Le Violon brisé, simple histoire
LE VIOLON BRISÉ
Sur la route poudreuse et blanche,
Où nos drapeaux ne passent plus,
Un vieillard va, chaque dimanche,
Rêver seul aux pays perdus.
Parfois de sa lèvre pâlie
Monte une plainte vers les cieux ;
C’est le regret des jours joyeux,
Et c’est l’histoire de sa vie :
Ils ont brisé mon violon,
Parce que j’ai l’âme française,
Et que, sans peur, aux échos du vallon
J’ai fait chanter la Marseillaise !
J’ai voulu savoir cette histoire,
Il me l’a contée en pleurant ;
Gardez-la dans votre mémoire,
C’est celle d’un cœur simple et grand :
« Un soir, me dit-il, sous les chênes
Je faisais danser les enfants,
Quand les ennemis triomphants
Jetèrent l’effroi dans nos plaines ! »
Ils ont brisé mon violon
Parce que j’ai l’âme française,
Et que, sans peur, aux échos du vallon
J’ai fait chanter la Marseillaise !
Tous s’enfuyaient devant leurs armes
Rouges, hélas ! de sang français ;
Fou de douleur, cachant mes larmes,
Tout seul vers eux je m’avançais.
— Qui donc es-tu, toi qui nous braves ?
Firent-ils en me renversant ;
— Je suis, dis-je, en me redressant,
— L’ennemi des peuples esclaves !
Ils ont brisé mon violon,
Parce que j’ai l’âme française,
Et que, sans peur, aux échos du vallon
J’ai fait chanter la Marseillaise !
— Tu railles, bonhomme ? Eh bien, joue
Les hymnes chers à notre roi ;
Alors leur main souilla ma joue,
Mais la France vivait en moi.
Je jouai de Rouget de l’Isle
L’ardente et sublime chanson ;
Ils brisèrent mon violon,
En voyant leur rage inutile.
Ils ont brisé mon violon,
Parce que j’ai l’âme française,
Et que, sans peur, aux échos du vallon
J’ai fait chanter la Marseillaise !