit ans de procédures et de menues chicanes, sans qu’avançât d’un pas la solution de ce litige. En 1673, Luxembourg, — qui, depuis deux ans, guerroyait en Hollande, — excédé de ces lenteurs et suspectant son intendant de faire mieux ses propres affaires qu’il ne gérait celles de son maître, se plaignit de Moreau dans une lettre intime à Louvois. Le ministre, à son ordinaire, prit des moyens expéditifs : Moreau fut arrêté, jeté à la Bastille, enfermé « trente-six heures sans boire et sans manger, dans un cul de basse-fosse, » ce qui lui fit avouer des malversations de toute sorte. Il demeura dans son cachot plus de quatre ans et demi, gardé étroitement au secret, et ne fut relâché qu’en mai 1678[46]. Luxembourg remplaça Moreau, pour la gestion de sa fortune, par le nommé Prieur, « procureur à Paris ; » et Prieur, à son tour, prit comme adjoint, pour l’aider dans sa tâche, un de ses clercs, qui depuis quatorze ans était à son service. Cet homme, qui s’appelait Pierre Bonnard et que le maréchal, bien qu’il payât ses gages, ne connut que longtemps après, fut la cause principale des maux qui s’abattirent sur la tête de son maître.

Pierre Bonnard, cependant, dans le défilé de gredins que je dois faire passer sous les yeux du lecteur, n’apparaît ni comme un fripon ni comme un méchant homme, mais bien plutôt comme un naïf, simple d’esprit, présomptueux et confiant, animé d’un zèle excessif, dont il donna bientôt des preuves. A peine au courant du procès qui traînait depuis tant d’années, il se mit dans la tête de le terminer à lui seul, espérant, par ce coup d’éclat, servir tout à la fois les intérêts du duc et sa propre fortune. Le difficile, pour en arriver à ses fins, était de recouvrer le texte du traité élaboré lors de la vente des bois, d’où découlaient les droits respectifs des parties. Du Pin, qui l’avait rédigé et signé, en était resté détenteur et se refusait à le rendre, prétendant l’avoir égaré. Bonnard voulut en avoir le cœur net ; il fut, un beau matin, au logis de ce personnage, pour s’expliquer sur ce point avec lui. Il ne l’y trouva pas, mais il rencontra sa maîtresse, une fille fort jeune et d’aspect misérable. Il tenta de la faire jaser, et n’y eut point de peine. Elle abonda en doléances sur son malheureux sort, semblant « fort mécontente du peu de soin que du Pin avait d’elle, et fort disposée à profiter de la première occasion qui se présenterait de se tirer de la misère. » Aussi fut-ce sans hésitation qu’elle promit à Bonnard de lui faire retrouver le précieux document, pour la somme de huit cents écus, payables après livraison. Le marché fut conclu, mais point exécuté : j’entends par-là qu’après quelques vaines tentatives, cette fille dit à Bonnard qu’elle ne pouvait, elle seule, réussir dans cette entreprise, mais qu’elle savait quelqu’un dont l’adresse en viendrait très aisément à bout. Ce dieu sauveur était notre ancienne connaissance, le magicien Lesage[47], dont le nom, pour la deuxième fois, allait être mêlé avec celui de Luxembourg.


L’année 1678, où nous a conduits ce récit, ne fut pour le crédule et malheureux Bonnard qu’une longue suite de tribulations. Lesage, au premier entretien, s’était vanté, auprès de l’intendant du « commerce ancien, » disait-il, qu’il avait avec Luxembourg, des services importans qu’il lui avait rendus[48]. Ses hâbleries et ses escamotages achevèrent de persuader cette dupe aisée à éblouir, et de le livrer sans défense aux mains du dangereux charlatan. « Bonnard, dit Luxembourg, donna en vrai sot dans toutes les impostures et observa toutes les profanations, déguisées en exercices de piété, que ce scélérat lui fit faire pour retrouver les papiers. » Les interrogatoires confirment ce dire mot pour mot. Ils nous représentent l’intendant accumulant les jeûnes, les privations et les austérités, restant des nuits entières « le visage contre terre, » à réciter de burlesques patenôtres sous la dictée de son bourreau, pleurant parfois de lassitude, et ne demandant jamais grâce. Les commères de Lesage, les deux femmes Bosse et Vigoureux, se mettent aussi de la partie, multiplient les rites démoniaques, le tout, ainsi qu’on pense, à beaux deniers comptans. Enfin un prêtre véritable, Gilles Davot[49], chapelain de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle et « confesseur du mari de la Voisin, » s’associe à l’exploitation. C’est Davot qui dit les messes noires ; c’est lui qui « met sous le calice » les billets où Bonnard inscrit ses desiderata : la reprise des papiers, obtenue, s’il le faut, par la mort de du Pin[50]. Le plus grave est que ces billets, d’après le conseil de Lesage, portaient « les noms du duc de Luxembourg, de sa femme et de sa belle-sœur, » la princesse de Tingry, et qu’il semblait ainsi que l’on fît par leur ordre exprès conjurations et sacrilèges.

Pendant ce beau manège, Luxembourg était aux armées, « plus occupé, comme il le dit, des services que je tâchais de rendre que de mes affaires domestiques. » La paix conclue et signée à Nimègue, il revint à Paris, où son premier soin fut celui de terminer à tout prix son procès. « A mon retour, écrit-il, je trouvai l’affaire en état d’être jugée, et Prieur[51]dans l’espérance de recouvrer les papiers nécessaires, par le moyen de Bonnard, qui les lui promettait tous les jours. » Mais, à mesure que le temps s’écoulait, croissaient les exigences des exploiteurs de l’intendant, lequel augmentait ses demandes dans la même proportion. C’étaient maintenant « deux mille écus » qu’il fallait, à l’entendre, pour mener à bonne fin la négociation. Luxembourg, de guerre lasse, consentit à donner la somme, sous condition que, le soir même, il recevrait les documens. La soirée, la nuit, se passèrent, sans qu’il vît paraître Bonnard ; mais, le lendemain matin, 10 mars 1679[52], comme il était encore au lit, on lui annonça l’intendant. Ce dernier entra dans la chambre, un papier à la main. Ce n’était pas, hélas ! la pièce tant désirée, mais seulement un « pouvoir » tout préparé et dressé à l’avance, qui lui était, dit-il, indispensable « pour retirer l’écrit » des mains de ceux qui le détenaient, en leur versant « cinq cents pistoles[53]. » Luxembourg, sans défiance, prit le pouvoir et le signa ; toutefois, et par pure précaution, comme « le procureur fiscal de Ligny » se trouvait dans la chambre, il le pria d’y jeter un coup d’œil. Le procureur alla vers la fenêtre, — car le jour se levait à peine, — prit le papier, le lut, « n’y trouva rien à dire, » ainsi qu’il l’affirma par la suite à l’enquête, le rendit à Bonnard, qui le mit en poche et sortit. On fut trois jours entiers sans en avoir aucune nouvelle.

Ce que le duc n’apprit que bien longtemps après, c’est que Bonnard, après avoir quitté son maître, était allé droit chez Lesage pour lui remettre le papier. Le magicien l’examina, le tourna en tout sens ; puis, le montrant à l’intendant, il lui fit observer « qu’il y manquait quelque chose d’essentiel, » une chose, insista-t-il, qu’il fallait ajouter de toute nécessité, pour être certains du succès. Cette addition n’était rien moins qu’un pacte avec l’Esprit, une « donation, » comme on disait alors, dont la clause capitale serait la reprise des papiers et le gain du procès. Bonnard, — suivant l’expression d’un témoin, — « en avait jusqu’alors trop fait pour reculer. » Rempli de foi d’ailleurs en la toute-puissance de Lesage, il inscrivit lui-même, dans l’espace resté libre au-dessus de la signature, les quelques mots qu’on lui dicta. Il ne put pourtant si bien faire que « l’écriture n’entrât un peu dans le signe[54]de M. De Luxembourg. »

Cette scène eut pour témoin un troisième personnage, dont le rôle dans l’affaire est touche et mystérieux. Il avait nom Botot[55], sans profession bien définie, moitié agent d’affaires et moitié policier, fripon complet dans les deux cas. Présenté par Lesage, il s’était attiré la confiance de Bonnard, qu’il accablait de ses protestations, et près duquel il exaltait sans cesse la science du magicien. Il fut découvert par la suite que Botot était en même temps en rapports assidus avec un certain La Gardette, lequel était, dans le procès, le procureur des adversaires de Luxembourg. Il est également avéré que, le jour même où Lesage eut en mains le pouvoir signé par le duc, La Gardette en fut informé par les soins de Botot et prit copie du document dans l’intérêt de « ses parties. » Cela fit croire que La Gardette, en praticien retors, avait bien pu machiner cette intrigue, pour servir ses cliens et mettre dans leur jeu ce singulier atout. Mais, quand plus tard eurent lieu toutes ces révélations, et malgré les instances réitérées de Luxembourg, La Gardette, à aucun moment, ne fut l’objet d’un interrogatoire ; tous les efforts du maréchal échouèrent devant l’obstination des juges[56]. Ce point, — du reste secondaire, — demeure donc enveloppé d’une ombre impénétrable.

Un fait non moins certain et pareillement suspect est que Lesage, presque au lendemain du jour où lui fut remis le pouvoir, fut arrêté par les recors en compagnie dudit Botot, dans les habits duquel on trouva cette pièce importante. Tous deux passaient près du Petit-Châtelet, allant, prétendirent-ils, « au collège de Clermont pour savoir de quelque casuiste s’il n’y avait point de mal à ce que l’on voulait d’eux pour le service de M. De Luxembourg, » quand la police fondit sur eux et les poussa l’un et l’autre en prison[57]. Interrogé huit jours après sur le papier « signé du nom de Montmorency-Luxembourg » et revêtu d’un cachet à ses armes, Lesage, dans ce premier moment, assura qu’il ne s’agissait que de « questions d’astrologie, » et qu’il comptait par ce moyen « tirer du duc bonne récompense. » On n’en demanda pas plus long. Le pouvoir fut enfoui dans les profondeurs du dossier, sans que personne alors prévît quelles en seraient les conséquences.


Le maréchal, pendant ce temps, s’étonnait fort du silence de Bonnard. Deux jours durant, il le fit rechercher ; l’intendant restait introuvable. Une visite qu’il reçut contribua, sur ces entrefaites, à lui ouvrir les yeux. Un homme d’affaires, nommé du Parc, lui vint offrir au nom des défendeurs une transaction dans le procès : cette procédure, expliqua-t-il, aurait pour avantage d’empêcher la divulgation des étranges et fâcheux moyens employés par Bonnard pour la réussite de l’affaire ; et, devant la surprise que témoignait son interlocuteur, il lui parla des « pactes avec le Diable » que l’intendant concluait en son nom.

« Cette révélation surprenante et la disparition inexplicable de Bonnard me firent faire quelques réflexions, » écrit le maréchal. Il jugea nécessaire d’en informer Louvois. En dépit du refroidissement dont j’aurai l’occasion de parler tout à l’heure, leurs relations restaient suivies ; le ministre, en toute occasion, protestait de son amitié. Luxembourg fut donc le trouver, lui raconta l’histoire, le pria de faire sur-le-champ chercher et arrêter Bonnard. Mais Louvois fut pris de scrupules, fort inhabituels de sa part ; il refusa nettement d’intervenir en cette affaire, alléguant pour motif « qu’il ne faisait arrêter les gens que pour le poison, » et conseillant à Luxembourg, « si Bonnard lui avait fait quelque sottise, » de se borner tout simplement à le mettre à la porte. Voyant qu’il ne devait compter que sur soi-même, le maréchal envoya ses gens en campagne. Dès le lendemain, Bonnard fut retrouvé, conduit au logis de son maître, sous la promesse formelle « qu’il ne lui serait fait aucun mal. » Là, mis au pied du mur, en la présence de Luxembourg et de la princesse de Tingry, en la présence aussi du procureur Prieur et d’un commissaire de police requis à cet effet, Bonnard confessa tout, ses négociations avec la maîtresse de du Pin, les promesses de Lesage, toutes les conjurations et tous les maléfices, toute sa lamentable odyssée. Il n’omit qu’un seul point, — le plus grave, à vrai dire, — le faux commis par lui sur le pouvoir signé de Luxembourg. La peur retint sans doute ce dernier aveu sur ses lèvres. La confession finie et dûment enregistrée, on le laissa aller. À quelques jours de là, le maréchal, — sur l’avis de ses conseils et pour éviter tout scandale, — s’accommoda de gré à gré avec les acquéreurs de bois et, cela fait, comme il le dit lui-même, se sentit « l’esprit en repos » sur une affaire qu’il croyait enfin « consommée ; » — courte illusion, suivie d’un douloureux réveil !


IV

L’arrestation presque simultanée de Lesage et de la Voisin avait eu pour effet de stimuler vivement l’activité de la justice. Chaque jour, dans les premières semaines, est signalé par une nouvelle capture. Quinze jours plus tard, le 10 avril 1679, la Chambre ardente inaugure ses fonctions ; les interrogatoires et les perquisitions se succèdent sans relâche, amenant d’effrayantes découvertes, allongeant au-delà de toutes les prévisions la liste des empoisonnemens, des forfaits de tout genre. La répression va du même train ; la corde et le bûcher entrent vite en besogne. Les comparses, les subalternes, sont, suivant la coutume, expédiés les premiers. Dès le 9 mai, la Vigoureux, grande criminelle assurément, mais simple élève de la Voisin, — doublure modeste dans le drame où celle-ci joue le premier rôle, — est mise à la question, et meurt au milieu des souffrances, « d’un abcès dans la tête, » dit naïvement le procès-verbal[58]. Le lendemain, la femme Bosse, sa compagne et son acolyte, est brûlée vive en place de Grève. Ni dans leurs interrogatoires, ni dans les aveux arrachés par la torture de l’eau, des coins ou des brodequins, l’une ni l’autre de ces sorcières, — constatons le fait en passant, — n’a chargé Luxembourg de quelque accusation sérieuse ; ce qui sera plus tard articulé sur ce sujet ne viendra que du seul Lesage et ne sera soutenu par aucun autre témoignage. D’autres empoisonneuses, complices des deux premières et plus obscures encore, expient de même leurs crimes sur l’échafaud. D’un bout à l’autre du printemps, le bourreau de Paris n’a guère le loisir de chômer.

Le premier résultat de ces exécutions fut d’inspirer de sérieuses réflexions aux accusés qu’on tenait en réserve. C’est à partir de ce moment que la Voisin change brusquement de ton et de méthode, se lance à corps perdu dans la voie des aveux, dénonce à tort et à travers tous les gens qui l’ont visitée, les innocens comme les coupables, les plus humbles et les plus grands, ces derniers cependant de préférence aux autres, car, en rusée coquine, elle devine bien que c’est le sûr moyen de retarder l’action de la justice et, ne pouvant sauver sa tête, elle cherche à la garder le plus longtemps possible. « Quelques empoisonneurs et empoisonneuses de profession, écrit judicieusement Feuquières[59], ont trouvé le moyen d’allonger leur vie en dénonçant nombre de gens considérables, qu’il faut arrêter et dont il faut instruire le procès, ce qui leur donne du temps. » Lesage, presque aussi menacé que son ancienne amie, ne tarde guère à suivre son exemple, et c’est principalement le duc de Luxembourg qu’il choisit pour objet de ses délations acharnées, en quoi, il faut le reconnaître, il fait preuve d’à-propos et de sagacité.

Le drôle s’était, dans le début, montré fort réservé sur le sujet du maréchal ; ses premières dépositions n’avaient révélé autre chose que des curiosités vaines et des pratiques inoffensives. Par exemple, il raconte que Luxembourg lui a fait demander un recueil de magie, fameux à cette époque, l’Enchiridion Leonis papæ, crime à la vérité peu grave, en le supposant démontré[60]. Un autre jour, questionné sur une lettre trouvée chez la femme Vigoureux, une lettre sans adresse et datée du 28 avril 1677, elle devait être, affirme-t-il, remise au maréchal, qui désirait avoir « certaine figure d’astrologie ; » ce talisman, se hâte-t-il d’ajouter, avait seulement pour but de lui assurer la victoire, et « le tout était fait à très bonne intention[61]. » Bref, jusqu’alors, tout se réduit à d’insignifiantes peccadilles. Un beau matin, changement à vue : le ton frise l’insolence, les propos sont gros de menaces ; Lesage laisse entendre clairement que tout ce qu’il a dit n’est rien à côté de ce qu’il va dire. Quelle est la date précise de cette évolution ? Une lacune qui se trouve ici dans les papiers de la Bastille ne permet pas de le déterminer. Il résulte pourtant d’une lettre de Louvois que ce fut vraisemblablement la deuxième quinzaine de septembre : « J’ai cru, rapporte-t-il au Roi[62], qu’il ne pouvait qu’être à propos de mander à M. De La Reynie qu’il pouvait faire expliquer Lesage, et mettre dans un mémoire à part ce qu’il dirait sur ce sujet. » Il semble, au reste, que Louvois n’ait d’abord attaché qu’une médiocre valeur à ces révélations promises : « Ce ne peuvent être, dit-il avec dédain, que des choses d’aucune conséquence. » L’heure était proche où il allait singulièrement changer de ton et de langage !

Le 6 octobre 1679, M. De La Reynie, commissaire-rapporteur de la Chambre de l’Arsenal, recevait de Lesage le « mémoire » annoncé, mémoire qui sera le fondement et la pièce capitale de toute l’accusation. C’est un morceau long et diffus, obscur parfois, mais habile et perfide. L’histoire et le roman y sont mêlés dans une proportion si savante, le vrai est travesti avec un art si venimeux, le faux est appuyé de détails si précis, que l’on conçoit la profonde impression que ce document dut produire, dans le premier moment, sur la conscience des magistrats. La plus grande partie du mémoire a trait à l’entrevue de Lesage et de Luxembourg dans la maison de Mme du Fontet. Lesage décrit d’abord, en l’arrangeant à sa façon, l’expérience de magie dont j’ai donné ci-dessus le récit ; puis il vient au moment où, retourné dans son logis avec l’écrit du maréchal[63]en poche, il décachette le pli, et prend connaissance des demandes proposées, dit-il, à l’Esprit. Il faut citer ici le texte de la délation : « Se souvient bien qu’entre autres choses, M. De Luxembourg demandait par cet écrit la mort de sa femme, le mariage de son fils avec Mme de Louvois, quelque chose contre le maréchal de Créqui dont il ne se souvient pas bien, non plus que de ce qu’il demandait à l’égard de l’amitié de Mme de Tingry, et d’avoir un caractère (talisman) pour remporter assez de victoires pour effacer ce qu’on avait dit de lui au sujet de Philisbourg, et que le Roi fut entièrement dissuadé de la faute qu’il croyait qu’il avait faite à cette époque… M. De Luxembourg demandait aussi la mort d’un gouverneur de place ou de quelque province vers la Lorraine, pour avoir le gouvernement ; il demandait encore vengeance contre Moreau, son intendant, et qu’il pût être pendu… » Le même billet, si l’on en croit Lesage, renfermait pareillement des vœux criminels de Feuquières, tels que « la mort du parent d’une veuve fort riche qu’il voulait épouser. » Le magicien conclut en indiquant, à l’appui de ses délations, quelques témoins que l’on pourrait, dit-il, utilement consulter : l’avocat Daverdy, qui rapporta l’écrit au maréchal et qui, avant de le remettre, n’a pas manqué d’y jeter un coup d’œil ; et le prêtre Davot, qui vit souvent à ce propos le duc de Luxembourg et reçut de lui confidence d’une partie des vœux formulés. Enfin le dénonciateur, dans la dernière page du mémoire, évoque l’affaire Bonnard ; affirme que le maréchal était d’accord avec son intendant, et cherchait même « un homme pour faire périr du Pin » et lui reprendre les papiers. Tel est le document qui, lu d’abord par La Reynie, puis expédié par lui sur l’heure même à Louvois, rencontra chez tous deux une créance immédiate.

Le ministre surtout se jette, tête baissée, sur cette proie avec une étrange violence. Les lecteurs d’une récente étude[64]se souviendront peut-être de la brouille survenue, après dix ans d’une étroite amitié, entre Luxembourg et Louvois, brouille d’ailleurs discrète et voilée, ou plutôt animosité sourdement, lentement amassée, sans querelle, sans éclat, masquée sous la grâce des sourires, la courtoisie des complimens, l’échange fréquent des politesses, mais d’autant plus profonde, plus dangereuse et plus implacable. La rancune personnelle se doublait depuis peu de dissentimens politiques, et la haine de Louvois contre l’ami, « l’associé » d’autrefois, s’avivait de la jalousie qu’il éprouvait contre Colbert. Luxembourg, en effet, était passé avec armes et bagages au camp de ce rival, auquel il apportait l’appui de son grand nom, de sa glorieuse épée. Cette défection s’était produite à l’heure où la lutte, longtemps silencieuse, des deux ministres du grand Roi — à la suite d’incidens dont ce n’est pas le lieu d’entreprendre l’histoire[65], — prenait soudain un caractère d’acharnement aigu, à l’heure où, joué dans ses secrets desseins et déçu dans ses ambitions, Louvois cherchait à tout prix une revanche. On juge donc de la joie qui gonfle son âme rancunière, quand il voit surgir tout à coup une pareille occasion, sinon de perdre à jamais Luxembourg, du moins de l’affaiblir, de le discréditer, tout en atteignant du même coup le prestige du parti Colbert. Aussi ne perd-il point de temps à profiter de ce coup de fortune ; toute sa conduite, en ces premiers instans, témoigne de sa hâte fiévreuse et de son ardente allégresse.

A peine a-t-il reçu le surprenant « mémoire, » que, le lendemain matin, de sa personne, il se rend à Vincennes ; il va chercher Lesage au fond de sa prison ; il l’excite à parler, à compléter ses dénonciations, laisse briller à ses yeux, « s’il se détermine à tout dire, » l’espoir de la clémence royale. Écoutons sur ce point le témoignage même de Louvois : « Je lui ai parlé[66]au sens que M. De La Reynie a désiré, lui faisant espérer que Sa Majesté lui ferait grâce, pourvu qu’il fit les déclarations nécessaires pour donner connaissance à la justice de tout ce qui s’est fait… Il me promit de le faire, et me dit qu’il était bien surpris que je l’excitasse à dire tout ce qu’il savait, puisqu’il avait été persuadé jusqu’à présent, par les discours de M. De Luxembourg et de M. De Feuquières, que j’étais si fort de leurs amis, que je serais un de ceux qui le persécuteraient davantage, s’il disait rien contre eux. » Au retour de Vincennes, Louvois écrit à Louis XIV pour le mettre au courant de ces événemens imprévus, et, dans cette lettre où il résume, — en les aggravant quelque peu, — les accusations de Lesage, éclate, à son insu, un accent de triomphe et de satisfaction intimes : « Tout ce que Votre Majesté a su contre M. De Luxembourg et M. De Feuquières n’est rien auprès de la déclaration que contient cet interrogatoire, dans lequel M. De Luxembourg est accusé d’avoir demandé la mort de sa femme, celle de M. le maréchal de Créqui[67], le mariage de ma fille avec son fils, de rentrer dans le duché de Montmorency, et de faire d’assez belles choses à la guerre, pour faire oublier à Sa Majesté la faute qu’il a faite à Philisbourg. » Feuquières, en qualité d’intime ami de Luxembourg, n’est pas traité avec plus d’indulgence : « M. De Feuquières, écrit Louvois, y est dépeint[68]comme le plus méchant homme du monde, qui a cherché les occasions de se donner au diable pour faire fortune, et demandé des poisons[69]pour empoisonner l’oncle ou le tuteur d’une fille qu’il voulait épouser. » Aucun soupçon n’est exprimé sur la véracité du dénonciateur, sur la foi que mérite un scélérat notoire, un empoisonneur patenté, le digne ami de la Voisin, le menteur obstiné que, trois années plus tard, le même Louvois jugera dans les termes suivans : « Je vous remercie[70]de l’avis que vous m’avez donné de ce que vous a dit Lesage, qui depuis longtemps fait le métier d’un fripon… Il est bien à propos que vous lui ordonniez de vous expliquer ce qu’il a voulu dire et que, s’il voulait en faire difficulté, vous l’y obligiez en le mettant au pain et à l’eau et en le faisant bien étriller matin et soir. Vous ne sauriez agir trop durement envers ce fripon-là, qui, pendant tout le temps qu’il a été à Vincennes, n’a jamais pu dire un mot de vérité. » Pour le présent, c’est bien une autre gamme. La parole de Lesage est une autorité devant laquelle s’inclinent tous les représentans de la justice du Roi. La seule crainte qu’on éprouve est qu’il ne veuille se montrer trop discret. On le cajole chaque fois qu’il parle ; on le menace dès qu’il se tait. La visite étrange de Louvois n’ayant pas produit sur-le-champ tout l’effet attendu, le ministre en témoigne un vif mécontentement : « Je vois avec surprise, mande-t-il à La Reynie[71], par les lettres que vous avez pris la peine de m’écrire depuis mon départ de Paris, qu’au lieu que le voyage que j’ai fait à Vincennes ait servi à quelque chose, il semble que l’espérance que j’ai donnée au nommé Lesage de sa grâce n’ait servi qu’à le faire demeurer dans son opiniâtreté à ne rien dire de tout ce qu’il sait. Sur quoi, j’ai cru vous devoir dire que, comme je ne lui ai fait espérer la grâce du Roi qu’au cas qu’il la méritât par sa sincérité sur tout ce qu’il a fait et ce qu’il peut savoir des autres, vous pouvez tenir pour nul tout ce que je lui ai dit, et recommencer son procès, lorsque vous le jugerez à propos, s’il ne change pas de conduite. » À ce billet comminatoire est jointe une note de la main de Louvois, portant que La Reynie « fera lire cette lettre à Lesage, » et la brûlera sitôt après.

Encouragé, poussé l’épée aux reins, on devine que le magicien ne se fait pas longtemps prier pour répondre aux vœux du ministre. Il redouble de précision, accumule les détails, aggrave ses articulations. Il se rappelle maintenant ce que demandait Luxembourg au sujet de Créqui : c’était, ni plus ni moins, la mort de son rival. Pour ravoir les fameux papiers, ce n’était pas seulement du Pin que le duc voulait faire périr, mais encore son ami Lhuillier, et « deux bouteilles de vin empoisonné » avaient été préparées par son ordre pour obtenir ce double résultat. Ainsi chaque interrogatoire voit éclore un forfait nouveau. Un hasard malheureux voulut que, sur ces entrefaites, un fait se produisît qui venait indirectement à l’appui des dires de Lesage. Les commissaires, en fouillant les dossiers, mirent tout à coup la main sur le « pouvoir, » signé du nom du maréchal et portant, comme on sait, sa « donation au diable. » Cette pièce, si suspecte fût-elle, détermina la conviction de Bezons et de La Reynie. Maintenant l’accusation prend corps et s’échafaude dans leur esprit. Sans doute, hormis Lesage, il n’existe pas de témoins ; des deux qu’il avait désignés, l’un, le sieur Daverdy[72], n’a pas pu être retrouvé ; l’autre, Davot, est arrêté, mais il n’a rien dit, et pour cause, — on verra par la suite le résultat de sa confrontation. — Enfin, chose singulière, on n’a ni poursuivi ni même interrogé Bonnard ; on s’occupera de l’intendant deux mois seulement après l’incarcération de son maître[73]. Mais peu importe aux magistrats qu’on n’ait encore que des indices. Le plus pressé, pour le moment, est d’embastiller Luxembourg. Dès qu’il sera sous les verrous, les langues se délieront d’elles-mêmes ; à défaut de preuves matérielles, on obtiendra des témoignages. Tel fut bien, semble-t-il, le raisonnement des commissaires du Roi, justifiant ainsi le reproche, que leur adressera Luxembourg, de passion et de parti pris. « Ce soupçon, ajoute-t-il, ne semblera pas pris trop légèrement, à qui considérera combien c’était une chose extraordinaire de décréter contre un homme tel que moi, dans l’espérance qu’on trouverait dans la suite des gens qui parleraient contre lui, après qu’il aurait été arrêté ! »

On s’étonnerait assurément que des magistrats éclairés, expérimentés, consciencieux, aient pu se laisser dominer par cette prévention évidente, si l’on ne tenait compte de la faiblesse humaine, de la déformation produite sur les âmes les plus droites par la pression secrète et forte du pouvoir, par la crainte instinctive de déplaire en haut lieu. Nicolas de la Reynie[74], lieutenant général de police, fut sans contredit l’un des hommes les plus probes, les plus estimables de son temps ; mais, fonctionnaire autant que magistrat, il était à la fois juge intègre et bon politique. Arrivé jadis aux honneurs par la protection de Colbert, il s’était rangé peu après dans le camp de Louvois, qui paraissait plus sûr ; depuis ce temps, il demeura toujours l’ami, le familier de l’impérieux ministre. Ajoutons qu’il était un peu timoré de nature, par conséquent influençable. J’en trouve une preuve dans son attitude hésitante, le jour où il se voit brusquement en présence de la terrible accusation contre Mme de Montespan. Il tâtonne, flaire le vent, et ne sait que résoudre : « Je reconnais, — écrit-il à Louvois, grand défenseur de la marquise, — que je ne puis percer l’épaisseur des ténèbres dont je suis environné. Je demande du temps pour y penser davantage, et peut-être arrivera-t-il qu’après y avoir bien pensé, je verrai moins que je ne vois à cette heure. Tout bien considéré, je n’ai trouvé d’autre parti à proposer que de chercher encore de plus grands éclaircissemens et d’attendre du secours de la Providence[75]. » Ce langage est celui d’un homme à l’âme indécise et timide, plutôt que de l’homme résolu, au caractère de fer, à la volonté inflexible, tel qu’on se représente volontiers La Reynie. On ne peut, en tout cas, s’empêcher d’observer que La Reynie montra moins de trouble et moins de scrupule le jour où il s’agit, au lieu de l’altière favorite, d’un accusé que le Roi n’aimait guère et que haïssait son ministre.

Quant au second rapporteur de la Chambre, Claude-Louis Bazin, seigneur de Bezons[76], c’était un esprit distingué, un membre de l’Académie française, un homme du monde aimable et de bonne compagnie, mais ambitieux et souple, toujours en quête d’honneurs, d’emplois et de profits, pour soi-même ou pour ses enfans[77]. Bien qu’il se soit tenu volontairement au second plan, en s’effaçant avec prudence derrière son collègue La Reynie, il se montra dans toute l’affaire le plus partial et le plus acharné contre le maréchal.


Cependant les douze autres membres de la Chambre de l’Arsenal témoignaient moins d’entrain que les deux commissaires à s’engager dans des poursuites dont l’issue leur semblait douteuse. Beaucoup d’entre eux avaient des inquiétudes sur la solidité du terrain juridique où l’on prétendait les pousser. C’est que, depuis quelques semaines, la mission qui leur incombait avait singulièrement changé d’importance et de gravité. La Voisin, en effet, et son compère Lesage, voyant leur procès suspendu par suite de leurs premiers récits, avaient senti croître leur zèle pour la morale publique et le bien de l’Etat. Le magicien surtout, avec un aplomb magnifique, stimule maintenant l’ardeur des magistrats, gourmande vertueusement leur mollesse, raille leur timidité, leur prodigue de haut ses conseils et ses encouragemens : « Il ne faut rien du tout épargner sur le fait des poisons, » leur dit-il d’un ton dogmatique. « Tout cela, Messieurs, est sans doute dangereux à éplucher, » mais, « si vous aimez votre Roi, » vous ne reculerez pas devant les « gens de qualité » qui fréquentent chez les devineresses. « J’ai déjà dit, — ajoute-t-il sévèrement, — pour le soutien de l’Etat et pour la véritable assurance du public, de ne jamais plus permettre ces sortes de commerces et d’assemblées… Servez-vous de la politique de ce rusé de Cromwell, qui ne voulait pas que l’on fût assemblé en Angleterre plus de trois ou quatre personnes ensemble. » Nul ne s’avise de rabrouer le drôle quand il pérore avec cette impudence, et les délations s’accumulent, tantôt fondées, tantôt et plus souvent inventées de toutes pièces, contre les plus illustres dames, les seigneurs les plus qualifiés.

Ces dénonciations, — en dépit du secret expressément prescrit, — commençaient à s’ébruiter à la Cour et dans le public. Malgré l’absence d’informations précises, les gens de haute volée, selon l’état de leur conscience, s’inquiétaient pour leur propre compte ou s’indignaient pour leurs amis. Le peuple, d’autre part, s’étonnait des atermoiemens de la mystérieuse procédure et réclamait qu’on fît promptement justice des empoisonneurs avérés. Ainsi l’opinion se soulevait peu à peu de tous côtés contre la Chambre ardente. Mme Cornuel disait hautement que le mieux serait « de brûler les sorciers, les témoins elles juges. » Bezons et La Reynie n’osaient plus se risquer de Paris à Vincennes « sans une escorte des gardes du Roi. » L’excitation en vint à un tel point, que Louvois et le Roi crurent nécessaire, pour réagir contre le sentiment public, d’encourager les magistrats par une démonstration solennelle. Louis XIV, le 27 décembre, mandait à Saint-Germain, « à l’issue de son dîner, » le président, les rapporteurs et le procureur général, leur parlait lui-même avec force : « Sa Majesté, lit-on dans une des notes de La Reynie[78], nous a recommandé que nous pénétrassions le plus avant possible dans le malheureux commerce des poisons, afin d’en couper la racine. Elle nous a commandé de faire une justice exacte, sans aucune distinction de personne, de condition et de sexe… » A quelques jours de là, renchérissant sur ce langage, Louvois, écrivant à Robert, procureur général, l’incitait vivement à agir, « sur toutes les dénonciations faites par les prisonniers de Vincennes, contre qui que ce fût, et sans aucun égard du sexe ou de la qualité de ceux qui se trouveront accusés, » sans s’arrêter à « l’inconvénient de décrier des personnages considérables. »

Rassurés de la sorte, certains d’être soutenus par le maître suprême, les magistrats s’attelaient de meilleur cœur à la besogne et préparaient enfin, dans le plus absolu mystère, la fournée d’accusés, dont le nombre et l’éclat allaient dépasser toute attente.


V

Dans les premiers jours de janvier, un billet de Louvois, apporté par exprès, engageait Luxembourg à venir le trouver sur l’heure. Le maréchal s’y rendit aussitôt. Le ministre, sans préambule et s’exprimant d’un ton confidentiel, le mit brièvement au courant des propos de Lesage et des accusations qui pesaient sur sa tête. « J’appris de lui que l’on parlait de moi à la Chambre de l’Arsenal, établie contre les empoisonnemens. Cela me surprit sans m’alarmer. » À cette information Louvois ajoutait le conseil « de prendre garde » aux suites possibles de l’affaire[79], insinuait tout doucement que le plus sûr parti serait de passer la frontière et d’attendre hors de France que l’orage se soit dissipé : « Il me proposa de m’absenter, si j’avais fait quelque chose qui pût me faire de la peine, » écrit le maréchal. Dans un factum[80]qu’il adressa plus tard à la Chambre de l’Arsenal, Luxembourg, revenant sur cette proposition, accuse Louvois, sans le nommer, d’arrière-pensée machiavélique : « On lui[81]a suscité de fausses accusations, fondées sur des pièces fausses et fabriquées par des gens infâmes, chargés de crimes, actuellement dans les fers, et subornés contre lui, dans la pensée qu’il sortirait plutôt du royaume que de souffrir l’instruction fâcheuse d’une procédure extraordinaire, et que l’on trouverait dans la contumace un moyen assuré de le perdre. » Quoi qu’il en soit des intentions, le conseil de Louvois fut accueilli par un refus hautain : « Je lui dis que, bien loin de m’éloigner, si j’étais accusé, je me croirais obligé de revenir du bout du monde pour me justifier. » Louvois, embarrassé, se retranchait alors derrière l’autorité du Roi, qui l’avait chargé, disait-il, de tenir ce langage ; et Luxembourg se décidait à s’expliquer lui-même directement avec le maître.

La Cour était à Saint-Germain ; le maréchal la rejoignit dans la journée suivante. L’audience qu’il demanda fut sur l’heure accordée. Il semble que le Roi, dans cette émouvante entrevue, ait montré plus de bienveillance et plus de franchise que Louvois. Sans réticence et sans ambages, il fit connaître à Luxembourg les charges les plus graves du dossier formé contre lui. « Sa Majesté me fit l’honneur de me dire que Lesage disait que je me voulais servir de son art pour faire mourir ma femme, du Pin, et le maréchal de Créqui. » Le Roi énuméra encore quelques autres faits monstrueux qu’on allait soumettre à l’enquête, comme d’avoir donné l’ordre à Bonnard et Botot de faire périr la maîtresse de du Pin, de couper le corps en quartiers et de jeter ces débris à la Seine. « Des choses aussi extraordinaires, écrit le maréchal en son style énergique, à force d’être terribles, ne me le parurent point ! » Il se contenta donc de répliquer froidement que rien n’était fondé dans ces accusations affreuses, et qu’il était victime d’absurdes calomnies. Sur quoi, le Roi disant qu’il avait vu « des preuves écrites de son commerce avec les sorciers, » — par allusion voilée au « pacte avec le Diable » fabriqué par Bonnard, — Luxembourg crut comprendre qu’il s’agissait de la visite chez Mme du Fontet, et fit un récit détaillé de « l’unique occasion où il eût rencontré Lesage. » Louis XIV parut se rendre à ces explications : « Il me fit l’honneur de me dire que, si je n’avais rien signé de mal, je n’avais pas sujet de me mettre en peine. » Quand le maréchal prit congé, il se sentait, selon son témoignage, sinon entièrement satisfait, du moins très rassuré par les paroles royales.

La procédure, pendant ce temps, suivait régulièrement son cours. L’affaire de la Voisin se trouvait enfin « en état, » et la Chambre était sur le point de rendre son arrêt contre l’empoisonneuse, quand, le lundi 22 janvier, à l’audience du matin, le président Boucherat reçut un message de Louvois, qui l’invitait à différer encore : « Sa Majesté[82]m’a commandé de vous faire savoir qu’elle jugeait à propos que vous conduisiez les choses de manière qu’elle (la Voisin) ne soit jugée que samedi, et que le jugement soit tenu secret jusqu’au lundi matin… Ainsi vous trouverez tout le temps nécessaire pour faire les confrontations de la Voisin avec ceux contre lesquels la Chambre pourra décréter demain. Que si néanmoins ce temps ne suffisait pas, Sa Majesté trouve bon que la Chambre diffère le jugement de la Voisin autant que le bien de la justice le lui fera juger à propos. » Rien n’était plus aisé que lire entre les lignes la pensée secrète de Louvois. Le ministre entendait que l’on décrétât tout d’abord contre les « gens de qualité, » sur lesquels il pesait des charges suffisantes, et qu’on réservât la Voisin pour témoigner dans leurs procès. C’est bien ce que comprirent les juges de l’Arsenal. Séance tenante, et sans désemparer ; ils statuèrent sur le cas des « vingt-sept personnes de la Cour » dénoncées, dans ces derniers mois, par la Voisin et par Lesage. Quatre décrets « de prise de corps » furent lancés contre Luxembourg, contre la comtesse de Soissons, son amie la marquise d’Alluye, et la marquise de Polignac, qui parurent les plus compromis. Des « ajournemens personnels[83] » furent en être ordonnés contre le marquis de Feuquières, la princesse de Ingry, la duchesse de Bouillon, la maréchale de La Ferté, le duc de Vendôme, et d’autres de moindre renom. Il fut convenu toutefois que l’on attendrait, pour agir, la volonté suprême du Roi, et qu’on garderait jusque-là un inviolable secret.

Louvois seul fut mis au courant par un message du président Boucherat. Il y répondit le soir même : « Le Roi, lui disait-il, a été informé par la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire cette après-dînée de ce qui s’est passé à la Chambre ce matin. Sa Majesté donnera dans la journée de demain les ordres nécessaires pour faire arrêter les personnes de considération contre lesquelles il a été décrété… » Le ministre ajoutait cette recommandation, dont le but véritable apparaîtra bientôt : « A l’égard des ajournemens qui sont donnés par la Chambre, ils doivent être signifiés par les soins et à la diligence de M. le procureur général ; et, afin que ces ajournemens personnels ne puissent pas servir d’avertissement aux personnes contre lesquelles il y a décret de prise de corps, Sa Majesté aura bien agréable que l’on ne fasse signifier lesdits ajournemens que jeudi matin. »

Le jour suivant, mardi 23, la délibération de la Chambre de l’Arsenal, avec les pièces principales du dossier, fut mise aux mains du Roi, qui passa « deux grandes heures » à lire et étudier l’affaire. Cet examen le convainquit ; il donna son assentiment. Un scrupule pourtant l’arrêta, quand il en vint au nom de Mme de Soissons ; des souvenirs de jeunesse assaillirent sa mémoire, jetèrent le trouble dans son âme. C’était cette Olympe Mancini[84], l’une des premières femmes, assure-t-on, qui eût trouvé le chemin de son cœur, sœur, en tout cas, de celle qu’il avait si follement aimée. Il ne put soutenir la pensée de la voir traîner en prison, confondue dans la tourbe infâme des sorcières et des empoisonneuses. Et c’est alors qu’éclata la sagesse de la précaution de Louvois, lorsqu’il différait de deux jours la signification des décrets de la Chambre, donnant de la sorte à son maître le loisir d’agir en secret, d’amortir la rigueur du coup. Le soir même, sur l’ordre du Roi, le duc de Bouillon, beau-frère de Mme de Soissons, entrait chez la comtesse. Il la trouva qui jouait à la bassette, en nombreuse compagnie. « Il la pria de passer dans son cabinet ; il lui dit qu’il fallait sortir de France ou aller à la Bastille ; elle ne balança point[85]. » Elle courut promptement à sa chambre, entassa fiévreusement en deux ou trois cassettes ses pierreries magnifiques, « six cent mille francs d’argent comptant, » fit prévenir la marquise d’Alluye[86], sa présumée complice et son inséparable amie ; puis toutes les deux, pleurant, prirent place dans un carrosse, et s’enfuirent de Paris par la route de Bruxelles. A trois heures du matin, l’exode était chose accomplie ; et le Roi, s’adressant à la princesse de Carignan, belle-mère de Mme de Soissons : « Madame, lui disait-il, j’ai bien voulu que Mme la Comtesse se soit sauvée ; peut-être en rendrai-je un jour compte à Dieu et à mes peuples[87]. »

Des quatre « personnes de la Cour » dont la Chambre de l’Arsenal avait requis l’arrestation, la seule sans doute qui fût vraiment coupable, en tous cas la plus compromise, était ainsi soustraite aux griffes de la justice. Y pouvait-on laisser, sans lui offrir une chance pareille, le plus glorieux soldat de France, le vainqueur de Guillaume d’Orange ? Louis XIV ne le crut pas. Le lendemain[88], à l’aube du matin, le maréchal de Luxembourg, alors à Saint-Germain en même temps que la Cour, vit entrer dans sa chambre son ami le duc de Noailles[89], capitaine des gardes du corps : « Il me dit que l’on avait décrété contre moi, et que Sa Majesté l’avait chargé de me le dire. Il me conseilla en même temps de me sauver ; mais, comme je ne me sentais pas plus coupable que lorsque M. De Louvois me l’avait proposé, je lui fis la même réponse. »

Trois fois dans cette même matinée, Noailles vint en ambassadeur trouver le maréchal, le pressant de gagner pays et, comme écrit Mme de Sévigné, de mettre, en attendant fortune, « son innocence au grand air. » Il se heurta chaque fois contre un refus formel, une volonté inébranlable. Enfin le Roi, lassé, fit dire à Luxembourg qu’il n’était plus d’issue que d’aller en prison. « J’en acceptai le parti, » écrit le maréchal. Il ne demanda pour faveur que de s’y rendre seul « et sans être conduit. » Noailles, une dernière fois, retourna au château prendre l’ordre du maître, qui consentit à l’arrangement. Il fut réglé que, le soir même, le duc, de son propre mouvement, irait coucher à la Bastille.

Ses préparatifs furent vite faits. Il n’avertit personne, pas même sa femme, sa sœur, ses parens les plus proches. A quelques hardes en paquet se réduisit tout son bagage. « Je laissai en mon logis, écrit-il, tout l’argent que j’avais sur moi, pour ne donner aucun lieu de croire, si l’on me fouillait, que j’eusse dessein de tenter la fidélité de mes gardes ni de gagner personne. » Puis il monta dans son carrosse, accompagné d’un seul valet, et prit le chemin de Paris. Aucune escorte autour de lui, nul déploiement de forces policières ; quelques gardes du Roi seulement suivaient « de fort loin, » hors de vue[90]. Aux abords de la capitale, on croisa une voiture se dirigeant vers Saint-Germain : c’était Mme de Montespan qui allait rejoindre la Cour. Tous deux se reconnurent ; ils donnèrent l’ordre d’arrêter, descendirent sur la route et se mirent à l’écart pour causer librement, dramatique entretien de deux êtres, hier encore enviés et puissans entre tous, dont l’un tombait, à cette heure même, au rang des malfaiteurs traqués par la justice, et dont l’autre savait suspendue sur sa tête la menace d’une accusation plus effroyable encore. Des mots rapides qu’ils échangèrent, rien, par malheur, n’est venu jusqu’à nous. Le maréchal reprit son douloureux voyage.

Il atteignit bientôt la porte de Paris et prit la rue Saint-Honoré, où il fut encore aperçu par deux dames de sa connaissance, Mmes de Mouci et de Lavardin. Il les salua sans leur parler. Ignorantes de la catastrophe, elles furent surprises de sa pâleur, de la tristesse de son visage. Filant toujours vers la Bastille, le carrosse s’engageait maintenant dans la rue Saint-Antoine. Là se trouvait la maison professe des Jésuites ; comme on allait la dépasser, Luxembourg fit signe à ses gens ; la voiture s’arrêta ; il descendit, entra dans la maison. On dit qu’il demanda d’abord le Père La Chaise, le confesseur du Roi, personnage influent ; mais, ne le trouvant point, il s’entretint avec le Père Maimbourg[91] : « J’ai abandonné Dieu, lui dit-il, et Dieu m’a abandonné aux hommes[92]. » Ils furent ensemble près d’une heure. Avant de repartir, le maréchal voulut aller dans la chapelle[93] ; il se mit à genoux, pria, versa des larmes. « Il paraissait un peu qu’il ne savait à quel saint se vouer, » dit méchamment Mme de Sévigné. Sur le seuil du sanctuaire, il rencontra Mme de Vauvineux ; il l’aborda, lui dit son infortune et le séjour qui l’attendait. Il ajouta « qu’il en sortirait innocent, mais qu’après un tel malheur, il ne reverrait. jamais le monde[94]. » Le reste du trajet se fit sans incidens. Cinq heures du soir sonnaient quand son carrosse le déposa devant l’entrée de la Bastille.


Le gouverneur de l’antique forteresse était alors M. De Bézemaux, vieux gentilhomme gascon, autrefois capitaine des gardes de Mazarin et nommé par le cardinal à ce poste de confiance. C’était un fonctionnaire rigide et consciencieux, strict sur la discipline, au reste « humain, doux, civil et honnête, » courtois avec les prisonniers, et leur rendant de bons offices « quand il les croyait innocens[95]. » Bézemaux n’avait eu nul avis des événemens de la journée et fut tout effaré lorsque, averti qu’on le demandait au guichet, il reconnut dans le visiteur annoncé le maréchal de Luxembourg. Sa surprise redoubla quand le duc l’informa qu’il se remettait sous sa garde et réclama pour le soir même « une chambre et un souper. » Sur la réponse du gouverneur qu’il ne recevait point de prisonnier sans ordre, Luxembourg tira de sa poche la lettre de cachet, qu’il apportait lui-même. Il fallut s’incliner. Bézemaux, ce premier jour, donna sa propre chambre, belle, aérée, assez spacieuse pour qu’on pût « s’y promener à l’aise. » Mais, le lendemain matin, un exempt des gardes du corps remit un ordre de Louvois, « pour resserrer étroitement » Luxembourg et agir en tout avec lui comme on faisait avec « les criminels. » Il fut donc transféré dans « l’une, des horribles chambres grillées » qui se trouvaient au haut des tours. Défense expresse fut faite de le laisser communiquer avec aucun être vivant, à l’exception du gouverneur et des commissaires de la Chambre[96].

« Le désagrément d’être mis en prison est si considérable, que cela m’empêche de compter pour quelque chose ce que j’y ai enduré, » écrira Luxembourg, peu après sa libération. Les détails venus jusqu’à nous sur le traitement auquel, pendant quatre grands mois, il fut assujetti laissent deviner toutefois ce que furent ses souffrances. La pièce qu’il habitait avait « six pas et demi de long, » située presque au-dessous des toits, juste assez haute pour que sa tête ne se heurtât pas au plafond. Le jour n’y pénétrait que par une seule fenêtre, percée dans l’épaisseur du mur, étroite et enfoncée, protégée par une double grille. Le voisinage « d’un fort vilain endroit » apportait nuit et jour une odeur suffocante ; l’on ne pouvait guère remédier à cet empoisonnement en ouvrant la fenêtre, celle-ci « donnant sur le fossé où l’on jetait toutes les ordures, » et « d’où sortait une exhalaison que M. De Bézemaux avouait être fort puante. » Ne pouvant faire un pas, rapidement las de se tenir debout, le maréchal passait toutes ses journées assis, à lire sous la fenêtre, pour profiter de la faible lumière que laissait filtrer le grillage. À ce régime, il contracta de violentes douleurs, qu’il conserva jusqu’au dernier jour de sa vie.

Le mobilier de cette cellule était, au début, fort sommaire : un méchant lit, une chaise de paille. Car, — comme le dit Jean Rou, qui fit un séjour au même lieu, — le Roi, lorsqu’il traitait des hôtes en son château de la Bastille, « leur faisait bien la grâce de les loger et de les nourrir, mais il fallait qu’ils se meublassent. » Par la suite, Luxembourg obtint, comme il était d’usage, licence de se procurer à ses frais une table avec quelque vaisselle. Il osa réclamer encore, pour compléter ce luxe, une écritoire et du papier, et M. De Bézemaux transmit la supplique à Louvois ; mais celui-ci refusa net. Le maréchal se vit contraint, pour composer un mémoire à ses juges, d’écrire « sur de vieilles lettres » qu’il avait gardées dans sa poche, avec une sorte d’encre qu’il fabriqua lui-même de suie délayée dans du vin.

Son service était fait par le valet qu’il avait mené avec soi. Il advint, par malechance, que cet homme s’étant fait saigner le matin même de l’incarcération et le bandage s’étant défait, le maréchal, les premières nuits, dut faire son lit lui-même et « raccommoder » par surcroît le malheureux laquais. Pour achever le tableau, ajoutons-y ce trait, qu’ayant écarté par hasard une tenture qui pendait aux murailles de la chambre, le prisonnier vit inscrits sur la pierre les noms d’une foule de malfaiteurs, qui n’étaient sortis de ce lieu que pour marcher à l’échafaud, au gibet, à la roue. « Parmi ces noms rendus infâmes par de grands crimes, je ne pus voir sans douleur, écrit-il, celui du pauvre chevalier de Rohan, » décapité quelques années plus tôt pour trahison envers l’État[97]. On imagine ce que cette vue lui suggéra de pensées douces et de réflexions consolantes !


PIERRE DE SEGUR.

  1. Sources principales : Archives du Château de Chantilly. — Archives du Ministère de la Guerre. — Archives de la Préfecture de Police. — Manuscrits de la Bibliothèque nationale, F. Clérambault : n° 1192. — Archives de la Bastille, publiées par M. Ravaisson. — Lettre secrète de M. De Luxembourg sur son emprisonnement à la Bastille. — Lettres des Feuquières. — Lettres de Sévigné, de Bussy-Rabutin, etc.
  2. Le Drame des Poisons, par M. Frantz Funck-Brentano.
  3. L’Espion dans les cours des Princes chrétiens.
  4. Lettre du 28 avril 1679. Correspondance de Bussy-Rabutin.
  5. Critique agréable de Paris par un Sicilien. Archives curieuses de l’Histoire de France, publiées par Cimber et Danjou.
  6. Lettre du 25 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  7. Archives de la Bastille, publiées par M. Ravaisson. Avertissement du tome IV.
  8. On la nommait ainsi, à cause de son analogie avec les commissions spéciales instituées anciennement pour juger les criminels d’État. Elles siégeaient dans une chambre tendue de noir, qu’éclairait seule la lueur des flambeaux et des torches.
  9. Né en 1616, mort en 1699.
  10. 19 mai 1679. Archives de Chantilly.
  11. Lettre de La Rivière, du 9 février 1680. Correspondance de Bussy-Rabutin.
  12. Voir la Jeunesse du maréchal de Luxembourg, p. 432.
  13. Lettres de Mme Desnoyers, t. III.
  14. Interrogatoire de Montemayor, 13 mars 1680. Archives de la Bastille.
  15. Lettre du duc de Luxembourg sur son emprisonnement à la Bastille. Cette lettre se trouve imprimée à la suite des Mémoires pour servir à l’histoire du maréchal de Luxembourg, ouvrage publié en 1758, par ordre des descendans de Luxembourg et sur les manuscrits qui étaient en leur possession. Bien qu’elle ne porte pas de date, il est certain, d’après quelques passages, qu’elle fut écrite pendant l’année d’exil qui suivit l’acquittement du maréchal. Son authenticité ne paraît pas contestable. J’ajoute qu’on doit, dans une large mesure, la regarder comme véridique. Il est bien sûr que son auteur, comme il est naturel, présente les faits sous le jour le plus favorable ; mais, sur tous les points, et ils sont nombreux, où l’on peut contrôler le récit au moyen des pièces officielles tirées des Archives de la Bastille, la narration de Luxembourg est reconnue exacte, dans le fond comme dans les détails. Cette lettre constitue donc un document de premier ordre, auquel j’ai fait déjà quelques emprunts, et dont je ferai encore plus d’usage dans la suite de cette étude.
  16. Interrogatoire de Montemayor, Archives de la Bastille.
  17. Voyez le maréchal de Luxembourg et le prince d’Orange, p. 28.
  18. Lettre du 30 août 1678, Archives de la Guerre, t. 592.
  19. Mémoires, édition Chéruel, t. III.
  20. Feuquières est l’auteur de mémoires militaires qui comptent parmi les meilleurs ouvrages de ce genre en son siècle.
  21. Voyez Une sorcière au XVIIIe siècle, par M. Ch. De Coynart ; Hachette, 1902.
  22. Auprès de l’église Saint-Eustache. Cette visite eut lieu en 1674. (Interrogatoire de Feuquières du 20 février 1679. Archives de la Bastille.)
  23. Interrogatoire de Feuquières du 1er février 1680, Archives de la Bastille. — Lettre du même à son père, du 16 mars 1680. Lettres des Feuquières.
  24. Marie Randon, femme de Mathurin Vigoureux, morte pendant la question, a l’âge de quarante ans, le 9 mai 1679. Elle avait été également autrefois au service de la marquise de Sourdis.
  25. Marie Marette, veuve de François Bosse, marchand de chevaux, arrêtée le 4 janvier 1679 avec sa fille et ses deux fils, exécutée le 10 mai 1679.
  26. Voyez notamment les interrogatoires de la Vigoureux du 4 janvier 1679, de Belamour, fils de la Bosse, du 20 février 1679, de la Chéron, leur complice, du 23 février, etc., etc. Archives de la Bastille.
  27. Procès-verbal de question du 9 mai 1679. Archives de la Bastille.
  28. Lettre du 29 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  29. Devenue veuve une deuxième fois, Mme du Fontet épousa, âgée de plus de quatre-vingts ans, un jeune homme de trente ans, nommé Hion d’Hérouval, auquel elle assura par contrat tout son bien.
  30. Lettre du 29 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  31. Interrogatoire de Lesage, à la Tournelle, le 26 septembre 1668, Archives de la Bastille.
  32. Ibidem
  33. Ordre du Roi à M. De Bézemaux du 16 août 1668, pour « faire conduire Dubuisson (Lesage) au Châtelet, afin d’y instruire son procès. »
  34. 3 juin 1673.
  35. Ainsi s’explique l’erreur de Voltaire faisant de Lesage un prêtre véritable, erreur répétée après lui par nombre d’historiens.
  36. Frère de la favorite, né en 1642, mort en 1676.
  37. Il avait été amené par la Vigoureux, qui demeura dans l’hôtel tout le temps de la visite.
  38. Mme de Ville-Evrard rapporte également que le billet ne renfermait que des « questions frivoles » et « des folies sur plusieurs dames de leur connaissance. » Loc. cit.
  39. Livre de formules magiques. Ces paroles étaient les suivantes : otos-anos-tra-baï-agios-agia-ischiros (Interrogatoire de Lesage du 6 mars 1680).
  40. 2 février.
  41. Note manuscrite, loc. cit.
  42. Interrogatoire du 6 mars 1680. Archives de la Bastille.
  43. Documens consultés pour les faits qui vont suivre : Lettre de Luxembourg sur son emprisonnement, passim ; Note de Mme de Ville-Evrard, loc. cit. ; Interrogatoires de Lesage, de Landart, etc., Archives de la Bastille ; Lettres de Louvois Archives de la Guerre, etc.
  44. Ledit du Pin était un faiseur d’affaires, peu scrupuleux et peu adroit. Il perdit dans des spéculations toute sa fortune, qui était considérable, et mourut à l’hôpital.
  45. Antoine Moreau, « ci-devant conseiller et secrétaire du Roi, » entré au Service de Luxembourg lors du mariage de ce dernier, en 1661, comme intendant général de ses biens.
  46. Factum de Moreau, Recueil Thoiry, vol. 166, fol. 298. — On assure que Moreau, à peine sorti de la Bastille, eut avec Louvois des entretiens secrets et devint, par ses délations, l’un des principaux artisans du procès de Luxembourg. Il est certain que le début des recherches contre le duc coïncide exactement avec la libération de Moreau.
  47. On s’étonnera moins de cette coïncidence, lorsqu’on saura que la maîtresse de du Pin était la fille de cette femme Bosse, que nous avons déjà vue exploiter la crédulité de Feuquières de concert avec Lesage et Vigoureux.
  48. Interrogatoire de Landart du 28 janvier 1680. Archives de la Bastille.
  49. Gilles Davot, né à Argentan, en Normandie, l’an 1639, brûlé en place de Grève le 9 juillet 1681. Il avait été le confesseur du bourreau, lequel, par reconnaissance, refusa de l’exécuter, et passa la main à ses aides.
  50. Interrogatoire de Landart du 28 janvier 1680, de Lesage du 9 mars 1680, etc. Archives de la Bastille.
  51. Son procureur.
  52. Requête du duc de Luxembourg à Nosseigneurs de la Chambre royale. Mss Bibl. nationale, Fonas Clérambault, 1192.
  53. Note de Mme de Ville-Evrard, qui affirme avoir eu le pouvoir entre les mains. Loc. cit.
  54. La signature.
  55. « François Botot, élève du sieur Bonnard (sic), écroué à Vincennes le 23 mars 1679, » ainsi s’exprime une note tirée des Archives de la Bastille (Mss. De l’Arsenal, 10364).
  56. La Gardette, quand Luxembourg fut traduit devant la Chambre ardente, s’attendait si bien à être mis sur la sellette, qu’il en tomba « malade de peur. » On assure d’ailleurs que Botot, tandis qu’on le conduisait aux galères, conta à ceux qui l’escortaient que « tout ce qui avait été fait par Lesage l’avait été par ordre de La Gardette. »
  57. Interrogatoires de Lesage, du 22 mars 1679 et du 9 février 1680. Archives de la Bastille.
  58. Archives de la Bastille.
  59. Lettre du 29 janvier 1680, Lettres des Feuquières.
  60. Luxembourg, dans sa relation comme dans ses interrogatoires, a toujours affirmé que Lesage lui avait fait proposer ce livre et qu’il l’avait refusé.
  61. Interrogatoire des 22 et 27 mars 1679. — Luxembourg ne reconnut jamais que cette lettre lui fût destinée.
  62. Louvois au Roi, 24 septembre 1679. Archives de la Guerre, t. 624.
  63. En réalité, nous le savons, le billet était de l’écriture de La Vallière, que Lesage croyait être celle du maréchal.
  64. Le maréchal de Luxembourg et le prince d’Orange, p. 461-62.
  65. Il s’agit ici de la disgrâce de Pomponne, provoquée par Louvois, dans l’espoir de mettre une de ses créatures au ministère des Affaires étrangères, et tournant, contre toute attente, au profit de Colbert, qui fit nommer son frère à ce poste considérable.
  66. Lettre du 8 octobre 1679. Archives de la Bastille.
  67. Ceci est inexact, comme on peut le voir en se reportant au texte de la déclaration de Lesage.
  68. Dans le mémoire de Lesage.
  69. Encore inexact, ou du moins grossi.
  70. Lettre du 6 août 1683 à M. De Moncault, gouverneur de la citadelle de Besançon. Archives de la Bastille.
  71. Lettre du 11 octobre 1679. Archives de la Guerre, t. 625.
  72. On arrêta bien un individu de ce nom, mais ce n’était pas l’ami de Lesage, comme il résulte d’une lettre de M. De Bezons à Louvois : « Ils sont trois frères, l’un avocat, âgé de vingt-sept à vingt-huit ans, de médiocre stature, l’autre médecin, et le troisième étudiant en droit. C’est ce dernier que nous avons, et qui ne nous est d’aucune utilité. Nous avons besoin de l’avocat, qui est l’aîné des trois ; c’est lui mu a rapporté à M. De Luxembourg son billet et qui a été envoyé par Lesage en plusieurs endroits. » (Lettre du 1er février 1680. Archives de la Guerre, t. 672.)
  73. Le décret de prise de corps contre Bonnard est du 23 mars 1680. Archives de la Préfecture de police.
  74. Gabriel-Nicolas de la Reynie, né à Limoges le 25 mai 1625, d’abord avocat à Bordeaux, puis intendant du duc d’Épernon, maître des requêtes, enfin lieutenant-général de police le 15 mars 1667. Il vendit sa charge à d’Argenson, en janvier 1697, après trente ans d’exercice, et mourut à Paris, le 14 juin 1709, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
  75. Lettre du 11 octobre 1680. La Chambre de l’Arsenal, par P. Clément. Revue des Deux Mondes du 15 février 1864.
  76. Né en 1617, d’abord intendant du Languedoc, puis conseiller d’État, élu à l’Académie française, en remplacement de Séguier, en 1643, mort le 20 mars 1684. De ses quatre fils, le second servit plus tard dans l’armée sous les ordres de Luxembourg et fut fait maréchal de France en 1709.
  77. Voyez la lettre de M. De Mondion à Condé du 7 avril 1680. Archives de Chantilly.
  78. Archives de la Bastille.
  79. L’abbé de la Victoire à Condé, 24 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  80. « A Nosseigneurs de la Chambre royale séante à l’Arsenal », avril 1680. Bibliothèque nationale, Fonds Clérambault, 1192.
  81. Luxembourg, dans cette pièce, parle de soi à la troisième personne.
  82. Lettre du 22 janvier 1680. Archives de la Guerre, t. 637.
  83. Simple avertissement de comparaître et de répondre devant les commissaires enquêteurs.
  84. Olympe Mancini, nièce de Mazarin, née en 1633, mariée en 1657 au prince Eugène de Carignan, de la maison de Savoie, pour lequel le Roi releva le titre de comte de Soissons et dont elle eut huit enfans. Le comte de Soissons succomba le 7 juin 1673, dans des conditions qui donnèrent à soupçonner qu’il avait été empoisonné par sa femme, avec l’assistance de la Voisin. Il est certain que la comtesse était une des habituées du logis de la fameuse devineresse ; notons pourtant que la propre mère du comte de Soissons, la princesse de Carignan, protesta contre toute idée de poison : « Mme de Carignan, mande Ricous à Condé, est fort affligée. Elle dit que c’est une bagatelle d’il y a vingt-deux ans, qu’elle s’en était même plainte à feu M. le cardinal, qui lui dit : « Madame, laissez-la faire. Il vaut mieux qu’elle fasse cela que si elle faisait quelque autre chose. Avec le temps, elle verra que ces sales femmes ne savaient rien ; elle en sera pour son argent, et cela la corrigera de ces curiosités. (Lettre du 30 janvier 1680. Archives de Chantilly.) — Choisy assure dans ses Mémoires que toute cette affaire avait été suscitée par Louvois, mécontent de ce que la comtesse eût refusé d’avoir son fils pour gendre.
  85. Lettre de Mme de Sévigné du 20 janvier 1680 ; édition Monmerqué. — Nouvelles de Paris envoyées à Condé le 26 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  86. Bénigne de Meaux du Fouilloux, mariée en 1667 au marquis d’Alluye. Elle avait accompagné la comtesse de Soissons dans ses visites chez la Voisin. Elle revint à Paris une dizaine d’années plus tard, y reprit sa place et son rang dans le monde, et mourut en 1720, à plus de quatre-vingts ans.
  87. La quatrième des personnes décrétées d’arrestation, Jacqueline du Roure, marquise de Polignac, était en Auvergne au moment du décret. Elle fut avertie à temps et s’enfuit hors de France, mollement recherchée par la police. On omit de la juger par contumace, et elle revint plus tard en France, sans être inquiétée. Le Roi, tout en favorisant la fuite des accusées, tenait à conserver vis-à-vis de la Chambre l’apparence de l’impartialité. Louvois écrivait le lendemain à Boucherat : « Le Roi a fait partir deux officiers de ses gardes pour aller arrêter Mme la Comtesse et Mme d’Alluye. Ils ont ordre de vous rendre compte de ce qu’ils auront fait ; et M. le chancelier a désiré qu’en cas qu’ils ne trouvassent point ces deux dames, ils vous en informassent et retournassent faire un procès-verbal en forme de la perquisition. » Archives de la Guerre, t. 637.
  88. Le mercredi 24 janvier.
  89. Anne-Jules, duc de Noailles, né en 1650, maréchal de France en 1693, mort en 1708.
  90. Bourdelot à Condé. Archives de Chantilly.
  91. Louis Maimbourg (1620-1686). Il fut l’un des plus féconds historiens du XVIIe siècle. Un peu avant sa mort, il publia un traité de théologie gallicane à la suite duquel il dut quitter l’ordre des Jésuites.
  92. M. Brayer à M. De Mazauges, 2 février 1680. Archives de la Bastille.
  93. Aujourd’hui l’église Saint-Paul-Saint-Louis.
  94. Mme de Sévigné, lettres des 24 et 29 janvier 1680 ; édition Monmerqué, — Oraison funèbre du maréchal de Luxembourg, par le P. La Rüe ; — Rapports adressés à Condé. Archives de Chantilly.
  95. Mémoires de Jean Rou, lequel fit en 1673 un séjour à la Bastille.
  96. Note de Mme de Ville-Évrafd, loc. cit. — Rapports adressés à Condé. Archives de Chantilly. — Lettres de Sévigné, de Bussy-Rabutin, etc.
  97. Louis, prince de Rohan, connu sous le nom de chevalier de Rohan, né en 1635, condamné à mort et exécuté le 27 novembre 1674, pour avoir formé un complot avec son ami de Latréaumont, en vue de livrer la Normandie à la flotte hollandaise.