Aller au contenu

Contes d’Andersen/Le Rossignol

La bibliothèque libre.
Traduction par David Soldi.
Contes d’AndersenLibrairie Hachette et Cie (p. 330-348).


LE ROSSIGNOL.


En Chine, vous devez bien le savoir, l’empereur est un Chinois, et tous ceux qui l’entourent sont aussi des Chinois. Il y a bien des années, — hâtez-vous donc d’écouter cette histoire qui sera bientôt oubliée, — le château de l’empereur était le plus magnifique du monde, tout entier de porcelaine si précieuse, si fragile, si délicate qu’il fallait prendre bien garde d’y toucher. Dans le jardin, on voyait les fleurs les plus merveilleuses ; les plus belles portaient de petites clochettes d’argent qui sonnaient toutes les fois que quelqu’un passait, pour qu’il n’oubliât pas de regarder les fleurs. Oui, tout ce qu’il y avait dans le jardin de l’empereur était bien joliment disposé, et ce jardin s’étendait si loin, que le jardinier lui-même n’en avait jamais vu le bout. En avançant toujours, on arrivait dans une forêt superbe, remplie d’arbres élevés et coupée de lacs ; cette forêt s’étendait jusqu’à la mer, qui était, sur les bords même, bien bleue et bien profonde. De grands navires pouvaient aborder presque sous les arbres. Un rossignol avait établi sa demeure dans une des branches suspendues, au-dessus des flots, et il chantait si délicieusement que les pauvres pêcheurs, préoccupés pourtant de bien d’autres choses, s’arrêtaient pour l’écouter pendant la nuit, au lieu de marcher pour retirer leurs filets.

« Ah Dieu ! que c’est beau ! » disaient-ils. Cependant ils étaient obligés de songer à leur travail et de renoncer aux chants de l’oiseau ; mais, la nuit suivante, ils s’arrêtaient de nouveau et s’écriaient encore : « Ah Dieu ! que c’est beau ! »

De tous les pays du monde, les voyageurs se dirigeaient vers la ville de l’empereur. Tous en étaient émerveillés, ainsi que du château et du jardin ; mais lorsqu’ils avaient entendu le rossignol, ils disaient tous : « Voilà ce qui est le plus prodigieux ! »

Et les voyageurs, à leur retour, racontaient toutes ces merveilles, et les savants composèrent des ouvrages sur la ville, sur le château et sur le jardin. Le rossignol ne fut point oublié ; il eut même la meilleure part, et ceux qui savaient faire des vers écrivirent de brillants poëmes en l’honneur du rossignol de la forêt, qui chantait près du grand lac.

Ces livres se répandirent, et quelques-uns arrivèrent jusqu’à l’empereur. Il prit alors une chaise d’or et se mit à les lire. À chaque instant il hochait la tête, tant il était ravi de ces magnifiques descriptions du château, de la ville et du jardin. Mais le rossignol est sans contredit ce qui est le plus prodigieux ! voilà ce que disait le livre.

« Qu’est-ce donc ? dit l’empereur ; le rossignol ? Je ne connais pas. Il se trouve donc un pareil oiseau dans mon empire et même dans mon jardin ? Je n’en ai jamais entendu parler, et ce sont les livres qui me l’apprennent ! »

Puis il appela son aide de camp. Celui-ci était tellement fier, que, toutes les fois qu’un inférieur osait lui adresser la parole, il ne daignait jamais répondre que : « Peuh ! » ce qui n’a pas grande signification.

« Il doit y avoir ici un oiseau très-curieux qu’on appelle rossignol, dit l’empereur : on dit que c’est ce qu’il y a de plus beau dans toute l’étendue de mon empire. Pourquoi personne ne m’en a-t-il parlé ?

— Je n’en ai jamais entendu parler moi-même, répondit l’aide de camp. Il n’a jamais eu l’honneur d’être présenté à la cour.

— Je veux qu’on me le présente ce soir et qu’il chante devant moi, dit l’empereur. Tout le monde connaît les trésors que je possède, et moi je ne les connais pas.

— Je n’en ai jamais entendu parler, reprit l’aide de camp, mais je le chercherai et je le trouverai. »

Mais où le trouver ? L’aide de camp monta et descendit tous les escaliers, traversa les corridors et les salles, interrogea tous ceux qu’il rencontra, mais personne n’avait entendu parler du rossignol.

Il retourna donc auprès de l’empereur et dit que les gens qui avaient écrit cela dans leurs livres avaient sans doute voulu faire un conte. « Votre Majesté impériale ne peut pas imaginer tout ce qu’on s’amuse à écrire. Ce ne sont partout qu’inventions et que fantasmagories.

— Mais le livre où je l’ai lu, dit l’empereur, m’a été envoyé par le puissant empereur du Japon, et par conséquent il ne peut renfermer de mensonges. Je veux entendre le rossignol ; il faut qu’il soit ici ce soir : je lui accorde ma haute faveur ; et, s’il ne vient pas, j’ordonne que l’on marche sur le ventre de tous les courtisans quand ils auront soupé.

— Tsing-pè ! » dit l’aide de camp, et il recommença à monter et à descendre les escaliers, et à traverser les salles et les corridors ; et la moitié des courtisans le suivirent, car ils n’avaient pas la moindre envie qu’on leur marchât sur le ventre.

Que de questions ne fit-on pas sur le merveilleux rossignol, que tout le monde connaissait, excepté toutes les personnes de la cour ?

Enfin ils rencontrèrent dans la cuisine une pauvre petite fille qui dit : « Oh mon Dieu ! je connais bien le rossignol ! Qu’il chante bien ! On m’a donné la permission de porter tous les soirs à ma pauvre mère malade ce qui reste de la table ; elle demeure là-bas près du rivage, et, lorsque je retourne chez nous, je me repose dans la forêt et j’entends chanter le rossignol. Souvent les larmes m’en viennent aux yeux, car cela me fait autant de plaisir que si ma mère m’embrassait.

— Petite cuisinière, dit l’aide de camp, je t’attacherai officiellement à la cuisine et je te donnerai la permission de regarder manger l’empereur si tu peux nous conduire auprès du rossignol, car il est invité pour aujourd’hui à la soirée de la cour. »

Ils partirent pour la forêt où le rossignol chantait d’ordinaire. Au milieu de leur marche, une vache se mit à beugler.

« Oh ! dit l’aide de camp, le voilà ! Quelle voix forte pour un si petit oiseau ! Il me semble ma foi que je l’ai déjà entendu.

— Non, ce sont les vaches qui beuglent, dit la petite cuisinière. Nous sommes encore loin. »

Les grenouilles du marais se mirent à coasser.

« Dieu ! que c’est beau ! dit le chapelain de la cour. Je l’entends ! C’est aussi harmonieux que les petites cloches de l’église.

— Non, ce sont les grenouilles, dit la petite cuisinière, mais je pense que nous l’entendrons bientôt. »

Et voilà que le rossignol commence à chanter.

« C’est lui, dit la petite fille : écoutez ! le voilà ! »

Et elle montrait du doigt un petit oiseau gris, en haut dans les branches.

« Est-ce possible ? dit l’aide de camp : je ne me le serais jamais figuré ainsi. Quel air simple ! Il a sûrement perdu toutes ses couleurs en se voyant entouré par tant de grands personnages.

— Petit rossignol, lui cria la petite cuisinière, notre gracieux empereur désire que vous chantiez devant lui.

— Avec grand plaisir, » répondit le rossignol.

Et il se mit à chanter que ce fut un bonheur.

« C’est un véritable harmonica, dit l’aide de camp. Et regardez donc ce petit gosier, comme il travaille ! Il est bien singulier que nous ne l’ayons jamais entendu avant ce jour : il aura un grand succès à la cour.

— Chanterai-je encore une fois devant l’empereur ? demanda le rossignol, qui croyait que Sa Majesté était là.

— Mon charmant petit rossignol, dit l’aide de camp, j’ai le vif plaisir de vous inviter pour ce soir à la fête de la cour, où vous ravirez Sa Majesté impériale avec votre chant admirable.

— Il se fait mieux entendre au milieu de la verdure que partout ailleurs ; cependant j’irai volontiers, puisque l’empereur le désire. »

Vignette de Bertall
Vignette de Bertall

Dans le château on avait fait des préparatifs extraordinaires. Les murs et les carreaux de porcelaine brillaient aux rayons de cent mille lampes d’or ; les fleurs les plus éclatantes, avec les plus belles clochettes, garnissaient les corridors. Avec tout le mouvement qu’on se donnait, il s’établit un double courant d’air qui mit en branle toutes les clochettes et empêcha de s’entendre.

Au milieu de la grande salle où l’empereur était aussi, on avait placé une baguette dorée pour le rossignol. Toute la cour était présente, et la petite cuisinière avait reçu la permission de regarder à travers la fente de la porte, car on lui avait conféré le titre officiel de cuisinière impériale.

On était en grande toilette et en grande tenue, et tous les yeux étaient fixés sur le petit oiseau gris auquel s’adressaient tous les mouvements de la tête de l’empereur.

Et le rossignol chantait d’une manière si admirable que les larmes en vinrent aux yeux de l’empereur. Oui, les larmes coulaient sur les joues de l’empereur, et le rossignol chantait de mieux en mieux. Sa voix allait jusqu’au fond du cœur. Et l’empereur était si content qu’il voulut que le rossignol portât sa pantoufle d’or autour du cou ; mais le rossignol refusa : sa récompense était assez grande déjà.

« J’ai vu des larmes dans les yeux de l’empereur, dit-il, c’est pour moi le plus riche trésor. Les larmes d’un empereur ont une valeur particulière. Dieu le sait, je suis suffisamment récompensé. »

Et là-dessus il recommença ses chants si doux.

« Quelle coquetterie charmante ! » dit chacune des dames ; et pour ressembler au rossignol, elles se mirent de l’eau dans la bouche pour faire des roulades quand on leur parlait. Les laquais et les valets de chambre manifestèrent aussi la plus vive satisfaction ; ce qui n’est pas peu dire, car ce sont ces gens-là qui sont les plus difficiles à satisfaire.

Bref, le rossignol eut le plus grand succès.

À partir de ce jour, il lui fallut vivre à la cour. On lui donna une cage avec la permission de se promener deux fois par jour et une fois la nuit. Il était alors suivi de douze domestiques, dont chacun lui avait attaché au pied un ruban de soie qu’il avait grand soin de pas lâcher. Une telle promenade ne devait sans doute pas être des plus agréables.

Toute la ville parla dès lors de l’oiseau prodigieux ; on ne s’entretint plus que de lui. Quand deux personnes s’abordaient, l’une disait aussitôt : « Le ros.... » et avant qu’elle eût fini, l’autre avait déjà prononcé : « signol ! » et on s’était compris.

La faveur dont l’oiseau jouissait dans le public était si grande, que onze enfants de charcutiers furent appelés Rossignols, quoique leur gorge ne possédât pas une seule note harmonieuse.

Un jour l’empereur reçut un gros paquet sur lequel il y avait : « Le Rossignol. »

« Voilà sans doute un nouveau livre sur notre célèbre oiseau, » dit-il.

Au lieu d’un livre, il trouva un petit objet mécanique enfermé dans une boîte. C’était un rossignol artificiel qui devait imiter le rossignol vivant ; il était tout couvert de diamants, de rubis et de saphirs.

Dès qu’on eut remonté le mécanisme, il se mit à chanter un des morceaux que le véritable rossignol chantait aussi ; et en même temps on voyait remuer sa queue, sur laquelle étincelaient l’or et l’argent. Autour du cou il portait un ruban avec cette inscription : « Le rossignol de l’empereur du Japon est pauvre en comparaison de celui de l’empereur chinois. »

« C’est magnifique, » dirent tous les courtisans ; et celui qui avait apporté l’oiseau artificiel reçut le titre de grand introducteur de rossignols auprès de Sa Majesté Impériale.

« Qu’on les fasse chanter ensemble ; ce sera un superbe duo, » dit l’empereur.

Et on les fit chanter ensemble ; mais le duo n’allait pas du tout ; car le véritable rossignol chantait selon son inspiration naturelle, et l’autre obéissait au mouvement des cylindres.

« Ce n’est pas la faute de celui-ci, dit le chef d’orchestre de la cour en désignant l’oiseau artificiel ; car il chante parfaitement en mesure, et on dirait qu’il a été formé à mon école. »

On le fit donc chanter seul ; il eut autant de succès que le véritable, et il plaisait bien davantage aux yeux ; car il brillait autant que les bracelets et les broches des dames de la cour.

Il chanta ainsi trente-trois fois le même morceau et sans la moindre fatigue. Ses auditeurs auraient bien voulu le faire recommencer encore, mais l’empereur pensa que c’était légitimement le tour du rossignol vivant… Mais où était-il ? Personne n’avait remarqué qu’il s’était envolé par la fenêtre pour regagner sa verte forêt.

« Qu’est-ce donc ? » dit l’empereur ; et tous les courtisans murmuraient d’indignation et accusaient le rossignol d’ingratitude. « Heureusement nous avons ici le meilleur des deux, » dirent-ils ; et ils se consolèrent en faisant chanter à l’oiseau artificiel le même morceau pour la trente-quatrième fois.

Ces messieurs n’étaient pourtant pas encore parvenus à le savoir par cœur, parce qu’il était très-difficile.

Et le chef d’orchestre manqua d’expressions pour vanter l’oiseau ; il surpassait de beaucoup, assurait-il, le rossignol véritable, non-seulement par sa robe et ses pierreries, mais aussi par son organisation intérieure.

« Car, voyez-vous, messeigneurs, et vous, grand empereur, avant tous, chez le véritable rossignol on ne peut jamais calculer sûrement les notes qui vont suivre ; mais chez l’oiseau artificiel, tout est déterminé d’avance. On peut l’expliquer, on peut l’ouvrir, on peut montrer où se trouvent les cylindres, comment ils tournent, et de quelle manière les mouvements se succèdent.

— C’est notre opinion, dirent-ils tous ; et le chef d’orchestre obtint le permission de montrer l’oiseau au peuple le dimanche suivant. L’empereur ordonna aussi de le faire chanter, et tous ceux qui l’entendirent furent aussi transportés que s’ils s’étaient enivrés avec du thé, ce qui est tout à fait chinois, et tous s’écrièrent en même temps : « Oh ! » en levant l’index et en remuant la tête.

Mais les pauvres pêcheurs qui avaient entendu le véritable rossignol dirent : « C’est gentil ; les mélodies sont semblables, mais il y manque je ne sais quoi. »

Le véritable rossignol fut banni de la ville et de l’empire.

L’oiseau artificiel eut une place d’honneur sur un coussin de soie auprès du lit de l’empereur. Tout l’or, tous les bijoux qu’on lui avait offerts étaient étalés autour de lui. Il avait reçu le titre de grand chanteur impérial du dessert de l’empereur, place qui était classée au numéro un du côté gauche, suivant la hiérarchie officielle des fonctionnaires de la cour : car l’empereur regardait ce côté comme le plus important, à cause de la place du cœur ; vous devez bien savoir qu’un empereur même a le cœur à gauche.

Et le chef d’orchestre composa un ouvrage de vingt-cinq volumes sur l’oiseau artificiel : le livre était si long et si savant, et tellement rempli des mots chinois les plus difficiles, que chacun se vantait de l’avoir lu et compris : sans cela, on se serait soi-même rangé au nombre des niais et on se serait exposé à se faire marcher sur le ventre.

Tel fut l’état des choses pendant toute une année. L’empereur, la cour et tout le peuple chinois savaient par cœur chaque petit glou-glouk de l’oiseau artificiel. Cette raison même leur rendit l’air d’autant plus agréable, puisqu’ils pouvaient à leur choix ou le chanter ou l’accompagner. Les gamins des rues chantaient tzi, tzi, tzi-glou, glouk, glou ! et l’empereur faisait chorus avec eux. Si vous saviez comme c’était beau !

Mais un soir que l’oiseau mécanique chantait de son mieux, et que l’empereur l’écoutait dans son lit avec délices, on entendit tout à coup dans l’intérieur du corps, crac, puis ! br-rr-ou-ou ; toutes les roues prirent le galop, et la musique s’arrêta subitement.

L’empereur sauta hors du lit et envoya chercher son médecin ordinaire, mais celui-ci n’y put rien. Ensuite on fit venir un horloger qui réussit en effet, après beaucoup de paroles et un long examen, à réparer l’oiseau ; mais il recommanda de le bien ménager, parce que les pivots étaient usés, et qu’il était impossible d’en introduire de neufs.

Quelle désolation ! On ne pouvait plus faire chanter l’oiseau artificiel qu’une fois par an, et cette fois même était presque de trop. Mais, à chaque séance solennelle, le chef d’orchestre fit un petit discours rempli de mots inintelligibles, où il expliquait que le chant était plus parfait que jamais, et après une telle affirmation, le chant était plus parfait que jamais.

Cinq années s’étaient écoulées ainsi, lorsque le pays fut plongé dans une profonde douleur. Les Chinois aimaient beaucoup leur empereur, mais il tomba malade et l’on disait qu’il allait mourir. Déjà on avait élu un nouvel empereur, et le peuple était assemblé sur la place. On demanda à l’aide de camp comment se trouvait le vieil empereur.

« Peuh ! » répondit-il en secouant la tête.

L’empereur était étendu pâle et froid dans son grand lit magnifique. Toute la cour le croyait mort ; chacun courait donc saluer le nouvel empereur.

Les domestiques répandirent la nouvelle partout, et les femmes de chambre avaient profité de l’occasion pour donner un thé. Partout, dans les corridors et dans les salles, on avait placé des tapis pour amortir le bruit des pas ; tout le château était triste et silencieux ! Mais l’empereur n’était pas mort. Seulement, il était toujours étendu pâle et froid dans son grand lit garni de rideaux de velours avec des embrasses d’or ; à travers une fenêtre, la lune projetait la lumière sur lui et sur l’oiseau protégé.

Le pauvre empereur pouvait à peine respirer ; il était aussi oppressé que si quelqu’un lui eût marché sur la poitrine ; il ouvrit les yeux, et vit que c’était la Mort qui s’était mis sur la tête sa couronne d’or, et qui tenait d’une main son sabre et de l’autre son riche drapeau. Tout autour, dans les plis des grands rideaux de velours, il aperçut des têtes bizarres, dont quelques-unes semblaient affreuses et les autres douces et souriantes. C’étaient les bonnes et les mauvaises actions de l’empereur qui se présentaient pour assister à sa dernière heure.

« Te souviens-tu de ceci ? lui dirent-elles tout bas l’une après l’autre. Te souviens-tu de cela ? »

Et elles lui racontèrent bien des choses qui lui firent couler la sueur du front.

« Je n’ai jamais rien su de pareil ! dit l’empereur. De la musique, de la musique ! Qu’on apporte le grand tam-tam chinois pour que je n’entende plus ce qu’elles disent ! »

Et les figures continuèrent de parler, et la Mort répondait par un hochement de tête chinois à tout ce qu’elles disaient.

« De la musique, de la musique ! répéta l’empereur. Toi, petit oiseau d’or, chante, chante donc ! Je t’ai donné tant d’or et tant de diamants ! J’ai même suspendu ma pantoufle autour de ton cou. Veux-tu chanter ? »

Mais l’oiseau restait muet. Il n’y avait personne pour le remonter, et sans ce secours il n’avait pas de voix.

Et la Mort continuait de tourner vers l’empereur ses orbites creuses. Et le silence se prolongeait d’une manière effroyable.

Alors tout à coup, près de la fenêtre, se fit entendre un chant ravissant : c’était le petit rossignol de la forêt qui chantait sur une branche. Il avait appris la maladie de l’empereur, et il venait lui apporter de l’espoir et de la consolation. Grâce au charme de sa voix, les visions devenaient de plus en plus pâles, le sang circulait de plus en plus vivement dans les membres affaiblis de l’empereur, et la Mort même écoutait en disant : « Continue, petit rossignol, continue.

— Oui, répondit le rossignol, si tu veux me donner ton beau sabre d’or, et ton riche drapeau, et la couronne de l’empereur. »

Et la Mort donnait à mesure chaque joyau pour une chanson, et le rossignol continuait toujours ; il disait le cimetière paisible où poussent les roses blanches, où le tilleul répand ses parfums, où l’herbe fraîche est arrosée des larmes des survivants.

Et la Mort fut prise du désir de retourner à son jardin, et s’évanouit par la fenêtre comme un brouillard froid et blanc.

« Merci, merci, dit l’empereur. Merci, petit oiseau céleste ; je te reconnais bien ; je t’ai chassé de ma ville et de mon empire, et cependant tu as mis en fuite les méchantes figures qui assiégeaient mon lit ; tu as éloigné la Mort de mon cœur. Comment pourrais-je te récompenser ?

— Tu m’as déjà récompensé, dit le rossignol. J’ai arraché des larmes à tes yeux, la première fois que j’ai chanté. Je ne l’oublierai jamais ; ce sont les diamants qui touchent l’âme d’un chanteur. Mais maintenant dors, pour reprendre tes forces et te rétablir : je continuerai de chanter. »

Et pendant qu’il chantait, l’empereur fut pris d’un doux sommeil, d’un sommeil calme et bienfaisant.

Le soleil brillait à travers la fenêtre lorsqu’il se réveilla fort et guéri. Aucun de ses serviteurs n’était revenu auprès de lui ; on le croyait toujours mort. Le rossignol seul était resté fidèlement à son poste.

« Tu resteras toujours auprès de moi, dit l’empereur ; tu chanteras quand il te plaira, et l’oiseau artificiel, je le briserai en mille morceaux.

— Épargne-le, dit le rossignol ; il a fait le bien tant qu’il a pu ; garde-le toujours. Pour moi, je ne puis ni bâtir mon nid ni demeurer dans le château ; laisse-moi venir quand bon me semblera. Le soir, je chanterai sur la branche près de ta fenêtre pour t’égayer et te faire réfléchir : je chanterai les heureux et ceux qui souffrent, je chanterai le bien et le mal, tout ce qui n’est pas connu de toi : car le petit oiseau vole partout, jusqu’à la cabane du pauvre pêcheur et du laboureur, qui tous les deux vivent si loin de toi et de ta cour. J’aime ton cœur plus que ta couronne, et cependant il sort d’une couronne un parfum saint et céleste. Je viendrai et je chanterai ; mais promets-moi seulement une chose.

— Tout ! répondit l’empereur, qui s’était revêtu de son costume impérial et qui pressait contre son cœur son sabre d’or.

— Une seule chose : ne raconte à personne que tu as un petit oiseau qui t’informe de tout. Crois-moi, tout n’en ira que mieux. »

Et le rossignol s’envola.

Un instant après les courtisans et les serviteurs entrèrent pour voir une dernière fois leur défunt empereur.

.... Et voilà qu’ils restaient tout ébahis ; mais l’empereur leur dit tout bonnement : Bonjour.

Vignette de Bertall
Vignette de Bertall