Le Péché de Monsieur Antoine/Chapitre II

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Calman-Lévy (1p. 17-27).

II.

LE MANOIR DE CHÂTEAUBRUN


Après avoir péniblement gravi un chemin escarpé, ou plutôt un escalier pratiqué dans le roc, nos voyageurs arrivèrent, au bout de vingt minutes, à l’entrée de Châteaubrun. Le vent et la pluie redoublaient, et le jeune homme n’eut guère le loisir de contempler le vaste portail qui n’offrait à sa vue, en cet instant, qu’une masse confuse de proportions formidables. Il remarqua seulement qu’en guise de clôture, la herse seigneuriale était remplacée par une barrière de bois, pareille à celles qui ferment les prés du pays.

« Attendez, Monsieur, lui dit son guide. Je vais passer par là-dessus et aller chercher la clef ; car la vieille Janille ne s’est-elle pas imaginé, depuis quelque temps, de faire placer ici un cadenas, comme s’il y avait quelque chose à voler chez ses maîtres ? Au reste, son intention est bonne, et je ne la blâme pas. »

Le paysan escalada la barrière fort adroitement, et, en attendant qu’il fût de retour pour l’introduire, le jeune homme essaya en vain de comprendre la disposition des masses d’architecture ruinées qu’il apercevait confusément dans l’intérieur de la cour : c’était l’aspect du chaos.

Peu d’instants après, il vit venir plusieurs personnes qui ouvrirent promptement la barrière : l’une prit son cheval, l’autre sa main, une troisième portait, en avant, une lanterne dont le secours était bien nécessaire pour se diriger à travers les décombres et les broussailles qui obstruaient le passage. Enfin, après avoir traversé une partie du préau et plusieurs vastes salles obscures, ouvertes à tous les vents, on se trouva dans une petite pièce oblongue, voûtée, et qui avait pu, autrefois, servir d’office ou de cellier entre les cuisines et les écuries. Cette pièce, proprement reblanchie, servait désormais de salon et de salle à manger au seigneur de Châteaubrun. On y avait récemment pratiqué une petite cheminée à manteau et à chambranles de bois bien ciré et luisant ; la vaste plaque de fonte qui en remplissait tout le foyer, et qui avait été enlevée à quelqu’une des grandes cheminées du manoir, ainsi que les gros chenets de fer poli, renvoyaient splendidement la chaleur et la lumière du feu dans cette chambre nue et blanche, qui, avec le secours d’une petite lampe de fer-blanc, se trouvait ainsi parfaitement éclairée. Une table de châtaignier, qui pouvait, dans les grandes occasions, porter jusqu’à six couverts, quelques chaises de paille, et un coucou d’Allemagne, acheté six francs à un colporteur, composaient tout l’ameublement de ce salon modeste. Mais tout cela était d’une propreté recherchée ; la table et les chaises grossièrement travaillées par quelque menuisier de la localité avaient un éclat qui attestait les services assidus de la serge et de la brosse. L’âtre était balayé avec soin, le carreau sablé à l’anglaise contrairement aux habitudes du pays, et, dans un pot de grès placé sur la cheminée, s’étalait un énorme bouquet de roses, mêlées à des fleurs sauvages cueillies sur les collines d’alentour.

Cet intérieur modeste n’avait, au premier coup d’œil, aucun caractère cherché dans le genre poétique ou pittoresque ; cependant, en l’examinant mieux, on eût pu voir que, dans cette demeure, comme dans toutes celles de tous les hommes, le caractère et le goût naturel de la personne créatrice avaient présidé, soit au choix, soit à l’arrangement du local. Le jeune homme, qui y pénétrait pour la première fois, et qui s’y trouva seul un instant, tandis que ses hôtes s’occupaient de lui préparer la meilleure réception possible, se forma bientôt une idée assez juste de la situation d’esprit des habitants de cette retraite. Il était évident qu’on avait eu des habitudes d’élégance, et qu’on avait encore des besoins de bien-être ; que, dans une condition fort précaire, on avait eu le bon sens de proscrire toute espèce de vanité extérieure ; enfin, qu’on avait choisi, pour point de réunion, parmi le peu de chambres restées intactes dans ce vaste domaine, la plus facile à entretenir, à chauffer, à meubler et à éclairer, et que, par instinct, on avait pourtant donné la préférence à une construction élégante et mignonne. En effet, ce petit coin était le premier étage d’un pavillon carré, adjoint, vers la fin de la renaissance, aux antiques constructions qui défendaient la face principale du préau. L’artiste qui avait composé cette tourelle angulaire s’était efforcé d’adoucir la transition de deux styles si différents ; il avait rappelé pour la forme des fenêtres le système défensif des meurtrières et des ouvertures d’observation ; mais on voyait bien que ces fenêtres, petites et rondes, n’avaient jamais été destinées à pointer le canon, et qu’elles n’étaient qu’un ornement pour la vue. Élégamment revêtues de briques rouges et de pierres blanches alternées, elles formaient un joli encadrement à l’intérieur, et diverses niches, ornées de même, disposées régulièrement entre chaque croisée, rendaient inutiles les papiers, les tentures et même les meubles qui eussent chargé ces parois sans ajouter à leur aspect agréable et simple.

Sur une de ces niches, dont une dalle, bien blanche et luisante comme du marbre, formait la base, à hauteur d’appui, le voyageur vit un joli petit rouet rustique avec la quenouille chargée de laine brune ; et, en contemplant cet instrument de travail si léger et si naïf, il se perdit dans des réflexions dont il fut tiré par le frôlement d’un vêtement de femme derrière lui. Il se retourna vivement ; mais, aux palpitations qui s’étaient emparées de son jeune cœur, succéda une grave déception. C’était une vieille servante qui venait d’entrer sans bruit, grâce au sablon qui couvrait le sol, et qui se penchait pour jeter dans la cheminée une brassée de sarment de vigne sauvage.

« Approchez-vous du feu, Monsieur, dit la vieille en grasseyant avec une sorte d’affectation, et donnez-moi votre casquette et votre manteau, afin que j’aille les faire sécher dans la cuisine. Voilà un bon manteau pour la pluie ; je ne sais plus comment on appelle cette étoffe-là, mais j’en ai déjà vu à Paris. Voilà qui ferait plaisir d’en voir un pareil sur les épaules de M. le comte ! Mais cela doit coûter cher, et d’ailleurs il n’est pas dit qu’il voulût s’en servir. Il croit qu’il a toujours vingt-cinq ans, et il prétend que l’eau du ciel n’a jamais enrhumé un honnête homme ; pourtant, l’hiver dernier, il a commencé à sentir un peu de sciatique… Mais ce n’est pas à votre âge qu’on craint ces douleurs-là. N’importe, chauffez-vous les reins ; tenez, tournez votre chaise comme cela, vous serez mieux. Vous êtes de Paris, j’en suis sûre ; je vois cela à votre teint qui est trop frais pour notre pays ; bon pays, Monsieur, mais bien chaud en été et bien froid en hiver. Vous me direz que, ce soir, il fait aussi froid que par une nuit de novembre : c’est la vérité, que voulez-vous ? c’est l’orage qui en est cause. Mais cette petite salle est bien bonne, bien facile à réchauffer, et, dans un moment, vous m’en direz des nouvelles. Avec cela, nous avons le bonheur que le bois mort ne nous manque pas. Il y a tant de vieux arbres ici, et rien qu’avec les ronces qui poussent dans la cour, on peut chauffer le four pendant tout l’hiver. Il est vrai que nous ne faisons jamais de grosses fournées : M. le comte est un petit mangeur, et sa fille est comme lui ; le petit domestique est le plus vorace de la maison : oh ! pour lui, il lui faut trois livres de pain par jour ; mais je lui fais sa miche à part, et je n’y épargne pas le seigle. C’est assez bon pour lui, et même avec un peu de son, ça étoffe le pain, et ça n’est pas mauvais pour la santé. Hé ! hé ! ça vous fait rire ? et moi aussi. Moi, voyez-vous, j’ai toujours aimé à rire et à causer : l’ouvrage n’en va pas moins vite ; car j’aime la vitesse en tout. M. Antoine est comme moi ; quand il a parlé, il faut qu’on marche comme le vent. Aussi nous avons toujours été d’accord sur ce point-là. Vous nous excuserez, Monsieur, si on vous fait attendre un peu. Monsieur est descendu à la cave avec l’homme qui vous a amené, et l’escalier est si dégradé qu’on n’y arrive pas vite ; mais c’est une belle cave, Monsieur ; les murs ont plus de dix pieds d’épaisseur, et quand on est là-dedans, c’est si profond sous la terre, qu’on se croit enterré vivant. Vrai ! ça fait un drôle d’effet. On dit que, dans le temps, on mettait là les prisonniers de guerre ; à présent, nous n’y mettons personne, et notre vin s’y conserve très-bien. Ce qui nous retarde aussi, c’est que notre fille est déjà couchée : elle a eu la migraine aujourd’hui, parce qu’elle a été au soleil sans chapeau. Elle dit qu’elle veut s’habituer à cela, et que puisque je me passe bien de chapeau et d’ombrelle, elle peut bien s’en passer aussi ; mais elle se trompe : elle a été élevée en demoiselle, comme elle devait l’être, la pauvre enfant ! car, quand je dis notre fille, ce n’est pas que je sois la mère à mademoiselle Gilberte ; elle ne me ressemble pas plus que le chardonneret ne ressemble à un moineau franc ; mais comme je l’ai élevée, j’ai toujours gardé l’habitude de l’appeler ma fille ; elle n’a jamais voulu souffrir que je cesse de la tutoyer. C’est une enfant si aimable ! Je suis fâchée qu’elle soit au lit ; mais vous la verrez demain, car vous ne partirez pas sans déjeuner, on ne le souffrira pas, et elle m’aidera à vous servir un peu mieux que je ne peux le faire toute seule. Ce n’est pas pourtant le courage qui me manque, monsieur, car j’ai de bonnes jambes ; je suis restée mince comme vous voyez, dans ma petite taille, et vous ne me donneriez jamais l’âge que j’ai… Voyons ! quel âge me donneriez-vous bien ? »

Le jeune homme croyait que, grâce à cette question, il allait pouvoir placer une parole, un compliment pour remercier et pour entrer en matière, car il désirait beaucoup avoir de plus amples détails sur mademoiselle Gilberte ; mais la bonne femme n’attendit pas sa réponse, et reprit avec volubilité :

« J’ai soixante-quatre ans, Monsieur, du moins je les aurai à la Saint-Jean, et je fais plus d’ouvrage à moi seule que trois jeunesses n’en sauraient faire. J’ai le sang vif, moi, Monsieur ! Je ne suis pas du Berry ; je suis née en Marche, à plus d’une demi-lieue d’ici ; aussi ça se voit et ça se connaît. Ah ! vous regardez l’ouvrage de notre fille ? Savez-vous que c’est filé aussi égal et aussi menu que la meilleure fileuse de campagne ? Elle a voulu que je lui apprenne à filer la laine : « Tiens, mère, qu’elle m’a dit (car elle m’appelle toujours comme ça ; la pauvre enfant n’a jamais connu la sienne, et m’a toujours aimée comme si c’était moi, quoique nous nous ressemblions à peu près comme une rose ressemble à une ortie), tiens, mère, qu’elle a dit, ces broderies, ces dessins, toutes ces niaiseries qu’on m’a enseignées au couvent, ne serviraient à rien ici. Apprends-moi à filer, à tricoter et à coudre, afin que je t’aide à faire les vêtements de mon père… »

Au moment où le monologue infatigable de la bonne femme commençait à devenir intéressant pour son auditeur fatigué, elle sortit comme elle avait déjà fait plusieurs fois, car elle ne restait pas un moment en place, et tout en pérorant, elle avait couvert la table d’une grosse nappe blanche, et avait servi les assiettes, les verres et les couteaux ; elle avait rebalayé l’âtre, ressuyé les chaises et rallumé le feu dix fois, reprenant toujours son soliloque à l’endroit où elle l’avait laissé. Mais cette fois, sa voix, qui commençait à grasseyer dans le couloir voisin, fut couverte par d’autres voix plus accentuées, et le comte de Châteaubrun, accompagné du paysan qui avait introduit notre voyageur, se présenta enfin à ses regards, chacun portant deux grands brocs de grès, qu’ils placèrent sur la table. Ce fut alors seulement que le jeune homme put voir distinctement les traits de ces deux personnages.

M. de Châteaubrun était un homme de cinquante ans, de moyenne taille, d’une belle et noble figure, large d’épaules, avec un cou de taureau, des membres d’athlète, un teint basané au moins autant que celui de son acolyte, et de larges mains durcies, hâlées, gercées à la chasse, au soleil, au grand air ; mains de braconnier s’il en fut, car le bon seigneur avait trop peu de terres pour ne pas chasser sur celles des autres.

Il avait la face épanouie, ouverte et souriante ; la jambe ferme et la voix de stentor. Son solide costume de chasseur, propre, quoique rapiécé au coude, sa grosse chemise de toile de chanvre, ses guêtres de cuir, sa barbe grisonnante qui attendait patiemment le dimanche, tout en lui dénotait l’habitude d’une vie rude et sauvage, tandis que son agréable physionomie, ses manières rondes et affectueuses, et une aisance qui n’était pas sans mélange de dignité, rappelaient le gentilhomme courtois et l’homme habitué à protéger et à assister plutôt qu’à l’être.

Son compagnon le paysan n’était pas à beaucoup près aussi propre. L’orage et les mauvais chemins avaient fort endommagé sa blouse et sa chaussure. Si la barbe du seigneur avait bien sept ou huit jours de date, celle du villageois en avait bien quatorze ou quinze. Celui-ci était maigre, osseux, agile, plus grand de quelques pouces, et quoique sa figure exprimât aussi la bonté et la cordialité, elle avait, si l’on peut parler ainsi, des éclairs de malice, de tristesse ou de sauvagerie hautaine. Il était évident qu’il avait plus d’intelligence ou qu’il était plus malheureux que le seigneur de Châteaubrun.

« Allons, monsieur, dit le gentilhomme, êtes-vous un peu séché ? Vous êtes le bienvenu ici, et mon souper est à votre disposition.

— Je suis reconnaissant de votre généreux accueil, répondit le voyageur, mais je craindrais de manquer à la bienséance si je ne vous faisais savoir d’abord qui je suis.

— C’est bien, c’est bien, reprit le comte, que nous appellerons désormais tout simplement M. Antoine, comme on l’appelait généralement dans la contrée ; vous me direz cela plus tard, si vous le désirez : quant à moi, je n’ai pas de questions à vous faire, et je prétends remplir les devoirs de l’hospitalité sans vous faire décliner vos noms et qualités. Vous êtes en voyage, étranger dans le pays, surpris par une nuit d’enfer à la porte de ma demeure : voilà vos titres et vos droits. Par dessus le marché, vous avez une agréable figure et un air qui me plaît ; je crois donc que je serai récompensé de ma confiance par le plaisir d’avoir obligé un brave garçon. Allons, asseyez-vous, mangez et buvez.

— C’est trop de bontés, et je suis touché de votre manière franche et affable d’accueillir les voyageurs. Mais je n’ai besoin de rien, monsieur, et c’est bien assez que vous me permettiez d’attendre ici la fin de l’orage. J’ai soupé à Éguzon il n’y a guère plus d’une heure. Ne faites donc rien servir pour moi, je vous en conjure.

— Vous avez soupé déjà ? mais ce n’est pas là une raison ! Êtes-vous donc de ces estomacs qui ne peuvent digérer qu’un repas à la fois ? À votre âge, j’aurais soupé à toutes les heures de la nuit si j’en avais trouvé l’occasion. Une course à cheval et l’air de la montagne, c’est bien assez pour renouveler l’appétit. Il est vrai qu’à cinquante ans on a l’estomac moins complaisant ; aussi, moi, pourvu que j’aie un demi-verre de bon vin avec une croûte de pain rassis, je me tiens pour bien traité. Mais ne faites pas de façons ici. Vous êtes venu à point, j’allais me mettre à table, et ma pauvre petite ayant la migraine aujourd’hui, nous étions tout tristes, Janille et moi, de manger tête à tête : votre arrivée est donc une consolation pour nous, ainsi que celle de ce brave garçon, mon ami d’enfance, que je reçois toujours avec plaisir. Allons, toi, assieds-toi là à mon côté, dit-il en s’adressant au paysan, et vous, mère Janille, vis-à-vis de moi. Faites les honneurs : car vous savez que j’ai la main malheureuse, et que quand je me mêle de découper, je taille en deux le rôt, l’assiette, la nappe, voire un peu de la table, et cela vous fâche. »

Le souper que dame Janille avait étalé sur la table d’un air de complaisance, se composait d’un fromage de chèvre, d’un fromage de brebis, d’une assiettée de noix, d’une assiettée de pruneaux, d’une grosse tourte de pain bis, et des quatre cruches de vin apportées par le maître en personne. Les convives se mirent bien vite à déguster ce repas frugal avec une satisfaction évidente, à l’exception du voyageur, qui n’avait aucun appétit, et qui se contentait d’admirer la bonne grâce avec laquelle le digne châtelain le conviait, sans embarras et sans fausse honte, à son splendide ordinaire. Il y avait dans cette aisance affectueuse et naïve quelque chose de paternel et d’enfantin en même temps qui gagna le cœur du jeune homme.

Fidèle à la loi de générosité qu’il s’était imposée, M. Antoine ne fit aucune question à son hôte, et même évita toute réflexion qui eût pu ressembler à une curiosité déguisée. Le paysan paraissait un peu plus inquiet, et se tenait sur la réserve. Mais bientôt, entraîné par l’espèce de causerie générale que M. Antoine et dame Janille avaient entamée, il se mit à l’aise et laissa remplir son verre si souvent, que le voyageur commença à regarder avec étonnement un homme capable de boire ainsi sans perdre non seulement l’usage de sa raison, mais encore l’habitude de son sang-froid et de sa gravité.

Quant au châtelain, ce fut une autre affaire. À peine eut-il bu la moitié du broc placé auprès de lui, qu’il commença à avoir l’œil animé, le nez vermeil et la main peu sûre. Cependant il ne déraisonna point, même après que tous les brocs furent vidés par lui et son ami le paysan ; car Janille, soit par économie, soit par sobriété naturelle, mit à peine quelques gouttes de vin dans son eau, et le voyageur, ayant fait un effort héroïque pour avaler la première rasade, s’abstint de ce breuvage aigre, trouble et détestable.

Ces deux campagnards paraissaient pourtant le boire avec délices. Au bout d’un quart d’heure, Janille, qui ne pouvait vivre sans remuer, quitta la table, prit son tricot et se mit à travailler au coin du feu, grattant à chaque instant ses tempes avec son aiguille, sans toutefois déranger les minces bandeaux de cheveux encore noirs qui dépassaient un peu sa coiffe. Cette vieille, proprette et menue, pouvait avoir été jolie ; son profil délicat ne manquait pas de distinction, et si elle n’eût été maniérée, et préoccupée de faire la capable et la gentille, notre voyageur l’eût prise aussi en affection.

Les autres personnages qui, en l’absence de la demoiselle, complétaient l’intérieur de M. Antoine étaient, l’un un petit paysan, d’une quinzaine d’années, à la mine éveillée, au pied leste, qui remplissait les fonctions de factotum ; l’autre, un vieux chien de chasse, à l’œil terne, au flanc maigre, à l’air mélancolique et rêveur ; couché auprès de son maître, il s’endormait philosophiquement entre chaque bouchée que celui-ci lui présentait en l’appelant monsieur d’un air gravement facétieux.